ANNEXE II - UN EXEMPLE : LA DIRECTIVE SUR LA MISE EN oeUVRE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT

La Commission des affaires sociales du Sénat a adopté une proposition de résolution, devenue résolution du Sénat le 17 novembre 2008, au sujet d'une directive en discussion sur la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement.

Illustrant bien la nature des résolutions prévues à l'article 88-4, cette résolution est clairement inspirée par une préoccupation politique : il s'agit, avant tout, de réaffirmer la validité de l'universalisme républicain, face à un texte jugé porteur d'un risque d'encouragement au communautarisme :

« Considérant que la discrimination est l'intention de nuire à une personne en raison de ses caractéristiques personnelles et que l'inégalité de traitement est le résultat d'un constat empirique selon lequel une personne est moins bien traitée qu'une autre placée dans une situation identique, qu'il en résulte qu'une inégalité de traitement peut se produire sans discrimination ;

Considérant qu'en raison de la confusion que sa rédaction actuelle entretient entre inégalité de traitement et discrimination, la proposition de directive ne protège que certains citoyens contre l'inégalité de traitement dans les domaines auxquels elle s'applique ; qu'elle est en conséquence, en l'état présent, insuffisante et injuste ;

Considérant qu'en ne posant pas l'existence d'un principe général d'égalité de traitement s'appliquant à tous, la proposition de directive encourage indirectement la création de communautés de personnes bénéficiant de droits particuliers et s'inscrit donc dans une démarche communautariste ;

Considérant en conséquence qu'en ne respectant pas l'égalité de tous les citoyens devant la loi, elle est contraire aux principes fondamentaux de la République qui soutiennent une démarche universaliste préconisant la définition de principes communs et rassembleurs ; (...)

En conséquence :

Demande que la directive distingue clairement la discrimination de l'inégalité de traitement ;

Estime impératif que soit posé un principe général d'égalité de traitement dans les domaines d'application de la directive, afin que la législation communautaire protège équitablement l'ensemble des citoyens de l'Union ;

S'oppose fermement à la rédaction actuelle de l'article 2 qui, appliqué notamment au service public, méconnaît le principe fondamental d'égalité des citoyens devant la loi et comporte des risques sérieux de dérives communautaristes ; (...)

Demande solennellement au Gouvernement de s'opposer à l'adoption d'un texte qui ne répondrait pas à ces préconisations. »

Cette résolution a été l'une des premières à faire l'objet d'un suivi en séance publique.

Le 30 avril, dans le cadre de la première « semaine de contrôle », le Gouvernement a été interpellé par la rapporteuse de cette résolution, Mme Muguette Dini :

« C'est avec un sentiment de colère et de profonde frustration, monsieur le secrétaire d'État, que je m'adresse à vous aujourd'hui, au nom de notre assemblée.

Sentiment de colère, profonde et légitime, parce que le Gouvernement ou les fonctionnaires qui le représentent à Bruxelles n'ont tenu aucun compte de la résolution européenne adoptée par le Sénat le 17 novembre dernier sur la sixième directive anti-discrimination en cours de discussion au Conseil.

Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, de vous faire mesurer la réalité et l'ampleur du déni dont la volonté du Sénat a fait l'objet.

Nous avons demandé aux autorités françaises qui nous représentent à Bruxelles de veiller à obtenir une modification de l'article 2 de la directive, qui, en l'état actuel de sa rédaction, remet en cause l'égalité des citoyens devant la loi, principe fondamental de notre République, vous en conviendrez.

Le 21 novembre dernier, lors de la réunion du Conseil consacrée aux questions sociales, les autorités françaises, qui présidaient alors l'Union, ont présenté plusieurs amendements sur cet article, mais elles n'ont même pas évoqué notre résolution : elles ont tout simplement ignoré la position du Sénat.

Notre résolution demandait également que les définitions européennes de la discrimination directe, de la discrimination indirecte et du harcèlement soient révisées.

Lors de la même réunion du Conseil, la France a soumis aux États membres l'examen de ces définitions, mais les arguments de la résolution ont été passés sous silence : les autorités françaises ont, là encore, complètement ignoré la position du Sénat. (...)

Le mépris systématique de la volonté du législateur me conduit à vous poser une question simple, monsieur le secrétaire d'État.

Si les autorités françaises ne se sentent absolument pas liées par les résolutions que le Parlement leur adresse, si elles n'ont que faire de la volonté du Parlement, sans lequel elles n'ont pourtant aucune légitimité, qu'on le dise clairement ! Qu'il soit dit clairement qu'en matière communautaire le Parlement est une chambre d'enregistrement et que les résolutions européennes qu'il adopte ne servent à rien !

Je le crois profondément, c'est en agissant ainsi, c'est en ignorant totalement les volontés des populations qui s'expriment à travers leurs représentants qu'on éloigne l'Europe des peuples qui la composent, qu'on rend l'Europe impopulaire, qu'on rend l'Europe antidémocratique.

Si des sénateurs membres de tous les groupes politiques sont à l'origine de cette résolution, si celle-ci a fait l'objet d'un consensus quasi unanime, c'est bien parce qu'elle vise, face à une directive d'inspiration ouvertement communautariste, à défendre notre patrimoine commun, notre modèle républicain, selon lequel la lutte contre les discriminations passe par la reconnaissance d'une égalité de tous les hommes, indépendamment de leur origine, de leur sexe ou de leur couleur de peau, et non par la création de communautés auxquelles seraient octroyés des droits particuliers.

La présidence française était une occasion unique de promouvoir, avec ces États membres, auprès de tous nos partenaires européens, une autre manière de lutter contre les discriminations, une manière plus ouverte, plus respectueuse de notre conception républicaine de l'égalité, plus fidèle à l'héritage des Lumières. Cette occasion, les autorités françaises à Bruxelles l'ont gâchée.

Je n'imagine pas que, s'agissant d'un sujet aussi important, à savoir la lutte contre toutes les formes de discrimination, les autorités françaises ne s'engagent pas fermement pour défendre et promouvoir nos valeurs républicaines et méprisent plus longtemps la volonté de leur Parlement . ».

La réponse du Gouvernement a été la suivante :

M. Bruno Le Maire : « J'ai été moi-même parlementaire, et je compte bien le redevenir un jour. Aussi, je suis particulièrement attaché au respect de la volonté du législateur. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire devant cette assemblée, j'ai de la construction européenne une vision politique et estime que celle-ci doit associer davantage les parlements nationaux aux décisions de l'Union. (...)

En outre, s'agissant des discriminations, vous savez que, si l'on remonte plus loin dans le passé, avant d'être parlementaire, j'ai eu l'occasion de travailler avec le président Jacques Chirac et avec le Premier ministre Dominique de Villepin et que tous trois sommes à l'origine de la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE. Aussi, je crois pouvoir dire que c'est un thème sur lequel je suis personnellement mobilisé. En la matière, et ce n'est un mystère pour personne, j'ai toujours adopté une approche républicaine fondée sur l'intérêt général et sur le refus de toute vision communautariste.

Il se trouve que le texte qu'avait proposé la Commission prévoyait cette distinction quelque peu byzantine et, en effet, hasardeuse entre les discriminations dites « directes » et les discriminations dites « indirectes ».

Nous avons essayé de contrebalancer cette approche-là en défendant une vision universaliste de la lutte contre les discriminations de façon à ne pas promouvoir, autant que faire se peut, une telle distinction, qui conduit effectivement à fractionner la citoyenneté en un certain nombre de catégories, de communautés, dont la protection reposerait sur des critères ethniques, religieux ou liés à l'orientation sexuelle. Telle n'est pas ma conception de la lutte contre les discriminations.

Si nous n'avons pas fait assez bien cette fois-ci, nous essaierons de faire mieux la prochaine fois, et de défendre notre approche républicaine. Soyez-en assurés, le Gouvernement prête la plus grande attention aux propositions de l'Assemblée nationale et du Sénat en matière européenne. Nous les défendrons à l'avenir avec plus de vigueur. »

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