VI. AUDITION DU 17 MARS 2009 : M. JACQUES DE LAROSIÈRE, GOUVERNEUR HONORAIRE DE LA BANQUE DE FRANCE

M. Jean Arthuis, président , a souhaité que l'intervenant présente le rapport rédigé par le groupe d'experts qu'il a présidé sur la régulation et la supervision financières en Europe, commandé par la Commission européenne et rendu public le 25 février 2009.

M. Jacques de Larosière a déclaré que, dans un contexte de crise de l'ensemble du système financier, il convient de distinguer deux aspects de la prévention des risques : la régulation et la supervision.

La régulation a pour objet de définir des règles en vue d'assurer la stabilité financière et de protéger les investisseurs et les épargnants. Le Comité de Bâle joue un rôle primordial dans la détermination de normes prudentielles et d'exigences en matière de fonds propres. L'accord « Bâle I » fixait ainsi une limite de 8 % de capitaux propres par rapport à l'encours de prêts accordés par une banque. Depuis 2004, l'accord « Bâle II » a affiné ce ratio prudentiel en pondérant les risques et les catégories d'actifs. Deux failles demeurent cependant dans ce dispositif : sa dépendance à l'égard des modèles internes des banques et ses effets procycliques.

En matière de supervision, c'est-à-dire de contrôle de la mise en oeuvre effective des règles par les acteurs du système financier, il a évoqué les difficultés de l'accès des superviseurs aux informations dès lors que celles-ci concernent plusieurs pays. Outre les différences de définition des normes entre les Etats membres de l'Union européenne, le déficit de coopération rend la supervision lacunaire, en dépit des mécanismes d'échanges supranationaux mis en place dans le cadre du processus « Lamfalussy » à travers les comités de niveau trois. Ces comités, qui regroupent les superviseurs nationaux dans trois domaines sectoriels, sont le comité européen des contrôleurs bancaires (CEBS), le comité des assurances (CEIOPS) et le comité européen des régulateurs de valeurs mobilières (CESR).

M. Jacques de Larosière a ensuite exposé les mesures préconisées par le rapport. Sans prôner la création d'une autorité de supervision unique, il demande que les comités de niveau trois deviennent des autorités et qu'il leur soit confié des pouvoirs dans leur secteur de compétence respectif. Ces pouvoirs limités consisteraient principalement à trancher des conflits d'interprétation entre superviseurs, voire à octroyer des licences pour certains acteurs, tels que les agences de notation.

Il propose également la création d'un Conseil européen des risques systémiques, placé sous l'égide de la Banque centrale européenne (BCE) et composé des vingt-sept gouverneurs des banques centrales nationales, des présidents des comités de niveau trois et d'un représentant de la Commission européenne. Cet organe serait chargé de superviser la stabilité des marchés financiers en centralisant l'information.

La fin du rapport est consacrée au dispositif de prévention des crises financières à l'échelle mondiale.

M. Jean Arthuis , président, s'est interrogé sur les propos tenus par M. Lorenzo Bini Smaghi, membre du directoire de la BCE, selon lequel le rapport reste trop prudent sur les pouvoirs accordés au Conseil européen du risque systémique.

M. Jacques de Larosière a d'abord rappelé que les propositions du rapport sont souvent proches de celles de la BCE. La structure dont il propose la création serait ainsi abritée par la BCE et présidée par son Président.

Il a également appelé à la mise en place d'un mécanisme d'alerte précoce géré par le Conseil européen du risque systémique. Ne disposant pas de pouvoirs coercitifs, cet organe pourrait cependant, en cas d'absence de suite donnée à ses avertissements, procéder à un « porter à connaissance » à destination de la Commission européenne et du Conseil de l'Union européenne. Il reviendrait ensuite à ces institutions de décider des mesures à prendre.

En réponse à une question de M. Jean Arthuis, président , sur la possibilité d'accroître les pouvoirs de la BCE en matière de supervision macroprudentielle, M. Jacques de Larosière a précisé qu'il est moins facile d'étendre les fonctions de superviseur que de renforcer les instruments de régulation.

M. Yann Gaillard s'est étonné de la place accordée au cadre européen dans le rapport alors que la crise financière n'est pas née en Europe et que les mécanismes d'alerte devraient principalement concerner des risques extérieurs au continent.

M. Jacques de Larosière a souligné la pertinence de la remarque tout en indiquant que le mandat donné par la Commission européenne concernait la régulation et la supervision financières dans l'Union européenne. Il a précisé que le rapport préconise de confier la supervision macroprudentielle internationale au Fonds monétaire international (FMI) et la convergence des régulations au Forum de stabilité financière.

M. Joël Bourdin s'est interrogé sur les propositions permettant de réduire les effets procycliques des normes de l'accord de Bâle II, par exemple en changeant les règles d'évaluation des actifs, ainsi que sur le rôle donné par le rapport au FMI, seule institution à même de pouvoir offrir aujourd'hui des solutions en matière de régulation financière à l'échelle internationale.

M. Jacques de Larosière a fait valoir que les banques doivent constituer des réserves et des provisions dans les périodes de prospérité afin de pouvoir les utiliser en cas de récession, à l'image du système des « provisions dynamiques » mis en place en Espagne. Sur cette question de la réduction des fonds propres disponibles permettant de ralentir la démultiplication des prêts en période de prospérité, son rapport rejoint les récentes propositions du « groupe des Trente », comité consultatif pour les affaires économiques et monétaires internationales, dont M. Paul Volcker est le président.

Il a également indiqué que le Bureau des standards comptables internationaux ( International Accounting Standards Board , IASB), fait l'objet de critiques, compte tenu de sa réticence à encourager le reclassement de certains actifs devenus illiquides du livre commercial des banques (« trading book ») vers leur livre bancaire (« banking book »). Il a rappelé les débats autour des normes comptables et financières internationales ( International Financial Reporting Standards , IFRS), ainsi que les réflexions en cours sur les modèles d'appréciation des actifs, notamment le modèle contesté de la « fair value », selon lequel la valeur reflète les flux futurs espérés, actualisés au taux de rentabilité exigé par les investisseurs. Il a ensuite distingué la règle de valorisation « mark to market », qui consiste à évaluer une position sur la base de sa valeur observée sur le marché, de la règle « mark to model » qui se fonde sur les hypothèses d'un modèle pour définir la valeur d'une position. Ce dernier mode d'évaluation est utilisé le plus souvent pour des positions complexes pour lesquelles il n'y a pas de marché liquide ce qui empêche d'avoir recours au « mark to market ».

S'agissant du rôle accordé au FMI, M. Jacques de Larosière a déclaré que la dernière partie du rapport plaide pour un renforcement de la surveillance multilatérale et qu'elle préconise un suivi par le Fonds de l'application des règles du comité de Bâle au niveau de chaque Etat, en complément de son suivi des aspects macroéconomiques.

M. Jean-Jacques Jégou s'est interrogé sur l'application en Europe des normes IFRS, issues du système financier anglo-saxon, ainsi que sur la capacité à contrôler et à encadrer les agences de notation.

M. Jacques de Larosière a précisé que ces normes sont effectivement nées aux Etats-Unis d'Amérique en 1993 mais que leur impact en France a été réduit par la résistance des banques françaises à leur encontre.

Au sujet des agences de notation, il a relevé les risques de conflits d'intérêts inhérents à leur « business model », qui repose sur une rémunération par les émetteurs des instruments financiers. Outre la nécessité de les soumettre à des conditions d'exercice très strictes, ces agences devraient être rémunérées par les investisseurs. A titre personnel, M. Jacques de Larosière a préconisé de soustraire les produits financiers structurés du champ d'analyse des agences de notation.

M. Jean Arthuis, président , s'est interrogé sur l'ampleur des missions dévolues aux agences de notation, en particulier pour l'évaluation de produits complexes.

M. Jacques de Larosière a déclaré que ces agences ont effectué un travail convenable en termes d'évaluation de la qualité des émetteurs de dettes, tout en regrettant que, dans une période récente, elles se soient vu confier un rôle trop important en termes d'évaluation des produits complexes. L'accord Bâle II a ainsi laissé aux superviseurs la possibilité de se reposer sur leurs notations, ce qui peut créer des problèmes de compétences et de conflits d'intérêts.

M. Jean-Pierre Fourcade a souhaité savoir si la coexistence, au sein de l'Union européenne, de la zone euro et de pays n'ayant pas adopté cette monnaie avait constitué une difficulté pour le groupe d'experts présidé par l'intervenant. Il s'est ensuite interrogé sur la pertinence du niveau du ratio prudentiel de 8 % en matière d'encours de prêts ramenés aux fonds propres des établissements de crédit.

M. Jacques de Larosière a indiqué que, les travaux du groupe n'ayant porté que sur la régulation et la supervision, la coexistence de plusieurs zones monétaires au sein de l'Union européenne n'a pas eu d'incidence.

S'agissant du niveau du ratio prudentiel, il a précisé que le chiffre de 8 % correspond à un ratio « normal », mais que le niveau minimal défini par Bâle II est de 4 %. Il a jugé ce niveau insuffisant tout en soulignant qu'il ne convient pas d'imposer de nouvelles contraintes de ce type aux banques en période de crise.

M. Jean Arthuis, président , a envisagé une séparation plus nette entre les banques de dépôts et les banques d'investissement. Il s'est ensuite interrogé sur le risque que font courir au système financier global des groupes bancaires de trop grande taille et s'est, dès lors, demandé si les pouvoirs publics ne devraient pas empêcher les rapprochements aboutissant à la constitution de tels groupes.

M. Jacques de Larosière a d'abord rappelé l'abandon aux Etats-Unis, en 1999, des règles issues du « Glass Steagall Act » adopté après la crise de 1929, qui visaient une séparation stricte entre les activités de banque de dépôts et les activités de banque d'investissement. Il a estimé que les banques de dépôt devaient pouvoir exercer des activités de marché afin de fournir certains services à leurs clients, tels que la couverture des risques de taux ou des risques de change. En revanche, les établissements spéculant pour leur propre compte ne devraient pas être renfloués par les pouvoirs publics et devraient être soumis à de fortes contraintes en termes de niveau de fonds propres.

Puis il a indiqué que les risques créés par l'existence de banque de très grande taille sont réels mais que cette question est difficile à traiter, relevant que le rapport du groupe présidé par M. Paul Volcker aborde ce sujet sans apporter de réponse. Il a déclaré que les autorités de régulation de la concurrence peuvent jouer un rôle afin de limiter la concentration du secteur financier.

M. Jean Arthuis, président , s'est interrogé sur le déficit de coopération de la part de certains Etats en matière de supervision financière, en particulier ceux qui défendent une conception extensive du secret bancaire.

M. Jacques de Larosière a proposé, dans les cas où les centres « off shore » refusent de lever le secret bancaire, d'interdire toute relation avec les établissements ne faisant l'objet d'aucune régulation.

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