2. La confirmation de la procyclicité et de la faible prise en compte du risque systémique

a) La procyclicité avérée des normes et comportements

Les normes prudentielles établies par le Comité de Bâle et les normes comptables internationales IFRS ( International Financial Reporting Standards ) ont été profondément refondues ces dernières années et introduites dans le droit communautaire. Le règlement du 19 juillet 2002 38 ( * ) a ainsi posé les fondements du « mandat » dont bénéficie l'IASB ( International Accounting Standards Board ) pour établir les normes comptables applicables à l'Union européenne 39 ( * ) , et deux directives du 14 juin 2006 40 ( * ) ont transposé le socle des exigences de fonds propres règlementaires.

Les nouvelles normes comptables ont consacré une approche économique, fondée sur la « juste valeur », qui fait autant que possible référence à une valeur de marché observée ou reconstituée, et sur la comptabilisation des écarts de valorisation dès leur constatation. A ce titre, elles partagent une inspiration commune avec les normes américaines US GAAP (« Generally accepted accounting principles ») bien que des divergences subsistent, notamment sur la définition de la juste valeur.

En matière prudentielle, le « ratio Cooke » de Bâle I a été jugé trop fruste et le dispositif « Bâle II » a donc promu une approche plus fine et qualitative des risques bancaires (risques de crédit, de marché et opérationnel) dans le cadre du nouveau ratio « McDonnough ». Les risques sont mesurés par les « organismes externes d'évaluation du crédit 41 ( * ) » (soit les agences de notation) dans l'approche dite « standard », ou par les modèles internes des banques dans l'approche dite « avancée ».

L'impact potentiellement procyclique de ces normes a toutefois été souligné dans de nombreuses analyses récentes 42 ( * ) ou réalisées avant leur adoption, et a été confirmé par la crise . Cet impact peut être sommairement exposé de la manière suivante :

1) Sur le plan prudentiel , la procyclicité est liée à l'utilisation d'un ratio (fonds propres / actifs pondérés des risques) : les banques font face à des défauts et pertes sur leurs prêts plus élevés en période de récession que d'expansion, ce qui exerce un impact négatif sur leurs capitaux propres (au numérateur) et in fine sur leur capacité maximale de prêt. Le dispositif « Bâle II » serait encore plus procyclique que « Bâle I » , puisqu'en phase de récession, les actifs pondérés du risque (le dénominateur) augmentent en même temps que le numérateur diminue, de sorte que les exigences en fonds propres deviennent plus élevées.

Le deuxième pilier de Bâle II (soit la supervision individuelle par les autorités) est susceptible d'atténuer ce phénomène, dans la mesure où les autorités de contrôle peuvent imposer des exigences de capital supplémentaires en phase ascendante de cycle, mais cette faculté n'a guère été utilisée qu'en Espagne.

2) En matière comptable , le principe de valorisation des actifs à la valeur de marché (par référence directe au cours de bourse ou par modélisation) a permis aux banques d'enregistrer immédiatement des plus-values latentes croissantes issues de leur portefeuille de négociation d'instruments financiers (« trading book »), et donc une augmentation de leurs fonds propres parfois qualifiée de factice. Symétriquement, la crise des prêts « subprimes » puis la crise de liquidité de 2008 ont contraint les banques américaines puis européennes à comptabiliser d'importantes provisions pour dépréciations et des pertes.

La procyclicité du principe de juste valeur alimente les critiques sur son rapport aux horizons temporels : les normes comptables amplifieraient la « financiarisation » de l'économie plutôt qu'elles ne la contiendraient, et négligeraient la valeur temps , fondamentale en matière bancaire, en se focalisant sur les problématiques instantanées des investisseurs. Pour autant, les normes comptables ne sauraient être désignées comme principaux responsables de la crise : elles l'ont révélée sans délai et dans sa brutalité et en ont accéléré ou amplifié certains effets, et il faut rappeler que « ce n'est pas le thermomètre qui cause la fièvre ».

Cette procyclicité des normes est en outre entretenue par la procyclicité intrinsèque des acteurs financiers , liée aux facteurs humains et techniques évoqués plus hauts : la psychologie moutonnière des investisseurs, les hypothèses de modélisation des risques et les distorsions des incitations. Elle se traduit par une exubérance en phase haussière et une peur généralisée en phase de ralentissement (avec une « fuite vers la qualité »), avec un phénomène de spirale négative entre valorisation et liquidité. Elle contribue in fine au raccourcissement et à l'amplification des cycles boursiers et économiques que l'on constate depuis le milieu des années 90. Elle tend donc à amplifier les faiblesses structurelles du système financier et à remettre en cause la pertinence de la mesure du risque.

b) Une faible visibilité sur les risques systémiques latents

Outre la dimension temporelle, la crise a également révélé une importante lacune du champ de la supervision financière aux échelons nationaux et internationaux. Outre l'approche sectorielle et « en silo » évoquée plus haut, les institutions existantes ne permettaient pas de disposer d'une vision suffisamment transversale , « macroprudentielle », ni de mesurer les incidences du risque dit « systémique » sur la stabilité financière globale. Ce risque de système, révélé par la quasi-faillite d'AIG et la disparition de Lehman Brothers , peut être appréhendé selon deux dimensions principales :

- la taille et la complexité relatives de l'établissement ou du marché considéré, ce qui implique notamment de mieux surveiller les expositions importantes ou en augmentation rapide ;

- l'intensité de ses interconnexions avec d'autres acteurs et l'exposition à des facteurs communs de risque, donc le potentiel de « contagion » en cas de défaillance.

La nécessité de mieux mesurer, prévenir et traiter ce risque systémique a suscité de nombreuses réformes institutionnelles et réglementaires cette année (cf. infra ). Elle a également alimenté les débats sur le traitement individuel des défaillances et l'anticipation des difficultés d'établissements jugés systémiques. Ces thèmes appellent une réflexion approfondie sur les incitations à limiter la taille et la complexité des banques , comme sur les pouvoirs et la coordination des régulateurs bancaires , en s'inspirant le cas échéant du mécanisme américain des « actions correctives précoces » 43 ( * ) et des compétences de la FDIC 44 ( * ) .

* 38 Règlement (CE) n° 1606/2002 du 19 juillet 2002 concernant l'application des normes comptables internationales.

* 39 Aux termes de l'article 3 du règlement, les normes comptables internationales ne peuvent cependant être adoptées par la Commission européenne et les Etats membres que pour autant qu'elles répondent à l'intérêt public européen et « satisfont aux critères d'intelligibilité, de pertinence, de fiabilité et de comparabilité exigés de l'information financière nécessaire à la prise de décisions économiques et à l'évaluation de la gestion des dirigeants de la société ».

* 40 Directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et directive 2006/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit.

* 41 La Commission bancaire, en application de l'article L. 511-44 du code monétaire et financier, a ainsi reconnu huit organismes, dont les trois principales agences de notation, la Banque de France et Coface.

* 42 Cf. notamment le rapport du FSF sur le traitement de la procyclicité dans le système financier, publié le 2 avril 2009.

* 43 Le Federal Deposit Insurance Corporation Improvement Act de 1991 a créé un nouveau cadre réglementaire, appelé Prompt Corrective Action (PCA), qui lie le déclenchement des actions au niveau des fonds propres d'une banque. La PCA représente ainsi une tentative d'instaurer un déclenchement rapide et non discrétionnaire des actions prudentielles.

* 44 Le FDIC dispose par exemple du pouvoir de s'auto-désigner administrateur, de gérer une « banque relais » (« bridge bank ») et de suspendre temporairement la résiliation-compensation des contrats financiers pour atténuer le potentiel de contagion. Le FDIC peut également, en de rares circonstances, invoquer « l'exception de risque systémique », ce qu'il a fait à quatre occasions durant la crise, pour déroger à la règle du moindre coût pour le fonds d'assurance des dépôts.

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