II. LE MODE DE SCRUTIN ENVISAGÉ POUR L'ÉLECTION DES CONSEILLERS TERRITORIAUX : CHRONIQUE D'UNE RÉGRESSION ANNONCÉE DE LA PARITÉ

Le projet de loi n° 61 relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, qui regroupait initialement l'ensemble du volet électoral de la réforme territoriale, comporte deux séries de dispositions :

- des dispositions relatives au mode de scrutin des conseillers territoriaux ;

- des dispositions relatives à l'élection des conseillers municipaux et à celle des délégués communautaires.

En proposant de ramener de 3 500 à 500 habitants le seuil de population à partir duquel les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste et en procédant à l'élection directe par « fléchage » des délégués communautaires, le projet de loi n° 61 devrait favoriser l'accès des femmes aux mandats électifs dans les petites communes, ainsi que dans les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale.

La proportion des femmes élues dans les conseils municipaux des petites communes, actuellement de 32 % pourrait ainsi se rapprocher du niveau de 48,5 % atteint dans les conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants.

De la même façon, l'élection au suffrage universel direct des délégués des communes de 500 habitants et plus au sein des organes délibérants des communautés de communes, des communautés urbaines, des communautés d'agglomération et des métropoles, simultanément avec celle des conseillers municipaux, avec application de la représentation proportionnelle, et de la contrainte paritaire, devrait permettre un renforcement de la place des femmes dans la composition des organes délibérants de ces EPCI. Actuellement assez réduite, celle-ci varie entre 8 % pour les EPCI à fiscalité propre de moins de 5 000 habitants et 5 % pour les EPCI à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants. De la même manière, la part des femmes présidentes est plus élevée dans les communautés de communes (7,27 %) que dans les communautés d'agglomération (6,3 %) et les communautés urbaines (6,25 %) (Travaux de l'AdCD, Assemblée des communautés de France cités dans la note de l'observatoire de la parité « Réforme des collectivités territoriales : effets induits sur la parité des projets de loi n° 61 et 62 », et dans le rapport (n°2512) de M. Bruno Le Roux au nom de la commission des Lois constitutionnelles).

Les dernières élections municipales n'ont permis qu'une modeste progression de la proportion des femmes dans les EPCI. Le nombre de femmes présidentes des communautés d'agglomération ou des communautés urbaines est passé de 7 à 12 sur un total de 190 présidentes.

Ces avancées , certes non négligeables et régulièrement mises en avant par le Gouvernement, ne sauraient en aucun cas contrebalancer ni occulter la sévère régression que les modes de scrutin successivement proposés pour l'élection des conseillers territoriaux provoqueront inévitablement.

En privilégiant successivement pour l'élection des conseillers territoriaux, un mode de scrutin mixte reposant pour 80 % des sièges sur un scrutin majoritaire à un tour, puis un retour au scrutin majoritaire à deux tours pour l'ensemble des sièges, comparable à celui des actuels conseillers généraux, le Gouvernement a sacrifié l'objectif de parité à d'autres considérations politiques et électorales.

Votre délégation ne peut accepter ce choix qui traduit à l'égard du principe constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques, une désinvolture qui contraste avec le souci constant manifesté au contraire par les travaux du « comité pour la réforme des collectivités locales » , présidé par M. Edouard Balladur, ancien Premier ministre.

A. LES HYPOTHÈSES ENVISAGÉES PAR LE COMITÉ BALLADUR : LE SOUCI DE FAVORISER LA PARITÉ

Dans son rapport au Président de la République, le comité pour la réforme des collectivités locales avait proposé que « les conseillers régionaux et les conseillers généraux, qui seraient renommés conseillers départementaux afin de dissiper toute ambiguïté, soient désignés en même temps et selon le même mode de scrutin ».

Le Gouvernement a retenu cette proposition dans son projet de réforme territoriale, mais il n'a pas tenu compte des recommandations formulées par le comité en matière de mode de scrutin.

Le comité avait commencé par écarter l'application d'un mode de scrutin uninominal pour les élections départementales, car il estimait que celui-ci aurait pour conséquence que « chacun des conseillers départementaux ainsi élu, et non pas seulement une partie d'entre eux, siègerait également au conseil régional » et que cela « conduirait soit à multiplier par 2,3 en moyenne le nombre de conseillers régionaux, soit à diviser par le même facteur le nombre de conseillers départementaux ». Il en concluait : « Aucune de ces deux perspectives n'apparaît crédible » 31 ( * ) .

Le comité avait également envisagé, pour finalement l'écarter, l'option d'un système mixte , « qui verrait les zones rurales conserver des cantons mais redécoupés, et les zones urbaines - où le canton n'a plus de signification - voter selon un scrutin proportionnel de liste 32 ( * ) ». Ce mode de scrutin, grâce à cette part de proportionnelle, aurait permis de prendre en compte, au moins en partie, les exigences de parité et de représentation des différents courants de pensée. Le comité n'a cependant pas retenu ce mode de scrutin qu'il a jugé « mal assuré au regard des exigences constitutionnelles, compte tenu des incertitudes qui pèsent sur toute forme de mixité du scrutin au regard du principe d'égalité, mais aussi de la difficulté qu'il y aurait à définir les critères objectifs selon lesquels les zones rurales seraient distinguées des zones urbaines et à fixer les procédures permettant de vérifier que ces critères demeurent valides ».

Au cours des auditions conduites par votre délégation, il a cependant été relevé que les formes de scrutin mixte n'étaient pas étrangères à nos institutions, puisque le mode de scrutin utilisé pour les élections sénatoriales s'y rattache à l'évidence. Certains membres de la délégation sont en revanche convenus que la multiplication dans certains départements de cantons dits « rurbains » pourrait en effet rendre délicate la summa divisio entre cantons urbains et cantons ruraux.

Le comité Balladur a retenu un mode de scrutin inspiré du scrutin dit « à fléchage » en vigueur à Paris, Lyon et Marseille pour la désignation des membres du Conseil municipal de ces trois villes : un scrutin de liste proportionnel à deux tours assorti d'une prime majoritaire, dans lequel les listes présentées le même jour aux suffrages des électeurs comporteraient autant de candidats que de sièges à pouvoir dans les conseils départementaux. Le comité proposait que les premiers de liste soient, dans une proportion à déterminer en fonction de la population, désignés pour siéger au conseil régional et au conseil départemental, tandis que les suivants de liste siégeraient exclusivement au conseil départemental.

Parmi les raisons qui plaidaient en faveur de ce mode de scrutin, le comité Balladur soulignait que « comme tous les scrutins de liste, le mode de désignation aurait également pour effet, tout en assurant la représentation de tous les courants de pensée, d'étendre aux départements le champ de la parité entre élus des deux sexes, ce que ne favorise pas, on le constate, le scrutin majoritaire uninominal ».

La délégation aux droits des femmes partage pleinement ce constat opéré par le comité Balladur quant aux effets négatifs pour la parité du scrutin majoritaire uninominal.

Elle regrette d'autant plus fortement que le Gouvernement ait cependant privilégié ce mode de scrutin , tant dans le scrutin mixte initialement proposé, où le recours au scrutin uninominal était tempéré à la marge par une petite dose de scrutin de liste proportionnel, que dans le retour pur et simple au scrutin majoritaire à deux tours adopté début juin par l'Assemblée nationale.

* 31 « Il est temps de décider » Rapport au Président de la République. Comité pour la réforme des collectivités territoriales p. 70-71.

* 32 Idem p. 71

Page mise à jour le

Partager cette page