INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le relevé de conclusions du Comité interministériel de la coopération et du développement du 5 juin 2009 indiquait que « la France élaborera en 2010 un document-cadre pour sa politique de coopération et de développement après une large concertation ».

Le Gouvernement a choisi -et nous nous en félicitons- un mode de consultation qui est allé au-delà des administrations et des opérateurs publics impliqués dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la coopération gouvernementale.

Cette concertation s'est traduite, dans un premier temps, par la création d'un groupe de travail incluant des représentants des administrations en charge des questions de développement, des collectivités territoriales, des organisations non gouvernementales, du monde de la recherche, des partenaires sociaux, des entreprises, ainsi que des personnalités qualifiées, en France et à l'international.

Ce groupe de travail s'est réuni pendant 5 mois sous la direction de M. Serge Tomasi, directeur de l'économie globale et des stratégies de développement à la direction de la mondialisation du ministère des affaires étrangères.

Ce processus a été très exemplaire par son ouverture et par la qualité des documents transmis aux participants.

Cette consultation s'est traduite, dans un deuxième temps, par une consultation du Parlement.

Votre commission se félicite de cette initiative du ministre des affaires étrangères. Jusqu'à présent, ce type de document n'avait fait l'objet de consultations qu'au sein de l'exécutif. Dans le prolongement de la politique africaine de la France, la coopération a longtemps été une politique à laquelle le Parlement était peu associé.

Or l'implication accrue du Parlement en matière d'aide au développement répond d'abord à un impératif démocratique. Les sommes mobilisées et les enjeux en question rendent l'implication de la représentation nationale nécessaire. Elle s'inscrit, en outre, dans le cadre du renforcement des prérogatives du Parlement en matière de relations extérieures que la dernière réforme constitutionnelle a confirmé.

Cette évolution est aussi la conséquence directe de la place croissante que prennent les enjeux internationaux liés au sous-développement dans la vie quotidienne des Français. Ces derniers ont compris que le terrorisme ou la piraterie prenaient leur source dans des États en crises et des zones abandonnées du développement. Ils ont pu constater que les grandes pandémies naissaient dans les maillons faibles des systèmes de santé humaine et animale pour se propager dans nos pays.

Enfin, elle participe de la nécessité d'expliquer à nos concitoyens, à travers leurs représentants, les enjeux à long terme du sous-développement. Les Français doivent pouvoir comprendre qu'en favorisant le développement d'une Afrique qui atteindra 1,8 milliard d'habitants en 2050 ou en incitant les pays émergents à adopter un régime de croissance moins polluant, les pouvoirs publics contribuent aujourd'hui à dessiner le monde de demain.

La politique d'aide au développement est, avec notre diplomatie et notre défense, une des contributions essentielles de la France à un monde plus sûr.

Il est important que le Parlement soit associé à la définition de ses priorités. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères du Sénat a pris au sérieux cette consultation.

Elle a souhaité, avant de se prononcer sur l'avant-projet qui lui a été communiqué, recueillir l'avis de personnalités particulièrement qualifiées. Elle a organisé, conjointement avec la commission des finances, le 12 mai 2010, une table ronde sur ce sujet afin de recueillir l'avis éclairé de quatre experts :

- M. François Bourguignon, ancien chef économiste de la Banque mondiale et directeur de la Paris School of economics,

- M. Serge Michailof, consultant international, professeur à l'IEP, ancien directeur régional à la Banque mondiale, et auteur, en avril dernier, d'une somme sur ce sujet intitulée « Notre maison brûle au Sud »,

- M. Jean-Michel Severino, qui était jusqu'au 25 avril 2010 le directeur général de l'Agence française pour le développement et dont le dernier ouvrage « Le temps de l'Afrique » fera date.

- enfin, M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud, qui fédère l'ensemble des organisations non gouvernementales spécialisées dans l'aide au développement.

Le compte rendu de cette table ronde se trouve en annexe du présent rapport ainsi que celui de l'audition, le 26 mai 2010, du ministre des affaires étrangères et européennes venu présenter le projet de document-cadre devant les deux commissions.

Un premier pas vers une vraie implication du Parlement dans la définition de la politique de coopération a été acté. Comme de nombreux intervenants l'ont souligné lors de la table ronde, ce débat doit être une première étape vers l'adoption, à échéance régulière, par le Parlement, d'une loi d'orientation sur le développement, comme c'est le cas dans de nombreux pays d'Europe.

Pour l'heure, votre commission a souhaité examiner ce projet de document-cadre avant qu'il ne soit avalisé par le CICID. Elle en a approuvé les grandes orientations. Elle a souhaité en souligner les avancées et les lacunes afin d'apporter sa contribution à un document dont elle mesure l'importance.

Elle s'est prononcée sur la base d'un résumé du projet de document-cadre communiqué à ses membres le 12 mai et sur sa présentation par le ministre des affaires étrangères et européennes le 26 mai 2010. Ce document entré, depuis cette date, dans sa phase de rédaction finale, a nécessairement évolué, mais ces grandes lignes sont celles qui lui on été présentées.

I. UN DOCUMENT DE RÉFÉRENCE NÉCESSAIRE DANS UN ENVIRONNEMENT EN MUTATION

A. UNE COOPÉRATION À LA CROISÉE DES CHEMINS

L'objectif du document-cadre est de définir la stratégie française de coopération et de développement pour la décennie à venir.

Le manque de stratégie des pouvoirs publics dans ce domaine avait été souligné, à de nombreuses reprises, aussi bien par le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France que par l'examen de l'aide au développement de la France, par ses pairs, à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

Ainsi le Livre blanc du ministère des affaires étrangères et européennes soulignait, en 2008, que « l'aide publique au développement est une composante à part entière de la politique étrangère de la France, qui doit contribuer à ses grands objectifs : favoriser une mondialisation équilibrée, renforcer la paix et la sécurité en luttant contre la pauvreté et le sous-développement, appuyer nos stratégies d'influence. Les objectifs d'aide doivent être clarifiés et pleinement assumés, ce qui suppose un débat -à lancer- avec la représentation nationale et la société civile » 1 ( * ) .

L'examen de l'aide de la France par ses pairs à l'OCDE constate que « parmi les recommandations de l'examen de 2004 qui restent à mettre en oeuvre figurent en particulier celles qui requièrent une formalisation accrue des orientations stratégiques. Ainsi, une plus grande clarification des objectifs de l'aide et de la façon dont ils se déclinent en termes de stratégies géographiques et sectorielles, au plan bilatéral et multilatéral, serait nécessaire » 2 ( * ) .

Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 5 juin 2009, présidé par le Premier ministre, a donc pris acte de ce besoin en passant commande de ce document.

Cette tentative de définition d'une stratégie à moyen terme arrive au bon moment. Sa rédaction a pris place dans un contexte où les repères qui ont guidé la politique d'aide au développement pendant des décennies sont remis en cause par les évolutions économiques et géopolitiques.

Le parcours de plus en plus contrasté des pays du Sud, les échecs des politiques d'aide au développement dans de nombreux pays d'Afrique, la multiplication des objectifs assignés à l'aide au développement avec l'émergence des enjeux environnementaux, tous ces facteurs ont contribué à déstabiliser les politiques d'aide au développement.

La coopération française s'est cependant adaptée à ces changements de l'environnement international avec une grande rapidité.

Elle a investi des zones géographiques bien au-delà des anciennes colonies françaises. Elle a diversifié ses moyens d'intervention sous l'impulsion de l'Agence Française de Développement, adaptant l'assistance technique ou recourant plus volontiers à des instruments liés aux mécanismes des marchés. Elle a participé à la création de nombreux organismes ou fonds internationaux, comme le Fonds Sida ou la facilité internationale d'achat de médicaments financée par une taxe sur les billets d'avions. Elle a accru sa participation aux institutions multilatérales, jusqu'à devenir le deuxième bailleur de fonds multilatéraux au monde. Elle a réformé ses structures, comme en témoignent la disparition du ministère de la coopération et la création très significative d'une direction de la mondialisation, du développement et des partenariats au Quai d'Orsay.

Ces nouveaux défis, ces nouveaux instruments, ces nouveaux financements ont accru la complexité d'une politique en mal de repères. Si on ne prend que l'extension géographique de l'aide française, elle est telle qu'elle affecte sa lisibilité. La France intervient en effet auprès d'une centaine de pays et territoires, des pays les moins avancés jusqu'aux grandes économies émergentes telles que la Chine, l'Inde et le Brésil.

A cette complexité s'est ajoutée la perplexité des professionnels du secteur devant les résultats très contrastés des politiques menées depuis trente ans. Ni les succès, ni les échecs des pays du Sud ne semblent pouvoir s'expliquer par les modèles de développement successifs que beaucoup ont préconisés avec enthousiasme et dévouement.

A la perplexité des professionnels s'ajoute l'incompréhension croissante des citoyens. Comment expliquer en effet au grand public que l'on trouve parmi les six premiers pays d'intervention de l'aide française en 2008, la Chine, alors que ce pays est considéré aujourd'hui comme le géant de demain ? Comment faire adhérer les contribuables aux objectifs d'une politique qui n'est plus lisible et dont on souligne plus souvent les échecs et les dévoiements que les succès, dont on ne trouve, par ailleurs, les traces que dans des lignes statistiques rébarbatives ?

C'est à une politique publique déstabilisée que s'adresse le document-cadre. Ce document ne répondra pas à toutes les interrogations, mais doit fixer le cap d'une politique de coopération qui, selon l'expression figurant en introduction du document de travail communiqué à votre commission, « a perdu le Sud », sinon le Nord.

Il paraissait donc essentiel de lui redonner un sens politique et une cohérence globale en clarifiant les enjeux et objectifs stratégiques.

La préparation de ce document-cadre est d'autant plus utile qu'elle est concomitante avec deux autres exercices importants : d'une part, la définition de la stratégie française à l'égard de la Banque mondiale et à l'égard de la politique européenne de coopération, et la préparation du prochain triennum budgétaire (2011-2013), d'autre part. Ces démarches doivent être développées de façon articulée afin d'assurer leur cohérence.

* 1 Page 54, Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France 2008-2020, La France et l'Europe dans le monde sous la présidence d'Alain Juppé et de Louis Schweitzer

* 2 Page 25, Comité d'aide au développement (CAD) - examen par les pairs de la France, OCDE, 2008

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