c) Une possible remise en cause de la diversité éditoriale ?

Selon les éditeurs, des prix très bas imposés par les libraires en ligne remettraient en cause la diversité de l'offre.

Ce point de vue est notamment celui du rapport précité de MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti. Selon ce rapport, « la préservation de la diversité, non seulement des auteurs mais aussi des éditeurs et des libraires, ne peut passer que par une régulation prévenant la captation de la valeur par un seul acteur - lequel deviendrait sinon l'unique prescripteur de ce qui s'écrit, à l'aune de ce qui se vend ».

Il n'est cependant pas évident qu'un prix unique du livre numérique soit aussi utile à la diversité de l'offre que l'est, par exemple, celui du livre papier.

La loi Lang de 1981 consiste, en interdisant aux libraires de vendre en dessous d'un certain prix, à empêcher les grandes surfaces de capter les ventes de livres à fort tirage (en profitant du fait que comme elles ne vendent pas de livres à faible taux de rotation, leurs coûts sont plus faibles que ceux des librairies traditionnelles) et d'entraîner ainsi la disparition des librairies vendant des titres moins « commerciaux ». La loi Lang répond donc à un objectif de défense de la culture et de la pluralité des ouvrages publiés. Par ailleurs, l'exemple du Royaume-Uni suggère que le prix unique n'a pas d'effet inflationniste : dans ce pays en effet, la suppression du prix unique 60 ( * ) en 1995 a été suivie d'une progression de l'indice des prix du livre plus rapide que celle de l'indice des prix à la consommation 61 ( * ) .

En revanche, les arguments mis en avant dans le cas du prix unique du livre ne s'appliquent qu'imparfaitement au livre numérique. Tout d'abord, il n'existe pas d'un côté des libraires en ligne spécialisés dans les titres à fort tirage, et de l'autre des libraires en ligne spécialisés dans les oeuvres « exigeantes » à plus faible tirage. Ensuite, le coût de stockage d'un livre numérique est incomparablement plus faible que celui d'un livre papier. Ainsi, dans l'univers numérique, il n'est pas évident que le livre « exigeant » soit défavorisé par rapport au livre « commercial ».

La diversité de l'offre ne pourrait être mise en cause que de façon indirecte, en entraînant la disparition des éditeurs financièrement les plus fragiles.

d) La probabilité d'une diminution de la rémunération des éditeurs par exemplaire vendu doit être relativisée

Il n'est par ailleurs pas évident que les éditeurs français se trouvent prochainement dans une situation où un libraire électronique en situation de quasi-monopole les obligerait à lui vendre leurs livres à un prix très bas.

En effet, le marché est encore embryonnaire, et il serait hasardeux de considérer que la position dominante actuelle d'Amazon aux Etats-Unis ait vocation à durer et à s'étendre aux autres pays.

En particulier, le précédent de la musique en ligne, marqué par la domination d'un acteur unique (Apple, avec son logiciel propriétaire iTunes et son magasin iTunes Store), n'est peut-être pas transposable.

En effet, le monde de l'édition, correspondant à un grand nombre de marchés nationaux, est bien moins concentré que celui de la musique. Certes, cela affaiblit le pouvoir de négociation des éditeurs, mais cela a également pour effet de rendre plus difficile pour un acteur unique de monopoliser l'offre de contenu.

Par ailleurs, il n'est pas évident que le marché des appareils de lecture soit dominé par un acteur unique, comme il a pu l'être avec l'iPod 62 ( * ) .

En ce qui concerne les contenus, deux géants de l'industrie américaine prévoient de faire bientôt concurrence à Amazon :

- Google, qui a annoncé son intention de lancer en 2010 sa librairie électronique « Google édition », dont la logique serait sensiblement différente de celle d'Amazon 63 ( * ) ;

- Apple, qui doit se doter d'une librairie de livres numériques qu'il prévoit de vendre notamment aux utilisateurs d'iPad.

Cette concurrence devrait placer les éditeurs dans un rapport de forces plus favorable avec les libraires électroniques.

Par ailleurs, on rappelle que les articles 101 et suivants du traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) fixent des règles contraignantes en matière de concurrence, et donnent à la Commission européenne des pouvoirs importants en ce domaine. En particulier, l'article 102 du traité précité interdit les abus de position dominante.

Ces considérations ne permettent cependant pas d'écarter a priori le risque d'une remise en cause de la diversité éditoriale en France.

* 60 « Net Book Agreement », signé en 1900 par les éditeurs et les libraires britanniques, et abandonné en 1995, avant d'être déclaré illégal en 1997 par la Restrictive Practices Court .

* 61 Francis Fishwick, « Book Prices in the UK Since the End of Resale Price Maintenance », International Journal of the Economics of Business , novembre 2008.

* 62 Plusieurs sociétés ont fait part de leur intention de concurrencer l'iPad.

* 63 « Au vu des informations disponibles, il semble qu'il s'agisse d'un service de vente en ligne de livres numériques, dont la logique serait sensiblement différente de celle d'Amazon. D'une part, Google pratiquerait les prix qui lui seraient indiqués par l'éditeur et, d'autre part, le format des fichiers serait interopérable avec les différentes tablettes de lecture existantes » (Autorité de la concurrence, avis n° 09-A-56 du 18 décembre 2009 relatif à une demande d'avis du ministre de la culture et de la communication portant sur le livre numérique).

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