(2) Des effets dévastateurs sur les sociétés locales

Ce chômage étant massif et de longue durée, ses effets sont délétères sur les sociétés locales.

Alors qu'en France métropolitaine environ 40 % des demandeurs d'emploi sont au chômage depuis plus d'un an, ils sont 80 % en Guadeloupe, 81 % en Guyane et 77 % en Martinique . Le chômage de très longue durée (plus de 2 ans) est également trois fois plus répandu dans les départements français d'Amérique. Les jeunes sont ipso facto massivement frappés par ce chômage de longue durée qui met ainsi à l'écart, et pour longtemps, du secteur économique des générations d'hommes et de femmes dont le travail aurait dû contribuer à son développement.

Une aggravation du chômage au cours des prochains mois est attendue avec un relatif fatalisme dans les Pôles emploi locaux. À la Réunion, le nombre total d'inscrits au Pôle emploi dépasserait aujourd'hui 112 000, en augmentation de 12 % sur un an. Pour les départements français d'Amérique, si la tendance est également à l'augmentation, les données statistiques sont incomplètes compte tenu des conséquences des conflits sociaux du début de cette année.

L'inscription durable de ce chômage dans le paysage économique est une donnée ancrée dans le quotidien des populations des DOM.

Elle a créé des sociétés fortement scindées, divisions encore renforcées par l'hypertrophie du secteur public (plus du tiers des emplois salariés sont dans la sphère publique) . Aux Antilles et en Guyane, l'ensemble des trois fonctions publiques continue à employer 36 % des salariés (contre 23 % en France métropolitaine). La sphère publique y représente 45 % de la masse salariale (contre 21 % en France métropolitaine).

Ce clivage est propice aux discours critiquant le trop grand nombre de postes, souvent parmi les plus valorisants, occupés par des métropolitains.

Surtout, le chômage massif et de longue durée plonge des familles entières dans des difficultés pécuniaires récurrentes et dans la dépendance vis-à-vis des prestations sociales, repoussant toujours plus loin la perspective d'un accès à l'autonomie pour les plus jeunes, avec son cortège de marginalisation et de pauvreté, d'accroissement de la délinquance... Selon l'INSEE, si le niveau de vie des DOM reste plus élevé que celui des pays voisins, il existe un écart élevé dans le pourcentage de « bas revenus » par rapport à l'hexagone. Ce pourcentage tend à s'accroître en Guyane 154 ( * ) (avec un taux de pauvreté de 14, 6 % à La Réunion, 16,4 % en Martinique, 18,6 % en Guadeloupe et 26,9 % en Guyane, en 2006, contre 11, 7 % dans l'hexagone).

Outre cette « société à plusieurs vitesses », le chômage diffuse aussi insidieusement auprès des plus jeunes « une culture du non-travail » . Comme le notent certains observateurs, il s'agit, auprès de ces derniers, d'une sorte de « dévalorisation du travail, qui est considéré à certains égards comme un peu ridicule . » 155 ( * ) La valeur travail a fait place à l'art de la débrouillardise (celle du « débouya pa péché », l'ère du plus malin). Car, parallèlement, la demande de consommation des jeunes n'a jamais été aussi forte, de sorte que le travail est bien souvent devenu secondaire par rapport au fait de gagner de l'argent. Les notions d'effort, de dignité, de progrès associés au travail sont durement concurrencées par l'image des réussites matérielles faciles.

Les liens que permet le travail avec les réalités de la société tendent à disparaître, la dynamique d'insertion qu'il crée est absente ou ne fonctionne plus (produire, se former et s'informer, respecter des horaires, faire carrière).

Cette situation entretient un sentiment de « no future » , voire de désespoir chez certains jeunes, convaincus qu'ils n'ont aucun avenir professionnel. À Fort-de-France, par exemple, où, selon la Mairie, près de 70 % des jeunes sont sans emploi, plusieurs de leurs représentants ont fait part aux membres de la mission de leur découragement de devoir passer de « petits boulots » en promesses de « contrats », sans perspective d'embauche, y compris d'ailleurs pour ceux qui ont commencé ou repris leur formation.

On notera que cet état des lieux n'épargne pas l'hexagone qui connaît dans ses quartiers dits « sensibles » des évolutions semblables. Mais à la suite des émeutes d'octobre et novembre 2005, l'État a été conduit à renforcer ses politiques en direction des populations concernées et en particulier des jeunes. La mission sénatoriale créée un an plus tard avait pointé cet aspect négligé des actions de l'État et préconisé en priorité de permettre à tous les jeunes de se construire individuellement à travers un emploi, une formation, une activité sociale ou un contrat aidé. 156 ( * )

Or, en dépit de l'ampleur du chômage dans les DOM, aucune étude sérieuse ni plan d'envergure n'ont encore été mis en place pour relever ce défi. Il est regrettable notamment qu'il n'existe pas de tableau de bord mensuel de la situation du chômage dans ces départements et plus particulièrement de celui des jeunes, faisant l'objet d'une large publicité nationale, alors qu'il s'agit d'un indicateur essentiel de l'évolution des économies locales.

Il est clair que l'on a dans ce seul fait tous les ingrédients d'une « bombe à retardement » sociale pour les DOM.

Face à ce constat, la mission juge urgent et indispensable de placer ce défi au premier rang des priorités d'action dans ces départements. Elle suggère de mettre en place, sans délai, un véritable « plan Marshall » pour combattre le chômage des jeunes dans les DOM, avec un objectif fort : le réduire de moitié d'ici trois ans.

À cette fin, elle propose que le Plan d'urgence pour les jeunes présenté en avril 2009 par le Gouvernement comporte un volet spécifique pour les DOM, afin de pouvoir concerner au moins 25 000 jeunes chômeurs ultramarins d'ici 2010, soit 5 % de l'objectif national. De tels résultats impliquent un arsenal de moyens à la hauteur des enjeux : contrats aidés dans les collectivités, primes à l'embauche, contrats de professionnalisation pour les jeunes sans diplôme, développement de l'apprentissage...

Sur ce dernier point par exemple, on constate que l'apprentissage est très en deçà du niveau métropolitain. En 2007, 3 % des jeunes de 16 à 25 ans, scolarisés ou non, suivaient une formation en apprentissage dans les DOM contre 5 % en métropole. Par ailleurs, 15,5 % des jeunes préparant un diplôme du second cycle professionnel (CAP, BEP, baccalauréat professionnel, brevet professionnel, mention complémentaire) étaient sous statut apprenti, soit deux fois moins qu'en France métropolitaine.

Le développement de l'apprentissage est aussi très inégal selon les départements : le poids de l'apprentissage dans le second cycle professionnel varie de 4,4 % en Guyane jusqu'à près de 20 % à la Réunion. Ainsi, la Guyane ne forme en 2007 qu'un peu plus de 200 apprentis (dans un seul centre de formation). La Guadeloupe compte 1 350 apprentis, la Martinique 1 940 et La Réunion un peu plus de 4 000.

Une action de très grande ampleur est donc nécessaire.

L'État doit s'engager à mobiliser davantage de moyens pour agir sur les causes profondes du chômage massif des jeunes, et en particulier l'absence ou l'insuffisance de qualification.

Proposition n° 68 : Mettre en place un véritable « plan Marshall » pour combattre le chômage des jeunes dans les DOM.

* 154 Insee, Enquêtes budget des familles 1995-2001-2006.

* 155 Interview de Pr Aimé Charles-Nicolas, président de l'atelier, « L'égalité des chances, la promotion de la diversité et l'insertion des jeunes » à la Martinique. France Antilles Martinique 27  mai 2009.

* 156 Rapport d'information n° 49 (2006-2007) de M. Pierre ANDRÉ et plusieurs de ses collègues, fait au nom de la mission commune d'information Banlieues, déposé le 30 octobre 2006.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page