2. Une approche globale du financement du développement

Les auteurs du document souhaitent également s'appuyer sur une approche globale du financement du développement. Ils observent que la part de l'aide publique au développement dans le financement du développement se réduit et que les instruments et modes de financement se diversifient. Ils constatent qu'à côté de l'aide publique au développement, l'aide de fondations privées, les investissements privés, les flux de migrants ainsi que de nombreux instruments de marché, comme les prêts aux entreprises, le capital risque, les mécanismes de garantie, participent au développement des pays du Sud.

Le document-cadre fixe en conséquence à la politique de coopération pour objectif de mobiliser et d'orienter l'ensemble de ces ressources. Comme l'a affirmé le ministre des affaires étrangères devant la commission : « L'aide publique est un levier parmi d'autres. Si nous voulons être efficaces, nous devons adopter une approche qui prenne en compte l'ensemble des leviers. ».

Sur ce point, vos rapporteurs observent qu'il faut bien distinguer l'analyse économique des sources de financement des pays en développement et la définition des leviers d'une politique d'aide au développement .

Ainsi les flux d'investissement direct des entreprises ou les flux financiers du Nord vers le Sud des migrants sont des sources majeures de financement des pays en développement. Mais ils ne participent pas aux financements des politiques d'aide au développement. Ils ne sont que marginalement des leviers d'une politique d'aide aux pays en voie de développement. Leurs allocations dépendent en effet de l'agrégation d'arbitrages privés que les pouvoirs publics ne peuvent influencer qu'à la marge.

Les investissements directs étrangers (IDE) représentent par exemple pour les pays en développement 5 fois le volume de l'aide publique au développement. Mais ils sont très concentrés sur les pays émergents : les dix principaux pays bénéficiaires ont reçu 70 % des investissements directs étrangers, la Chine à elle seule disposant d'un quart du total.

Si l'aide publique au développement est si essentielle au développement des zones les plus pauvres d'Afrique, c'est aussi précisément parce que les investissements directs étrangers sont peu présents, voire absents. L'Afrique subsaharienne ne représente par exemple que 1,5 % des investissements direct de la France. Ces investissements sont, en outre, extrêmement fluctuants. Ainsi en 2008, en pleine crise financière, les flux de capitaux privés vers les pays en développement ont accusé une baisse sans précédent de plus de 780 milliards de dollars par rapport au niveau record de 2007, soit une diminution de 40 %. Il est indéniable que l'aide au développement a joué depuis deux ans un rôle d'amortisseur limitant l'impact de la crise financière en Afrique.

De même, les transferts de migrants dans les pays récipiendaires représentent dans certains pays d'Afrique entre 9 et 24 % du PIB soit entre 80 et 750 % de l'aide publique au développement dont ils sont bénéficiaires 19 ( * ) . Mais toutes les études montrent que ces sommes sont essentiellement des transferts de revenus destinés à la consommation courante et qu'il est très difficile d'orienter ces flux vers des investissements durables.

Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas essayer de réduire le coût de ces transferts ou de les orienter vers des investissements privés ou collectifs. La commission des affaires étrangères a déjà eu l'occasion de montrer combien cette piste pouvait être prometteuse 20 ( * ) . Comme l'a souligné devant elle M. Ramon Fernandez, directeur du Trésor, « la France participe activement aux actions en cours pour réduire les coûts des transferts des migrants, afin de répondre à l'objectif du G 8 d'abaisser en cinq ans ce coût moyen de 10 % à 5 % au niveau mondial » 21 ( * ) . A cet égard, la nouvelle réglementation sur les services de paiement en France ouvre des perspectives grâce à une plus grande concurrence et une plus grande transparence sur le marché, ce qui pourrait apporter chaque année plusieurs milliards d'euros de ressources supplémentaires aux habitants des pays en développement.

L'utilisation de ces flux dans les pays signifie en revanche qu'il est délicat de les comptabiliser au même titre que l'aide publique au développement.

De ce point de vue, le document-cadre se doit de bien distinguer plusieurs problématiques :

- celle des sources de financement des pays en développement et au premier chef les recettes fiscales de ces pays qui constituent un enjeu majeur de leur capacité d'investissement ;

- celle de la comptabilisation de l'aide publique au développement. Il apparaît clairement que la définition de l'aide publique au développement par l'OCDE, qui est la référence mondiale en ce qui concerne les objectifs quantitatifs aujourd'hui liés aux objectifs du millénaire (OMD) doit être améliorée et complétée par d'autres instruments de mesure;

- celle d'une approche globale de l'aide au développement qui dépasserait les seuls mécanismes financiers et les sphères publiques pour englober les financements privés, les mécanismes de marchés, ainsi que les négociations commerciales multilatérales.

La confusion entre ces différentes problématiques peut conduire à décrédibiliser la stratégie française en donnant l'impression de remettre en question la définition de l'aide publique au développement par l'OCDE, au profit d'une définition plus large au moment même où la France éprouve des difficultés à atteindre les objectifs qu'elle s'est fixée en matière d'aide publique au développement.

Dans une période où il apparaît probable que l'aide publique au développement de la France n'atteindra pas les 0,7 % du PIB en 2015, la tentation est grande de « changer de thermomètre au moment où la température n'est pas celle attendue ». Vos rapporteurs sont d'avis de ne pas y céder.

La référence dans le document-cadre à une approche globale qui « considère l'ensemble des flux, qu'ils soient publics (dont les ressources fiscales des pays, pour lesquelles la marge de progression est considérable) ou privés » peut être comprise comme une façon de « ringardiser » l'aide publique au développement.

La réaffirmation de l'objectif de 0,7 % du PIB et des objectifs pour le millénaire ne doit cependant pas nous empêcher de mener une réflexion sur ces trois problématiques.

La stratégie française de coopération gagnerait à bien analyser la diversité des sources de financement des pays en développement afin de définir l'allocation optimale des moyens entre le financement direct de ces pays notamment par l'impôt, la mobilisation des subventions des donateurs et les divers moyens de favoriser et de faire levier sur les sources de financement privées.

Il faut en particulier souligner que la source prioritaire de financement du développement doit être la mobilisation des ressources nationales et en particulier l'impôt. Comme l'avait souligné le consensus de Monterrey : l'aide aux pays en développement doit avoir pour contrepartie un effort de ces pays pour mettre en place un système fiscal efficace .

En dépit des progrès considérables cette dernière décennie, encore trop de pays en développement ont un pourcentage de recettes fiscales en proportion du PIB inférieur ou égal à 15 %, c'est-à-dire à un niveau assez proche de l'aide publique au développement qu'ils reçoivent avec un risque de substitution entre l'aide étrangère et les recettes fiscales.

De ce point de vue, l'aide consacrée à la mise sur pied dans ces pays de systèmes fiscaux stables, basés sur une assiette élargie constitue une priorité.

La question de la meilleure façon de comptabiliser l'aide publique au développement ne doit également pas être ignorée. Le propos n'est pas ici de conduire un exposé technique sur le travail de définition particulièrement complexe de l'aide publique au développement effectué au sein du Comité d'aide au développement de l'OCDE. Il faut cependant dire que la définition actuelle présente des inconvénients de plus en plus visibles.

Comme l'a observé M. Serge Michaïlof lors de la table ronde « le concept d'aide publique au développement est un fourre-tout statistique : on y trouve nombre de dépenses qui n'ont aucun rapport avec une aide de terrain effective, telles que les annulations de dettes, la prise en charge du coût des étudiants étrangers, des frais administratifs, des dépenses pour Mayotte, Wallis et Futuna. En même temps, il ne prend pas en compte nombre d'efforts qui relèvent clairement d'une aide au développement, comme les garanties apportées par l'Agence Française de Développement, les prises de participation de Proparco, le montant des dotations privées des organisations non gouvernementales (ONG) bénéficiant de déductions fiscales. » .

Vos rapporteurs ont pu l'observer lors de leurs auditions, la définition de l'aide publique au développement au sens de l'OCDE sert essentiellement à mesurer notre effort pour atteindre les 0,7 % et a largement perdu de sa pertinence pour mesurer les moyens effectivement disponibles sur le terrain pour des projets de coopération.

Dès qu'un interlocuteur veut parler de l'effort réel en faveur d'un pays, ou bien de l'argent effectivement disponible pour financer des projets, il évoque d'autres critères dont l'aide programmable. Autrement dit l'aide dont on a enlevé les annulations de dette, les coûts d'écolage et de prise en charge des réfugiés, et autres éléments moins en rapport avec le développement.

Il y aurait sur ce critère d'aide programmable également beaucoup à redire puisqu'on y trouve l'aide aux TOM, les financements de l'AEFE ou encore la rémunération des dépôts des banques centrales des pays de la Zone franc. Il permet néanmoins de se faire une première idée des financements effectivement disponibles pour l'aide au développement.

Si on se situe au niveau des pays récipiendaires, les études de terrain montrent que les montants vraiment disponibles sont encore plus limités. Une enquête de l'OCDE sur 55 pays a établi que sur les 8 milliards de dollars d'aide publique au développement brute française, seulement 1,7 milliard de dollars était effectivement disponible pour des projets d'aide au développement.

Ainsi sur 8 milliards déclarés en 2008 par la France, seulement 5 sont programmables et un peu moins de 2 ont été constatés dans les pays récipiendaires.

C'est dire que les batailles de chiffres auxquelles se livrent les pays désireux d'atteindre leur objectif d'aide publique au développement n'ont pas toujours de sens.

C'est souligner également combien la définition actuelle de l'aide publique au développement mesure mal la réalité qu'elle est supposée appréhender.

Les défauts de cet agrégat ont des conséquences sur la conduite de la politique d'aide au développement et introduisent un biais dans ses orientations. La pression exercée afin que les Etats remplissent leur engagement en termes de pourcentage d'aide publique au développement dans le revenu national conduit sur le long terme les gouvernements à maximiser des dépenses qui rentrent dans l'agrégat au détriment d'autres types d'interventions qui peuvent s'avérer tout aussi utiles sinon plus.

Votre commission estime en conséquence qu'il conviendrait d'améliorer et de diversifier les instruments de mesure dans le cadre de l'OCDE.

* 19 Les transferts des fonds des migrants, un enjeu de développement, Banque Africaine de développement, 2009

* 20 Le co-développement à l'essai, rapport d'information n° 417 (2006-2007) de Mme Catherine TASCA, MM. Jacques PELLETIER et Bernard BARRAUX http://www.senat.fr/rap/r06-417/r06-417.html

* 21 Audition de M. Ramon Fernandez, directeur général du trésor et de la politique économique, sur le projet de loi de finances pour 2010 (mission Aide publique au développement).Mardi 14 octobre 2009. http://www.senat.fr/bulletin/20091012/etr.html#toc9

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