b) Les éditeurs français entrent à reculons sur le marché du livre numérique

Tout cela explique que les éditeurs français semblent très prudents, voire réticents, en ce qui concerne le développement du numérique.

(1) Une offre encore très limitée

Tout d'abord, l'offre commerciale de livres numériques demeure en France très modeste.

Aux Etats-Unis, Amazon propose sous forme numérique plus de 360.000 livres, dont la quasi-totalité des best sellers du New York Times , ainsi que plusieurs journaux et magazines.

En France, l'offre se limite pour l'essentiel 52 ( * ) à celles d'Hachette Livres (Albin Michel, Fayard...), qui a racheté la société Numilog, et de l'Harmattan. Ces ouvrages peuvent être achetés sur le site http://livreelectronique.fnac.com , dont l'offre demeure modeste, avec environ 30.000 titres alors qu'en 2008 les seules entrées au dépôt légal en France ont concerné 69.958 titres, pour un nombre total de titres disponibles de 594.600.

(2) Une tarification peu incitative à l'achat de livres numériques

Ensuite, la tarification retenue est nettement moins agressive qu'aux Etats-Unis.

Aux Etats-Unis Amazon vend habituellement ses livres numériques autour de 10 dollars, ce qui correspond à peu près au prix d'un livre de poche, mais à 50 % du prix du livre relié. Si l'on exclut quelques ouvrages professionnels au prix très élevé 53 ( * ) , les prix s'échelonnent de 2,30 dollars à un montant qui dépasse rarement la quinzaine de dollars. A titre d'exemple, le tableau ci-après indique la tarification du roman Angels and Demons ( Anges et Démons ) de Dan Brown.

La tarification du roman « Angels and Demons » (« Anges et Démons ») de Dan Brown sur le site www.amazon.com

(en dollars)

Prix

Edition pour Kindle

11,49

Relié

18,72

Poche

10,88

Poche grand public (« mass market paperback »)

9,99

Source : d'après www.amazon.com (26 octobre 2009)

En France, la tarification de la FNAC est nettement moins agressive, la règle étant de vendre un livre numérique seulement 5 ou 6 % moins cher que sa version papier, même s'il s'agit d'une version reliée.

La tarification des 10 meilleures ventes numériques de la FNAC

(en euros)

Auteur

Editeur

Prix du livre numérique

Prix du livre papier

Ecart (en %)

Le trésor des abbesses

Charlène Mauwls

Ex Aequo

4

non disponible

-

La Forêt des Mânes

Jean-Christophe Grangé

Albin Michel

20,5

21,76

-5,8

Crève, l'écran

André Klopmann

Fayard

6,55

6,94

-5,6

Survivre aux crises

Jacques Attali

Fayard

13,4

14,16

-5,4

Le Voyage d'hiver

Amélie Nothomb

Albin Michel

13,5

14,25

-5,3

Une ombre plus pâle

H. Andrea Japp

Calmann-Lévy

17,9

18,91

-5,3

Chasses à l'homme Prix du Quai des Orfèvres 2009

Christophe Guillaumot

Fayard

8

8,46

-5,4

Le Meilleur de l'humour noir

Sébastien Bailly

Fayard/Mille et une nuits

2,7

2,85

-5,3

Twilight - 1. Fascination

Stephenie Meyer

Hachette Jeunesse

16,1

17,1

-5,8

L'ombre du soleil

Christelle Maurin

Fayard

7,1

non disponible en neuf

-

Source : d'après http://www.fnac.com (26 octobre 2009)

De manière paradoxale, les éditeurs nient que les coûts soient moindres pour un livre numérique que pour un livre papier. Ainsi, le SNE a diffusé au salon du livre, le 17 mars 2009, un texte 54 ( * ) dans lequel il affirme qu' « un livre numérique coûte au moins autant à produire qu'un livre papier », en raison des coûts propres au numérique, qui selon lui « compensent peu ou prou la disparition des coûts liés au papier ». L'argumentation 55 ( * ) est cependant peu convaincante. On peut d'ailleurs noter que l'argument selon lequel le livre numérique serait fortement handicapé par une imposition à la TVA à taux plein 56 ( * ) n'a de sens que si l'on suppose que son prix hors taxe est proche de celui du livre papier 57 ( * ) . Au total, le SNE rejette fermement l'idée que le livre numérique doive être au moins 30 % moins cher que le livre papier 58 ( * ) .

L'Autorité de la concurrence estime en revanche le que le livre numérique pourra coûter nettement moins cher que le livre papier 59 ( * ) .

Les deux points de vue peuvent être conciliés si l'on considère que le marché du livre numérique est encore très limité en France, d'où de faibles économies d'échelle. En revanche, il est inévitable que d'ici quelques années les coûts du livre numérique soient nettement inférieurs à ceux du livre papier.

* 52 Une vingtaine de librairies et Chapitre.com vendent également des livres numériques.

* 53 Pouvant dépasser les 7.000 dollars.

* 54 Le livre numérique : idées reçues et propositions.

* 55 « - il y a de nouveaux coûts qui apparaissent avec le numérique : coûts de conversion des fichiers (voire de numérisation s'il s'agit de livres plus anciens), coûts de stockage des fichiers, coûts de sécurisation des fichiers, frais juridiques liés à l'adaptation des contrats d'édition et à la défense contre le piratage, etc. - vendre des livres numériques ne se fait pas tout seul : cela nécessite un diffuseur-distributeur (« e-distributeur » pour reprendre la terminologie de Gallica2) et des sites de vente en ligne des livres (« e-librairies »). A ce sujet, pourquoi ne pas pratiquer la vente directe ? Ce serait méconnaître l'importance stratégique que revêt la librairie de qualité pour tous les éditeurs (...). - tous ces nouveaux coûts compensent peu ou prou la disparition des coûts liés au papier ».

* 56 « Et en plus, le taux réduit de TVA de 5,5 %, dont bénéficie le livre papier, ne concerne pas le livre numérique, taxé au taux normal de 19,6 % : d'où un surcoût de 14 % du livre numérique ! ».

* 57 On peut prendre l'exemple d'un livre papier coûtant 10 euros hors taxes, dont 3 euros pour l'auteur et l'éditeur et 1 euro pour les coûts spécifiques au numérique, et qui pourrait donc être vendu 4 euros sous forme numérique. La TVA est égale dans le cas du livre papier à 10*0,055=0,55 euro, et dans celui du livre numérique à 4*0,196= 0,78 euro.

* 58 « Non seulement annoncer que le prix du livre numérique devra être inférieur de 30 % à celui de papier est dangereux pour le développement du marché numérique, mais il l'est aussi pour le livre papier, dont on ne comprendra plus qu'il soit à payer au juste prix : c'est tout l'édifice de la loi sur le prix unique qui risque d'être remis en cause ».

* 59 « A terme, le livre numérique a vocation à dégager des économies d'échelle supérieures au livre « papier ». Des économies substantielles paraissent notamment pouvoir être obtenues sur les postes tels que l'impression, la diffusion / distribution, et vraisemblablement la mise à disposition par les détaillants. Les précédents de la musique en ligne et de la vidéo à la demande (VOD) laissent présager une telle évolutio n » (autorité de la concurrence, avis n° 09-A-56 du 18 décembre 2009 relatif à une demande d'avis du ministre de la culture et de la communication portant sur le livre numérique).

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