DEUXIÈME TABLE RONDE - « QUELLE PRÉVENTION, QUELS REMÈDES ? »

Ouverture de la table ronde

Mme Christiane Kammermann, Sénateur, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes

Merci Madame la Présidente, nous allons continuer notre deuxième table ronde. J'en profite pour saluer mes collègues de la délégation aux droits des femmes, en particulier notre ami Alain Gournac qui en est vice-président, et la présidente de la commission des Affaires sociales, Muguette Dini. Je vous salue toutes. Naturellement, nous avons été très intéressés par cette première table ronde. Mme Michèle André vous a dit que nous vous soutenions. C'est la vérité. Nous, les politiques, nous vous apportons notre soutien.

Je voulais dire à cette dame qui a parlé de la nationalité française et qui n'arrivait pas à se faire reconnaître que, pour nous, lorsque vous êtes français ou française, vous l'êtes, même si vous avez une double nationalité. Il n'y a pour nous aucun problème, vous êtes français. Nous allons commencer par Mme Catherine Morbois à qui je laisse la parole maintenant.

LE COMBAT MENÉ PAR LES ASSOCIATIONS

Mme Catherine Morbois, « Les mariages forcés dans le cadre d'une prise en charge des violences envers les femmes, en partenariat avec les pouvoirs publics et les associations »

À ce moment de la matinée, je voudrais dire que ma position au sein de l'ensemble des communications se situe à l'interface de l'action des pouvoirs publics - puisque j'ai été déléguée régionale aux droits des femmes durant dix-sept ans en Île-de-France - et de celle des associations.

Mariages forcés, mariages contraints, mariages arrangés : une femme peut être la cible d'individus violents au sein de sa propre famille pour des motifs divers, comprenant notamment le refus d'être entraînée dans un mariage arrangé. Par ailleurs, la simple interprétation ou le seul soupçon, selon lequel son comportement aurait « déshonoré » sa famille, est suffisant pour enclencher un débordement de représailles, et le plus souvent de crimes dits d'honneur. Ces derniers seront abordés cet après-midi.

Les violences que représentent les mariages forcés s'inscrivent dans le continuum des violences faites aux femmes, continuum défini lors de la Conférence mondiale des femmes à Pékin en 1995.

Pour mémoire, je rappelle ce continuum de violences : harcèlement sexuel, viols, incestes et viols par ascendant ou personne ayant autorité, violences dans le couple, mariages forcés, violences exercées à l'encontre de leur mère par leurs enfants, adolescents ou adultes, harcèlement sexuel des femmes au travail, mutilations sexuelles féminines, proxénétisme et prostitution, exploitation sexuelle des enfants, pornographie, violences liées aux intégrismes religieux et/ou pratiques coutumières font partie de cet ensemble.

Ces violences concernent de très nombreuses femmes. Une mobilisation s'impose pour prévenir ces violences spécifiques. Il est important de dire et de redire que la loi française qualifie de viols les rapports sexuels non consentis. Ces rapports sexuels non consentis sont liés inéluctablement aux mariages forcés. Ils sont commis par violence, contrainte, menace ou surprise à l'encontre de victimes souvent encore mineures. Ils sont prémédités et mis en oeuvre avec la complicité d'adultes, et souvent même les propres parents des victimes, on l'a vu. Ces actes constituent des infractions criminelles aggravées.

Les violences ici évoquées ont un fondement commun : la domination sexiste, domination des hommes sur les femmes. En 1985, lors de la conférence de l'ONU à Nairobi, les États membres reconnaissaient déjà la caractéristique sexiste de la violence masculine exercée à l'encontre des femmes.

Dans la même perspective, la Déclaration de novembre 1993 sur l'élimination de la violence contre les femmes, déclaration adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies, précise : « La violence faite aux femmes désigne tout acte de violence fondé sur l'appartenance au sexe féminin, causant ou susceptible de causer aux femmes des dommages ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, et comprenant la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée » .

Il convient évidemment de faire la différence entre les déclarations officielles des gouvernements et la réalité observable dans les pays respectifs. Notre pays a défini explicitement en 1995 le cadre général de sa politique de prise en charge de répression et prévention de la violence masculine exercée contre les femmes. Les résistances furent nombreuses. L'une des plus fortes aujourd'hui encore consiste à ne pas reconnaître l'origine sexiste de la violence masculine ; bien plus, la pertinence de l'analyse féministe est encore trop souvent contestée, voire niée.

On s'en rend compte dans les actions de formation proposées aux intervenants des professions concernées. L'analyse individuelle intrapsychique est trop souvent présentée comme une approche pertinente au détriment de ce qui nous paraît fondamental, à savoir l'enracinement profond et structurel de la domination des hommes sur les femmes. Cette analyse individuelle dérange moins, ne serait-ce que parce qu'elle attribue les faits de violence à des comportements singuliers liés à des pathologies mentales ou sociales. On en conclut souvent que ces faits découlent du comportement de la victime. N'auraient-ils pas été, en quelque sorte, provoqués par la victime ? Celle-ci deviendrait dès lors responsable de la violence qu'on lui fait subir. L'approche féministe de prise en compte de la violence contre les femmes se situe dans une perspective plus large : historique et/ou sociologique, elle remet en cause la répartition des pouvoirs entre hommes et femmes.

De ce fait, la question de la violence contre les femmes doit être traitée par l'ensemble des institutions et des acteurs de la société. L'action contre la violence sexiste ne peut être circonscrite aux missions des professionnels de l'assistance aux personnes : l'organisation générale de la société et des rapports sociaux de sexes est en cause.

Diverses circulaires et autres plans triennaux encadrent l'action publique ; une feuille de route est rédigée pour chaque ministère, renforçant ainsi le partenariat interministériel. En 1989, alors que vous étiez en charge des droits des femmes, Madame la Ministre, vous avez organisé la première campagne publique contre les violences conjugales. Dans ce cadre, vous avez instauré des instances spécifiques qui doivent permettre aux pouvoirs publics de prendre en charge ce continuum des violences que j'ai évoqué en introduction.

C'est à cette époque, en effet, que sur l'ensemble du pays, au plan régional, se sont mises en place des commissions départementales d'action contre les violences faites aux femmes. Celles-ci sont désormais intégrées au Conseil départemental de prévention de la délinquance.

Ces commissions, je le rappelle, sont l'instrument de la mise en oeuvre de la politique de l'État dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes. Dans chaque département, elles réunissent des partenaires concernés. Elles s'organisent en sous-commissions thématiques de travail ; chacune est placée sous l'autorité de l'État, directement concernée par l'approche spécifique (police, justice, accompagnement social, etc.). Pilotée par la Direction des affaires sanitaires et sociales (DASS), une commission travaille sur la prévention des mutilations sexuelles et des mariages forcés.

En tout état de cause, concernant les mariages forcés, il s'agit maintenant de mobiliser un large partenariat. Il faut, en effet, accueillir, écouter les jeunes filles et les femmes. Il s'agit d'assurer leur sécurité, il s'agit tout simplement d'appliquer la loi, en donnant accès aux droits, aux soins médicaux et à l'aide psychologique.

En bref, répondre à leurs besoins fondamentaux : scolarisation, formation, travail, logement. Ceci ne peut être le fait d'une institution particulière ou d'un organisme isolé. Le partenariat s'impose : une réponse sociale doit être donnée aux divers plans du droit, de la loi, de la sanction, de l'aide aux victimes, de la condamnation des auteurs, des prises en charge et de la prévention.

À cet effet, les associations spécialisées sont des partenaires irremplaçables, tant auprès des jeunes et de leurs familles, qu'auprès des intervenants des différentes professions concernées. La qualité de ces associations, leurs compétences, leur inlassable solidarité ne doivent en rien dispenser les institutions des charges qui leur incombent. La détermination de ces associations doit entraîner celle des pouvoirs publics.

Il s'agit de promouvoir et d'appliquer des principes d'intervention clairs. Cinq d'entre eux me paraissent absolument fondamentaux : fonder l'action sur la loi qui réprime les actes de violence ; utiliser des dispositifs de protection des mineurs en danger ; exprimer une solidarité avec les personnes confrontées à ces violences ; attribuer explicitement la responsabilité de la violence aux auteurs des faits ; renforcer les capacités des jeunes filles à construire leur autonomie.

En conclusion, les pouvoirs publics de notre pays ont trop longtemps sous-estimé le poids des mariages arrangés et/ou forcés. Rendons hommage à l'action des associations spécialisées qui ont oeuvré dans ces domaines.

Je ne peux que me souvenir de la lourdeur du tabou et des réticences rencontrées, lorsqu'en 1992 la Délégation régionale aux droits des femmes que je dirigeais a mis en place, en Île-de-France, avec les associations spécialisées, la première campagne signée par l'État pour lutter contre les mutilations sexuelles féminines. Cela ne nous concernait pas, pensait-on. Erreur gravissime. Les chiffres issus d'enquêtes scientifiques prouvaient le contraire.

De même, depuis plusieurs années la prise en charge des mariages forcés devient heureusement une réalité. De façon analogue, s'agissant des crimes dits d'honneur, de quoi parle-t-on au juste ? Ils ne concernent pas seulement les « autres » pays. Il est grand temps de regarder de près ce dont il s'agit. On ne peut plus fuir la réalité.

Il est nécessaire que le crime dit d'honneur, qui sera approfondi cet après-midi, soit, à l'avenir, abordé ouvertement au sein de nos instances de concertation. Ne craignons pas d'aborder ce problème très concrètement. Restreindre cette notion de crime dit d'honneur à l'assassinat d'une femme, sur ordre de sa famille, par l'un de ses proches, ne suffit pas. Nos voisins hollandais vont plus loin : ils associent de nombreuses infractions délictuelles ou criminelles à la notion d'honneur. Nous sommes encore au début d'une réflexion qu'il est indispensable d'approfondir.

Avant de terminer mon intervention, je voudrais insister sur le fait qu'il est nécessaire que les pouvoirs publics se donnent les moyens dans ce domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes, comme dans tous les autres domaines qui contribuent à l'égalité entre les hommes et les femmes, de promouvoir une politique globale cohérente et coordonnée. Que soit donnée à ceux qui sont chargés de la promouvoir au plus près des réalités du terrain - je pense aux délégations aux droits des femmes à l'échelon des régions et des départements - une feuille de route claire, avec une visibilité de moyens avérés en personnels et en budgets.

Il semble bien que la réforme de l'administration engagée par la RGPP (Révision générale des politiques publiques) a fragilisé l'administration en charge des droits des femmes et de l'égalité, tant du point de vue de sa gouvernance que de ses moyens actuels et à venir. Cette journée arrive à point nommé. Merci à vous Mme Michèle André, un grand merci.

Mme Christiane Kammermann, vice-présidente

Mme Catherine Morbois, merci. Soyez sûre que ce message à Mme Michèle André lui sera transmis. Je suis tout à fait d'accord avec vous que l'ensemble des institutions doit traiter des violences envers les femmes. Vous avez parfaitement raison. J'ai été très touchée aussi que vous rappeliez que notre présidente a fait la première campagne publique quant aux violences faites aux femmes. Je vous en remercie Madame. Je suis sûre qu'à la fin de notre colloque vous aurez des questions. Je donne maintenant la parole à Mme Latifa Drif, membre de l'association départementale du planning familial de Montpellier.

Mme Latifa Drif, membre de l'association départementale du planning familial de Montpellier : « Le réseau jeunes filles confrontées aux violences et aux ruptures familiales : un outil pour lutter contre les mariages forcés »

Je travaille au Planning familial de Montpellier. Je vous propose de balayer les grandes lignes de notre démarche pour prévenir les mariages forcés. Il s'agit d'un réseau de professionnels qui a été initié en 2000, suite à une situation que nous avions appelée à l'époque « une épidémie de mariages forcés ».

Il s'agissait de plusieurs jeunes filles qui étaient venues demander de l'aide au planning familial pour échapper à un mariage. Nous n'avions d'autre solution que de leur proposer une écoute. Nous avons donc décidé d'interpeller les partenaires, associations et institutions, pour leur faire partager notre questionnement et parler de ce phénomène. Lors de cette première rencontre, tous les professionnels ont reconnu que la problématique existait et que les situations étaient loin d'être exceptionnelles.

Ce groupe intitulé « Réseau jeunes filles confrontées aux violences et aux ruptures familiales » a très vite été confronté à la situation des garçons. Pour travailler ensemble, puisque lors de la première rencontre il y avait eu une forte demande de réflexion collective, il fallait mettre en place un certain nombre d'outils, notamment la coordination et l'animation du groupe de travail, la communication à l'interne et à l'externe, la formation des membres du réseau par des intervenants extérieurs, et le dernier volet, l'évaluation qui, je l'espère, sera prochainement mise en place.

Pour construire ce travail ensemble et développer cette culture commune - parler de la même chose - notre approche se décline en trois volets :

- le premier est l'animation et le développement du réseau ;

- le second est la prévention, l'objectif principal du réseau ;

- le troisième volet est l'accompagnement et la prise en charge.

Premier volet : animation et développement du réseau

Pour ce qui est de l'animation et du développement du réseau, parler de la même chose, c'est élaborer des outils qui permettent, dans un premier temps, de quantifier les situations rencontrées. Nous avons élaboré une grille d'accueil, une fiche sur laquelle l'on recueille toutes les informations et même les solutions proposées dans le cadre de réunions qui sont généralement mensuelles et, au cours desquelles, il y a toujours des études de situation.

Nous avons aussi réalisé un guide, un annuaire, parce que nous nous sommes rendu compte que les partenaires se connaissaient mais ne connaissaient pas tout à fait les missions des institutions et des associations impliquées dans le réseau.

Enfin, nous avons organisé des séminaires et des journées de sensibilisation pour faire connaître la problématique et l'élargir à d'autres professionnels.

Nous avons écrit une charte en 2004 ou 2005, un document qui fait référence à notre cadre de travail en termes de méthodologie et d'éthique. Toujours dans le cadre de l'animation et du développement du réseau, nous avons fait appel à une étudiante pour analyser les récits de vie. Il s'agit d'un mémoire qui a été soutenu auprès de l'université de Montpellier, à partir des histoires de vie que nous avions recueillies à cette époque, afin d'avoir une définition, parler de la même chose. Cette définition s'inscrit complètement dans l'intervention très claire de Mme Catherine Morbois.

Il y a eu ensuite la question des familles, une question récurrente. Nous travaillons avec des personnes concernées. Nous étions des professionnels et, en même temps, il y avait les « familles auteures », des « familles marieuses », si je peux les appeler ainsi. Nous avons demandé à la même étudiante de réfléchir à la prévention des mariages forcés et, en même temps, à la prévention de la rupture familiale.

Ce travail a donné trois pistes. La première est l'élaboration de documents d'information. La seconde est de former les professionnels au sens large. Par professionnels, j'entends les travailleurs sociaux, l'Éducation nationale, les juristes, les magistrats, etc. Enfin, la troisième piste était de réfléchir à une forme de rencontre avec les familles. Cette question reste très compliquée, et nous n'avons pas réussi à le faire.

Deuxième volet : la prévention, objectif principal du réseau

Pour ce qui est de la prévention, nous avons mis en place des journées de sensibilisation auprès des professionnels et des journées de formation, de sensibilisation dans les établissements scolaires.

Nous avons aussi réalisé une première carte avec le soutien d'une étudiante en communication de l'université Paul-Valéry (Montpellier 3).

Enfin, nous avons mis en ligne un site Internet www.mariageforce.fr qui a été réalisé avec le soutien des jeunes concernés ou non, et des établissements scolaires.

Troisième volet : Accompagnement et prise en charge

Pour ce qui est de l'accompagnement et de la prise en charge, la difficulté majeure qui a été pointée, dès la mise en place du réseau, est la question de l'hébergement, fortement soulignée tout à l'heure, notamment par mon amie Justine Rocherieux du GAMS. La difficulté est d'avoir des hébergements, en particulier des hébergements d'urgence. Il existe, comme vous le savez, des places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale, des bons d'hôtels, des foyers de jeunes travailleurs, mais ces solutions ne sont pas complètement adaptées aux jeunes qui, généralement, n'ont pas d'autres problématiques que le projet de mariage auquel ils ou elles sont contraints.

Nous avons monté un dispositif « familles d'accueil ». En 2003, il y a eu un appel d'offres par la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) pour une action innovante. Nous avons répondu à l'appel à projets, lequel a été accepté. Nous avons institué au sein du réseau (professionnels, institutions et associations) un comité de pilotage et un comité technique qui ont permis d'élaborer le document de travail et le protocole pour construire le dispositif « familles d'accueil », les recruter et permettre l'accueil et l'accompagnement des jeunes, victimes ou menacés de mariages forcés.

Évidemment, l'hébergement en famille d'accueil est une solution alternative à ce qui existe. Elle permet de sécuriser la personne et d'agir sur l'estime de soi. Je signale que ce dispositif a trois objectifs : la mise en sécurité, favoriser l'accompagnement social pendant la durée de l'accueil, ainsi que cela a été signalé tout à l'heure et, en même temps, travailler l'autonomie de la personne.

Concrètement, comment cela marche-t-il ? Le planning pilote le groupe de travail. Il est en lien avec les professionnels et s'occupe de la communication. Depuis 2007, pour pérenniser le dispositif « familles d'accueil » qui venait d'être évalué de manière très positive d'ailleurs, un membre du réseau, une maison d'enfants qui s'appelle « l'Abri languedocien », a repris le flambeau pour coordonner le dispositif « familles d'accueil » et l'accompagnement.

Comme vous pouvez le constater, il y a une espèce de cercle de réseaux, comme son nom l'indique, qui fait que les professionnels travaillent ensemble autour d'un objet commun, qui est la personne victime ou menacée de mariage forcé.

Pour la prise en charge, vous voyez qu'il s'agit de l'intervention pluridisciplinaire qui a été fortement soulignée par Mme Catherine Morbois :

- l'arrivée de la personne auprès d'une structure membre du réseau ou non ;

- l'accompagnement dans le projet : l'accompagnement juridique et l'information juridique sont importants. Nous avons constaté que beaucoup de professionnels et de jeunes ne connaissent pas le droit ;

- des aides financières, éventuellement ;

- la proposition d'un accompagnement psychologique, puisque dans le réseau il y a des structures avec des psychologues. L'écoute et le soutien nous semblent bien sûr le pilier fondamental pour l'accompagnement des jeunes dans cette situation ;

- la régularisation des papiers administratifs lorsque les jeunes viennent de loin : la sécurité sociale, la domiciliation, etc.

Quelques chiffres

Depuis que nous avons notre grille, donc depuis 2001, nous avons traité 550 situations, dont une dizaine de garçons en situation de prostitution repérés essentiellement par les partenaires, des membres du réseau comme l'Amicale du Nid et Angel, l'Association des nouveaux gays et lesbiennes.

En 2009, nous avons eu connaissance de 45 situations dont 10 par courriers électroniques ; 2 situations parmi les 45 concernent des femmes sans papiers, dont une a fui l'Algérie pour échapper à un mariage forcé ; une seconde qui, elle-même, a été victime de mariage forcé en Algérie, mais qui a fui parce que sa fille devait être mariée de force. Nous avons noté tous les témoignages aussi bien auprès des professionnels qu'auprès des jeunes que nous rencontrons dans le cadre des interventions et des questions de prévention du Planning familial.

En 2010, nous avons eu 9 situations depuis janvier, dont 3 concernent des mineures. On voit bien que les parents peuvent contourner la question de la loi, même si l'âge légal du mariage a été relevé à dix-huit ans.

C'est une démarche partagée. Des initiatives ont été lancées dans d'autres départements, en particulier par les associations départementales du Planning familial. Je cite notamment Grenoble, Lézignan-Corbières, Blois et récemment Montauban. Par ailleurs, le Planning familial confédéral a récemment obtenu des financements pour développer une action nationale de prévention qui va se décliner en région par des colloques, de la formation des professionnels et par une campagne de prévention.

En conclusion, le mariage forcé est une problématique complexe, qui fait intervenir obligatoirement un champ pluridisciplinaire et qui permet d'être un levier pour prendre en charge et prévenir aussi bien les personnes qui sont concernées, mais aussi les professionnels qui sont interpelés par cette question.

Le dernier outil est une affiche 1 ( * ) . Nous avons voulu rester dans la continuité et l'esprit du site Internet. A droite, vous avez une petite plaquette d'information, format carte bancaire. Cette idée vient des jeunes qui souhaitaient avoir une carte facilement utilisable, qu'ils pouvaient avoir cachée et qu'ils pouvaient distribuer dans leur entourage.

Nous avons lancé notre site fin 2008, auquel ont contribué trois lycées et beaucoup de jeunes qui viennent en consultation au Planning familial. Il inclut une foire aux questions qui a été complètement puisée dans les situations et les récits de vie. Il y a une page sur des aspects juridiques, des témoignages audio de jeunes que nous avons rencontrés, des adresses de partenaires en France. Je cite notamment le GAMS, « Voix de femmes », l'association ELELE, aujourd'hui la Fondation Surgir qui est présente dans la salle et d'autres associations comme en Allemagne, « Tatatya », ou encore « Terre des Femmes », « l'Unité contre les mariages forcés » en Grande-Bretagne.

Je suis allée très vite pour balayer un petit peu la charpente de notre démarche qui a pour premier objectif la prévention des mariages forcés.

(Applaudissements).

Mme Christiane Kammermann, vice-présidente

Merci Mme Drif, c'était également très intéressant. Vous nous avez dit que vous aviez traité 550 situations, dont celles de 8 garçons. Vous ne nous avez pas parlé des problèmes des garçons. Peut-être pourrez-vous le faire tout à l'heure, lorsqu'il y aura des questions. Pourriez-vous répéter l'adresse du site ? Il s'agit de www.mariageforce.fr .

Je vais donner la parole à Mme Christine Jama, qui est à côté de moi, juriste et directrice de l'Association « Voix de femmes ».

Mme Christine Jama, juriste et directrice de l'Association « Voix de femmes » : « Protection des victimes : droit commun et mesures spécifiques »

Je remercie le Sénat d'accueillir l'association « Voix de Femmes ». J'ai été très touchée en écoutant Karima tout à l'heure, parce que Nadia qui a fondé « Voix de femmes », lorsqu'elle avait dix-sept ans, s'était confiée à son assistante sociale scolaire qui l'avait crue au sujet des menaces qu'elle subissait à la maison. Malheureusement, le juge pour enfants auquel elle avait demandé une protection lui avait dit : « C'est ta culture, tu dois t'y soumettre » . Résultat : Nadia s'est retrouvée séquestrée six années en Algérie. Elle a eu la chance de revenir, mais ce n'est pas le cas de toutes les jeunes filles, puisque nous ne voyons que la partie visible de l'iceberg, celles qui se révoltent, celles qui reviennent.

Le mariage forcé, on l'a répété, est une violence faite aux femmes qui est intrinsèquement liée à la domination masculine. Nous recevons même des garçons français de souche qui vont épouser de force des jeunes filles « bien asiatiques », parce que soi-disant « bien soumises ». Nous avons découvert ainsi un réseau de mariages forcés de garçons toxicomanes qui étaient mariés à des jeunes filles asiatiques dans l'idée que cela allait les sortir de la toxicomanie. Certains garçons étaient aussi homosexuels et les parents pensaient que les marier de force avec des femmes allait les rendre hétérosexuels. C'est bien connu !

Tout cela se rattache à la question de la domination masculine, de la sexualité des femmes, de l'égalité et des droits des femmes. Dans ce contexte, comment s'assurer que les personnes exposées au mariage forcé seront considérées comme des femmes victimes de violences à part entière, qui ont besoin d'une protection, et non comme des jeunes filles en proie à un problème d'intégration ou d'ambivalence identitaire, comme je l'entends, hélas, trop souvent ?

L'ethnicisation, la préservation de la culture ou du lien sacré de la famille sont malheureusement encore des motifs ou même des alibis, et d'autant plus d'obstacles, dans un contexte français où le chemin vers l'émancipation n'est pas chose aisée, puisqu'il est mis à mal trop souvent par les réticences de certains professionnels à appliquer ou s'autoriser à appliquer la loi républicaine. Tandis que d'autres vont construire des outils de protection spécifiques innovants : le réseau de Montpellier en est un exemple ; tandis que le Conseil de l'Europe a préconisé, dans la dernière résolution de la Commission Égalité des chances entre les femmes et les hommes, en avril 2009, de construire des outils spécifiques pour corriger les inégalités dont sont victimes certaines femmes en proie au mariage forcé ou au crime d'honneur notamment.

J'espère que ces perspectives qui s'ouvrent aujourd'hui, grâce aux recommandations européennes et aux récentes évolutions législatives qui ont été votées par notre Assemblée nationale le 25 février dernier, vont s'appliquer en termes de protection. Je vais d'abord vous expliquer quelle est la législation de droit commun.

Les personnes en proie à un mariage forcé relèvent de la protection de l'enfance en danger et de la lutte contre les violences faites aux femmes, on l'a suffisamment répété. Depuis le 4 avril 2006, le viol conjugal a été légalement reconnu. Les conditions d'annulation d'un mariage non consenti ont été assouplies, et l'âge légal du mariage a été élevé à dix-huit ans pour les femmes. On était en retard sur le droit turc, sur le droit marocain, je tiens à le souligner. Encore faut-il que cet arsenal législatif soit appliqué sur le terrain !

Nous avons pu constater à « Voix de Femmes » que les réticences ne venaient pas toujours des corps de métiers que l'on imaginait. Je suis ravie de constater que les policiers et les gendarmes appliquent de plus en plus les lois contre les violences faites aux femmes et encouragent les jeunes femmes à porter plainte pour viol aggravé si elles sont mineures ou si le viol a été commis dans le cadre conjugal.

À l'inverse, certains corps de métiers, les éducateurs notamment, ne sont pas très clairs sur le caractère contraint du mariage forcé. Je peux vous donner un exemple. Nous avons reçu une jeune femme d'origine pakistanaise qui était menacée d'un mariage forcé. Elle avait demandé un soutien auprès d'un éducateur à qui elle s'était confiée, dans un tribunal. Quelques jours plus tard, sa mère, qui ne voulait pas entendre le refus de sa fille pour ce mariage forcé, a tenté de s'immoler devant la jeune fille. Vous pouvez imaginer la violence de l'acte, je ne trouve pas les mots pour le qualifier. La jeune fille se sentant coupable est retournée au tribunal pour dire que « tout était arrangé ». A l'approche des vacances, de l'été et du mariage forcé, la jeune fille était devenue majeure.

Lorsqu'elle est venue solliciter une protection dite jeune majeure auprès du tribunal, en expliquant que maintenant elle voulait partir et qu'elle y était prête, on la lui a refusée. Il est vrai qu'en France, dans beaucoup de départements, malheureusement, la protection de jeune majeure, alors que légalement rien n'oblige à avoir un suivi pendant la minorité, n'est accordée que si la jeune fille a déjà été protégée quand elle était mineure. Lorsque j'ai eu son éducateur au téléphone, il m'a répondu : « Elle n'aurait pas dû changer d'avis, et puis ces problèmes de choc des cultures et des civilisations, c'est complexe » .

Ce que disait Mme Michèle André reflète bien ce qu'on vit au quotidien sur le terrain. Combien d'assistantes sociales scolaires ne sont pas toujours soutenues par leur propre hiérarchie ou même par le juge lorsqu'elles demandent le placement d'une mineure, sans rencontrer au préalable la famille ! Ceci est encore possible dans les textes. Elles savent que, si jamais les parents sont informés, ils vont renvoyer les petites au pays encore plus vite.

J'ai eu trois situations depuis le mois de janvier d'assistantes sociales complètement désemparées parce qu'elles se sont fait avoir. Une d'entre elles a convoqué la famille pour voir un peu ce qui se passait. La famille a expliqué qu'elle avait tabassé sa fille parce qu'elle avait fumé dans la rue, mais que ce n'était qu'un acte isolé, juste un tabassage comme cela, un peu ponctuel. Il est vrai que fumer c'est très grave ! Résultat : la jeune fille, une collégienne de quinze ans, a été renvoyée en Tunisie.

Nous avons un autre problème lié à la territorialisation de la prise en charge. La territorialisation de la prise en charge implique que l'évaluation de la situation de danger de mariage forcé soit faite par une assistante sociale de la ville où résident les parents de la jeune fille. Les mineures en général habitent chez leurs parents. Cela pose un problème.

Je vais heureusement passer à la question des bonnes pratiques innovantes mises en oeuvre pour mieux appliquer le droit commun, ou carrément créer des dispositifs spécifiques.

À ce jour, sur le territoire français, seul le conseil général de Seine-Saint-Denis a assoupli cette règle, dans le cadre d'un protocole départemental de lutte contre le mariage forcé, comme Emmanuelle Piet vous l'a expliqué précédemment. Il est vraiment unique en France et permet à toute jeune femme d'être prise en charge par une assistante sociale de la ville où elle a trouvé refuge. Ce peut être chez une copine ou une tante qui est contre le mariage forcé. Ce n'est pas rien. Ce n'est pas un contournement de la loi, mais une simple adaptation de ce qui relève du domaine réglementaire. Ce n'est pas rien, quand on sait que lorsque l'évaluation est faite par les travailleurs sociaux du secteur où habitent les parents, certains éducateurs se sentent tout-puissants, ils font alliance avec la famille, au détriment de l'intérêt de la jeune fille.

Dans le cadre de ce protocole, les associations agissent en subsidiarité, ce qui signifie qu'en aucun cas, elles ne se substituent au droit commun. Il est vraiment important de le rappeler. Du coup, cela réinscrit les professionnels dans leurs missions complètement normales, je dirais. Quand on est en danger de mariage forcé, on est une mineure en danger ou une femme en danger, et pas autre chose. Cela permet aux associations d'être mobilisées. C'est un gain de temps aussi pour les victimes, car elles ne sont pas obligées de raconter leur histoire de multiples fois. En Seine-Saint-Denis, quand on est confronté à un mariage forcé, cela parle, au travers des travailleurs sociaux auxquels on se confie et qui sont formés. C'est un gain de temps aussi pour nous, qui sommes très sollicités. Nous devons agir sur des mesures de protection très spécifiques, pour lesquelles on nous contacte en dernier recours.

Je vais aborder la question des difficultés des personnes que nous recevons, qui sont en lien direct avec un risque de renvoi forcé au pays. Les jeunes filles sont fréquemment mariées de force au pays d'origine des parents. Certaines subissent, avant le mariage forcé, des mesures de « redressement » qui vont de l'avortement forcé, si elles ont eu un enfant hors mariage, à plusieurs mois de séquestration. Si elles ne reviennent pas vraiment dans le droit chemin, si elles ne se soumettent pas, on les marie de force. C'est un viol. Chantal Brunel, qui est députée, a bien rappelé à l'Assemblée nationale, le 25 février dernier que c'était un viol officialisé. Et ces violences peuvent aller aussi jusqu'au crime d'honneur.

Le Conseil de l'Europe a vraiment invité, dans sa résolution du 28 avril 2009, les États membres à prendre modèle sur des dispositifs de protection spécifiques existants et à s'appuyer sur le régime anglais. Il existe en Angleterre, depuis 2005, un dispositif nommé FMU ( Forced Marriage Unit ) qui assure une protection spécifique : changement d'identité et rapatriement.

Nous avons tout à gagner à suivre l'exemple anglais, et croyez-moi, le pragmatisme britannique est loin d'être un cliché, car le gouvernement britannique n'a pas attendu d'avoir des statistiques pour agir. Je ne dis pas qu'il ne faut pas de statistiques en France. On fonctionne différemment, mais je pense qu'on peut agir sans attendre d'en disposer.

Comme me l'a si justement rappelé le directeur consulaire de la FMU que j'ai rencontré dans un colloque international sur le mariage forcé au Canada, ils ont estimé qu'il n'y avait pas lieu de continuer à s'interroger pendant dix ans sur le fait de distinguer s'il s'agit de mariage forcé ou arrangé. Ils ont mis en place ce dispositif. Croyez-moi, il est très efficace. Il nous a permis, en juin dernier, de localiser une collégienne française d'origine sri-lankaise, séquestrée à Londres pour un petit stage de redressement chez une tante, avant d'être envoyée au Canada où elle devait épouser son cousin germain.

Peut-on envisager une FMU anglaise à la française ? « Voix de Femmes » a réalisé une étude de faisabilité, à la demande du ministère de l'Immigration, d'un projet qui s'appelle « cellule d'alerte, de veille et d'intervention », qui se propose de résoudre trois difficultés majeures :

- le signalement du retrait de l'école ou les déscolarisations de jeunes filles, car c'est majoritairement, au moment de la déscolarisation, que l'on marie de force ;

- la mise en oeuvre des rapatriements, évidemment en partenariat avec le Bureau de la protection des mineurs et de la famille, qui est représenté aujourd'hui. Je suis ravie de vous revoir Mme Serre. Nous communiquons plus souvent par téléphone que nous ne nous rencontrons dans les colloques ;

- les interdictions de sorties de territoire.

Je vais conclure par les préconisations législatives. Au regard des avancées votées par l'Assemblée Nationale le 25 février dernier, on a obtenu le rapatriement des Françaises et des jeunes femmes résidant habituellement en France. Nous avons également obtenu l'interdiction de sortie du territoire pour les mineures et les majeures, ce qui n'était pas gagné d'avance.

Protéger une victime - c'est le sujet de mon intervention - c'est aussi lui permettre d'exercer le droit de porter plainte. L'Assemblée Nationale a voté des circonstances aggravantes, en cas de contraintes matrimoniales pour les infractions suivantes : violences, actes de tortures et de barbarie et meurtre. C'est un progrès indéniable, mais il nous paraît insuffisant. Pourquoi ? Il est très regrettable que les infractions d'enlèvement, de séquestration, de viol et d'assassinat n'aient pas été prises en compte. C'est d'autant plus regrettable que l'article 113-7 du nouveau code de procédure pénale exige l'une des trois conditions suivantes : soit la victime ou soit l'auteur présumé est Français, ou encore l'infraction a été commise sur le territoire français.

Je suis un nombre important de petits couples indiens, pakistanais ou albanais qui sont en proie à des crimes d'honneur, y compris les garçons. Leurs familles leur disent clairement qu'ils vont les tuer au pays d'origine. Ce sont des populations qui ne sont pas encore françaises et, de ce fait, on ne peut pas sanctionner les parents. C'est la raison pour laquelle j'espère que ces amendements seront votés pour élargir ces dérogations législatives. On l'a fait pour l'excision, qu'on le fasse pour les infractions d'enlèvement, de séquestration, de viol - le mariage forcé est un viol - et d'assassinat, car le crime d'honneur est un assassinat, et rien d'autre.

Mme Christiane Kammermann, vice-présidente

Merci. Je regrette de vous bousculer un petit peu, mais il y a d'autres intervenants. Nous allons passer maintenant à l'action des pouvoirs publics avec Mme Clémentine Blanc du ministère de la Justice, magistrate, adjointe au chef du Bureau des droits des personnes et de la famille à la Direction des Affaires civiles et du Sceau. Mme Clémentine Blanc, je vous donne la parole.

* 1 Cette affiche ainsi que la plaquette d'information sont reproduites en annexe.

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