III. DES PRIORITÉS PARTAGÉES MAIS PEU HIÉRARCHISÉES

Au lendemain des indépendances, les frontières géographiques de la coopération au développement de la France coïncidaient avec celles de son ancien empire colonial. Au cours des décennies suivantes, le nombre des pays bénéficiaires s'est considérablement étendu, avec une convergence progressive entre le périmètre des pays éligibles à l'aide française en bilatéral et celui des pays destinataires de l'aide aux plans européen et multilatéral.

La définition du champ de la coopération française au développement était traditionnellement d'abord géographique, et ensuite thématique. Le document-cadre propose un ordre inverse, du thématique vers le géographique. Ainsi, recense-t-il d'abord les quatre défis de la communauté internationale avant d'introduire la notion de partenariats géographiques différenciés qui permet d'établir une correspondance entre catégories de pays, catégories d'instruments et catégories d'enjeux.

A. DES OBJECTIFS COMMUNS À LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Le document-cadre définit quatre objectifs majeurs à la politique de coopération : la stabilité et la promotion de l'Etat de droit, la promotion d'une croissance durable, la lutte contre la pauvreté et les inégalités, et la gestion des biens publics mondiaux. Le document-cadre reprend des objectifs communs à la France et à la communauté internationale.

L'affirmation de priorités françaises particulières en matière de coopération au développement, complémentaires des objectifs reconnus par la communauté internationale, peut être légitime à plus d'un titre. Mais il n'y a pas de raison qu'elle s'en distingue sur les grands enjeux.

La dernière décennie a été marquée par une réelle prise de conscience des interdépendances entre les Etats et de la nécessité de réponses collectives. L'accord au plan international ne se fait qu'à minima, de manière fragmentaire, et sur un nombre limité d'objectifs dont ceux qui sont retenus par le document-cadre.

Certes, la France a des intérêts spécifiques, politiques, économiques, sociaux ou culturels, mais ceux-ci se traduisent avant tout par une pondération particulière de certaines zones géographiques et par un intérêt lié à la construction de telle ou telle politique publique globale.

1. La prévention des crises et des conflits

Le document-cadre identifie un nouvel objectif qu'il place en premier : la prévention des crises et des conflits. Il souligne que les menaces à la sécurité naissent dans des contextes géopolitiques précis liés à des situations de fragilité économique et sociale, et caractérisés par des fractures politiques et/ou une grande faiblesse de l'Etat.

Le développement des grands trafics et la désagrégation des Etats sont en partie liés. Ces processus vont jusqu'au cas extrême des Etats dits « faillis » qui ne maîtrisent plus leur territoire. Le terrorisme se nourrit et installe ses bases dans des zones de non droit, des « no man's land » du développement économique et de l'Etat de droit.

Le document-cadre observe que la coopération au développement, en visant au renforcement de l'Etat de droit et au développement économique et social, fait aujourd'hui partie des réponses de la communauté internationale aux questions de sécurité.

Votre commission partage cette analyse. Elle estime, avec le document-cadre, que la coopération au développement est un outil fondamental de réponse aux situations de crise, que ce soit pour prévenir ou pour reconstruire.

Les crises se nourrissent presque toujours d'un contexte de forte pauvreté et d'inégalité. C'est vrai, notamment, dans l'arc de crise qui s'étend de la Mauritanie à l'Asie centrale, en passant par le Moyen-Orient. La sécurité et la stabilité sont des conditions du développement : l'aide au développement doit explicitement intégrer qu'il n'y a pas de développement sans sécurité.

Comme l'ont souligné de nombreuses personnes auditionnées par vos rapporteurs dans le cadre d'une mission sur la coopération française au Mali, dans des régions comme le nord du Mali et plus généralement la zone sahélienne, les projets de coopération ne pourront prospérer que si la sécurité des biens et des personnes est rétablie.

La prévention structurelle des conflits repose aussi sur la coopération au développement. La faiblesse de l'Etat ou l'insécurité ne doivent pas être des causes de non allocation de l'aide, mais d'une adaptation de ses modalités. Les politiques de coopération doivent contribuer à assurer la légitimité de l'Etat en situation de crise ou de fragilité.

C'est d'abord un enjeu pour le développement des pays du Sud mais c'est aussi un enjeu pour la sécurité des pays développés.

2. La lutte contre la pauvreté

Le document-cadre reprend ensuite l'objectif de « lutte contre la pauvreté ». Elle est au coeur du discours officiel de l'aide au développement. L'adoption des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) en 2000 constitue, de ce point de vue, l'un des rares moments de consensus de la communauté internationale.

Les 8 Objectifs du millénaire pour le développement

Objectif 1 : Faire disparaître l'extrême pauvreté et la faim

Cible 1 : réduire de moitié d'ici 2015 la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour,

Cible 2 : réduire de moitié, d'ici 2015, la proportion de la population souffrant de la faim.

Objectif 2 : Garantir à tous une éducation primaire

Cible 3 : d'ici 2015, donner à tous les enfants les moyens d'accomplir un cycle complet d'études primaires.

Objectif 3 : Promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes

Cible 4 : éliminer les disparités entre les sexes dans les enseignements primaire et secondaire d'ici 2005 et à tous les niveaux d'ici 2015.

Objectif 4 : Réduire la mortalité des enfants

Cible 5 : réduire des deux tiers d'ici 2015 le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans.

Objectif 5 : Améliorer la santé maternelle

Cible 6 : réduire des trois quarts le taux de mortalité maternelle d'ici 2015.

Objectif 6 : Combattre le VIH/sida, le paludisme et autres maladies

Cible 7 : enrayer la propagation du VIH/sida d'ici 2015 et commencer à inverser la tendance actuelle,

Cible 8 : enrayer la propagation du paludisme d'ici 2015 et inverser la tendance actuelle.

Objectif 7 : Assurer la durabilité des ressources environnementales

Cible 9 : intégrer les principes du développement durable dans les politiques nationales,

Cible 10 : réduire de moitié le pourcentage de la population privée d'un accès régulier à l'eau potable, d'ici 2015,

Cible 11 : parvenir d'ici 2020 à améliorer la vie d'au moins 100 M d'habitants de taudis.

Objectif 8 : Mettre en place un partenariat mondial pour le développement

Cible 12 : instaurer un système financier plus ouvert intégrant bonne gouvernance et lutte contre la pauvreté,

Cible 13 : subvenir aux besoins spécifiques des pays les moins avancés (allégement et annulation de la dette publique bilatérale, augmentation de l'APD),

Cible 14 : subvenir aux besoins spécifiques des pays enclavés et des petits États insulaires en développement,

Cible 15 : engager une démarche globale pour régler le problème de la dette des pays en développement,

Cible 16 : créer des emplois productifs pour les jeunes,

Cible 17 : proposer des médicaments essentiels accessibles à tous,

Cible 18 : mettre à la disposition de tous les bienfaits des nouvelles technologies.

Ces objectifs, unanimement acceptés par la communauté internationale, représentent un important progrès en faveur du développement. Après la période des ajustements structurels, dont la première vague s'était insuffisamment préoccupée des questions sociales, les Objectifs du Millénaire pour le Développement ont permis de replacer les individus et leurs besoins les plus fondamentaux au coeur des politiques de développement. Lisibles et ambitieux, ils ont résolument engagé la communauté internationale dans la bataille contre la pauvreté, mobilisé la société civile et sensibilisé les opinions publiques de nos pays.

Ils ont favorisé le passage d'une logique de moyens (combien dépense-t-on ?) à une logique de résultats (quels impacts cherche-t-on à atteindre par nos actions?). En ce sens les Objectifs du Millénaire pour le Développement représentent une démarche radicalement nouvelle pour la communauté internationale, qui s'est enfin entendue sur une série d'objectifs en vue d'atteindre des résultats mesurables. 8 Objectifs sont traduits en 18 cibles et 47 indicateurs 8 ( * ) .

On peut certes exprimer quelques doutes sur la formulation de tel ou tel indicateur retenu : ainsi l'accès à l'éducation primaire devrait être vu comme l'un des moyens pour parvenir à l'objectif final, qui consiste en réalité en l'acquisition de savoirs. Par ailleurs certains sujets fondamentaux, comme par exemple l'accès à l'énergie ou à la mobilité, ne sont pas évoqués. Mais ces considérations sont finalement secondaires au regard de la portée de la nouvelle logique qui sous-tend les Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Le monde a accompli des progrès sensibles dans la réalisation de plusieurs des OMD.

Les personnes vivant dans l'extrême pauvreté dans les régions en développement formaient un peu plus du quart de la population du monde en développement en 2005, alors qu'ils en représentaient près de la moitié en 1990.

De même, les résultats ont été impressionnants dans le domaine de l'éducation. Dans l'ensemble du monde en développement, le taux de scolarisation primaire atteignait 88 % en 2007, contre 83 % en 2000. Et ces progrès ont eu lieu principalement dans les régions les plus en retard. C'est le cas en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, la scolarisation a augmenté de 15 et 11 points de pourcentage respectivement entre 2000 et 2007.

La mortalité des enfants de moins de cinq ans a également diminué avec régularité dans le monde entier. Elle est passée de 12,6 millions de décès en 1990 à quelques 9 millions en 2007, en dépit de la croissance de la population.

Même si c'est en Afrique subsaharienne que les taux restent les plus élevés, des données récentes montrent des améliorations remarquables pour plusieurs interventions clés qui pourraient déboucher sur des progrès décisifs au cours des prochaines années pour les enfants de cette région. Citons par exemple la distribution de moustiquaires imprégnées d'insecticide pour réduire l'incidence du paludisme. Avec les vaccinations de la « deuxième chance », des progrès spectaculaires ont été enregistrés dans la lutte contre la rougeole.

Mais la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement est loin de progresser de façon uniforme, selon les pays et selon les objectifs eux-mêmes.

L'Afrique subsaharienne reste la principale zone critique. On y observe une insécurité alimentaire continue, un accroissement de l'extrême pauvreté, des taux de mortalité infantile et maternelle extrêmement élevés comme l'illustre le graphique ci-dessous. Cela se traduit par un retard généralisé dans la réalisation de la plupart des Objectifs du Millénaire pour le Développement.

L'Asie est la région où les progrès sont les plus rapides, toutefois des centaines de millions de personnes restent plongées dans l'extrême pauvreté. Même dans les pays où la croissance est la plus rapide, certains des objectifs non monétaires ne sont pas toujours atteints.

D'autres régions du monde obtiennent des résultats contrastés, notamment l'Amérique latine, les pays en transition, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Des inégalités persistent handicapant la réalisation de certains Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Source : Sénat / PNUD

Il existe aussi d'importantes disparités dans le degré de réalisation de différents Objectifs du Millénaire pour le Développement, comme l'illustre le graphique ci-dessus.

Le nombre et la proportion de personnes sous-alimentées diminuent dans la plupart des régions du monde. En ce qui concerne l'enseignement primaire, il progresse dans la plupart des régions. Mais une fois encore, l'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud-Est accusent un retard quant à la réalisation de cet objectif.

La plupart des enfants pauvres allant à l'école primaire, dans les pays en développement, apprennent en réalité fort peu de choses. Ce constat remet en cause les conditions et les qualités de l'enseignement.

L'égalité des sexes demeure un objectif qui n'est pas atteint, et la parité, dans l'enseignement, ne sera pas atteinte dans de nombreux pays, en particulier en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud.

Les taux de mortalité infantile ont de façon générale diminué, mais les progrès stagnent dans beaucoup de régions du monde ; une régression est constatée dans la Communauté d'Etats Indépendants (CEI) à cet égard. Les progrès sont également limités en Asie de l'Est, en Asie du Sud, en Asie occidentale et en Océanie, alors que le taux de mortalité infantile reste extrêmement élevé en Afrique subsaharienne.

Les taux de mortalité maternelle restent à un niveau inacceptable dans toutes les régions en développement, reflétant implicitement le faible intérêt que les pouvoirs publics portent aux besoins des femmes. A cela s'ajoute, l'accès inadéquat à l'information et aux services de soins, de santé, de la sexualité et de la procréation, en particulier aux soins obstétricaux d'urgence.

Il est probable que les objectifs fixés pour cette date en matière d'accès aux services sociaux de base ne soient pas atteints dans l'ensemble des pays en développement à l'horizon 2015.

La réalisation de tels objectifs nécessite une action sur le long terme, voire très long terme. Or, les changements de rythme nécessaires pour atteindre certains objectifs dans le domaine de la santé publique ou de l'éducation seraient pour de nombreux pays d'une rapidité et d'une ampleur encore jamais atteintes dans l'histoire au niveau mondial. Ce n'est, en effet, qu'au bout d'une génération que des mesures en faveur de la scolarisation ont par le passé porté leurs fruits.

Votre commission estime que la France doit en conséquence conserver les Objectifs du Millénaire pour le Développement comme une priorité majeure de sa politique de développement.

Ce but implique d'abord de mettre ces objectifs au coeur des actions menées dans les pays partenaires. Il implique ensuite de maintenir notre ligne budgétaire à la hauteur de nos engagements.

Mais la situation impose également de réfléchir à l'après 2015 .

Il faudra sans doute poursuivre l'effort. Le bilan de l'évolution de l'aide publique au développement sur le long terme montre une assez faible progression des efforts financiers hors annulation de dette consentis alors même que les besoins augmentent avec l'évolution démographique des pays en développement, et singulièrement de l'Afrique. Il est donc vraisemblable que les Etats ne pourront augmenter sensiblement leur contribution sur leur budget.

Si la communauté internationale poursuit les Objectifs du Millénaire pour le Développement au-delà de 2015 -et on imagine mal qu'elle y renonce- elle devra trouver des ressources plus stables et prévisibles qui permettent de financer une politique de redistribution sur longue période. Si elle fait ainsi le choix de souscrire durablement à ce mandat de solidarité, elle devra se doter des outils adaptés à son ambition.

Une approche plus globale du développement, comprenant une réflexion sur le soutien dans la durée à une croissance économique forte et inclusive, et sur de nouveaux modes plus pérennes de financement, doit donc se trouver au coeur de notre action.

C'est cette voie qu'explorent les mécanismes de taxation internationale , tels que la taxe sur les billets d'avion. Répondant à l'objectif de mobilisation de ressources additionnelles pérennes, ils permettent de faire passer l'aide d'une logique largement discrétionnaire à une logique plus continue.

C'est pourquoi votre commission soutient la stratégie française en matière de financement innovant et souhaite qu'elle s'articule avec une réflexion sur le financement des OMD après 2015.

Elle estime que la France doit avec l'Union européenne réfléchir à la perspective de l'après 2015. L'Union européenne, qui représente 60 % de l'aide publique au développement à l'échelle mondiale, doit jouer dans ce dossier un rôle majeur.

Votre commission demande en conséquence que le document-cadre évoque les perspectives de l'après 2015 et l'élaboration de mécanismes de solidarité durables en rapport avec les objectifs fixés.

3. Le défi de la croissance

Le document-cadre fait de l'aide à la croissance un des objectifs majeurs de notre coopération.

Face à l'évidence des écarts de richesse considérables entre pays, la croissance est au centre des préoccupations de coopération internationale. En 20 ans, avec une accélération ces dernières années, les écarts se sont considérablement accrus au sein de la catégorie des pays en voie de développement. La Chine, l'Inde, le Brésil, la Corée, l'Indonésie en devenant des puissances économiques, ont entraîné au passage un recul de la pauvreté au niveau global. Ce processus vertueux est devenu un argument essentiel pour faire de la croissance un élément majeur d'une stratégie d'aide au développement.

La recherche d'une croissance soutenue doit être à la base des actions de coopération et de développement car elle permettra à terme de fournir en quantité et en qualité suffisante des biens et des services publics au bénéfice des populations les plus vulnérables.

Comme l'a souligné le Président de la République dans un entretien paru dans la presse africaine en mars 2009 à propos de l'aide au développement « Cette aide reste indispensable pour réaliser les objectifs du millénaire pour le développement et la France tiendra ses engagements financiers dans ce domaine. L'aide n'est cependant pas suffisante pour réduire rapidement la pauvreté. Elle doit en effet s'accompagner d'un effort de soutien à la croissance économique des pays d'Afrique » 9 ( * ) .

Le projet de document-cadre souligne cependant que la croissance recherchée doit être une croissance durable : « La coopération au développement doit jouer un rôle de premier plan dans la recherche et la négociation de trajectoires de croissance soutenables à la fois d'un point de vue social et environnemental ».

Il est noté que cette recherche de modèles de croissance est inséparable d'une meilleure gouvernance économique mondiale et d'une coopération élargie en matière de régulation environnementale et de normes sociales.

Traditionnellement, le soutien de la croissance correspond à une série d'interventions orientées vers les infrastructures et le secteur productif. L'enjeu lié aux infrastructures reste majeur sur un continent comme l'Afrique. En Afrique subsaharienne, 74 % de la population n'a pas accès à l'électricité, contre 10 % en Amérique latine. On considère que 1 à 1,5 point de croissance est perdu chaque année en Afrique du fait du manque d'électricité stable.

L'aide à la croissance passe également par une aide permettant aux pays en développement d'élargir leur accès aux financements privés sur les marchés bancaires ou financiers.

L'aide doit ici jouer un rôle de catalyseur vis-à-vis des ressources financières internes et internationales. Les instruments doivent prendre la forme de prêts plus ou moins concessionnels et recourir à la gamme des divers instruments financiers innovants pour favoriser notamment l'essor du secteur privé. L'enjeu majeur sera l'Afrique où il convient de faciliter la diversification de ses économies qui sont restées très liées à des activités de rente.

Il convient dans cet objectif d'exploiter tout le potentiel des instruments de marché comme les garanties ou les différentes formes d'investissements en fonds propres, afin d'orienter davantage de ressources privées dans les régions en manque d'investissement.

De ce point de vue, l'AFD, grâce à ses compétences en matière d'ingénierie financière et sa filiale Propoarco, joue un rôle essentiel dans l'élaboration de solutions innovantes répondant au besoin des entreprises. Des initiatives, comme le Fonds d'investissement et de soutien aux entreprises en Afrique, qui a vocation à épauler les PME, permettent d'irriguer le tissu social et de générer de l'emploi.

Votre commission soutient cet objectif de croissance qui constitue le moteur du développement . Elle souligne que c'est la conjugaison d'une croissance à la fois créatrice d'emplois, équitable et durable qui permettra une réduction conséquente de la pauvreté.

Votre commission regrette que les volumes d'aide consacrée spécifiquement à cet objectif, qui peuvent être considérables, n'émargent pas intégralement à l'aide publique au développement. Elle observe par exemple que la somme de 2,5 milliards en faveur du secteur privé africain annoncée par le Président de la République au Cap en février 2008 n'engage les montants d'aide publique au développement que pour une part marginale.

Elle observe enfin que le soutien à la croissance doit s'exprimer aussi sur des mécanismes n'impliquant pas de mobilisation financière comme les négociations commerciales et toutes les actions qui assurent la cohérence de nos politiques à l'égard des pays en développement.

4. Le défi de la préservation des biens publics mondiaux

Le document-cadre introduit la préservation des biens publics mondiaux 10 ( * ) parmi les principaux objectifs de la politique d'aide au développement française.

Le document-cadre souligne que « les enjeux climatiques sont au coeur de l'agenda international. Ils sont emblématiques d'une nouvelle catégorie d'objectifs globaux (environnementaux, sanitaires, géopolitiques, ...), dont les bénéfices sont, par définition, mondialisés ».

Cet objectif général se décline cependant selon les zones concernées. Dans les pays émergents, il s'agit « d'infléchir le chemin de croissance », et de contribuer ensemble à la maîtrise des équilibres collectifs. Dans les pays pauvres, il est question « de réduire la vulnérabilité aux chocs externes, la vulnérabilité écologique et d'aider les politiques d'adaptation au changement climatique ».

L'introduction de la préservation des biens publics mondiaux parmi les objectifs prioritaires de notre politique d'aide au développement a des conséquences majeures.

Le développement durable comporte une double dimension. La première est transversale qui modifie l'approche de la coopération dans chaque secteur d'intervention. Ainsi, l'aide au développement peut, par des actions ciblées et peu onéreuses, encourager les pays à faire les choix technologiques adaptés. Choix qui permettront, demain, de réduire la facture écologique mondiale, tout en assurant leur propre développement.

Il y a également dans le développement durable une dimension « verticale », qui correspond à de nouveaux objets de financement notamment dans les pays émergents tels que des incitations financières à réduire le rythme de la déforestation - aujourd'hui responsable de 20 % des émissions mondiales de CO2.

L'une des leçons de la conférence de Copenhague est qu'on ne peut séparer la gestion des questions de développement de celle des biens publics mondiaux. Le ralliement des pays en développement à l'agenda environnemental et énergétique passe par un engagement renouvelé sur les questions de développement.

Votre commission souligne cependant qu'il y a manifestement une impasse financière dans la gestion simultanée de deux des principales catégories d'objectifs que sont les Objectifs du Millénaire pour le Développement et les biens publics mondiaux à partir du seul budget de l'actuelle Aide Publique au Développement. Les marges de manoeuvre de ce budget sont très limitées et ne suffiront vraisemblablement pas à atteindre l'objectif des 0,7 % associé aux Objectifs du Millénaire pour le Développement. A l'inverse les nouveaux besoins liés à la lutte contre le réchauffement climatique sont considérables.

Au niveau mondial, s'agissant des estimations des besoins pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), l'étude de 2003 de la Banque mondiale calculait un besoin additionnel de 40 à 60 milliards de dollars annuels par rapport au niveau de l'aide à la même date.

S'agissant des estimations relatives au changement climatique, on distingue les besoins liés à l'objectif d'atténuation du changement climatique de ceux liés à l'adaptation aux conséquences du changement. Pour l'atténuation, diverses estimations des besoins existent.

L'évaluation des besoins d'atténuation à l'horizon 2045, dans les pays en développement, diffère selon les sources : de 71 milliards d'euros annuels, selon la Commission européenne, à 318 milliards d'euros, selon Mac Kinsey, ou 200 milliards de dollars annuels entre 2010 et 2030, selon la Banque mondiale. Le coût annuel additionnel de financement public pour l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre pour la France pourrait être de l'ordre d'un milliard d'euros par an.

Les évaluations des besoins en matière d'adaptation sont aussi très différentes selon les sources. Le secrétariat de la Convention Climat estime les besoins entre 23 et 54 milliards d'euros par an avant 2030, dans les pays en développement. Une autre étude de la Banque mondiale situe le coût de l'adaptation, dans les pays en développement, dans une fourchette de 75 à 100 milliards de dollars annuels d'ici 2050. Ces montants pour l'atténuation et l'adaptation sont à rapprocher de l'engagement des pays développés à la Conférence de Copenhague de dégager 100 milliards de dollars annuels à l'horizon 2020 pour la lutte contre le changement climatique et 30 milliards de dollars annuels sur la période 2010-2012.

Réunis en conseil le 18 mai dernier, les ministres européens des finances ont confirmé que les Etats membres de l'Union européenne honoreront l'engagement qu'ils ont pris de fournir 2,4 milliards d'euros par an au cours de la période 2010-2012. Cet engagement se réalisera à travers un « financement à mise en oeuvre rapide » pour aider les nations en développement à s'adapter aux conséquences inévitables du changement climatique.

Votre commission souscrit à l'idée d'inscrire la préservation des biens publics mondiaux parmi les objectifs prioritaires de notre coopération. Elle observe cependant que cet objectif, par son ambition, est de nature à capter une partie très significative des financements aujourd'hui consacrés à l'aide au développement.

Elle observe que l'accord de Copenhague promet la mise en place de « ressources financières additionnelles, prévisibles et adéquates pour soutenir les actions d'atténuation, [...] d'adaptation, le développement et le transfert des technologies, et le renforcement des capacités ».

Sans apports extérieurs liés notamment à des financements innovants , ce nouvel objectif qui contribue à renforcer notre présence dans les pays émergents risque de se traduire par une diminution des moyens alloués à l'aide au développement en Afrique.

Comme l'a souligné M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud lors de la table ronde, « cet enjeu ne relève pas seulement de l'aide au développement, il conviendrait qu'un périmètre clair soit tracé, en ce qui concerne ces biens, dans le futur document-cadre ».

*

Votre commission approuve ces objectifs qui sont également ceux de la communauté internationale et qui sont assez semblables à ceux formulés par les derniers CICID.

Elle observe que par leurs généralités et l'absence de hiérarchie, ces objectifs définissent plus le champ des objectifs possibles que des priorités contraignantes.

*

* 8 Cf les OMD http://www.undp.org/french/mdg/basics.shtml

* 9 La Semaine Africaine du 24 mars 2009.

* 10 Les biens publics mondiaux tels que la préservation du climat, la biodiversité, la sécurité sanitaire sont dénommés ainsi en raison de la théorie économique des biens publics caractérisés en premier lieu par leur « non-rivalité » - un agent peut les consommer sans en priver les autres et leur « non-exclusion » - il n'est pas possible d'empêcher un agent d'y avoir accès et donc de les consommer à l'image de l'air que nous respirons

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page