C. COMMENT ACCOMPAGNER LE DÉVELOPPEMENT DU LIVRE NUMÉRIQUE ?

Lors de ses voeux au monde de la culture, le 7 janvier 2010, le Président de la République s'est déclaré favorable à l'extension au livre numérique du prix unique du livre et du taux réduit de TVA.

Voeux du Président de la République au monde de la culture (7 janvier 2010) : extraits

« De la même façon nous devons absolument obtenir pour l'industrie du livre la transposition du prix unique et du taux réduit de TVA dans l'univers numérique. Le droit ne peut pas ignorer éternellement le principe du bon sens. C'est pourtant le cas avec un livre taxé à 5,5% dans l'univers physique et à 19,6% sur internet. Le régime fiscal de la presse vient d'être amélioré en ce sens car il y a ce même hiatus entre la presse papier et la presse en ligne. Je note aussi que le Gouvernement espagnol a déclaré vouloir appliquer unilatéralement la TVA réduite sur le livre numérique. La France a inventé la TVA et le prix unique du livre, son gouvernement ne peut que soutenir une telle intention.

« J'invite donc la Commission européenne à proposer au Conseil d'autoriser les Etats membres à appliquer une TVA réduite sur l'ensemble des produits culturels. Il n'y a aucune raison que le livre physique soit taxé à 5,5% et le disque à 19,6% comme la vidéo. Le produit culturel ne peut pas être coupé en tranches, c'est absurd e.»

Source : voeux du Président de la République au monde de la culture, Cité de la musique, 7 janvier 2010

On peut cependant se demander si ces réformes seraient « structurantes ».

1. Comment s'assurer que les éditeurs conservent leur rémunération par exemplaire vendu ?

Les partisans d'une transposition du prix unique du livre au livre numérique poursuivent un objectif légitime : préserver la rémunération des éditeurs par exemplaire vendu.

a) La remise en cause de la liberté de tarification du libraire électronique semble juridiquement délicate

Concrètement, plusieurs pistes ont pu être envisagées, tendant à restreindre la liberté de tarification du libraire électronique :

- transposition de la loi de 1981 au livre numérique ;

- « contrat de mandat », qui permettrait aux éditeurs de charger les libraires en ligne de vendre à un certain prix ;

- décret d'exemption.

Ces pistes sont notamment envisagées par le rapport précité de M. Bruno Patino. Celui de MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti propose, « à court terme », d'« adopter une loi reprenant les principes fixés, pour le livre physique, par la loi sur le prix unique de 1981 en les adaptant aux spécificités des livres numériques homothétiques » (c'est-à-dire aux livres numériques strictement identiques aux livres « papier » existants), et, « à moyen terme », de « préparer une loi générale sur le livre numérique permettant de renforcer la maîtrise des éditeurs sur le prix de vente des oeuvres, en tenant compte des évolutions du marché, des effets de l'instauration d'un prix unique pour les livres homothétiques et de l'avis que doit rendre prochainement l'Autorité de la concurrence sur le décret d'exemption et les contrats de mandat ».

L'Autorité de la concurrence a adopté en décembre 2009 un avis 64 ( * ) plutôt sceptique au sujet de ces différentes pistes.

La difficulté juridique à contraindre les libraires numériques en matière de prix

Le droit actuel permet aux pouvoirs publics d'exempter certains accords des règles prohibant les ententes :

- en droit français, l'article L. 420-4 II du code de commerce autorise le gouvernement à prendre un « décret d'exemption », dont le projet doit être établi par le ministre de l'économie, puis soumis, un mois plus tard, à l'avis conforme de l'Autorité de la concurrence ;

- en droit communautaire, l'article 2 du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'article 101 §3 TFUE, autorise certains « accords verticaux ».

Cependant, ces deux solutions ne paraissent pas applicables en l'espèce :

- elles impliquent l'accord des acteurs concernés, qui serait difficile à obtenir ;

- en tout état de cause, les conditions juridiques de leur application ne semblent pas réunies 65 ( * ) .

La solution du contrat de mandat 66 ( * ) ne paraît pas non plus pouvoir être retenue, en raison des contraintes excessives qu'elle imposerait au libraire, qui perdrait son autonomie commerciale, comme dans le cas du contrat de mandat applicable au secteur de la presse.

Enfin, une disposition contraignante, s'inspirant de la loi Lang, ne pourrait s'appliquer qu'en France, ce qui la viderait de sa portée 67 ( * ) .

Par ailleurs, si l'objectif est d'éviter que le libraire électronique oblige les éditeurs à lui vendre leurs livres à un prix très bas, celui-ci risque de ne pas être atteint par une mesure qui ne concernerait que le prix de vente au lecteur.

* 64 Autorité de la concurrence, avis n° 09-A-56 du 18 décembre 2009 relatif à une demande d'avis du ministre de la culture et de la communication portant sur le livre numérique.

* 65 Les décrets d'exemption impliquent de remplir les critères prévus par l'article L. 420-4 I 2° du code de commerce, à savoir « assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ». L'exemption des accords verticaux ne s'applique pas quant à elle à ceux qui ont pour objet de restreindre la capacité de l'acheteur de déterminer son prix de vente.

* 66 Le contrat de mandat est une notion de droit communautaire, qui fait partie de l'ensemble, plus vaste, des contrats d'agence, qui « couvrent les cas dans lesquels une personne physique ou morale (l'agent) est investie du pouvoir de négocier et/ ou de conclure des contrats pour le compte d'une autre personne (le commettant) ». Dans le cas présent, le contrat de mandat concerné relèverait plutôt en droit français du contrat de commission.

* 67 Dans le domaine du commerce en ligne, la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 « sur le commerce électronique » prévoit dans son article 3.2 : « Les Etats Membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l'information en provenance d'un autre Etat Membre ».

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