TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mardi 20 octobre 2009 sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l' examen du rapport d'information d'Alain Vasselle, rapporteur général, en vue de la tenue du débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution .

Alain Vasselle , rapporteur général, a d'abord rappelé que ce débat, spécifique au Sénat, intervient, comme chaque année, à la veille de l'examen des deux grands textes financiers que sont le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et le projet de loi de finances (PLF). Il a un double avantage, celui de permettre une vision d'ensemble des finances de l'Etat et de la sécurité sociale et celui de se situer dans une perspective pluriannuelle, aussi bien rétrospective que prospective, ce que n'autorisent pas suffisamment les examens du PLF et du PLFSS pendant lesquels l'attention est plus portée sur les mesures ponctuelles qu'ils contiennent que sur les équilibres d'ensemble. L'année dernière, le débat sur les prélèvements obligatoires était couplé avec l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques, dans le contexte très incertain du début de la crise économique. Cette année, il intervient dans des circonstances très différentes. D'une part, le vent de la crise est passé et il convient de faire le constat des dégâts. D'autre part, les réflexions sur la sortie de crise ont commencé et, même si le moment exact et l'ampleur du redressement restent à ce jour inconnus, il n'est plus possible de procrastiner : il est de la responsabilité des parlementaires, comme de celle du Gouvernement, de commencer à anticiper les décisions qui ne pourront être esquivées.

Deux idées force peuvent servir de cadre général au débat : la première est que l'ampleur inédite des déficits constitue une menace avérée pour le système de protection sociale ; la seconde est que les limites du report des difficultés actuelles sur les générations futures sont atteintes.

Alain Vasselle , rapporteur général, est alors revenu sur l'évolution récente des prélèvements obligatoires. Ceux-ci ont dépassé le seuil de 40 % du Pib en 1980 ; ils ont ensuite régulièrement progressé et atteint un niveau record entre 1998 et 2000, à plus de 44 % de la richesse nationale ; ils ont baissé depuis lors et s'élèvent au taux de 42,8 % du Pib en 2008. Pour 2009 et 2010, on attend une chute sans précédent du niveau de ces prélèvements qui pourraient s'établir à 40,7 % du Pib, soit une baisse de plus de deux points de Pib en une seule année. Selon le Gouvernement, environ deux tiers de cette baisse sont liés à l'évolution spontanée des recettes, notamment fiscales, la chute de l'impôt sur les sociétés contribuant à elle seule pour un point à cette baisse ; le tiers restant est dû aux mesures nouvelles prises dans le cadre du plan de relance pour lutter contre la crise (baisses d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés et de TVA). Sur la partie « sociale » de ces prélèvements qui en représente plus de la moitié, 54 % exactement, les évolutions sont moins prononcées, en raison d'un ralentissement légèrement moindre des assiettes taxables - et notamment de la masse salariale - par rapport au Pib. Les prélèvements obligatoires des administrations de sécurité sociale seraient donc stables en 2008 et 2009 à 22,2 % du Pib mais pourraient baisser en 2010 à 21,8 % du Pib du fait d'une progression cette fois-ci moindre de la masse salariale par rapport au Pib.

Ces résultats sont directement liés à l'évolution économique, notamment à la croissance qui est en recul de 2,25 % en 2009, tendance qui pourrait s'inverser en 2010, avec une légère progression du Pib, de 0,75 %. Ils sont également affectés par l'évolution de la masse salariale qui baisse de 2 % en 2009 et serait toujours en retrait en 2010, de 0,4 % selon les prévisions gouvernementales ; c'est la première fois qu'on observe deux années de suite une baisse de la masse salariale. Si l'on compare ces données avec celles observées en moyenne au cours des dix années précédentes, ce sont plus de 21 milliards de recettes qui ne sont pas au rendez-vous en 2009 et 2010, au seul titre des produits sur les revenus d'activité, c'est-à-dire des cotisations sociales et d'une très large part de la contribution sociale généralisée (CSG). Les prélèvements sur les revenus du capital sont également en forte baisse, de près de 20 %, soit une perte de 3,4 milliards d'euros. Seules les recettes fiscales affectées à la sécurité sociale augmentent légèrement. Le panier de recettes qui finance les allégements généraux de charges sociales devrait dégager un excédent de 600 millions d'euros en 2009 et, peut-être, de plus d'un milliard d'euros en 2010. Le recul des allégements du fait de la baisse de la masse salariale est en effet plus prononcé que celui du panier qui comporte un certain nombre de taxes dites comportementales, comme les droits sur les tabacs, ou la TVA sur les produits pharmaceutiques, qui ne sont pas affectées par la mauvaise conjoncture.

Au total, le ratio de couverture des dépenses par les recettes se réduit considérablement puisqu'il passe, pour le régime général, de près de 97 % en 2008 à 90,4 % en 2010, ce qui est une situation totalement inédite et très éloignée du principe, inscrit dans le code de la sécurité sociale, de l'équilibre de chacune des branches de la sécurité sociale. Cette aggravation rapide du déficit a conduit la commission des comptes de la sécurité sociale à vouloir analyser plus avant la nature de ce déficit et à chercher à en distinguer la part conjoncturelle et la part structurelle. D'après ses estimations, plus des deux tiers du déficit du régime général en 2010 seront d'origine conjoncturelle, essentiellement au titre des pertes de recettes. Cela signifie aussi que le déficit structurel de la sécurité sociale se situe à environ 10 milliards d'euros, soit le niveau de déficit enregistré chaque année depuis 2004. A l'avenir toutefois, la distinction entre déficit structurel et déficit conjoncturel présentera peu d'intérêt. En effet, même en retenant l'hypothèse d'une croissance forte et régulière assortie d'une bonne maîtrise des dépenses de santé, le déficit annuel du régime général restera fixé aux alentours de 30 milliards d'euros jusqu'en 2013, ainsi que le montre l'annexe B du PLFSS pour 2010, bâtie, comme chaque année, sur des hypothèses particulièrement volontaristes, à savoir une croissance annuelle du Pib de 2,5 % et de la masse salariale de 5 % à partir de 2011. Seules des mesures nouvelles significatives permettront donc une réduction du déficit, le retour de la croissance étant tout juste suffisant pour stabiliser le solde actuel.

Dans l'immédiat, les déficits sans précédent de 2009 et 2010, soit au total 56,3 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter un déficit cumulé du fonds de solidarité vieillesse (FSV) de l'ordre de 7,5 milliards d'euros, ont un corollaire : l'aggravation de la dette sociale. Pour l'instant, cette dette est portée par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et le restera tout au long de l'année 2010, comme l'a confirmé le ministre des comptes publics. C'est pourquoi le PLFSS prévoit un plafond d'emprunt de 65 milliards d'euros pour l'Acoss en 2010. Or, au-delà même des risques financiers que cela comporte, le simple report du traitement de la dette risque de le rendre plus coûteux et douloureux. En effet, la reprise par la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), au 1 er janvier 2011, des déficits sociaux de 2009 et 2010 exigera, conformément à la règle organique d'un transfert simultané de ressources à la Cades pour faire face à la charge de la dette transférée, une augmentation de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 0,54 point, soit plus du doublement de son taux actuel de 0,5 %. Si l'on attend une année supplémentaire, la reprise de dette devrait avoisiner les 100 milliards d'euros et il faudra alors porter la CRDS au taux de 1,44 %. Ces chiffres démontrent de façon évidente la nécessité d'envisager sans plus tarder le traitement de la dette sociale en cours d'accumulation. Aussi, en dépit du contexte actuel, il paraîtrait normal qu'une reprise de dette par la Cades soit d'ores et déjà mise en oeuvre et que les ressources nécessaires lui soient transférées. La hausse de la CRDS qui devrait dans ces conditions être votée pourrait éventuellement être atténuée par un léger desserrement de la contrainte liée à la durée de vie de la Cades, mais cela nécessite une modification de la loi organique et exige, en tout état de cause, un engagement fort du Gouvernement de ne pas à nouveau reporter la dette sur les générations suivantes.

Alain Vasselle , rapporteur général, a ensuite indiqué qu'une fois l'étape du traitement des déficits en cours franchie, reste la question cruciale de la réduction des déficits des années à venir, c'est-à-dire la recherche des moyens de financer le maintien d'un haut niveau de protection sociale, tout en tenant compte du montant déjà élevé des prélèvements obligatoires et des contraintes de compétitivité d'une économie ouverte.

La maîtrise des dépenses est évidemment essentielle mais ce n'est pas l'objet du débat sur les prélèvements obligatoires. Sur le plan des recettes, rares sont ceux qui aujourd'hui excluent une hausse des prélèvements pour faire face aux dépenses supplémentaires, notamment liées au vieillissement de la population. Les décisions sur les prélèvements de la sortie de crise et de l'après-crise doivent donc être préparées dès à présent.

La priorité est de poursuivre l'élargissement et la préservation de l'assiette des prélèvements sociaux. Comme le rappelle régulièrement la Cour des comptes, les meilleurs prélèvements sont ceux qui ont une assiette large et des taux bas. Cela signifie qu'en plus des mesures prévues par le PLFSS pour 2010, il faut continuer à réduire les « niches sociales » et poursuivre l'idée d'un élargissement de l'assiette du forfait social, créé l'année dernière et doublé cette année, car plusieurs dispositifs en sont encore exemptés. De même, des marges de manoeuvre peuvent sans doute être trouvées dans la taxation des stock-options. Enfin, un alignement au moins partiel de l'assiette de la CSG sur celle de la CRDS pourrait rapporter plusieurs dizaines de millions d'euros.

Pour mobiliser de nouvelles ressources, plusieurs pistes peuvent être retenues. La première est un meilleur ciblage des allégements de charges sociales dont le coût avoisine aujourd'hui les 28 milliards d'euros ; de nombreuses propositions ont été avancées et une réflexion est engagée par le Gouvernement sur le sujet ; il pourrait d'ores et déjà être judicieux de mettre en oeuvre ce que propose la Cour des comptes, à savoir une annualisation du calcul des allégements pour éviter certains contournements. La deuxième piste est celle du développement des taxes comportementales, que ce soient les droits sur les tabacs, qui n'ont pas été augmentés depuis plus de deux ans ou les droits sur les alcools, en particulier sur les alcools forts, en grande partie importés et dont la consommation progresse fortement chez les jeunes. De même, la création sans cesse repoussée d'une taxe nutritionnelle aurait pourtant une grande utilité, tant en matière de prévention que pour renforcer le financement de l'assurance maladie : bien ciblée sur des produits néfastes sur le plan diététique et n'étant pas de première nécessité, elle pourrait avoir un rendement appréciable.

Dans le contexte à la fois inédit mais aussi très préoccupant des finances publiques et sociales, la commission pourrait faire siens deux principes essentiels : l'interdiction de continuer à transférer des prélèvements sociaux aux générations futures par le maintien de déficits structurels élevés et le biais d'une gestion différée de la dette sociale ; la nécessité de mobiliser sans tarder les prélèvements d'après-crise en exploitant toutes les marges de manoeuvre et d'efficience encore disponibles afin de préserver un modèle de protection sociale qui ne pourra survivre qu'avec une volonté très affirmée de poursuivre la politique de maîtrise des dépenses et de sauvegarde des recettes de la sécurité sociale.

François Autain a déploré l'absence de règlement des déficits de 2009 et 2010 ainsi que le choix fait par le Gouvernement d'une « politique au fil de l'eau maîtrisée ». Il est paradoxal de constater le maintien d'un déficit annuel supérieur à 30 milliards d'euros jusqu'en 2013 au moment où les prélèvements obligatoires accusent une forte baisse. Celle-ci témoigne de l'absence de volonté du Gouvernement de lutter contre les déficits et de son souci de privilégier la promesse présidentielle d'une baisse des prélèvements obligatoires de quatre points d'ici à 2012. Il n'est plus acceptable de continuer à reporter au lendemain des déficits qui devraient être traités dès aujourd'hui. Par ailleurs, le crédit d'impôt recherche dont bénéficient largement les laboratoires pharmaceutiques n'a pas atteint ses objectifs puisque la part de la recherche-développement dans le Pib français a baissé au cours des dernières années. Enfin, il a souhaité connaître l'avis du rapporteur général sur le bouclier fiscal et la proposition émise à l'Assemblée nationale d'une fiscalisation des indemnités journalières d'accidents du travail.

Guy Fischer s'est interrogé sur l'évolution des dépenses de protection sociale. Il a fait état d'un accroissement des charges toujours plus important pesant sur les ménages et demandé des précisions sur la répartition actuelle des prélèvements entre les entreprises et les ménages.

Yves Daudigny a relevé l'absence de cohérence entre le principe régulièrement affirmé par le Président de la République d'une opposition à toute augmentation d'impôt et les propositions faites par le rapporteur général pour mobiliser de nouvelles ressources au profit de la sécurité sociale.

Marc Laménie est convenu de la très grande difficulté de trouver des solutions adaptées pour réduire les déficits et faire face aux dépenses liées à l'accroissement de l'espérance de vie. La proposition du rapporteur général de créer une taxe nutritionnelle est une piste intéressante.

Annie David a une nouvelle fois regretté la brièveté de l'audition des ministres concernés par le PLFSS. Elle a demandé des précisions sur la taxation des retraites chapeau et des stock-options.

Muguette Dini , présidente, a également fait état du caractère insatisfaisant de l'audition commune des ministres responsables du PLFSS et indiqué son souhait de procéder à des auditions individuelles des ministres l'année prochaine.

René Teulade a estimé qu'il serait préférable de parler d'investissements plutôt que de charges en matière de sécurité sociale. Il a jugé indispensable de revenir sur le nombre excessivement élevé de niches fiscales. En tout état de cause, aucune réforme ne pourra se faire sans l'accord de l'ensemble des acteurs concernés. La principale difficulté résulte de la nécessité de concilier deux démarches contradictoires : celles d'un système dont les prescriptions sont libérales mais les prestations socialisées. Il est regrettable que les lois qui ont tenté cette conciliation n'aient jamais été appliquées.

Jacky Le Menn a considéré que les solutions préconisées ne sont pas à la hauteur des enjeux. Face à l'importance du déficit, il faut aujourd'hui revoir le compromis de 1945, se poser les questions essentielles et refonder le mode de financement de la sécurité sociale, notamment en cherchant à spécialiser certaines ressources selon les branches. Il est impératif d'épargner les générations futures, ce qui peut signifier une augmentation de la CSG et la mobilisation d'un impôt complémentaire pour apurer le passé. La maîtrise médicalisée des dépenses doit être poursuivie mais à bon escient. Or, à titre d'exemple, ramener le taux de remboursement d'un certain nombre de médicaments de 35 % à 15 % n'a pas de sens car, si les médicaments n'apportent aucun service médical, il n'y a pas lieu de les rembourser du tout.

Alain Vasselle , rapporteur général, a d'abord insisté sur le rôle du Sénat, dont l'expertise est reconnue, dans l'analyse et les propositions en matière de finances sociales. Certes, ses propos sont parfois différents de ceux du ministre des comptes publics mais, en adoptant un comportement cohérent et responsable, il a permis au Sénat d'être à l'initiative de plusieurs mesures importantes au cours des dernières années, même si, lors de leur première présentation, elles ont souvent été écartées par le Gouvernement ou l'Assemblée nationale.

Il a ensuite souligné l'effet purement mécanique de la crise sur l'accroissement actuel des déficits et la baisse des prélèvements obligatoires. Le déficit structurel de 10 milliards d'euros aurait sans doute été bien plus élevé si tous les gouvernements qui se sont succédé depuis une quinzaine d'années n'avaient pas agi pour maîtriser les dépenses. Des marges de progrès sont d'ailleurs encore possibles, par exemple à l'hôpital. L'idée d'extraire du bouclier fiscal la CSG et la CRDS peut certainement se défendre mais cela doit se faire dans le cadre d'une réflexion plus globale sur les prélèvements fiscaux et sociaux. La question de la fiscalisation des indemnités journalières d'accidents du travail doit être examinée en fonction de la situation du salarié : s'il touche la totalité de son salaire, il n'y a pas de raison qu'il ne soit pas fiscalisé, si ce n'est pas le cas, une réflexion plus approfondie est nécessaire. Le crédit impôt recherche est du domaine de la loi de finances. Les conclusions du rapport demandé par le Gouvernement sur la taxe nutritionnelle étaient mitigées mais il serait certainement utile de se pencher à nouveau sur le sujet. Dans le PLFSS, les taux de prélèvement applicables à la contribution employeur aux retraites chapeau sont doublés ; il est sans doute possible d'aller un peu plus loin dans l'aménagement de ce régime, ainsi que dans la taxation des stock-options. Une augmentation des prélèvements sera inévitable si l'on veut maintenir le niveau actuel de protection sociale, sauf à déplacer les curseurs entre les différentes parties prenantes.

Nicolas About a rappelé que le crédit d'impôt recherche a été créé en 1983 et que la loi de finances pour 2008 l'a réformé. Revenir sur le pacte social de 1945 est sans doute une nécessité de même que l'évolution vers la mise en oeuvre d'un bouclier sanitaire et l'acceptation de restes à charge liés au niveau des revenus.

François Autain a fait état de sa totale opposition à la remise en cause du pacte social de 1945.

La commission a alors adopté les conclusions du rapporteur général et autorisé la publication du présent rapport d'information.

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