4. Les pays en crise

Le document-cadre transmis à la commission était relativement elliptique sur cet objectif. Il distingue trois zones prioritaires : la région sahélo-saharienne, le Moyen-Orient, l'Afghanistan et le Pakistan.

L'histoire du Sud de la planète n'est pas avare en exemple de processus de dislocation des Etats, qui sont à la fois la cause et la conséquence du sous-développement qu'accompagnent souvent de violents conflits. On pense au Cambodge en 1979, au Congo, à l'Afghanistan de 2001, à Haïti ou à la Somalie encore aujourd'hui.

Malheureusement, d'autres pourraient advenir au Moyen-Orient comme au Yémen 15 ( * ) , en Afrique dans la corne de ce continent, ou encore en Asie au Népal ou au Kirghizistan. La France doit donc être en mesure d'apporter des réponses autres que militaires.

Les situations de crise appellent des capacités de réaction rapide non seulement sur le plan humanitaire et sécuritaire, mais également en matière de développement comme votre commission a pu le constater en Afghanistan 16 ( * ) .

La situation en Afghanistan en 2007 illustre, en effet, cette difficulté. Alors que la France est un des pays de l'OTAN les plus impliqués militairement aux côtés des forces américaines, notre contribution au développement civil dans ce pays est très en deçà des autres comme en témoignent les chiffres de décaissement de l'aide publique du Comité d'aide au développement de l'OCDE pour l'année 2007 ; aide française : 2 millions de dollars, Canada : 240 millions de dollars, Grande-Bretagne : 171 millions de dollars, Pays-Bas : 55 millions de dollars. Lors de la table ronde, M. Serge Michaïlof a ainsi souligné que la France « n'a jamais pu mobiliser les ressources financières en subventions qui lui auraient permis d'influer sur les politiques d'aide de la communauté internationale en Afghanistan ».

Or l'amélioration du quotidien des afghans est incontestablement un enjeu majeur qui peut déterminer le sort de ce conflit comme l'a souligné devant la commission des affaires étrangères le général Stanley A. McChrystal, commandant de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), sur la situation en Afghanistan 17 ( * ) .

Nous manquons incontestablement de moyens pour répondre en temps et en volume à certaines de ces crises, et les redéploiements de crédits qui ont permis jusqu'à présent d'y répondre déstabilisent d'autres pans de notre coopération. Pour cette raison, votre commission estime qu'il nous faut concrétiser l'idée de constituer un fonds post-crise dédié à ces situations.

Au-delà des moyens, la mise en place de coopération pour le développement dans des pays en sortie de crise exige un savoir-faire qu'il convient de développer. Comme le souligne Serge Michaïlof dans son dernier ouvrage « Notre maison brûle au sud 18 ( * ) », l'aide au développement est aujourd'hui la moins efficace là où il y en a le plus besoin. Les études d'impact semblent montrer que l'aide au développement a un effet d'autant plus significatif que le pays partenaire mène des politiques publiques de qualité. C'est pourquoi dans les pays en crise, les méthodes traditionnellement utilisées doivent être adaptées à des situations où les pouvoirs publics sont incapables de mener des politiques publiques ambitieuses.

La préoccupation d'atténuer les difficultés des pays en sortie de crise ne doit par ailleurs pas déformer sur le long terme les priorités de l'aide au développement qui s'adresse à tous les pays les plus dépourvus. La volonté d'aider les pays en crise ayant un intérêt géostratégique est certes justifiée, mais elle peut conduire à une répartition de l'aide peu cohérente au regard d'objectifs de long terme.

En 2007, le premier bénéficiaire de l'aide publique au développement en termes absolus était l'Irak, qui a reçu deux fois plus que le deuxième bénéficiaire, l'Afghanistan. Ensemble, les deux premiers pays ont reçu environ un sixième de l'aide publique au développement allouée par pays en provenance des pays membres du Comité d'aide au développement, alors qu'ils représentent moins de 2 % de la population totale des pays en développement.

Ainsi l'Irak, qui, avec un revenu par habitant de 2 100 dollars, a reçu plus du double de l'aide allouée au deuxième bénéficiaire, l'Afghanistan, dont le revenu par habitant est de 350 dollars par habitants. L'Afghanistan a elle-même reçu près de 40 % d'aide publique au développement de plus que le troisième bénéficiaire, la République Unie de Tanzanie, dont la population est plus importante et dont le PIB par habitant n'est que légèrement supérieur.

Au final l'Irak a reçu en 2007 : 311 dollars d'aide au développement par habitant contre 31 pour l'Ethiopie et 13 pour le Nigéria.

Source : Rapport du Groupe de réflexion sur le retard pris dans la réalisation

des objectifs du Millénaire pour le développement, 2009

Ces observations montrent qu'il faut veiller à bien articuler les objectifs de long terme de la coopération et les urgences liées aux situations de crise. Elles conduisent également à souligner la nécessité d'une coordination des bailleurs de fonds afin d'éviter que l'agrégation des décisions individuelles des pays ne conduise à une trop forte concentration des moyens sur quelques pays .

* 15 Cf l'audition de M. Jean-Pierre Filiu, professeur à la Fondation nationale des sciences politiques sur la situation au Yémen le 10 février 2010.

http://www.senat.fr/bulletin/20100208/etr.html#toc2

* 16 Afghanistan : quelle stratégie pour réussir ? (Mission en Inde, Afghanistan, Pakistan du 22 septembre au 1 er octobre 2009) Rapport d'information n° 92 (2009-2010) du 5 novembre 2009 - par MM. Josselin de ROHAN, Didier BOULAUD et Jean-Pierre CHEVÈNEMENT

* 17 Audition du général Stanley A. McChrystal, commandant de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), sur la situation en Afghanistan. Jeudi 15 avril 2010. http://www.senat.fr/bulletin/20100412/etr.html

* 18 Notre maison brûle au Sud, Serge Michaïlof, Fayard, 2010

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page