C. LA SECURITÉ EUROPÉENNE ET LE MOYEN-ORIENT

La cinquante-sixième session a été l'occasion pour Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénees - SOC), rapporteur au nom de la commission politique, d'effectuer une présentation orale de son rapport d'information, en cours de préparation, sur les incidences de la situation au Moyen-Orient sur la sécurité européenne. L'absence d'évolution significative de la situation à Gaza a conduit la commission politique à reporter l'examen de ce document. Le contexte - la visite du président américain au Caire - favorisait un exposé oral au sein de l'hémicycle, quand bien même aucune position ne serait adoptée à cette occasion.

« Avant toute chose, je tiens à préciser à ceux qui s'interrogent que la Commission politique a reporté le rapport sur le Moyen-Orient à l'occasion d'une réunion qui s'est tenue à Bruxelles il y a quelques mois, dans la mesure où - vous l'admettrez avec nous - la situation était bloquée, nous empêchant d'établir un rapport ayant toute la substance nécessaire. Il m'a donc été demandé de faire aujourd'hui un rapport oral, d'étape, un rapport de simple information. Je vous devais ces précisions pour que vous compreniez qu'il n'y a pas de rapport sur la table auquel vous référer.

Il n'en reste pas moins que nous avons travaillé. La mission s'est déplacée en Turquie et en Syrie. Nous avons eu la chance d'avoir un long entretien avec le Président Bachar El Assad. Nous nous sommes également rendus en Egypte, au Qatar, aux Etats-Unis. Nous n'avons pu nous rendre en Iran, nos visas ayant été refusés, pas plus qu'en Israël et en Palestine. Or, il me semble important de terminer par Israël et la Palestine.

Nous sommes tous en attente du discours du Président Obama demain au Caire. Ce sera un moment essentiel, précédé d'une visite en Arabie Saoudite aujourd'hui même, et ce, alors que la situation est totalement bloquée. Peut-être pourrons-nous déceler dans les discours du Président quelques orientations, une situation nouvelle, qui évoluerait- en tout cas, nous l'espérons.

Ce rapport portera sur la sécurité européenne et le Moyen-Orient. Je voudrais dépasser le simple conflit israélo-palestinien et dire que plusieurs problèmes dominent au Moyen-Orient : le conflit israélo-palestinien, certes, mais aussi le programme nucléaire militaire de l'Iran, l'avenir de l'Irak ainsi que l'évolution de la situation en Afghanistan et au Pakistan.

Quelques mots sur l'Irak. Nous n'y insisterons pas longuement dans notre rapport. Il soulève pourtant trois questions majeures. La pacification est-elle réelle ? Survivra-t-elle au départ des forces américaines prévu en juin 2009 et décembre 2011 ? Comment le nouvel Irak s'insérera-t-il dans le nouvel environnement régional et international ?

Que peut-on répondre rapidement dans l'instant ? L'amélioration de la sécurité est réelle, elle est sensible : de 110 000 hommes, les forces armées américaines sont passées à 530 000 hommes. Il convient de prendre en compte un élément intéressant : les tribus sunnites se sont ralliées avec 90 000 hommes.

La stabilisation démocratique est en cours : l'élection du Premier ministre autoritaire et solide, Nouri El Malki, c'est une stabilisation démocratique relative en même temps que réelle.

Relative stabilité nationale - ce pays aurait pu exploser en trois Etats : kurde, chiite et sunnite. Le problème kurde reste sérieux et la stabilité n'est que relative, mais elle est réelle. La reconstruction du pays, totalement détruit, reste un problème, une reconstruction qui se chiffre à plusieurs milliards de dollars.

S'agissant de l'Iran, son programme nucléaire constitue une menace. Il répond à une volonté correspondant à un droit : représenter une puissance tierce conservant toute l'ambition de son histoire, qui dépasse Ahmadinejad ou autres. Cette volonté de posséder l'arme nucléaire est une réalité qui s'oppose à la politique « des deux poids, deux mesures » qui dit « oui » à la bombe pour Israël, pour l'Inde et le Pakistan - trois pays qui n'ont pas signé le Traité de non-prolifération nucléaire - et qui dit « non » - probablement à juste titre - à l'Iran qui, lui, a signé le traité.

Alors, menace, risque ? Oui, à l'évidence. On sent dans tous les pays du Moyen-Orient que, face à cette menace qui peut être une réalité, il y a une acceptation.

D'aucuns contestent la menace, arguant qu'il y a aussi une garantie dans une arme dite « de dissuasion » et dans l'équilibre des forces, dont on sait qu'il peut garantir la paix. Ce problème ne trouvera probablement de solution que si l'on dit un jour avec fermeté et détermination que cette zone doit être dénucléarisée. C'est ce que réclament la Turquie, l'Egypte, la Syrie et les Etats arabes.

L'Europe joue un rôle dont je ne sais s'il est bon ou mauvais, mais si elle porte la demande de sanctions au moment où le Président Obama semble vouloir conduire une politique de la main tendue, il faut s'attendre à ce qu'elle n'ait plus à assumer que les rôles les plus difficiles.

Concernant le conflit israélo-palestinien, la situation s'est complètement enlisée et refermée. Je ne sais si nous sommes au fond du gouffre, car je ne sais jamais où est le fond dans cette zone.

Nous payons la note de nos erreurs : erreur de Bush pendant huit ans, erreur d'Israël depuis longtemps et erreur de l'Europe. J'en veux pour preuve les élections législatives de 2006, processus souhaité par toute la communauté internationale, désireuse de mettre en place des institutions démocratiques dans un État, l'État palestinien, qui n'existe pas ! Nous avons réclamé et obtenu des élections sans vouloir en entendre les résultats au motif qu'ils ne nous satisfaisaient pas. Dire que le Hamas n'était pas l'interlocuteur alors qu'il avait gagné les élections a entraîné des événements en chaîne : pas de gouvernement d'unité nationale, prise du pouvoir par le Hamas à Gaza, guerre de Gaza - plus de 1 000 morts - division dramatique des Palestiniens. Tel est le résultat de notre politique ! Il est dramatique. Or, ceux qui ont voulu le dire ici ont eu du mal, soit à être entendus, voire à prendre la parole !

L'année 2009 a vu l'arrivée d'un gouvernement de droite, voire d'extrême-droite, Netanyahou - Lieberman. Ce n'est pas le fait du hasard, mais la volonté de la population israélienne. Avec eux, les postulats changent : priorité donnée au programme nucléaire iranien ; État juif ; silence sur les deux États. Le processus est donc bien refermé.

Fin 2008, Barack Obama est élu. Quel espoir, mais aussi quelle responsabilité ! Il ne pourra ni décevoir les espoirs fondés sur ses paroles, ni porter seul toute la charge de la situation.

La première phase après son élection est marquée par le silence. Nous nous sommes rendus aux États-Unis et n'avons rien appris. Mais il s'agit certainement d'une stratégie, peut-être est-ce la bonne. Nous voulions savoir si le conflit israélo-palestinien était bien la priorité des problèmes de la zone. Nous n'avons pas obtenu de réponse. Nous attendons donc tous son discours de demain au Caire, précédé d'une visite non annoncée aujourd'hui en Arabie Saoudite. Précédé également d'un discours le 4 avril à Ankara. Montrant ainsi clairement que le centre de gravité a changé.

Le Président Obama n'ira pas en Israël. Il a reçu Netanyahou le 18 mai dernier pour un entretien qui semble n'avoir pas été très positif. Il a reçu également Mahmoud Abbas. Nous avons le sentiment, mais nous en saurons plus demain, que la nouveauté dans la politique de Barack Obama, ce sont les nouveaux rapports établis entre l'Islam d'un côté, les États arabes de l'autre. Et aujourd'hui, au centre de ce dispositif, on remet le plan de paix du Roi Fahd au centre de la stratégie politique.

En attendant le discours de demain, le Président Obama nous a envoyé quelques signaux. Tout d'abord, un envoyé spécial, George Mitchell, la personnalité la plus qualifiée pour analyser le problème - le dossier n'est, en effet, pas entre les mains de Mme Clinton. Ensuite, l'intégration de l'initiative arabe, dont les points essentiels sont le retour aux frontières de 1967 ; l'évacuation des colonies et notamment des colonies sauvages ; le rétablissement de la liberté de mouvement des Palestiniens, et les deux États.

Barack Obama devrait, demain, fixer les grandes lignes d'un plan de paix pour le Moyen-Orient.

Pour ce qui a trait à Israël, la population a voté. Les priorités sont les suivantes : le problème nucléaire iranien ; un Etat juif et le refus de deux États. Il s'agit donc d'un statu quo, voire d'un retour en arrière. Les Israéliens veulent gagner du temps et il y a soixante ans que cela dure. La colonisation qui se poursuit affirme chaque jour l'impossibilité de créer un Etat palestinien. Telle est la situation que l'on peut constater.

Je voudrais également évoquer les pays voisins que nous avons visités.

En ce qui concerne la Turquie, sa diplomatie est stabilisatrice dans cette région. Elle joue un rôle absolument évident et important.

L'Égypte est le pays qui parle à tout le monde, notamment à Israël, à qui elle a su dire ce qu'elle avait à dire après l'épisode de Gaza. C'est le pays qui est en contact avec la Syrie et qui essaie de créer une distance entre la Syrie et l'Iran.

Pour ce qui est de la Syrie d'ailleurs, je vous livrerai les deux impressions du Président Bachar El Assad et à l'issue d'un long entretien avec le Président Obama, au début de sa présidence. Il pensait et il continue de penser que la paix est loin, qu'elle n'est qu'un objectif à moyen et long terme, mais que l'absence de guerre est sûrement déjà un point essentiel. Il n'attendait pas beaucoup du Président américain tant il pensait que tout était aujourd'hui impossible, mais je le crois susceptible de changer de sentiment. Au demeurant, il estime que les relations entre la Syrie, les États-Unis et l'Europe se normalisent. C'est une demande très forte, et par sa force même, elle peut permettre à un certain moment d'utiliser la Syrie comme levier dans ce dispositif.

Dès lors, le Président Bachar El Assad s'engage dans le processus de paix et dit comment il le voit, même si ce n'est pas pour tout de suite. Il l'envisage en trois phases. La première, qui pourrait être immédiate et possible, sous contrôle et garanties internationales, c'est un cessez-le-feu durable à Gaza, une levée du blocus et un échange de prisonniers. La deuxième serait marquée par la réconciliation palestinienne. Cette dernière ne peut être le fait que d'une communauté internationale prenant en compte non pas une seule composante mais l'ensemble de ses composantes. La troisième phase, qui paraissait tout à fait intéressante dans le discours qu'il fallait souvent décrypter au deuxième degré, aboutirait à une négociation pour la paix, précédée d'un accord partiel sur le Golan entre la Syrie et Israël pour débloquer une situation, dans le cadre d'objectifs globaux préalables et clairement définis. « Je signe », a-t-il dit !

S'agissant de l'Union européenne, l'absence d'une réelle Europe politique, d'une politique étrangère clairement définie, nos divisions sur la question, les positions des Britanniques, des Allemands, des Français qui varient en fonction des présidents, la position des États-Unis, nos divergences sur l'Iran, sur les sanctions, sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne rendent cette situation - qui est commentée là-bas - insupportable. Pensez-vous continuer, sans jamais jouer un rôle politique, à payer toutes les reconstructions ? C'est là une question que nous devons nous poser. Les milliards défilent pour des reconstructions sans fin. Le processus est intéressant, il peut durer : l'Europe paie ! Dans un passé récent, cet argent, destiné aux Palestiniens, transitait par Israël. Je veux dire ici qu'il nourrissait à l'évidence la colonisation et l'occupation. Pour les pays européens, cette situation peut-elle perdurer ?

Je terminerai en disant que le Président Barack Obama veut probablement la paix au Moyen-Orient, parce que les solutions aux problèmes irakien, afghan et iranien passent aussi et passent d'abord par Jérusalem. Est-il prêt à imposer à Israël un compromis qui serait véritablement un tournant ? J'ai envie de dire, par amitié historique pour le peuple israélien, qu'en l'état actuel des choses, je pense parfois que nous devons sauver Israël malgré lui. »

Lors du débat dans l'hémicycle, M. Jean-Paul Lecoq (Seine-Maritime - GDR) a, pour sa part, tenu à souligner les questions que soulevaient la coopération de pays de l'Union européenne avec Israël :

« Nous attendons tous le discours du Caire. Les premières déclarations de Barack Obama en faveur du gel de la colonisation ont le mérite d'être claires et tranchent avec une certaine pudeur manifestée par l'Europe sur cette question.

Je ne vais pas céder à l'optimisme béat devant de telles déclarations qui n'engagent, avant tout, que ceux qui veulent bien y croire. Je ne tomberai pas dans une forme d'optimisme béat, d'Obamania géopolitique, tant que des actes ne corroboreront pas ces paroles porteuses d'espoir. Je demande simplement que l'Europe s'en inspire et fasse, elle aussi, preuve de fermeté à l'égard d'Israël. Il s'agit avant tout d'une question d'équilibre. Je me rappelle les inquiétudes, pour partie légitimes, qu'avait manifestées l'Europe à l'occasion de l'arrivée au pouvoir du Hamas dans les territoires palestiniens. J'aurais aimé que l'indignation connotât les réactions de nos Etats à l'heure de l'annonce de la formation du nouveau gouvernement Netanyahou. Nous ne pouvons faire preuve d'indulgence à l'égard d'une quelconque forme d'extrémisme, fût-elle dans le camp d'alliés traditionnels.

La nomination d'Avigdor Lieberman, fondateur et dirigeant du parti nationaliste Israël Beytenou, au poste éminemment symbolique de ministre des affaires étrangères apparaît comme un camouflet pour nos chancelleries. Alors que nombreux étaient ceux qui pensaient que le désastre moral qu'avaient pu représenter les opérations militaires de Tsahal à Gaza en janvier dernier pousserait l'Etat hébreu à amender sa position en vue de la paix, le choix d'un tel homme vient plutôt sanctionner une inclinaison profonde d'une partie de la société israélienne en faveur d'une politique de fermeté, à rebours des fondements généreux de son modèle démocratique. M. Lieberman est lui-même colon et qualifie les Arabes israéliens de « cinquième colonne au sein de l'Etat juif » et souhaite l'expulsion d'Israël de 90 % d'entre eux. Il a, par ailleurs, suggéré en 2003 le transport des prisonniers palestiniens jusqu'à la mer Morte pour les y noyer, élimination méthodique s'il en est, qui n'est pas sans analogie avec les procédés utilisés par les nazis.

L'arrivée d'une telle personnalité au pouvoir n'est pas anodine. Elle reflète une certaine adéquation avec la situation observable au sein des territoires occupés, où l'intolérance devient un véritable mode de vie. La Cisjordanie, noyautée par les colonies, n'a plus rien du territoire palestinien homogène originel. N'ayons pas peur des mots : une véritable logique d'apartheid y a été instaurée, une véritable ségrégation est observable en termes d'accès aux ressources naturelles ou aux services. Le réseau routier moderne est réservé aux Israéliens, les Palestiniens devant emprunter les chemins de traverse. Six cents barrages routiers restreignent, par ailleurs, leur liberté de circulation.

En Israël même, cette logique de l'exclusion tend à se développer et à gangréner de nombreux pans de la société civile. Aucune chancellerie ne s'est réellement émue du refus du ministère de l'intérieur d'accorder en mars dernier cinq cents visas à des prêtres arabes désirant se rendre en Terre Sainte. Peut-il y avoir meilleur symbole de cette institutionnalisation de la haine, de cette dérive qui n'est pas sans rappeler, par moments, certaines des pires heures du continent européen ?

Nous disposons des moyens de tempérer ces ardeurs discriminatoires et marquer notre volonté qu'Israël revienne à ses valeurs originelles. Il n'appartient pas à notre Assemblée de se prononcer sur la mise en oeuvre de sanctions économiques, par exemple. Elle peut néanmoins se pencher sur le cas des coopérations militaires entre ce pays et nos Etats. La France, l'Italie, la Turquie ou la Belgique ont développé des projets communs en la matière avec Tel-Aviv. Le gel de tels programmes, dans l'attente d'un règlement durable de la question palestinienne, apparaîtrait comme un signe fort de la part de l'Europe de mettre tout en oeuvre en faveur de la paix. Une position de l'Assemblée européenne de sécurité et de défense en faveur d'une suspension de la coopération militaire aurait, à cet égard, valeur de symbole fort, et rappellerait à l'occasion que l'Europe de la défense n'est pas simplement une affaire technique, mais qu'elle repose bien sur un fondement démocratique et demeure tout entière tournée vers la paix.

Je remercie Mme Durrieu pour le regard d'ensemble qui l'anime et les questions qu'elle soulève. J'attends avec impatience son rapport. »

Les autres interventions ont également porté sur le blocage des négociations entre Israël et l'Autorité palestinienne. L'Iran a également été abordé. Par ailleurs, selon les orateurs, l'absence de solution pacifique durable au Moyen-Orient n'est pas sans conséquence sur les flux migratoires à destination de l'Europe. Dans sa réponse, Mme Durrieu a indiqué prendre en compte les interrogations des parlementaires sur ce sujet.

« Je voudrais dire à M. Greenway et à Mme Keleþ qu'ils ont ouvert deux perspectives de réflexion intéressantes, notamment s'agissant des conséquences directes sur le flux d'immigration et les liens avec ce conflit.

Mme Keleþ, je ne peux pas répondre dans l'immédiat au problème que vous avez posé sur les réserves de gaz éventuelles au large de Gaza, mais c'est là un point sur lequel nous allons également réfléchir.

M. Le Coq, ce sujet ne fait l'objet d'aucun optimisme béat ! Il n'y a pas d'optimisme du tout, si ce n'est une immense inquiétude, une incompréhension absolue, par moments, des politiques menées par les Etats-Unis et Israël, de l'absence de politique effective et efficace de l'Union européenne. Et comme je l'ai relevé précédemment, il existe une incompréhension devant une démarche suicidaire d'Israël. Voilà, à l'instant, les sentiments que votre intervention provoque. »

De nouveaux déplacements à l'automne prochain au Liban et en Israël devraient permettre à Mme Durrieu de présenter un rapport définitif à l'occasion de la prochaine session. .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page