CRIMES D'HONNEUR : LES RÉPONSES INTERNATIONALES, NATIONALES ET L'ACTION DE LA FONDATION SURGIR

Mme Jacqueline Thibault, présidente de la Fondation SURGIR

Je suis fondatrice et présidente de la fondation SUR GIR qui travaille essentiellement sur les crimes d'honneur, les mariages forcés et les mariages précoces. Pourquoi travaillons-nous sur les crimes d'honneur ? Tout simplement à cause d'une rencontre. Beaucoup de choses se font par rencontre. Nous avons rencontré un jour, sur un lit d'hôpital, une jeune fille brûlée à 60 % qui mourait, et nous avons appris que c'était à la suite d'un crime d'honneur. C'était vraiment pour nous l'irréparable et à partir de ce moment-là, nous avons décidé de lutter.

Je voudrais tout d'abord vous présenter ce qui se passe en Europe. L'Europe, tout à coup, s'est émue de l'arrivée des crimes d'honneur, et ne sachant pas trop quoi faire a pris des décisions, en 2009 pour le Conseil de l'Europe, et en 2004 pour l'ONU 3 ( * ) . Je voudrais vous lire ces décisions car elles sont extrêmement importantes, puisqu'elles concernent tout l'Occident. Les États-Unis font exactement la même chose. Ce sont des directives que, je pense, nous devrions suivre.

Le contexte juridique international (résolutions et recommandations des Nations Unies et du Conseil de l'Europe)

Tout d'abord, je vais vous parler des recommandations du Conseil de l'Europe. Il y en a beaucoup. Nous avons choisi les plus importantes. La recommandation 1881 sur l'urgence à combattre les crimes dits d'honneur. Le « crime d'honneur » s'appelle pour les Anglais « le crime d'honneur » ; pour le Conseil de l'Europe c'est « le crime dit d'honneur », pour l'ONU c'est « le crime au nom de l'honneur ». On n'a pas encore une appellation commune.

L'Assemblée recommande au comité du ministre d'élaborer la stratégie suivante :

Éliminer toute forme de justification législative atténuant ou supprimant la responsabilité pénale des auteurs de crimes d'honneur. Il s'agit de ne pas faire comme dans les pays où le crime d'honneur a lieu, dire que c'est un problème de famille, donc que nous allons être indulgents. Il y a une responsabilité pénale. Le crime d'honneur est un meurtre comme tous les meurtres.

Abolir l'acceptation sociale des crimes d'honneur : ce n'est pas une histoire de famille. Mettre l'accent sur le fait qu'aucune religion ne prône le crime d'honneur. On l'a entendu ce matin aussi pour le mariage forcé.

Mener une étude permettant de déterminer les causes de ces violences contre les femmes. Il faut vraiment que l'on ait des chercheurs qui fassent des recherches très intenses sur les origines du crime d'honneur.

Mettre en place un réseau international pour lutter contre des crimes d'honneur. Nous l'avons entendu aussi ce matin. C'est très important de travailler internationalement. Que se passe-t-il dans chaque pays ? Il faut aussi avoir une relation avec les pays comme la Jordanie, la Palestine, comme tous les pays où le crime d'honneur a lieu. Il faut avoir une relation ici, en Europe, avec des associations sur place, avec les gouvernements sur place. Ces échanges sont absolument importants.

La fondation SUR GIR fait partie de l'ONU avec un statut consultatif social. Nous informons l'ONU de ce que nous voyons sur le terrain. Nous travaillons beaucoup au Moyen-Orient. Nous avons des panels qui réunissent des personnes présentes à l'ONU pour exposer la pertinence de ces problèmes. Il a été adopté des résolutions sur les mesures en vue d'éliminer les crimes d'honneur commis contre les femmes et les fillettes. Je ne présente ici que les résolutions sur lesquelles il me semble important d'insister.

« L'Assemblée générale, réaffirmant l'obligation qu'ont tous les États de promouvoir et de protéger les Droits de l'Homme et les libertés fondamentales, notamment le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne, énoncés dans la Déclaration universelle des Droits de l'Homme.

Considérant que les États sont tenus d'agir avec la diligence voulue pour prévenir les crimes d'honneur, enquêter à leur sujet et en punir les auteurs, ainsi que d'offrir une protection aux victimes »,

Demande à tous les États :

- « De continuer à intensifier leurs efforts pour prévenir et éliminer, dans les différentes formes qu'ils revêtent, les crimes d'honneur contre les femmes et les fillettes en recourant à des mesures législatives et administratives et à des programmes ».

- « D'encourager les médias à mener des campagnes de sensibilisation ».

Il est absolument important que les médias ne présentent pas simplement des scoops, annonçant qu'une personne a été tuée ce jour-là, qu'il s'agit d'un crime d'honneur, qu'elle a reçu des coups de hache sur la tête. Il faut former les lecteurs à comprendre ce qu'est le crime d'honneur, analyser les crimes d'honneur. Les médias ont vraiment besoin d'une formation.

- « De continuer de soutenir l'action de la société civile , y compris les organisations non gouvernementales » .

- « De créer si possible des services d'appui permettant de répondre aux besoins des victimes même potentielles » .

Quel est le rôle des services d'appui ?

« En leur assurant la protection nécessaire, un abri sûr, un soutien psychologique, une assistance juridique, des soins de santé, notamment en matière d'hygiène sexuelle et de procréation, leur assurer un soutien dans le domaine de la santé psychologique et dans d'autres domaines pertinents, ainsi que des moyens de réadaptation et de réinsertion dans la société » .

La réadaptation et la réinsertion sont extrêmement difficiles à faire - comme pour le problème des mariages forcés -, compte tenu du fait que les personnes victimes de crimes d'honneur ont comme seul point de repère leur famille, c'est-à-dire les personnes qui veulent les tuer. Il est donc extrêmement difficile de les envoyer ailleurs et de recommencer une autre vie ailleurs.

- « De renforcer les services existants ou de faciliter la création de tels services » . Pour cela, il faut bien sûr de l'argent. On demande aux gouvernements de donner des subventions pour l'ouverture de tous ces services.

La stratégie du Royaume-Uni

Je voudrais vous présenter maintenant la situation au Royaume-Uni, c'est-à-dire en Angleterre, au Pays de Galles et en Irlande du Nord qui, déjà, ont une stratégie pour lutter contre les crimes d'honneur qui semblerait très efficace, qui prend surtout appui sur les services de police.

Douze personnes sont tuées chaque année au Royaume-Uni, selon le ministère de l'Intérieur, pour avoir transgressé la notion pervertie d'honneur. Ils ne savent pas combien se suicident pour échapper à cela. Cinq cents personnes préviennent la police chaque année qu'elles ont peur d'être mariées de force ou sont victimes de toutes autres violences basées sur l'honneur.

Le Royaume-Uni fait un peu l'amalgame entre les mariages forcés et les crimes d'honneur. Les violences basées sur l'honneur sont une définition générique de travail pour les policiers, qui peuvent ainsi identifier rapidement ce dont il s'agit, et agir alors correctement, ce qui inclut également les mariages forcés. Ces derniers conduisent le plus souvent, selon le Royaume-Uni, à un contexte où des violences basées sur l'honneur sont commises.

Nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec cela. J'ai vécu longtemps au Moyen-Orient. J'ai vu que beaucoup de mariages forcés qui ne se passaient pas nécessairement bien, ne se terminaient pas tous pour autant par un crime d'honneur. Il y a des moments, où un crime d'honneur vient à la suite du mariage forcé, à partir du moment peut-être où la jeune femme qui a été mariée à quatorze ans, qui a des enfants à la suite de viols, veut se séparer de son mari et prend un amant par exemple. Là, elle est susceptible d'un crime d'honneur. Autrement les jeunes femmes qui restent chez elles, dans ce mariage forcé et ne bougent pas, n'encourent pas beaucoup de risques de subir un crime d'honneur.

Voici les priorités du Royaume-Uni définies selon la stratégie des services du procureur de la Couronne dans la lutte contre les violences basées sur l'honneur :

- l'identification de l'ampleur des cas de violence basée sur l'honneur dans tous les services de police ;

- s'assurer que les victimes ou les victimes potentielles aient la confiance nécessaire pour venir et raconter leurs craintes de violences ou les violences actuelles. En aucun cas - ce n'est pas dans ce que dit le Royaume-Uni, mais c'est ce que nous ajoutons - une victime ou une victime potentielle ne devrait être rejetée, sous prétexte que les violences basées sur l'honneur n'auraient rien à faire avec le service de la police ;

- que les supports, les conseils et la protection soient immédiatement accessibles et disponibles pour les victimes ou les victimes potentielles. Que sont les supports ? Ce sont les refuges, les Hotlines , ces dernières malheureusement sont d'ailleurs actuellement en train d'être réduites faute de fonds et les Hotlines sont pourtant extrêmement importantes ;

- assurer des dispositions d'entraînement de haute qualité et développer une base de ressources disponibles et accessibles pour les services de police, sociaux et les services de santé sur les stratégies pour lutter contre les violences basées sur l'honneur : par exemple des guides ou des supports écrits et numériques, des cours ou des conférences ;

- développer un pôle d'experts (exemple le Dr Ermers) des violences basées sur l'honneur qui seront capables d'apporter un support additionnel, une assistance et une ligne de conduite aux procureurs et aux services s'occupant d'incidents relatifs à ces violences ;

- apporter une aide stratégique et opérationnelle aux services de la police, aux services sociaux et de santé ;

- rechercher - le Royaume-Uni le fait - de possibles cas de violences basées sur l'honneur dans les archives du système de justice criminelle. La police du Royaume-Uni est remontée dix ans en arrière dans tous les dossiers de cas de crimes, de meurtres de droit commun, pour voir quels seraient les meurtres liés à des crimes d'honneur. Ils ont retrouvé dernièrement le cas de Doulay Goren, une jeune fille de quinze ans disparue en 1999. Le cas a été réexaminé par des inspecteurs des services du procureur de la Couronne et a conduit à la condamnation du père de Doulay Goren à la prison à vie pour crime d'honneur en février 2010. Le meurtre avait eu lieu en 1999. Cette affaire est un cas exemplaire de condamnation pour crime d'honneur et montre à la population du Royaume-Uni que le crime d'honneur existe aussi chez elle ;

- le point suivant est très important et j'y insiste beaucoup, parce que vivant avec des personnes menacées de crime d'honneur et des personnes victimes de crime d'honneur, j'ai pu expérimenter cela moi-même : prêter attention aux risques endurés par les victimes et les témoins de violences basées sur l'honneur, qui doivent être intégrés dans un programme de protection des témoins. Une personne qui cherche à défendre une victime du crime d'honneur est elle-même menacée. Il faut le savoir et en tenir compte, c'est très important. La stratégie insiste sur les soins et la protection des victimes et des témoins, particulièrement en maintenant leur sécurité pendant de longues années ;

- insister sur le message suivant : les violences basées sur l'honneur sont illégales. Elles sont une violation des Droits de l'Homme et ne seront tolérées en aucun cas ;

- avoir des relations avec les polices des autres pays. Le Royaume-Uni demande surtout l'aide de la police des Indes, d'Europe et de Turquie. En février 2010, le département du ministère de l'Intérieur était en train d'effectuer une recherche, afin d'évaluer la faisabilité du développement et de la distribution d'un document informant les nouveaux arrivants au Royaume-Uni sur les violences basées sur l'honneur. Cela aiderait les nouveaux arrivants à comprendre leurs droits au Royaume-Uni et leur indiquerait les services d'aide appropriés.

Des lois nationales souvent impuissantes

Je voudrais rappeler ici les deux lois ou les deux amendements apportés par le Pakistan et la Turquie sur le crime d'honneur dans leur pays. On sait qu'en Turquie, à l'Est et au Sud-Est de la Turquie il y a beaucoup de crimes d'honneur, non seulement envers les femmes mais aussi envers les hommes homosexuels.

Selon le rapport de la Commission des Droits de l'Homme au Pakistan, les cas de violences envers les femmes ont augmenté de 13 % en 2009. Le nombre de cas de crimes d'honneur est de 604, toujours selon la Commission. Il est nécessaire d'ajouter à cela, et de mettre en perspective avec ce chiffre, le nombre de cas de suicides toujours féminins qui est de 683, le nombre d'attaques à l'acide est de 27. Le nombre de cas de femmes tombées par inadvertance - peut-être ! - dans un poêle est de 50. Le nombre de femmes tuées au Pakistan en 2009 est de 1 384 au total.

Le code pénal pakistanais qui date de 1860, c'est-à-dire il y a très longtemps, a été modifié par les amendements issus de la loi sur la protection des femmes en 2006.

Article 299, définition : les offenses commises au nom de ou sous le prétexte de l'honneur sont relatives au karo-kari , c'est-à-dire le meurtre qui conduit à tuer une femme à cause de sa conduite immorale.

Selon l'article 302, si le meurtre a été commis au nom de l'honneur, le meurtrier sera condamné à la peine de mort ou à l'emprisonnement à vie selon les faits et les circonstances du cas. Ceci est valable depuis 2004 et repris en 2006. Nous nous sommes renseignés auprès de la Commission des Droits de l'Homme qui ne nous a signalé aucun cas de sentence de mort depuis cette époque.

Le rapport de la Direction des Droits de l'Homme du Bureau du Premier ministre turc a dénombré 23 meurtres dits d'honneur en 2007 en Turquie - quand on parle de cas, on parle toujours de cas connus, presque la moitié de ceux-ci sont inconnus - soit la moitié de l'ensemble des crimes d'honneur, des crimes en général, commis dans le pays.

Aujourd'hui on assiste à l'émergence des suicides d'honneur. Ce phénomène en augmentation constante est lié aux réformes du code pénal turc de 2005. Peu après que la loi ait été votée, le nombre de suicides de femmes a commencé à exploser. Le Parlement européen confirme cette information. Il se déclare profondément préoccupé par le fait que les suicides commis par des femmes sous l'influence de la famille demeurent une pratique courante, notamment dans les régions de l'Est et du Sud-Est, et demande instamment aux autorités turques de protéger les femmes contre les pressions familiales de cette nature et de présenter les données précises et fiables sur le suicide chez les femmes en particulier dans ces régions.

Selon l'article 81, toute personne qui tue délibérément une autre personne doit être condamnée à la prison à vie. Si la nature du meurtre commis est sous le motif de la tradition coutumière, c'est-à-dire le crime d'honneur, l'auteur doit être condamné à la peine de prison à vie aggravée, c'est-à-dire une peine de prison non compressible. C'est la raison pour laquelle les parents préfèrent que leur fille se suicide.

L'action de la Fondation surgir au Moyen-Orient et l'appui des victimes en Europe

Quelques mots sur la fondation SUR GIR. Nous avons commencé bien avant l'ONU et bien avant le Conseil des droits de l'homme. Nous suivons les directives des uns et des autres, surtout les directives de l'ONU. Nous avons des programmes au Moyen-Orient, au Pakistan, en Afghanistan, en partenariat avec des organisations locales, c'est-à-dire que ce n'est pas nous qui allons sur place. Nous avons des partenariats avec des organisations, comme l'organisation SIGI, que nous soutenons financièrement et que nous aidons pour un développement institutionnel de leur association, c'est-à-dire savoir travailler en associations, savoir écrire des projets, des rapports, pouvoir fournir des données, avoir des rapports financiers, ensuite assurer la pérennité des projets qui sont financés par la fondation SUR GIR seulement sur trois ans.

L'un des programmes est le programme qui a été présenté par Mme Lubna Dawany-Nimry. Je le rappelle en deux mots. Les jeunes femmes menacées de crime d'honneur vont se réfugier dans les prisons puisque la police ne peut pas les aider. Soit elle ne veut pas toujours les aider, soit elle ne peut pas le faire : elle ne peut pas entrer dans les familles parce qu'on l'accuse immédiatement de s'impliquer dans les problèmes familiaux. Ces jeunes femmes n'ont d'autre possibilité pour s'enfuir que d'aller dans les prisons. Il y a des jeunes femmes qui demeurent en prison dix ans, vingt ans, vingt-cinq ans, parce que les seules personnes qui peuvent les aider à sortir de prison sont les pères ou les frères, c'est-à-dire ceux qui veulent les tuer.

Cette organisation SIGI a eu la possibilité de tenter de faire sortir ces jeunes filles une par une, et de les réhabiliter à l'extérieur. Étant donné les années de prison, elles sont inadaptées à la vie à l'extérieur et elles sont toujours menacées par leur famille à l'extérieur. Il faut déjà leur trouver un lieu où elles vont vivre, c'est-à-dire un abri. Il faut ensuite leur apprendre un métier et essayer de les renvoyer dans la vie normale, tout en les protégeant continuellement, ce qui demande un énorme travail de la part de ces associations sur place. Il y a eu un essai de famille d'accueil pour recevoir ces jeunes filles. Les familles d'accueil ont eu peur, parce qu'elles ont été elles-mêmes visées, évidemment, par les parents de ces jeunes filles.

Même les abris ne veulent pas tellement les recevoir, parce qu'elles sont vraiment trop inadaptées, même pour des abris. Il faut tout recommencer à zéro : l'aide psychologique, l'apprentissage d'un métier, tout ce que vous pouvez penser. Nous pensons maintenant à un abri consacré expressément à ces jeunes femmes, en essayant petit à petit de les faire sortir et de les faire revivre normalement dans des chambres prises pour elles, dans des lieux d'habitation.

Nous avons d'autres programmes au Nord d'Israël, dans les villages arabes, pour les femmes druzes. Les femmes druzes divorcées sont rejetées et menacées de crime d'honneur. Nous travaillons aussi dans les écoles sur les mariages précoces. Nous travaillons énormément avec les étudiants en droit de l'université de Haïfa qui s'intéressent beaucoup à ces travaux, qui sont formés pour cela et qui sont d'une aide extrêmement importante. Nous travaillons aussi sur les crimes d'honneur sur place.

En Palestine, nous avons un autre programme, pour ne citer que celui-là, qui est un programme pour les enfants qui vont peu à l'école, qui sont dans des situations difficiles : les enfants de Jérusalem-Est, par exemple, qui vivent dans une promiscuité assez terrible, dans des chambres où il y a des viols sans arrêt et où il n'y a aucun dialogue entre les parents et les enfants. Le problème le plus crucial auquel nous avons à faire est que les femmes pensent que d'être battues, c'est tout à fait normal. Elles pensent que d'être tuées, c'est tout à fait normal.

Il va falloir tout reprendre à zéro pour parler des Droits de l'Homme, en insistant sur le fait que les femmes ont aussi des droits, pour parler de la Convention contre l'élimination des violences. Ce travail se fait soit avec des femmes, soit dans des centres communautaires, soit avec des enfants de douze à seize ans dans les écoles.

Nous devons le faire aussi avec les enseignants qui ne connaissent pas du tout les Droits de l'Homme et organiser des ateliers spéciaux pour les parents. Lorsque les enfants reviennent à la maison, les parents entendent de nouvelles choses qui leur semblent assez extraordinaires. Il faut absolument travailler avec les parents sur ces sujets.

Je vais passer à autre chose sur le travail de la Fondation. Lorsque nous avons des demandes d'où qu'elles viennent - ce n'est pas très important - pour des personnes auxquelles on donne une aide directe sur place, pour lesquelles nos partenaires essaient de faire de la médiation avec les familles, tout cela est sans succès. Ces personnes sont vraiment menacées, et on ne peut pas les aider sur place. À ce moment-là, nous prenons des contacts sur place, nous vérifions la véracité des faits, et nous demandons des passeports et des permis pour les faire venir en Europe.

Nous avons souvent des personnes blessées, soit très gravement brûlées, soit défenestrées, soit blessées à coups de couteau dans le cou, sur la face dans le but de tuer, des jeunes filles complètement désarticulées qui ont été jetées par les fenêtres. Nous avons une jeune fille qui a été violée sous un tunnel. Elle a été jetée sur les rails alors que le train passait et elle a eu les deux jambes amputées. Ce sont des personnes que nous recevons en Suisse. Nous en avons aussi en France et en Italie.

Elles restent avec nous jusqu'à ce qu'elles soient autonomes. Il est bien évident que nous ne pouvons pas les renvoyer chez elles. D'ailleurs, elles ne le veulent pas, sauf celles qui n'ont pas été blessées. Celles qui n'ont pas été blessées, au bout de deux ou trois ans, ont tout de même la nostalgie de leur pays, de leur famille, et c'est bien normal. Nous les accompagnons jusqu'à ce qu'elles soient autonomes dans nos pays, c'est-à-dire que nous finançons entièrement leur suivi psychologique.

Toutes vivent dans des familles d'accueil et pas dans des foyers. Nous finançons leur résidence, mais nous avons des familles d'accueil qui font cela gratuitement aussi. Nous finançons leurs études. Elles viennent à des âges différents. Certaines peuvent encore aller à l'école, d'autres doivent suivre des cours. Elles apprennent ensuite des métiers. Nous les aidons à trouver un travail, un logement. Elles volent de leurs propres ailes et la plupart se marient.

Il arrive que cinq, sept ou huit ans plus tard, elles parviennent à faire un voyage très court dans leur pays. Disons que c'est un programme d'urgence. Ce n'est pas un programme que l'on peut faire à grande échelle, c'est évident. Comme nous travaillons sur place, et que nous voyons l'état dans lequel se trouvent ces jeunes filles, la souffrance dans laquelle elles vivent depuis leur enfance, parce que depuis toutes petites elles ont peur d'être tuées - cela commence très tôt -, il est impossible de ne pas agir.

Nous agissons. Pour le moment, c'est le travail que nous faisons. Nous travaillons aussi sur les mariages forcés en Suisse. Nous avons fait une étude exploratoire sur la prévalence des mariages forcés en Suisse. Il n'est pas tout à fait exact, contrairement à ce que nous disait Leïla ce matin, que la Suisse est plus en avance que la France sur les mariages forcés. Ce n'est tout de même pas très exact. La Suisse est très en retard. La Confédération commence timidement à travailler sur la thématique des mariages forcés. Elle a publié un décret selon lequel les mariages forcés vont être pris en compte. Officiellement, l'asile est accordé aux personnes qui subissent le mariage forcé ou qui sont victimes d'un crime d'honneur à l'étranger. Pour l'instant, deux cas seulement ont été acceptés. Il semble donc qu'on y aille très doucement. Il n'y a pas encore vraiment de service, de lieu, de centre d'accueil en Suisse pour recevoir ces jeunes filles. Il y a seulement un abri. (Applaudissements)

* 3 Le texte intégral de ces recommandations est reproduit en annexe.

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