II. LE CITOYEN AU CoeUR DU NOUVEAU PROGRAMME DE STOCKHOLM

En vue de l'adoption du futur programme pluriannuel par le Conseil européen de décembre, la Commission européenne a présenté, le 10 juin, une communication qui entend placer le citoyen au coeur de ce programme. La présidence suédoise a rendu public, le 16 octobre, un projet qui est désormais discuté au sein du Conseil.

A. LE CONTEXTE D'ÉLABORATION DU NOUVEAU PROGRAMME

Des réflexions ont été conduites au sein d'un groupe de haut niveau dit « groupe du futur ». En outre, la Commission européenne a organisé une consultation publique destinée à mieux identifier les priorités susceptibles d'être retenues. La perspective d'entrée en vigueur du traité de Lisbonne n'est par ailleurs pas sans conséquence sur le contenu même du nouveau programme auquel il peut insuffler une plus grande ambition.

1. Les réflexions du groupe du futur

Créé sur proposition de l'Allemagne en 2007, le groupe de futur a constitué un groupe informel de haut niveau chargé de rassembler des idées susceptibles de nourrir le programme de travail de l'Union pour la période 2010-2014. Il était composé du commissaire en charge de ces questions (M. Frattini puis M. Barrot) et des ministres compétents (intérieur, justice et immigration) des présidences successives de l'Union. Il a rendu ses conclusions en juillet 2008.

Le groupe de futur a identifié plusieurs défis que l'Union devra relever dans le domaine de la sécurité et de l'immigration. D'abord, le lien croissant entre la situation intérieure de l'Union européenne et les pressions extérieures auxquelles elle se trouve confrontée, aussi bien sur le plan sécuritaire que migratoire. L'Union devra donc mieux prendre en compte cette réalité dans la définition des politiques de sécurité et d'immigration, en développant notamment la coopération avec les pays tiers. Ensuite, l'Union devra s'adapter au développement continu des technologies, compte tenu de l'importance que revêtent les échanges d'information entre les États membres. Dans le même temps, les citoyens revendiquent des garanties quant au respect de leur vie privée. L'Union devra donc chercher à concilier la protection des données personnelles avec la mobilité croissante des individus et la nécessaire utilisation des technologies dans la gestion de l'immigration, le contrôle des frontières et la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Il s'agirait de rechercher un « modèle européen » dans ce domaine.

Pour relever ces défis, le groupe de futur a identifié plusieurs moyens . Les échanges d'informations doivent être poursuivis et enrichis, dans le respect des normes européennes de protection des données. La culture commune aux services des États membres doit être progressivement enrichie par le développement des formations européennes communes et la mise en place de réseaux européens d'experts. La simplification de certaines procédures de coopération, l'adoption de procédures communes et le rapprochement des cadres juridiques dans les États membres, permettraient de renforcer la coopération opérationnelle notamment pour les enquêtes criminelles et la gestion des frontières extérieures. Des « modèles de solidarité » devraient être mis en place pour des interventions ponctuelles sur le territoire de l'Union en cas d'urgence. Enfin, une clarification des rôles des différents acteurs (Conseil et Parlement, États membres, Commission) garantirait une meilleure efficacité des actions entreprises et favoriserait la compréhension par les citoyens des politiques menées.

Faisant le constat que les États membres ont encore trop souvent des difficultés pour communiquer ou pour mettre en place une action commune, le groupe du futur met en avant le principe de convergence qui pourrait servir de ligne directrice dans tous les domaines qui peuvent favoriser le rapprochement entre les États membres : rapprochement des agents, des institutions, des pratiques, des matériels, des cadres juridiques. Ce principe permettrait de concevoir de manière globale et cohérente l'évolution de la politique de l'Union en matière de sécurité et d'immigration dans le futur programme de travail.

Dans le domaine de la justice, le groupe du futur a identifié plusieurs défis qui exigeraient des actions concrètes de la part de l'Union européenne. D'abord une meilleure protection des citoyens devrait être assurée. Les citoyens européens devraient bénéficier d'un ensemble de droits fondamentaux constituant des garanties minimales dans le cadre des procédures pénales. Ils devraient pouvoir faire valoir leurs droits au-delà des frontières nationales, par exemple à travers la création d'un certificat d'hérédité uniforme. En outre, la protection des droits fondamentaux par la Cour de justice sera renforcée par le traité de Lisbonne, notamment à travers l'interprétation qu'elle donnera de la Charte des droits fondamentaux. La protection de l'enfant devra être recherchée par plusieurs voies : l'utilisation d'outils de coopération commune (un réseau d'alerte enlèvements d'enfants, EUROJUST), les échanges d'expériences sur le traitement des délinquants sexuels ayant purgé leur peine ou encore la lutte contre la pédophilie dans l'environnement internet. La protection effective des données personnelles et l'amélioration des droits des victimes de la criminalité doivent aussi constituer des priorités.

Le groupe du futur a par ailleurs jugé nécessaire de renforcer la sécurité juridique dans le domaine du droit de la famille, du droit commercial et du droit civil. Cela passerait, en particulier par une identification des obstacles à la reconnaissance rapide des mariages ou d'autres actes d'état civil dans les États membres. Soulignant le défi d'un meilleur accès à la justice, le groupe de haut niveau a notamment insisté sur la mobilisation des acteurs du système judiciaire affichant comme objectif prioritaire la diffusion d'une culture judiciaire commune. Pour renforcer la contribution de l'Union européenne à la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, le groupe du futur a en particulier envisagé la mise en place d'un mandat d'obtention de preuves efficace et de portée générale, qui soit applicable à tous les types de preuve et à la fois simple à délivrer et à exécuter. Enfin, le groupe du futur a insisté sur la dimension extérieure de la politique « Justice et Affaires Intérieures » qui devrait gagner en cohérence et être renforcée par différentes voies (nouveaux réseaux régionaux de coopération judiciaire, négociations d'accords bilatéraux, accords d'EUROJUST et d'EUROPOL avec des pays tiers,...).

2. La consultation publique

En vue de préparer sa communication, la Commission européenne a organisé une consultation publique qui s'est déroulée entre le 25 septembre et le 4 décembre 2008. Elle a reçu 770 réponses individuelles à un questionnaire en ligne et 47 avis d'acteurs concernés. Un sondage Eurobaromètre a en outre permis de mesurer la sensibilité des personnes interrogées sur les domaines d'action de la politique de « justice et affaires intérieures ». La lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme et la lutte contre la toxicomanie sont les domaines où les préoccupations sont les plus fortes (80 %). Une forte préoccupation est également exprimée pour la promotion et la protection des droits fondamentaux , y compris les droits des enfants (78 %). Ce sont dans ces domaines que la valeur ajoutée des interventions de l'Union européenne est la plus clairement perçue (72 % pour la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme ; 65 % pour la lutte contre la toxicomanie et la promotion et la protection des droits fondamentaux, y compris les droits de l'enfant).

Dans le cadre de cette consultation, le Gouvernement a présenté une contribution qui exprime la volonté de rendre l'action européenne plus concrète et plus efficace et de développer une culture de l'évaluation. L'Union devrait exprimer des priorités politiques claires que les citoyens pourraient appréhender et au service desquelles seraient mobilisés de manière cohérente des instruments législatifs mais aussi des mesures pratiques, administratives et opérationnelles. Le nouveau cadre institutionnel prévu par le traité de Lisbonne devrait être porteur d'une nouvelle vague d'instruments législatifs plus ambitieux dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.

Sur ces bases, la contribution propose trois ambitions pour le prochain programme pluriannuel :

- la mise en oeuvre du Pacte européen sur l'immigration et l'asile , adopté par le Conseil européen en octobre 2008, à partir de quatre priorités : organiser l'immigration professionnelle et lutter contre l'immigration illégale ; progresser vers le régime d'asile européen commun ; renforcer la protection des frontières extérieures ; développer la coopération avec les pays d'origine et de transit ;

- le renforcement de la dimension opérationnelle de la construction de l'espace de sécurité autour de quatre priorités : enrichir la coopération policière (en simplifiant les enquêtes, en améliorant les échanges d'informations et la protection des données à caractère personnel, en renforçant le rôle et les missions d'Europol, en approfondissant la coopération transfrontalière et en favorisant le rapprochement opérationnel entre les polices des États membres) ; approfondir la lutte commune contre le terrorisme et la grande criminalité ; intégrer davantage la dimension extérieure de la sécurité intérieure ; renforcer les capacités de réponse de l'Union en matière de protection civile ;

- l'accroissement de l'efficacité de l'Europe de la justice au bénéfice des citoyens, à partir de six priorités : mieux protéger les citoyens les plus faibles (enfants, adultes vulnérables, victimes d'infractions) ; renforcer les droits fondamentaux (rapprochement des législations nationales, intensification des échanges d'information entre États membres et avec Eurojust, amélioration du cadre juridique de la protection des données et des garanties minimales dans les enquêtes pénales) ; renforcer la lutte contre la criminalité grave et le terrorisme (éventuelle création à terme d'un Parquet européen sur la base d'Eurojust, rapprochement des incriminations et des sanctions, convergences dans la recherche et l'exploitation des preuves) ; garantir la sécurité juridique dans les relations privées (en menant à bien les travaux engagés sur la base du précédent programme et en ouvrant de nouveaux chantiers tels que la reconnaissance mutuelle des actes authentiques) ; assurer une justice de qualité (en poursuivant la mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle, en rationalisant l'acquis, en mettant l'accent sur la formation et l'information des praticiens et en favorisant l'accès des citoyens à la justice) ; développer la dimension extérieure de l'espace de justice, de liberté et de sécurité.

3. Les perspectives ouvertes par le traité de Lisbonne

Le traité de Lisbonne introduit plusieurs innovations qui auront un impact direct sur les politiques conduites sur les questions intéressant l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

La Charte des droits fondamentaux, qui avait été « proclamée » lors du Conseil européen de Nice et de nouveau « adoptée » le 12 décembre 2007, aura désormais une valeur contraignante : la Cour de justice contrôlera son respect par les institutions de l'Union et, lors de la mise en oeuvre du droit de l'Union, par les États membres. Le traité permet, en outre, l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme. Cette adhésion devra être décidée par le Conseil statuant à l'unanimité, approuvée par le Parlement européen, et ratifiée par le Parlement de chaque État membre. Parmi les objectifs de l'Union, le traité de Lisbonne précise par ailleurs que « dans ses relations avec le reste du monde, l'Union (...) contribue à la protection de ses citoyens ».

Le traité de Lisbonne précise notamment que « l'Union respecte (...) les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ». Il établit aussi qu'« il est loisible aux États membres d'organiser entre eux et sous leur responsabilité les formes de coopération et de coordination qu'ils jugent appropriées entre les services compétents de leurs administrations chargées d'assurer la sécurité nationale ».

Cependant, le traité élargit le champ de la coopération judiciaire en matière civile comme en matière pénale, renforce les rôles d'Europol et d'Eurojust, et prévoit la mise en place progressive d'un « système intégré de gestion des frontières extérieures ». Le Conseil pourra en outre, à l'unanimité, décider de créer un Parquet européen . Ce parquet serait compétent pour les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Le traité ouvre la possibilité d'étendre ses prérogatives à toutes les infractions graves de nature transfrontalière.

Surtout, les conditions d'adoption des textes dans ces matières sont revues. Alors que l'espace de liberté, de sécurité et de justice est jusqu'à présent régi en partie par des procédures intergouvernementales, il sera désormais soumis, sauf exception, à la procédure de droit commun où le Conseil vote à la majorité qualifiée, le Parlement européen dispose d'un pouvoir de codécision, et les actes sont soumis au contrôle de la Cour de justice. Toutefois, pour tout texte relatif à l'harmonisation pénale, un État pourra demander que le Conseil européen soit saisi s'il estime que ce texte porte atteinte à des aspects fondamentaux de son système juridique. Sur un plan pratique, avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, toutes les propositions d'actes qui ont déjà été présentées mais pas encore adoptées devront être réexaminées selon les nouvelles procédures prévues par le traité. En outre, dans un grand nombre de matières, la question se posera de la révision éventuelle d'actes déjà adoptés mais n'ayant pas produit les effets escomptés.

Le traité fait de la reconnaissance mutuelle des décisions le principe de base de la coopération judiciaire, tant en matière civile qu'en matière pénale. Dans cette optique, le Conseil pourra mettre en place un mécanisme d'« évaluation mutuelle » de l'application par les États membres des politiques de l'Union en matière de justice et d'affaires intérieures. Des mécanismes particuliers facilitent le lancement de coopérations renforcées dans les domaines où les décisions continuent à être prises à l'unanimité ainsi que dans ceux où existe une clause d'appel au Conseil européen (mécanismes de « frein/accélérateur »). Les coopérations renforcées peuvent être un moyen efficace pour faire avancer la construction européenne, comme l'a mis en évidence notre collègue Pierre Fauchon dans un récent rapport d'information 8 ( * ) .

Le rôle de la Cour de justice est largement accru, dans la mesure où elle reçoit une compétence générale dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Mais le protocole n°10 repousse à l'expiration d'un délai de cinq ans la possibilité pour la Commission d'introduire des recours en manquement concernant les mesures relatives à la coopération judiciaire et policière en matière pénale prises avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. La Cour de justice ne pourra sanctionner les États membres sur ce terrain durant ce délai. À l'expiration de celui-ci, le Royaume-Uni conservera la faculté de ne pas être soumis dans ce domaine au contrôle de la Cour de justice. Dans ce cas, toutes les mesures concernant la coopération judiciaire et policière en matière pénale cesseront de lui être applicables, sauf celles qui auront été modifiées durant la période de cinq ans suivant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Plusieurs dispositions concernent l'association des parlements nationaux à la mise en place de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Il est prévu que les parlements nationaux sont informés de la teneur et des résultats  de l'évaluation de la mise en oeuvre, par les autorités des États membres, des politiques de l'Union en matière d'espace de liberté, de sécurité et de justice. Ils seront aussi tenus informés des travaux du comité permanent chargé de favoriser la coordination entre les autorités des États membres en matière de sécurité intérieure. Les parlements nationaux seront associés au « contrôle des activités d'Europol » et « à l'évaluation des activités d'Eurojust ». En outre, ils auront un droit d'opposition lorsque le Conseil détermine la liste des aspects du droit de la famille ayant une incidence transfrontalière (et donc sur lesquels l'Union peut légiférer).

En outre, dans le champ de compétences couvert par le programme de Stockholm, les parlements nationaux devront exercer pleinement les nouvelles prérogatives que le traité leur reconnaît en matière de contrôle de la subsidiarité et de la proportionnalité. Les compétences de l'Union sont des compétences d'attribution. Si le traité confère à la Charte des droits fondamentaux la même valeur juridique que les traités, une déclaration (n° 29) précise que « la Charte n'étend pas le champ d'application du droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités. » Le respect des droits et principes énoncés dans la Charte s'imposera aux institutions, organes ou agences de l'Union, ainsi qu'aux États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. De même, si le traité prévoit explicitement la possibilité pour l'Union d'adhérer à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une déclaration (n° 1) et un protocole (n° 5) annexés précisent que l'accord relatif à cette adhésion devra préserver les caractéristiques spécifiques de l'Union et du droit de l'Union et quelle n'affectera ni les compétences de l'Union, ni ses attributions. En conséquence, au titre du contrôle de subsidiarité et de proportionnalité, les parlements nationaux seront fondés à considérer que des propositions d'actes qui tendraient à appliquer des droits ou principes énoncés dans la Charte ou dans la convention européenne vont au-delà des compétences reconnues à l'Union.

Le traité de Lisbonne aura donc des effets importants sur les questions qui seront au coeur du programme de Stockholm. Dès lors, il semble difficilement envisageable que celui-ci ne prenne pas en compte les conséquences de son entrée en vigueur sur les politiques qui seront conduites. Il devra en aller de même dans le plan d'action qui sera adopté sous la prochaine présidence espagnole de l'Union européenne.

* (8) n° 237 (2008-2009) du 3 mars 2009.

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