2. Les limites apportées à l'action de groupe


• L'application des principes généraux de la responsabilité civile

Le groupe de travail est convaincu que créer la procédure d'action de groupe comme une procédure d'exception n'est pas le bon moyen de se prémunir contre les dérives auxquelles elle pourrait donner lieu. Bien au contraire, les principes qui régissent le droit français de la responsabilité civile, tels qu'ils ont été précisés par le juge judicaire, sont autant de garanties contre les actions excessives ou infondées.

En matière délictuelle, il s'agit notamment, des exigences relatives au fait générateur du dommage, au caractère certain, direct et personnel du préjudice subi, au lien de causalité entre le dommage et la faute, aux causes exonératoires de responsabilité et au principe de la réparation intégrale. En matière contractuelle, il s'agit, entre autres, des règles relatives aux différentes obligations d'information, de sécurité, de moyen ou de résultats, des limitations contractuelles ou légales de responsabilité, de la double condition d'une inexécution contractuelle et d'un dommage pour ouvrir droit à réparation, ou encore de la force majeure et du fait du co-contractant.

Cette recommandation aurait aussi pour conséquence que, lorsque des régimes spéciaux d'indemnisation existent pour des préjudices qui pourraient donner lieu à une action de groupe, les procédures spéciales qu'ils mettent en oeuvre s'appliquent de manière exclusive. Ainsi, l'indemnisation des déposants en cas d'indisponibilité de leurs dépôts relèverait du fonds de garantie des dépôts prévu aux articles L. 312-4 et suivants du code monétaire et financier et ne pourrait donner lieu à une action de groupe.

Plusieurs des personnes entendues par vos rapporteurs ont souligné l'intérêt qui s'attache à ce que les principes généraux de la responsabilité civile s'appliquent, dans la mesure du possible, à l'action de groupe. Telle a été la position exprimée notamment par M. le professeur Serge Guinchard et Mme le professeur Véronique Magnier, par les représentants du syndicat de la magistrature, de force ouvrière-magistrats, et de l'association nationale des juges d'instance, ainsi que par l'association française des entreprises privées.

Recommandation n° 2 - Recourir aux principes généraux de la responsabilité civile relatifs à la détermination des victimes indemnisables, au fait générateur, au lien de causalité ou à la réparation intégrale du préjudice.


• La nature du préjudice allégué

L'action de groupe présente cependant des spécificités qui justifient de prévoir des exceptions aux règles de la responsabilité civile. En particulier, parce qu'elle agglomère des préjudices individuels identiques, qu'elle traite de manière collective, elle n'est pas adaptée au traitement des dommages qui requièrent une évaluation individuelle précise.

Or, comme l'a indiqué Mme Pascale Fombeur, alors directeur des affaires civiles et du sceau, les préjudices moraux et les préjudices corporels sont par nature insusceptibles de faire l'objet d'un traitement collectif. Leur indemnisation relève nécessairement d'une démarche individuelle, qui prend en compte la situation personnelle de la victime et qui n'est pas transposable à une autre victime, quand bien même la même cause serait à l'origine de leur dommage respectif.

Plusieurs intervenants ont marqué leur désaccord avec cette position. Les représentants de l'association nationale des juges d'instance ont considéré que limiter l'accès à l'action de groupe en fonction de la nature du préjudice subi créerait des inégalités injustifiées. Les représentants du syndicat de la magistrature et ceux des avocats ont pour leur part fait valoir que l'évaluation individuelle du préjudice pourrait intervenir dans la seconde phase de la procédure. Mme le professeur Véronique Magnier a quant à elle observé que, le cas échéant, pourrait être laissé à l'appréciation du juge le soin de déterminer si le caractère très personnel ou non des préjudices corporels allégués interdit ou pas la conduite de l'action de groupe.

Cependant, la grande majorité des personnes entendues par vos rapporteurs, s'est prononcée contre la réparation des préjudices corporels ou moraux par la voie de l'action de groupe.

Le groupe de travail juge les arguments présentés tout à fait fondés : l'action de groupe n'est pas adaptée à la réparation des dommages moraux ou corporels. Son champ naturel est celui de la consommation, où les mêmes manquements ou infractions causent des préjudices économiques identiques, susceptibles de donner lieu à une indemnisation standardisée. L'appliquer à autre chose que des préjudices matériels, serait courir le risque de la dénaturer et de lui faire perdre toute pertinence, en rallongeant considérablement la durée de la procédure engagée, en raison de la nécessaire évaluation individuelle par le juge de chacun des préjudices subis par les individus victimes.


• Le montant du préjudice allégué

Deux arguments ont été présentés au cours des auditions pour justifier que l'action de groupe soit circonscrite à la réparation des préjudices inférieurs à un certain montant.

Limiter le montant de préjudice dont les justiciables pourraient obtenir réparation par une action de groupe présenterait tout d'abord le mérite de limiter le risque financier auquel les entreprises seraient exposées.

En outre, l'action de groupe n'aurait de sens que pour des préjudices de faible montant. En effet, elle a pour objet de fournir un recours collectif efficace aux victimes qui s'abstiennent d'agir individuellement, en raison du rapport défavorable entre le coût ou la durée de la procédure et le gain escompté. Au-delà d'un certain montant, l'action individuelle redevient attractive : le maintien d'une action de groupe ne se justifierait plus.

La confédération générale des petites et moyennes entreprises et M. Jacques Degrandi, président du tribunal de grande instance de Paris, ont proposé de fixer ce montant à 4 000 euros, ce qui correspond au seuil à partir duquel le tribunal d'instance devient compétent à la place de la juridiction de proximité. Sans proposer de montant, le mouvement des entreprises de France, a pour sa part évalué à 1 500 euros la valeur moyenne des litiges de consommation. Dans son exposé des motifs, le projet de loi en faveur des consommateurs 59 ( * ) , déposé par M. Thierry Breton, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, retenait quant à lui le seuil de 2.000 euros.

Plusieurs intervenants ont marqué leur opposition avec cette proposition de limitation, principalement défendue par les représentants des entreprises ou des professionnels. Les représentants des avocats et l'association nationale des juges d'instance se sont inquiétés de la restriction qui serait ainsi apportée à l'accès à la nouvelle voie de droit créée et à l'inégalité qui en résulterait entre les justiciables. M. le professeur Serge Guinchard a exprimé ses réserves sur la conformité à la Constitution d'une telle limitation en raison du traitement différencié qu'elle entraînerait entre les victimes selon l'ampleur de leur dommage.

Sensibles à ces objections sur les inévitables effets pervers des seuils que l'on crée, vos rapporteurs jugent eux aussi la limitation proposée inopportune.

En effet, l'action de groupe n'a pas uniquement pour vocation de remédier à l'absence effective de réparation pour les préjudices de faible valeur : elle vise aussi, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et de la célérité des procédures, à réunir en une seule action l'ensemble des demandes individuelles de réparation ayant pour origine le même fait générateur. En outre, l'action de groupe présente des avantages certains pour le justiciable : elle lui permet d'être assisté dans la conduite de son action, en diminue le coût et facilite la démonstration judiciaire du préjudice subi et de la faute commise par le professionnel.

Enfin, la limitation de l'action de groupe aux seuls dommages matériels, permet d'ores et déjà de diminuer le risque financier auquel les entreprises sont exposées, puisque les préjudices corporels, qui sont susceptibles de recevoir l'indemnisation la plus élevée, se trouvent exclus du champ de cette procédure.

Recommandation n° 3 - Limiter le recours à la procédure d'action de groupe aux seuls dommages matériels , sans plafonner leur montant.


• Le juge compétent

Le champ ouvert à l'action de groupe, étant, avec le droit de la consommation et, de manière annexe, le droit de la concurrence et le droit financier, celui du droit privé, le groupe de travail préconise de réserver cette procédure aux seules actions susceptibles de relever de la compétence du juge judiciaire.

Le contentieux qui relève du juge administratif, et notamment celui relatif aux services publics administratifs serait ainsi laissé de côté. M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, lors d'une audition devant la commission des lois du Sénat, a d'ailleurs indiqué qu'une réflexion propre à la juridiction administrative était en cours au Conseil d'État sur l'instauration d'une action collective spécifique en contentieux administratif pour traiter les nombreux litiges sériels auxquels elle est confrontée comme en matière fiscale ou de contentieux de la fonction publique 60 ( * ) .

Recommandation n° 4 - Réserver la procédure d'action de groupe aux actions relevant de la compétence du juge judiciaire .

* 59 Projet de loi en faveur des consommateurs, déposé le 8 novembre 2006 à l'Assemblée nationale, (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature).

* 60 Audition de la commission des lois du Sénat du mercredi 2 avril 2008, consultable sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/bulletin/20080331/lois.html#toc5 .

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