(b) Une relative inadéquation des formations au marché du travail

Une certaine déconnexion du monde professionnel est un constat qui est également valable pour l'hexagone.

À titre liminaire, il faut remarquer que c'est un problème général de l'enseignement supérieur français, d'où la loi du 10 août 2007 (loi LRU) qui fait de la finalité professionnelle un objectif de la formation universitaire.

Le reproche majeur adressé au système universitaire français est le manque de contact avec le monde professionnel, et, partant, d'expérience professionnelle des jeunes étudiants : il n'y a pas de stages avant la licence, pas de passerelle avec le monde économique...

Ce handicap est accentué par les caractéristiques du tissu économique local des DOM.

Le manque d'expérience professionnelle des jeunes étudiants est un handicap à leur insertion professionnelle, d'où le recrutement extérieur, principalement de métropolitains, par d'autres voies (cabinets de recrutement notamment).

D'où ce « paradoxe domien » souvent relevé : les jeunes diplômés locaux peinent à accéder aux emplois qualifiés offerts localement.

Une étude récente (novembre 2008) intitulée « Emplois qualifiés et formations supérieures en Guyane Opportunités et contraintes » de Mme Ela Callorda Fossati, économiste du Groupe de Recherche en Économie Théorique et Appliquée (GREThA), Université de Bordeaux et Yves Fauré, professeur, Directeur du Pôle Universitaire Guyanais, a bien mis cette situation en évidence pour la Guyane.

Les raisons tiennent principalement, selon cette étude, à l'information et à l'orientation insuffisantes des étudiants, aux filières, notamment dans le domaine « science, technique, santé » insuffisamment développées et à la faiblesse numérique du corps des enseignants-chercheurs.

Les conséquences sont graves pour l'avenir, puisque ceci entretient :

- le recrutement extérieur par d'autres moyens (cabinets de recrutement, notamment aux Antilles et à La Réunion) ;

- une « fuite des cerveaux », un phénomène ancien aux Antilles, et qui s'amplifie pour la Guyane et La Réunion, qui se traduit par le départ de nombreux jeunes diplômés n'arrivant pas à trouver de travail dans leur département d'origine. Certains d'entre eux partent avec le sentiment d'être victimes d'une discrimination à l'embauche.

La mission a pu ressentir au contact des jeunes étudiants des DOM, leur vive aspiration à travailler pour le développement de leurs territoires. S'ils accordent une grande importance aux formations à l'extérieur, leur but est bien généralement de pouvoir, au final, rentrer travailler « au pays ».

Un exemple réussi de formations professionnalisantes :
l'lUT de Kourou

L'IUT de Kourou a été créé en 1986 par décret ministériel et a ouvert en septembre 1988. Cet institut, qui dispose de l'autonomie financière, est une composante pédagogique de l'Université des Antilles et de la Guyane (UAG) et fait partie intégrante du Pôle Universitaire Guyanais (PUG). Il figure parmi les meilleurs IUT de France.

En plus du campus de Kourou, l'IUT compte deux sites délocalisés à Saint-Claude (Guadeloupe) et à Schoelcher (Martinique).

Il accueille chaque année environ 200 étudiants, encadrés par une équipe pédagogique de qualité composée d'enseignants-chercheurs (Professeurs des Universités-PU, Maîtres de Conférences-MCF, Attachés Temporaires d'Enseignement et de Recherche-ATER), d'enseignants du second degré (Agrégés, Certifiés) et de nombreux intervenants professionnels.

L'IUT a notamment des activités de recherche centrées sur les « Énergies Renouvelables » dont l'objectif est de répondre aux attentes de la région « Caraïbes - Amérique du Sud » en matière de production d'énergies alternatives, en favorisant le désenclavement des régions isolées de la Guyane, du nord du Brésil, etc.

L'IUT héberge par ailleurs le Centre de Ressources Informatiques de Guyane (CRI-Guyane) qui est le service commun de l'UAG pour les moyens informatiques (TIC, réseaux haut débit, accès Internet via Renater, etc.).

Enfin, il a une politique de partenariats diversifiés : le CNES, l'aviation civile, Alcatel, Regulus, EDF, Cegelec, la Délégation Régionale à la Recherche et à la Technologie (DRRT), les organismes de recherche, Guyane Technopole, les collectivités locales, etc.

Les composantes et filières de formation de l'lUT de Kourou sont les suivantes :


• « Génie Électrique et Informatique Industrielle » (options Électronique et Automatisme & Systèmes / Kourou)


• « Gestion des Entreprises et des Administrations » (option Petites et Moyennes Entreprises / Saint-Claude)


• « Génie Biologique » (option Industries Alimentaires et Biologiques / Saint-Claude)


• "Gestion Logistique et Transports" / (Schoelcher).

La politique pédagogique vise à diversifier l'offre de formation et à prendre en compte la réalité socio-économique immédiate et les orientations politiques des régions concernées.

Il faut rappeler que 70 % des personnels employés sur le site du Centre spatial à Kourou sont recrutés localement.

C'est la raison pour laquelle la recherche d'une meilleure adéquation entre formation et emploi local est une préoccupation devenue très prégnante dans les DOM.

L'Université de La Réunion a ainsi érigé en priorité la question de l'insertion professionnelle et diversifie ses partenariats.

Pour l'Université Antilles-Guyane, M. Jean-Pierre Cherdieu, Vice-président du Conseil d'administration, a présenté aux membres de la mission les réflexions qui sont en cours pour la définition du schéma directeur d'aide à l'insertion professionnelle des étudiants, dont l'objectif est de former des cadres pour le futur pôle de compétitivité de la Guadeloupe. L'UAG prévoit, en effet, la création d'une école d'ingénieurs et a pris des contacts avec l'Institut d'études politiques de Paris pour la création d'un IEP ouvert sur la Caraïbe.

Mais M. Cherdieu a aussi souligné que l'un des obstacles à cette insertion professionnelle est aussià la pénurie d'emplois de techniciens et de cadres sur place. Il a confirmé que les rares postes disponibles sont souvent pourvus par des « candidats extérieurs », ce qui contraint les jeunes formés localement à quitter le département pour trouver du travail.

Ce n'est donc pas un hasard si les deux universités concernées, celle de La Réunion et celle des Antilles-Guyane, ont placé l'ouverture internationale au premier rang de leurs priorités.

L'UAG, par exemple, s'est d'ores et déjà engagée à :

- consolider sa place au sein d'institutions régionales telles que la Conférence des Présidents d'Université et d'Instituts de la Caraïbe (UNICA) et la Conférence des Recteurs et Présidents d'Universités de la Caraïbe (CORPUCA) membres de l'Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) ;

- renforcer les relations avec les pays partenaires de la Caraïbe, qui ont des universités utilisant la langue française (comme Haïti) et qui possèdent des départements d'études francophones sur le continent américain ;

- nouer des relations prometteuses entre l'Université des West Indies, les universités de République Dominicaine, celles du Surinam et d'Haïti, dans le but de favoriser de nouveaux échanges dans les domaines de la gestion, l'environnement, l'agriculture, le tourisme, le développement durable et la recherche multiculturelle ;

- développer les partenariats en Amérique du Nord avec la Conférence des Recteurs et des Principaux des Universités du Québec (CREPUQ). L'UAG adhère à ce réseau depuis 1999 afin de faciliter les échanges d'étudiants et une vingtaine d'universités anglophones et francophones du Québec participent à ce programme avec elle ;

- poursuivre les partenariats avec les universités américaines des États-Unis : l'UAG a adhéré en 2003 à l'International Student Exchange Program (ISEP) qui offre à ses étudiants de nombreuses possibilités d'échanges avec plus d'une centaine d'universités américaines.

Ces orientations vont dans le bon sens et mériteraient d'être développées au moins sur deux plans :

- de nouvelles perspectives pourraient être définies, notamment dans le cadre du renforcement des relations avec le Brésil, surtout à partir du Pôle universitaire de la Guyane ;

- la création de bourses de formation à l'étranger de durée variable, dans le cadre des programmes Léonardo (formation professionnelle) ou en dehors de ces programmes.

La mission considère que l'insertion professionnelle des jeunes dans l'économie locale doit être l'objectif prioritaire de l'enseignement supérieur dispensé dans les DOM.

L'enseignement supérieur doit évoluer :

- en proposant des formations réellement professionnalisantes axées sur les débouchés locaux, présents ou futurs (valorisation du potentiel) (stages avant la licence, formation en alternance) et en consolidant les formations jusqu'aux masters, voire aux doctorats ;

- en recherchant de nouveaux partenariats universités/ entreprises/ organismes socioprofessionnels/ ANT, pour permettre aux jeunes de bénéficier d'une première expérience professionnelle qualifiante : contrats de professionnalisation, stages hors du territoire.

Proposition n° 81 : Faire de l'insertion professionnelle des jeunes dans l'économie et l'administration locales l'objectif prioritaire de l'enseignement supérieur dispensé dans les DOM.

Par ailleurs, elle estime que la question de la prise en compte des DOM par les services de l'État en général et, en l'espèce, ceux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche doit être posée.

Actuellement, les services de la Direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle assurent le suivi de l'enseignement supérieur dans les DOM: contractualisation avec les établissements, bourses et aides sociales, financement, habilitation des diplômes etc. Il existe, en outre, au sein du pôle de contractualisation et de financement des établissements, un département du dialogue contractuel qui comprend un bureau couvrant tous les établissements d'outre-mer, non seulement dans les DOM mais aussi en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie.

Il n'en reste pas moins que la mise en place des pistes de réformes qui viennent d'être évoquées nécessitera une écoute et des moyens d'une autre ampleur que ceux disponibles à l'heure actuelle, tant au niveau central que localement.

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