B. LA COMMUNICATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE : UNE DÉMARCHE PERFECTIBLE

Lors de son audition par la commission des affaires européennes, M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne a identifié en ces termes plusieurs défis auxquels la Commission européenne entendait répondre : « Plus de 8 millions d'Européens choisissent de vivre dans un autre État membre. Cependant, ils sont encore confrontés à de nombreux obstacles pour l'exercice de ce droit. Les questions de justice civile vont devenir plus importantes. Dans l'Union, on constate déjà qu'une succession sur dix a une dimension transnationale. La cybercriminalité, qui ne connaît pas de frontières, est en constante évolution. En 2008, 1 500 sites Internet présentaient des contenus à caractère pédopornographique. Il y a 1 636 points d'entrée sur le territoire de l'Union et, en 2006, le nombre de passages a été d'environ 900 millions. Dans un monde ouvert, dans lequel la mobilité des personnes est croissante, assurer une gestion efficace des frontières extérieures constitue un défi majeur. En 2006, 18,5 millions de ressortissants de pays tiers ont été enregistrés dans l'Union, soit près de 4 % de la population totale. Les pressions migratoires sont susceptibles d'augmenter. Selon les estimations, environ 8 millions d'immigrés irréguliers vivent sur le territoire de l'Union européenne, nombre d'entre eux travaillant dans l'économie informelle. Faire face aux facteurs d'attraction de l'immigration clandestine et rendre efficaces les politiques de lutte contre l'immigration irrégulière sont des questions majeures pour les années à venir. »

Dans la communication qu'elle a présentée, le 10 juin, la Commission européenne, a identifié quatre grandes priorités pour relever ces défis : une Europe des droits ; Une Europe du droit et de la justice ; une Europe qui protège ; une Europe responsable et solidaire en matière d'immigration et d'asile. On relèvera, sur la forme, que la Commission européenne a privilégié une approche transversale qui s'affranchit des délimitations traditionnelles (justice, sécurité, migrations). Si cette classification peut répondre à la volonté légitime de mettre en lumière l'apport du futur programme pour le citoyen, il en résulte néanmoins une certaine confusion qui rend plus difficile une vision globale des grands enjeux. C'est ainsi, par exemple, que la justice pénale n'est pas traitée dans le chapitre sur l'Europe de la justice mais dans celui portant sur « l'Europe qui protège ». Ce même chapitre traite de la gestion des frontières qui aurait pu utilement figurer dans le chapitre sur l'immigration.

Il est indispensable que le programme de Stockholm énonce clairement les grands objectifs politiques susceptibles d'être partagés par les citoyens. A ce stade, le document de la présidence suédoise, rendu public le 16 octobre, ne paraît pas répondre à cette exigence. Répertoriant les mesures susceptibles d'être retenues, il ne dégage pas une ambition suffisante pour le futur programme. Les effets de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne sont insuffisamment pris en compte. En particulier, les conséquences sur le domaine pénal de la suppression de la structure en piliers et la perspective d'un Parquet européen devraient figurer en bonne place dans le programme de Stockholm. Le document de la présidence renvoie par ailleurs le plus souvent au pouvoir d'initiative de la Commission européenne. Or le traité de Lisbonne prévoit dans les domaines qui relèvent actuellement du « troisième pilier » un droit d'initiative partagé entre la Commission et au moins un quart des États membres. Cette spécificité doit être intégrée dans le programme.

En outre, la dimension extérieure aura de plus en plus d'importance au cours de la période d'application du programme de Stockholm. Or la communication de la Commission européenne lui réserve une place qui paraît insuffisante et fragmentée. Le document de la présidence suédoise corrige cette faiblesse en retenant la dimension extérieure au titre des priorités du prochain programme. Mais il y intègre des questions comme la gestion des frontières ou la politique des visas qui paraissent relever de la dimension interne de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. En outre, l'aspect judiciaire, pourtant essentiel, n'est pas bien pris en compte.

Le présent rapport privilégiera, pour chaque grand domaine d'action du programme de Stockholm, une approche globale qui semble de nature à mieux souligner les enjeux en cause. Il insistera chaque fois que nécessaire sur les potentialités ouvertes par le traité de Lisbonne.

1. Les droits des citoyens

a) Le système de protection des droits fondamentaux

La communication de la Commission européenne souligne que le système de protection des droits fondamentaux dans l'ordre juridique de l'Union est particulièrement développé. Elle rappelle que l'adhésion à la convention européenne des droits de l'homme complètera ce système de protection et qu' « elle favorisera la poursuite du développement harmonieux des jurisprudences de la Cour de justice des Communautés européennes et de la Cour européenne des droits de l'homme. »

Comme l'a rappelé notre collègue Robert Badinter dans son rapport sur l'Union européenne et les droits de l'homme , avant même que le traité de Maastricht n'officialise le respect des principes contenus dans la convention européenne des droits de l'Homme, la Cour de Justice des Communautés européennes les avait déjà érigés en principes communautaires. Le traité de Lisbonne précise expressément que les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la convention européenne, et tels qu'ils résultent des « traditions constitutionnelles communes aux États membres » font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux du droit. En outre, l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux prévoit que « dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. »

On dispose donc d'éléments de nature à assurer une certaine continuité et une cohérence du système de protection des droits fondamentaux. Mais il faut préciser que la Charte comme la Convention européenne n'établissent que des standards minima qui ne sauraient priver les droits fondamentaux des protections qui pourraient résulter des constitutions nationales. En outre, l'adhésion de l'Union européenne emportera son insertion dans un système institutionnel différent, celui du Conseil de l'Europe, et réciproquement celle de ce système extérieur dans celui de l'Union européenne. Outre une modification probable des traités, cette intégration réciproque soulèvera certaines questions juridiques concrètes comme l'articulation entre les rôles respectifs de la Cour de justice et de la Cour européenne des droits de l'homme. On peut, en effet, envisager que la saisine de cette dernière soit ouverte soit après épuisement des procédures nationales soit après la saisine préalable de la Cour de justice.

Au-delà de la place reconnue aux déclarations de droits et à la jurisprudence dans ce domaine, c'est dans l'évolution de la législation de l'Union européenne que de réels progrès pourront être attendus pour la protection des droits fondamentaux. Comme vos rapporteurs l'ont déjà souligné, la programmation précédente a surtout été marquée par le souci de renforcer la sécurité dans le contexte de la menace terroriste. Développer le cadre juridique de la protection des droits fondamentaux doit être la priorité du futur programme de Stockholm.

A cette fin, la Commission européenne envisage plusieurs pistes. Elle propose d'assurer le plein exercice du droit à la libre circulation à travers une application effective de la directive du 29 avril 2004. Elle suggère la mise en place d'un système permettant aux citoyens de disposer facilement et sans frais additionnels des principaux actes d'état civil et, à terme, une « réflexion approfondie sur la reconnaissance mutuelle des effets attachés aux actes d'état civil. La Commission entend promouvoir un espace qui respecte la diversité et protège les plus vulnérables. Cela passe par la poursuite de la lutte contre les discriminations, le racisme, l'antisémitisme, la xénophobie et l'homophobie. Cela implique également une promotion des droits de l'enfant, l'insertion des groupes vulnérables et en particulier des Roms, la protection y compris juridique des personnes les plus vulnérables, des femmes victimes de violences et des personnes dépendantes. Mais, à ce stade, et dans l'attente du futur plan d'action, le programme se borne à énoncer des orientations assez générales sans qu'elles se traduisent en mesures concrètes.

b) La protection des données personnelles

La Commission envisage par ailleurs la mise en place d'un régime complet de protection des données personnelles . Dans un contexte marqué par des changements technologiques rapides, il s'agirait de réaffirmer un certain nombre de principes : finalité, proportionnalité et légitimité du traitement, durée limitée de conservation des données, sécurité et confidentialité, respect du droit des personnes et contrôle par une autorité indépendante. La mise en place d'une certification européenne devra être examinée pour les technologies, produits et services « respectueux de la vie privée. » La Commission envisage par ailleurs des campagnes d'information et de sensibilisation auprès des personnes les plus vulnérables. L'Union devra aussi jouer un rôle moteur dans la promotion de standards internationaux et dans la conclusion d'instruments internationaux appropriés, bilatéraux ou multilatéraux. Les travaux menés avec les États-Unis pourraient servir de référence pour des travaux ultérieurs.

De leurs entretiens avec les représentants du contrôleur européen des données et des « CNIL européennes » (« G29 »), vos rapporteurs ont retiré plusieurs enseignements qui justifient une évolution et un renforcement du cadre juridique en vigueur.

La directive de 1995 qui constitue le cadre juridique communautaire pour la protection des données a été élaborée avant la montée en puissance d'internet. Ses principes doivent être maintenus mais il faut prendre en compte l'impact des évolutions technologiques. C'est aussi la conclusion à laquelle sont parvenus nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier dans leur rapport d'information au nom de la commission des Lois sur la vie privée à l'heure des mémoires numériques (9 ( * )).

L'existence d'instruments juridiques différents selon les « piliers » entraîne une fragmentation du cadre juridique : la directive « 1 er pilier », la décision cadre « 3 e pilier», les mécanismes spécifiques tels que ceux d'Eurojust et d'Europol, les activités du 2 e pilier comme l'établissement d'une liste de terroristes arrêtée par l'ONU puis intégrée en droit communautaire. En outre, les services de police utilisent de plus en plus des données privées (PNR, données télécoms, données des banques), ce qui rend plus floue la différence entre le secteur public et le secteur privé. Cette situation appelle l'adoption d'un instrument juridique horizontal pour toutes les activités en ménageant des règles spécifiques si nécessaire. Le traité de Lisbonne, qui supprime la structure en piliers, aura donc un grand impact sur cette problématique.

Par ailleurs, des données personnelles sont de plus en plus utilisées de façon générale, y compris en amont d'enquêtes. Se constituent ainsi des bases de données composées d'un ensemble très vaste de données. Dès lors la question de la nécessité de la collecte, qui constitue une ingérence dans la vie privée, est posée. Or l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme spécifie qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

Le contrôleur européen pour la protection des données (CEPD) demande que la conservation des données (par exemple, les données télécoms) soit justifiée et que des clauses de révision figurent dans les dispositifs, afin que l'utilité et l'efficacité des mesures soient vérifiées et que l'utilisation des données à des fins erronées soit supprimée.

De l'avis de nos interlocuteurs, les systèmes de protection des données mis en place par Europol, Eurojust et dans le cadre du Système d'Information Schengen (SIS) assurent un bon niveau de protection avec des autorités de contrôle qui fonctionnent bien. Mais, en cas d'échange de données, chacun garde son propre système de protection. Cette situation n'est pas satisfaisante et souligne la nécessité de règles horizontales.

La situation actuelle n'est pas non plus bonne pour le transfert de données à des pays tiers . Le programme de Stockholm doit traiter cette question. En outre, les accords internationaux ne doivent pas aboutir à diminuer le niveau de protection.

Le programme de Stockholm doit aussi affirmer très clairement le rôle des autorités de contrôle . Leur expertise est, en effet, indispensable dans la construction de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Elles doivent, en particulier, jouer un rôle essentiel dans l'évaluation indispensable des dispositifs existants, dont le principe figure dans le document présenté par la présidence suédoise.

Dans son avis du 13 juillet 2009 , le Contrôleur européen a soutenu la proposition d'un régime complet de protection des données couvrant tous les domaines de compétence de l'Union européenne, indépendamment de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Le CEPD a accueilli favorablement l'intention de la Commission de réaffirmer un certain nombre de principes fondamentaux pour la protection des données. Il a souligné l'importance du principe de la limitation des finalités comme pierre angulaire du régime de la protection des données. Une attention devrait également être accordée à l'amélioration de l'efficacité dans l'application des principes de protection des données, notamment par le biais d'instruments pouvant renforcer les responsabilités des responsables du traitement des données. Dans la perspective de nouveaux développements vers un modèle européen d'information et une stratégie européenne de gestion des informations, le CEPD a souligné l'attention qui devrait être accordée dans ces projets aux éléments relatifs à la protection des données, éléments qui doivent encore être déterminés dans le programme de Stockholm. L'architecture destinée à l'échange d'informations devrait être fondée sur le principe du respect de la vie privée dès la conception (« privacy by design ») et les « meilleures techniques disponibles ».

c) Autres mesures destinées à renforcer les droits des citoyens

Lors de son audition par votre commission des affaires européennes, M. Jacques Barrot a évoqué d'autres mesures figurant dans la communication de la Commission et destinées à renforcer les droits des citoyens. Il a ainsi estimé qu' « en vue des élections européennes de 2014, il convient de réfléchir à des mesures incitatives pour les citoyens. Il faudra faciliter l'inscription sur les listes électorales et voter le même jour, par exemple le 9 mai. Il serait en outre souhaitable que les campagnes électorales se concentrent sur les véritables débats européens. » Il a aussi fait valoir qu' « un cadre renforcé de coordination et de coopération doit être mis en place en matière de protection consulaire. Par exemple, afin de prévenir le renouvellement des dysfonctionnements observés à la suite des attentats de Bombay, il faut clarifier le concept d'« État pilote » en cas de crise. »

La Commission a souhaité insérer les questions relatives à la protection civile dans le chapitre sur « l'Europe des droits ». Dans ce domaine, la coopération devrait être développée pour l'analyse des risques. La capacité de réponse de l'Union devrait être renforcée en organisant mieux les mécanismes d'assistance et l'interopérabilité des moyens à mettre en oeuvre.

On ajoutera que, dans un contexte marqué par une très forte activité législative qui risque de s'intensifier dans la période d'application du programme de Stockholm, la codification des normes en vigueur pourrait être un exercice très utile pour le citoyen. Celui-ci est, en effet, en droit de savoir quels textes peuvent interférer sur des questions qui le concernent très directement dans sa vie quotidienne. Il doit être mis en position de faire valoir ses droits. Le document de la présidence suédoise insiste sur la pleine application des instruments déjà adoptés et sur la qualité de la législation qui devrait être rédigée dans une langue claire et compréhensible par les citoyens. Il précise par ailleurs que les nouvelles initiatives législatives devront être précédées d'études d'impact, faisant participer les États membres, afin d'identifier les besoins et les conséquences financières. Une meilleure communication devrait aussi être mise en oeuvre sur les résultats concrets des politiques menées dans l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

2. L'Europe de la justice

La Commission européenne retient comme priorité de développer et de promouvoir un espace judiciaire européen pour le citoyen en abrogeant les obstacles qui subsistent à l'exercice de leurs droits. Dans ce but, les systèmes judiciaires des vingt-sept États membres devraient pouvoir fonctionner ensemble de manière cohérente et efficace, dans le respect des traditions juridiques nationales.

Le principe de reconnaissance mutuelle restera la pierre angulaire de la construction de l'Europe de la justice. En outre, le renforcement de la confiance mutuelle entre les acteurs du monde judiciaire sera un enjeu important. Dans le même temps, l'Union européenne devra se doter d'un socle commun de normes, en particulier pour lutter contre certains types de criminalité transfrontalière. Des moyens juridiques seront mobilisés pour soutenir l'activité économique. Enfin, la justice pénale sera mise au service de la protection des citoyens.

a) La reconnaissance mutuelle

La Commission européenne fait valoir qu'en matière civile, les décisions judiciaires doivent être exécutées directement et sans autre mesure intermédiaire. Elle envisage donc l'abolition de manière générale de la procédure d' exequatur des décisions civiles et commerciales. Cela impliquera l'harmonisation des règles de conflits de lois dans ces domaines.

Encore faudra-t-il bien identifier les contraintes liées à la procédure d'exequatur et les effets concrets d'une exécution directe des décisions judiciaires. Au cours des auditions menées par vos rapporteurs, la réalité des contraintes actuellement imposées par la procédure d'exequatur a pu être mise en doute. Depuis le règlement « Bruxelles I » du 22 décembre 2000, la procédure a en effet été très sensiblement allégée : elle est dans un premier temps non contradictoire ; elle ne le devient que de manière exceptionnelle et dans ce cas ne permet qu'un contrôle qui correspond à un minimum incompressible. En pratique, le bénéficiaire d'un jugement rendu dans un État membre le présente à l'autorité désignée de l'État requis (en France, le président du tribunal de grande instance). Celle-ci procède à une vérification formelle de l'origine de la décision, sans aucun examen au fond. La décision est alors notifiée au défendeur qui peut former opposition devant la cour d'appel. Celle-ci procède à un examen de la décision elle-même. Mais les motifs de non-reconnaissance sont très limités : le fait que le défendeur n'a pas été averti du procès mené contre lui ; la contrariété de la décision à l'ordre public. Ce second motif n'est que très rarement retenu. Le premier motif permet de préserver les droits de la défense.

Un système de reconnaissance inconditionnelle (simple certificat délivré dans l'État d'origine) a certes été instauré par trois règlements concernant respectivement le titre exécutoire européen, la procédure d'injonction de payer européenne et la procédure européenne de résolution des petits litiges. Cependant, les situations en cause sont de nature à supporter un mode d'exécution dérogatoire et particulier. Le titre exécutoire européen concerne en principe les créances incontestées, c'est-à-dire reconnues par le débiteur. L'injonction de payer porte également sur une demande qui n'est pas sérieusement contestable. S'agissant des petits litiges, on considère qu'il est nécessaire d'éliminer les frais et démarches. Cependant, en dépit de ces considérations, la procédure a pu être critiquée dans les trois cas car trop expéditive. Une procédure simplifiée appliquée à des litiges de plus grande importance pourrait donc susciter des inquiétudes.

La Commission européenne propose, par ailleurs, d'étendre la reconnaissance mutuelle à des matières encore non couvertes telles que les successions et les testaments, les régimes matrimoniaux et les conséquences patrimoniales de la séparation des couples. Ces domaines touchent, en effet, la vie quotidienne des citoyens européens. Une simplification des procédures pourrait donc avoir un impact très positif.

Toutefois, au cours des auditions, cette extension a été critiquée au motif qu'elle saperait la compétence des lois nationales dans des domaines où la Communauté n'a pourtant pas compétence. Cette utilisation du « principe d'origine » se serait d'abord manifestée dans la jurisprudence de la Cour de justice pour le droit des sociétés (10 ( * )) puis dans celui des personnes par le biais de l'état civil (11 ( * )) . Dans ce dernier domaine, une dérive serait ainsi opérée de la reconnaissance de l'état civil à la reconnaissance de la situation de fond dont l'état civil n'est censé être que la constatation. Ainsi, a été pris l'exemple du mariage homosexuel qui peut être contracté dans plusieurs États membres. Si deux ressortissants français, ou l'un d'eux avec une personne d'une autre nationalité, contractent un tel mariage, la reconnaissance de l'union en France se heurte aujourd'hui à l'article 3 du code civil d'où il résulte que la capacité de contracter un mariage est régie par la loi nationale. Si le « principe d'origine » devait prévaloir, ne pourraient plus être opposées que la fraude à la loi (par exemple, si les intéressés se sont simplement déplacés à l'étranger le temps de contracter un mariage), soit la contrariété du mariage homosexuel à l'ordre public interne. Or si le statut personnel devait être régi par la loi du domicile et non plus par la loi nationale, une telle réforme devrait être adoptée par le Parlement national et non résulter d'une application insidieuse d'un principe communautaire détourné de sa fonction.

En outre, le programme de Stockholm doit prévoir expressément la relance du projet de règlement « Rome III » qui doit permettre de déterminer la loi applicable aux divorces transfrontaliers . Or le document de la présidence suédoise n'évoque pas ce texte. Si nécessaire, une coopération renforcée devrait être mise en oeuvre sur ce dossier, comme onze États membres dont la France en avaient exprimé le souhait.

En matière pénale, la Commission européenne suggère d'appliquer la reconnaissance mutuelle « à tous les stades de la procédure » et de l'étendre à d'autres types de décision qui, selon les États membres, peuvent avoir un caractère soit pénal, soit administratif. A ce titre, elle cite les mesures de protection particulière dont peuvent bénéficier les témoins ou les victimes d'infraction, ainsi que les amendes prononcées en matière de sécurité routière. L'Union devrait aussi viser la reconnaissance mutuelle des décisions de déchéances de droit et, à cette fin, favoriser les échanges d'information systématiques entre les États membres. Devraient être abordées en priorité les déchéances les plus susceptibles d'affecter la sécurité des personnes ou la vie économique (interdiction d'exercer certaines professions, retrait du permis de conduire, déchéance du droit d'être administrateur de société ou de participer à des marchés publics...).

La Commission européenne propose par ailleurs de renforcer la confiance mutuelle entre les acteurs du monde judiciaire. C'est, en effet, une condition indispensable pour développer la coopération judiciaire. Dans ce but, EUROJUST et les réseaux judiciaires européens civil et pénal devraient être davantage mobilisés afin d'améliorer l'application concrète du droit européen par tous les praticiens. Le développement des occasions d'échanges entre professionnels de la justice et la systématisation de l'effort de formation sont aussi des voies essentielles pour progresser dans ce sens. Lors de son audition par votre commission des affaires européennes, Jacques Barrot a ainsi fait valoir que « d'ici la fin du programme pluriannuel, on devrait poursuivre l'objectif d'une formation européenne systématique pour tous les nouveaux juges et procureurs à une étape de leur cursus de formation. Au moins la moitié des juges et procureurs devrait avoir suivi une formation européenne ou participer à un échange avec un autre État. » La Commission européenne envisage également un renforcement de l'évaluation. Cette évaluation serait périodique et faciliterait une meilleure connaissance des systèmes nationaux afin de dégager les bonnes pratiques.

b) Un socle commun de normes

L'Union européenne serait aussi invitée à se doter d'un socle de normes communes . Un rapprochement du droit matériel en matière pénale serait opéré en particulier pour le terrorisme, la criminalité organisée et les atteintes aux intérêts financiers de l'Union. La Commission européenne fait valoir que certaines infractions graves, typiquement transfrontalières, doivent faire l'objet de définitions et de sanctions communes. Ce rapprochement permettrait d'approfondir la reconnaissance mutuelle et, dans certains cas, de parvenir à la suppression presque totale des motifs de refus de reconnaître les décisions des autres États membres.

Par ailleurs, la Commission européenne relève que, dans le respect de la jurisprudence de la Cour de justice, la mise en oeuvre de certaines politiques de l'Union pourrait exiger la définition d'infractions et de sanctions communes, pour assurer leur efficacité. On rappellera que cette question avait fait l'objet d'une vive controverse entre la Commission européenne et les États membres. Dans un arrêt du 13 septembre 2005 qui concernait le domaine de l'environnement, la Cour de Justice avait jugé qu' « en principe, la législation pénale tout comme les règles de procédure pénale ne relèvent pas de la compétence de la Communauté. » Elle avait néanmoins considéré que « cette dernière constatation ne saurait cependant empêcher le législateur communautaire, lorsque l'application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités nationales compétentes constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l'environnement, de prendre des mesures en relation avec le droit pénal des États membres et qu'il estime nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes qu'il édicte en matière de protection de l'environnement. » Dans un arrêt du 23 octobre 2007, la Cour de Justice a confirmé, en matière de lutte contre la pollution causée par les navires, la solution qu'elle avait retenue en 2005. Mais elle a précisé sa jurisprudence antérieure qui n'avait pas indiqué quelles étaient l'étendue et la portée de la compétence pénale ainsi reconnue à la Communauté. La Cour a ainsi jugé que « s'agissant de la détermination du type et du niveau des sanctions à appliquer, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient la Commission, celle-ci ne relève pas de la compétence de la Communauté. » En conséquence, les États membres retrouvent leur compétence pour fixer selon leur droit pénal la nature et le niveau des sanctions pénales applicables.

Le traité de Lisbonne prévoit que des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions pourront être adoptées dans deux hypothèses . Il s'agit d'abord des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontalière (terrorisme, traite d'êtres humains, exploitation sexuelle des femmes et des enfants, trafic illicite de drogue, trafic illicite d'armes, blanchiment d'argent, contrefaçon des moyens de paiement, criminalité informatique et criminalité organisée). En outre, le Conseil, statuant à l'unanimité après approbation par le Parlement européen, pourra compléter cette liste afin de l'adapter aux évolutions de la criminalité. La deuxième hypothèse concerne les cas dans lesquels le rapprochement est indispensable pour assurer la mise en oeuvre efficace d'une politique de l'Union dans un domaine ayant fait l'objet d'une mesure d'harmonisation. Il pourra s'agir, par exemple, de la protection de l'environnement ou encore de lutte contre la contrefaçon. En procédure pénale, l'Union européenne pourra établir des règles minimales en matière d'admissibilité « mutuelle » des preuves, de droits de l'accusé, du témoin et de la victime ainsi que sur des aspects spécifiques définis au préalable par décision unanime du Conseil, prise avec l'approbation du Parlement européen.

En matière civile , la Commission européenne propose d'établir un plan européen des normes minimales concernant certains aspects de procédure civile. De telles normes devront aussi être établies pour la reconnaissance des décisions portant sur la responsabilité parentale (y compris le droit de garde).

La Commission européenne envisage par ailleurs de faciliter l'accès à la justice par un ensemble d'actions : renforcement de l'aide juridictionnelle, amélioration des modes alternatifs de règlement des conflits, mécanismes de traduction automatique, développement de l' e-justice , interconnexion progressive de certains registres nationaux. Elle envisage également la suppression de toute formalité de légalisation des actes authentiques, voire la création d'actes authentiques européens. Enfin, la législation de protection des victimes d'infraction devrait être renforcée.

c) Le soutien à l'activité économique

Des moyens juridiques seront mobilisés pour soutenir l'activité économique. L'exécution des décisions de justice devra être améliorée notamment par la création d'une procédure de saisie bancaire européenne. Dans le domaine du droit des contrats, un régime spécifiquement européen , optionnel, devra être proposé aux entreprises (« 28 e régime »). Lors de son audition par votre commission des affaires européennes, M. Jacques Barrot a fait valoir que « ce régime semblable à ceux élaborés dans d'autres domaines du marché intérieur comme celui de la société européenne ou de la marque communautaire serait favorable au développement des échanges intracommunautaires. »

L'idée d'un « 28è régime » en droit des contrats suscite des réserves. On rappellera qu'en 2003 la Commission européenne avait proposé un plan d'action pour un droit des contrats européens plus cohérent. Si la recherche d'une plus grande cohérence peut être approuvée, en revanche une unification complète des droits internes paraît exclue au regard des traditions juridiques des États membres qui se sont constituées au fil du temps et ont su s'adapter en permanence aux besoins sociaux. A la suite de son plan d'action, la Commission a orienté son travail vers l'élaboration d'un « cadre commun de référence ». Parmi les travaux universitaires qui ont été conduits sur ce thème en Europe, on relèvera en particulier ceux menés en France par la Société de Législation Comparée et l'Association Henri Capitant, qui ont notamment abouti à la formulation de définitions, de principes généraux et de règles modèles. En 2007, le Conseil a donné mandat au comité sur les questions de droit civil pour définir une position sur les aspects fondamentaux d'un éventuel futur « cadre commun de référence ». En avril 2008, le Conseil a dégagé un large consensus pour limiter le cadre commun de référence à un outil non contraignant, à destination du législateur communautaire qui pourra l'utiliser dans le souci de « mieux légiférer ». Cette option ne paraît pas devoir être remise en cause. Le document de la présidence suédoise réaffirme cette position.

On ajoutera que les préoccupations du secteur « Justice et Affaires Intérieures » devrait être mieux prises en compte dans la problématique du marché intérieur. A titre d'exemple, la réglementation des précurseurs de drogue peut avoir un effet sur le marché intérieur. Elle n'en est pas moins indispensable pour l'efficacité de la politique de lutte contre la drogue. En outre les problématiques liées à la sécurité devraient être intégrées dans la conception d'un politique industrielle européenne, telle que la France l'a souhaitée. En particulier, l'Union européenne pourrait utilement prendre des initiatives en matière de recherche et développement dans ce domaine.

d) La justice pénale au service de la protection des citoyens

Enfin, la justice pénale sera mise au service de la protection des citoyens. A cette fin, un véritable mandat européen d'obtention de preuves , se substituant à tous les instruments existants, devra être mis en place. Il sera automatiquement applicable dans toute l'Union. Des délais d'exécution seront prévus. Les motifs de refus seront limités au maximum. La Commission européenne propose plusieurs autres pistes : un cadre juridique européen sur la preuve électronique, un système européen de mandat d'amener tenant compte des opportunités fournies par la vidéoconférence, des principes minimaux pour faciliter l'admissibilité des preuves entre les États y compris en matière de preuve scientifique.

Le rôle d'EUROJUST sera renforcé, notamment en matière d'investigation dans les domaines de la criminalité transfrontalière. Dans ce but, la décision du 16 décembre 2008, adoptée sous la présidence française, devra être pleinement mise en oeuvre. Mais il apparaît indispensable que les perspectives ouvertes par le traité de Lisbonne soient utilisées. EUROJUST pourra déclencher des enquêtes pénales ou proposer le déclenchement de poursuites conduites par les autorités nationales compétentes en particulier dans les affaires concernant les intérêts financiers de l'Union. EUROJUST pourra coordonner de telles enquêtes ou poursuites. EUROJUST jouera aussi un rôle plus affirmé dans la résolution des conflits de juridiction. Enfin, c'est à partir d'EUROJUST que le traité de Lisbonne envisage la création d'un Parquet européen. Un lien devrait donc être établi entre le processus d'affermissement de cette unité de coopération et la perspective de la transformer en véritable Parquet européen , qui marquerait une étape essentielle dans la construction de l'Europe de la justice. On rappellera que ce Parquet européen serait compétent pour les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union mais que ses attributions pourraient être étendues à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière.

Ce renforcement souhaitable d'EUROJUST ne pourra être envisagé sans que soient définies parallèlement les modalités de l'association des Parlements nationaux à l'évaluation des activités de cette unité de coopération. Expressément prévue par le traité de Lisbonne, cette association est un gage d'un contrôle démocratique effectif pour bâtir une Europe de la justice au service du citoyen. Le programme de Stockholm devrait prendre en compte cette exigence et être suivi de mesures concrètes pour la mettre en oeuvre.

L'interconnexion des casiers judiciaires sera poursuivie à travers le Système d'échanges d'information entre casiers judiciaires (ECRIS). Selon la Commission, cet échange doit permettre de prévenir des infractions. ECRIS devra être complété pour couvrir également les ressortissants des États tiers ayant fait l'objet de condamnations dans l'Union.

Parallèlement, la Commission européenne souhaite renforcer les droits de la défense . A partir du plan d'action retenu par le Conseil en octobre 2009, la mise en oeuvre concrète de la démarche thème par thème sur les garanties dans les procédures pénales doit constituer une priorité. La Commission envisage dans sa communication d'étendre cette démarche à la protection de la présomption d'innocence et à la détention provisoire. Enfin, elle propose une réflexion sur un programme communautaire permettant de financer des expériences pilotes menées dans les États membres en matière d'alternative à l'emprisonnement.

La dimension extérieure de la coopération judiciaire revêt un caractère essentiel. Elle aurait mérité un plus long développement dans la communication de la Commission européenne qui évoque le développement d'un réseau d'accords bilatéraux avec les principaux partenaires économiques de l'Union européenne en matière de reconnaissance et d'exécution des décisions civiles et commerciales. L'option de leur ouvrir la convention de Lugano est envisagée. En matière pénale, la communication se borne à indiquer qu'il faudra « déterminer des priorités pour la renégociation d'accords d'entraide judiciaire et d'extradition » et à prévoir l' « échange de bonnes pratiques et d'expériences avec les États tiers. » Le document de la présidence suédoise mentionne expressément la poursuite des efforts de l'Union européenne pour faire progresser l'abolition de la peine de mort, de la torture et des autres traitements inhumains ou dégradants.

3. La sécurité : une Europe qui protège

a) Le renforcement de la coopération policière
(1) Une stratégie de sécurité intérieure

La Commission européenne fait valoir que « l'Union européenne doit concevoir une stratégie de sécurité intérieure conforme aux droits fondamentaux et qui exprime une vision commune des enjeux. » Cette stratégie devrait conduire à une véritable solidarité entre les États membres et permettre de clarifier les rôles respectifs du niveau national et du niveau européen. Elle devrait s'appuyer sur des mécanismes décisionnels permettant de déterminer des priorités opérationnelles. Le document de la présidence suédoise souligne que cette stratégie devra notamment reposer sur le principe d'une division des tâches entre l'Union européenne et les États membres, reflétant une vision partagée des défis à relever. Il rappelle également que le développement de cette stratégie devrait devenir une des priorités du Comité de Sécurité Intérieure (COSI) institué par le traité de Lisbonne.

La Commission estime, à juste titre, que la sécurité de l'Union suppose une approche intégrée où les professionnels de la sécurité partagent une culture commune, optimisent l'échange d'informations et s'appuient sur des infrastructures technologiques adéquates.

Créer une culture commune aux différents acteurs nationaux de la sécurité apparaît, en effet, comme un enjeu décisif. Le caractère global des menaces pesant sur la sécurité intérieure de l'Union européenne exige tout à la fois une connaissance des langues et des différentes cultures policières des États membres mais aussi un rapprochement progressif des pratiques et des formations. Ce volet mériterait un développement plus important. Le programme de Stockholm doit envisager plus concrètement la mise en place de formations communes, la constitution de réseaux professionnels d'échanges, la création d'équipes conjointes, la mutualisation de certains équipements lourds ou encore la simplification des procédures de coopération. Le document de la présidence suédoise apparaît, à cet égard, plus complet. Il fait valoir opportunément que les aspects communautaires et liés à la coopération internationale devraient être parties intégrantes des parcours professionnels nationaux.

Le principe de convergence , mis en avant par le groupe du futur, pourrait constituer un vecteur utile pour rapprocher les cadres juridiques, les institutions, les agents, les pratiques et les équipements.

La Commission reprend par ailleurs l'idée d'un ERASMUS policier lancée par la France lors du Conseil « Justice et Affaires Intérieures » informel de Cannes en juillet 2008. Ce projet permettrait à des policiers d'un État membre de bénéficier des formations générales ou thématiques d'un autre État membre. Mais le programme devrait indiquer plus clairement quel pourrait être le rôle des différents acteurs nationaux et européens dans la mise en oeuvre de ces formations. A cet égard, l'expérience acquise par le CEPOL pourrait s'avérer très utile.

En outre, le développement d'outils concrets de formation mériterait d'être évoqué, comme par exemple le projet de réseau européen de formation de protection civile adopté par le Conseil le 27 novembre 2009.

(2) Un modèle européen d'information

Pour assurer une maîtrise de l'information, la Commission européenne fait valoir que l'Union doit se doter d'un modèle européen d'information. Ce modèle serait fondé à la fois sur un renforcement de la capacité d'analyse stratégique et sur l'amélioration de la collecte et du traitement des informations opérationnelles. Dans ce but, il faudra définir les critères de la collecte, du partage et du traitement des informations recueillies à des fins de sécurité dans le respect des principes de protection des données. Un mécanisme de suivi, des méthodes d'identification des besoins futurs ainsi que les principes à appliquer pour les transferts internationaux de données, devront aussi être élaborés. Pour améliorer la capacité d'analyse et de synthèse, les synergies entre EUROPOL et FRONTEX devraient être améliorées et les réseaux d'officiers de liaison mieux coordonnés.

Compte tenu de l'importance que peuvent avoir les synergies entre EUROPOL et FRONTEX mais aussi EUROJUST, on peut penser que le Conseil devrait arrêter lui-même les modalités à mettre en oeuvre pour que ces trois organismes développent effectivement des relations étroites et permanentes, dans le respect de leurs missions respectives.

Dans un contexte marqué par la multiplication des canaux d'échanges d'information (SIS, VIS, Prüm, EUROPOL), l'idée d'un modèle d'information peut ouvrir la voie à une nécessaire rationalisation de ces échanges. Tel est le sens de la proposition présentée par la Commission de créer une agence pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice. Plus profondément, la maîtrise des échanges d'information requiert une recherche permanente d'un équilibre entre le renforcement de la sécurité et la protection des droits fondamentaux. A cet égard, la contribution française à la consultation publique avait proposé d'établir une liste des types de données dont l'échange doit être organisé prioritairement. Cette démarche devrait être accompagnée d'un renforcement de la protection des données, en associant étroitement le Parlement européen et les autorités de défense des droits fondamentaux.

On ne peut par ailleurs que partager la volonté de la Commission européenne de mobiliser les outils technologiques pour assurer un niveau élevé de sécurité des réseaux. Elle propose une réflexion sur une véritable architecture des systèmes d'information qui assure notamment l'interopérabilité des solutions techniques retenues au niveau national et des systèmes européens existants ou à venir. L'activité de recherche et développement serait mobilisée à cette fin et la création d'un fonds pour la sécurité intérieure pourrait être envisagée à terme. Cette réflexion stratégique devra néanmoins être développée en lien étroit avec les besoins concrets des services opérationnels. En outre, la constitution de bases de données européennes sur l'échange direct d'informations ne doit être envisagée que si elle apporte une plus value réelle.

(3) Le renforcement d'EUROPOL

Pour développer la coopération policière européenne, la Commission européenne fait valoir qu' « il convient de mieux exploiter le potentiel d'EUROPOL ». EUROPOL devra être systématiquement informé de la création d'équipes communes d'enquêtes et associé aux opérations transfrontalières importantes. La France a suggéré que soient mis en place des mécanismes de transferts automatiques d'informations vers Europol. Mais cela pose tout le problème des effets de l'interconnexion des fichiers sur la protection des données, comme le met en évidence le débat autour du projet de la Commission européenne de permettre l'accès des services répressifs à EURODAC. Les liens avec EUROJUST devront être renforcés afin d'assurer le suivi judiciaires de ses travaux. En outre, EUROPOL pourrait reprendre les activités de formation du CEPOL. Au moment où l'on souhaite renforcer son caractère opérationnel, l'opportunité de charger cet organisme de nouvelles missions en matière de formation devra être évaluée.

Le renforcement d'EUROPOL ne devra pas s'effectuer indépendamment de l'affirmation du contrôle démocratique sur les activités de cet organisme. Le traité de Lisbonne prévoit en particulier l'association des Parlements nationaux au contrôle d'EUROPOL. Cette exigence doit être prise en compte dans le programme de Stockholm et suivie de mesures concrètes pour sa mise en oeuvre.

Là encore, si elle est évoquée, la dimension extérieure pourtant essentielle, est peu développée dans la communication de la Commission. Cette dimension méritera d'être approfondie dans le programme définitif notamment à partir des initiatives en cours avec les États-Unis, la Russie, le partenariat oriental et de manière plus générale les pays du voisinage, le soutien aux pays candidats ou encore les relations avec les États des régions où les phénomènes criminels se développent et constituent une menace pour l'Union européenne.

b) La lutte contre la criminalité organisée et la drogue
(1) Cinq grandes priorités

La Commission européenne propose de mettre en place une politique européenne de lutte contre la criminalité organisée qui soit fondée sur la mobilisation optimale de tous les outils disponibles. Cinq grands types de criminalité seront ciblés en priorité : la traite des êtres humains, l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie, la cybercriminalité, la criminalité économique et la lutte contre la drogue.

Le programme de Stockholm devra approfondir les voies concrètes d'amélioration de la coopération entre les États membres dans ces domaines. La présidence française de l'Union européenne avait, en particulier, travaillé sur certains thèmes comme l'expérience des « commissariats européens », la lutte contre l'utilisation du « roaming » à des fins criminelles ou encore la lutte contre le trafic et le recel de biens culturels.

Pour la lutte contre la cybercriminalité et la pédophilie, la Commission européenne donnent quelques orientations, telles que la coopération avec le secteur privé, l'identification et le blocage des sites en cause, qui paraissent pertinentes. Il en est même pour les principes mis en avant pour la lutte contre la drogue : amélioration de la coopération internationale, action dans les organisations internationales, mobilisation de la société civile, renforcement du travail de recherche et d'information.

Pour renforcer la lutte contre la traite des êtres humains, le document de la présidence suédoise suggère d'instituer un coordinateur européen. A ce stade, et sous réserve d'un examen plus approfondi, l'utilité d'une telle fonction reste à démontrer.

La Commission européenne souligne que l'Union devra se fixer des objectifs en matière de transparence et de lutte contre la corruption . C'est, en effet, un enjeu essentiel qui appelle une politique plus volontariste que le simple « échange de bonnes pratiques » ou la mise en place d' « indicateurs ». Le document de la présidence suédoise propose des pistes de travail plus ambitieuses, comme le renforcement des capacités d'investigation financière et de poursuite de l'évasion fiscale et de la corruption privée, qui devront être prises en compte au cours des négociations.

(2) L'enjeu de la prévention de la criminalité

La prévention de la criminalité constitue un enjeu essentiel. Le traité sur l'Union européenne (articles 2 et 9) prend en compte cette question. A partir de cette base juridique, le Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 a choisi la voie d'un système de prévention permettant l'échange des informations, des expériences, des études et des recherches en matière de prévention. Concrétisant cette orientation, en 2001, une décision du Conseil a institué un réseau européen de prévention de la criminalité. Ce réseau dispose d'un secrétariat assuré par la Commission européenne et se compose de différents points de contact désignés par chaque État membre (trois au maximum). La Commission européenne désigne également son point de contact. En outre, Europol et l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies sont associés aux travaux du réseau pour les aspects qui les concernent. Les activités prioritaires du réseau concernent la lutte contre la délinquance des jeunes, la criminalité urbaine et la délinquance liée à la drogue (priorités retenues par le Conseil de Tampere). Le réseau se réunit au moins une fois par semestre.

Le traité de Lisbonne reconnaît à l'Union européenne une compétence d'appui en matière de prévention du crime. Les actions dans ce domaine devront donc être développées dans la période d'application du nouveau programme. Le document de la présidence suédoise suggère de remplacer le réseau européen par un Observatoire pour la prévention du crime (OPC) qui aurait un secrétariat localisé dans une agence existante de l'Union et qui serait étroitement lié à EUROPOL.

c) La lutte contre le terrorisme

La lutte contre le terrorisme appelle, selon la Commission, trois priorités cohérentes qui s'inscrivent dans la continuité des actions antérieures : la lutte contre la radicalisation, la surveillance des activités illégales sur internet, le contrôle du financement du terrorisme. A juste titre, la Commission européenne fait valoir que la maîtrise du risque terroriste requiert des actions spécifiques de prévention. Une méthodologie fondée sur des paramètres communs devra être établie avec EUROPOL afin de pouvoir effectuer une analyse de la menace au niveau européen. Le programme de Stockholm devra prendre en compte les instruments existants ou en voie de création, tels que le recensement des matériaux NRBC (Nucléaires, Radiologiques, Biologiques et Chimiques), le programme de protection des infrastructures critiques ou encore le plan d'action sur les explosifs.

Le programme de Stockholm devra aussi intégrer les orientations en matière de protection civile, adoptées sous la présidence française en novembre 2008 : développement des infrastructures européennes, mise en réseau des organismes chargés de la formation dans ce domaine, coopération accrue avec les Nations unies.

4. L'immigration et l'asile

a) L'immigration

Dans ce domaine, la Commission veut promouvoir une société plus intégrée pour le citoyen à travers une Europe responsable et solidaire en matière d'immigration et d'asile.

L'approche globale serait consolidée à travers plusieurs orientations : l'approfondissement du dialogue et du partenariat avec les pays d'origine, la conclusion de nouveaux accords spécifiques couvrant les trois dimensions de l'approche globale (maîtrise de l'immigration irrégulière y compris la réadmission et le soutien au retour volontaire et à la réintégration, promotion de la mobilité et de l'immigration légale), la mise en place d'un système efficace et solidaire de prévention de l'immigration irrégulière, le renforcement du rôle des partenariats pour la mobilité ou encore la promotion des mesures d'accompagnement au retour.

Une politique concertée, en phase avec les besoins du marché du travail, sera mise en oeuvre. L'Union devra se doter d'un cadre commun sous forme d'un régime d'admission flexible permettant de s'adapter à la mobilité accrue et aux besoins des marchés nationaux du travail. Mais ce cadre commun respectera les compétences des États membres dans la détermination des volumes d'entrées des ressortissants des pays tiers aux fins d'emploi.

La Commission européenne envisage par ailleurs la création d'un observatoire des flux, un code de l'immigration destiné à assurer aux immigrés légaux un niveau de droit uniforme et comparable à celui des citoyens communautaires, des règles communes pour gérer le regroupement familial. Elle soutiendra les efforts des États membres en matière d'intégration.

Une meilleure maîtrise de l'immigration irrégulière est présentée par la Commission européenne comme un complément essentiel au développement d'une politique commune dans le domaine de l'immigration légale. L'accent devra notamment être mis sur la lutte contre les filières. Plusieurs axes sont envisagés : la lutte contre l'emploi illégal à travers notamment la mise en oeuvre de la directive prévoyant des sanctions contre les employeurs, une « tolérance zéro » pour le trafic et la traite des êtres humains, la poursuite d'une politique efficace d'éloignement et de retour dans le respect du droit et de la dignité des personnes, avec notamment l'entrée en vigueur de la directive dite « retour » en décembre 2010, un renforcement de la coopération opérationnelle et une priorité accordée au retour volontaire. Par ailleurs, l'échange d'informations entre les États membres sur les régularisations devrait être amélioré. Enfin, la situation des mineurs non accompagnés devra faire l'objet d'un examen approfondi.

b) La gestion des frontières

Parallèlement, au titre de « l'Europe qui protège », la communication de la Commission européenne contient des développements sur une approche intégrée de l'accès au territoire. Dans ce but, le rôle de coordination de FRONTEX sera renforcé. Ses capacités opérationnelles seront développées, notamment à travers de futurs bureaux régionaux. Le développement du Système européen de surveillance des frontières (EUROSUR) se poursuivra. Les systèmes d'information (SIS II, VIS) devront entrer dans une phase totalement opérationnelle. Leur gestion devra être « stabilisée » à travers la mise en place d'une nouvelle agence. Un système d'enregistrement électronique des entrées et sorties (ESTA) et un programme de voyageurs enregistrés devront être établis. L'éventualité d'un système d'autorisation préalable de voyages devra être étudiée. En matière de visas, l'entrée en vigueur du nouveau code des visas ainsi que le déploiement progressif du VIS devraient donner plus de cohérence et d'efficacité. La création d'un « visa Schengen » européen sera envisagée. Progressivement, le système de visa européen devra évoluer vers un système de délivrance fondé sur l'appréciation du risque individuel et non de la nationalité.

c) L'asile

En matière d'asile, la Commission fixe la perspective que l'Union européenne devienne un véritable espace commun et solidaire de protection . L'Union devra établir, au plus tard en 2012, une procédure d'asile unique et un statut uniforme de protection internationale.

Le futur bureau européen d'appui devra être doté des moyens nécessaires au déploiement de ses capacités. La crédibilité du régime commun et la confiance mutuelle entre les États membres devront être garanties par un contrôle rigoureux et correct de l'acquis législatif. L'intégration des personnes bénéficiant de la protection internationale devra être améliorée.

Par ailleurs, sur la base d'une évaluation approfondie de la mise en oeuvre des instruments législatifs et de la convergence des pratiques, la Commission européenne envisage que l'Union européenne formalise avant la fin 2014 le principe de reconnaissance mutuelle de toutes les décisions individuelles d'octroi du statut de protection, permettant ainsi le transfert de protection.

La solidarité avec les pays tiers confrontés à des flux importants de réfugiés est aussi un aspect essentiel. L'accès à la protection et le respect du principe de non refoulement devront être assurés. Un appui sera donné à ces pays pour leur permettre de renforcer leurs capacités par le développement de leur propre système d'asile et de protection.

L'Union devra assurer le partage des responsabilités , y compris par un mécanisme volontaire de réinstallation et un traitement commun des demandes d'asile. Lors de son audition par votre commission des affaires européennes, M. Jacques Barrot a souligné que « L'Union doit assurer le partage des responsabilités pour l'accueil et l'intégration des réfugiés, y compris par l'établissement d'un mécanisme volontaire de réinstallation interne entre États membres et un traitement commun des demandes d'asile. » Il a salué l'initiative de la France qui a accueilli 80 réfugiés dont le statut avait été reconnu à Malte.

Dans ce domaine de l'immigration et de l'asile, les États membres souhaiteront vraisemblablement mettre en oeuvre les orientations retenues, sous la présidence française, par le Conseil européen dans le Pacte européen sur l'immigration et l'asile. A ce stade, le document de la présidence suédoise lui réserve une place assez faible. Comme il a été indiqué ci-dessus, le pacte prévoit cinq « engagements fondamentaux » : organiser l'immigration légale, lutter contre l'immigration irrégulière, notamment en assurant le retour dans leur pays d'origine ou vers un pays de transit, des étrangers en situation irrégulière ; renforcer l'efficacité des contrôles aux frontières ; bâtir une Europe de l'asile ; créer un partenariat global avec le pays d'origine et de transit.

En outre, compte tenu de la gravité des problèmes migratoires en Méditerranée, il paraît indispensable que le programme de Stockholm leur consacre un volet spécifique qui permette de bâtir une approche commune et qui établisse une doctrine claire sur le rôle de FRONTEX.

* (9) n°441 (2008-2009).

* (10) CJCE 9 mars 1999, Centros ; 30 septembre 2003, Inspire Art.

* (11) CJCE, 2 octobre 2003, Carcia Avello ; 14 octobre 2008, Grunkin &Paul.

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