3. Un phénomène présent dans tous les secteurs

Par-delà la difficulté à appréhender exactement ce qu'est le « mal-être », le phénomène majeur est le fait même que ce sentiment s'exprime au sein de la population active, et que les syndicats soient appelés à le porter comme objet de négociation. Au début du XXI e siècle, le « mal-être » devient ainsi progressivement un thème aussi important que l'était la pénibilité physique au début du XX e .

Les auditions menées par la mission d'information ont établi que le phénomène du mal-être est général. Il est répandu tant dans le secteur public que dans le secteur privé et touche les salariés de l'industrie comme des services. Il concerne les jeunes, qui rencontrent souvent des difficultés d'insertion professionnelle, comme les seniors, dont la capacité de résistance peut être émoussée.

La situation des agriculteurs est l'une des mieux étudiée au travers de l'enquête Eva (Vieillissement en agriculture), menée par la mutualité sociale agricole (MSA) auprès des salariés agricoles. Elle a établi un lien entre l'insuffisance ressentie de la reconnaissance du travail accompli, la consommation de psychotropes et la fréquence des consultations médicales.

Le mal-être ne concerne pas seulement les salariés mais également les chefs d'entreprise, qui peuvent eux-aussi être soumis à un stress intense ou épuisés par le travail.

4. Eléments de comparaison internationale
a) Une problématique européenne

Il est possible de trouver des estimations chiffrées de l'ampleur du mal-être au travail dans les enquêtes sur les conditions de travail réalisées par la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail et les publications de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA).

Dans l'Europe à vingt-sept, 28 % des travailleurs seraient « exposés à au moins un facteur susceptible d'affecter de manière défavorable leur bien-être mental » , soit 56 millions de personnes 17 ( * ) .

Les groupes de travailleurs les plus touchés par le stress sont les hommes (23 % contre 20 % des femmes) et les travailleurs entre quarante et cinquante-quatre ans. Ceux les plus concernés par la violence physique sont les femmes (2,1 % contre 1,7 % des hommes) et les travailleurs de vingt-cinq à trente-neuf ans. Enfin, les personnes les plus exposées au harcèlement moral et sexuel sont les femmes (6,2 % contre 4,3 % des hommes) et les plus jeunes travailleurs.

Selon un rapport de l'agence européenne 18 ( * ) , 50 % à 60 % des journées de travail perdues en Europe ont un lien avec le stress au travail. En 2002, la Commission européenne a rapporté que le coût annuel du stress lié au travail dans l'Union européenne à quinze était de 20 milliards d'euros 19 ( * ) . On estime que le coût du stress pour les entreprises équivaut à 10 % du Pib au Royaume-Uni, pourcentage qui, dans les pays nordiques, varierait entre 2,5 % au Danemark et 10 % en Norvège.

Les premiers résultats d'une grande enquête sur la santé et la sécurité au travail menée dans l'Union européenne révèlent que la préoccupation concernant les risques psychosociaux va en s'accentuant . Les nouvelles données ont été publiées le 3 juin 2010 à l'occasion de la conférence pour l'évaluation à mi-parcours de la stratégie communautaire en faveur de la santé et la sécurité au travail (2007-2012).

L'enquête européenne des entreprises sur les risques nouveaux et émergents (Esener) montre qu' une majorité de cadres européens (79 %) se disent préoccupés par le stress lié au travail . Celui-ci est particulièrement fort dans les emplois du secteur sanitaire et social (91 % des entreprises le considèrent comme un motif de préoccupation) et dans l'éducation (84 %).

Malgré ce niveau de préoccupation élevé, force est de constater que 26 % seulement des entreprises de l'Union européenne ont mis en place des procédures pour remédier au stress . Selon l'enquête Esener, 42 % des managers estiment en effet plus difficile d'aborder les risques psychosociaux que d'autres questions de santé et de sécurité. Le caractère sensible de la question (53 %) et le manque de prise de conscience de ce problème (50 %) constitueraient les principaux obstacles au traitement effectif des problèmes psychosociaux.

b) Une prise de conscience précoce aux Etats-Unis

Lors de son audition par la mission 20 ( * ) , l'économiste Philippe Askenazy a expliqué que les Etats-Unis se sont emparés relativement tôt de la question des conditions de travail. Dès le début des années quatre-vingt-dix, ils ont en effet instauré un dispositif de cotisations qui responsabilise les entreprises, en avantageant celles qui font des efforts en faveur de la santé et de la sécurité au travail. Les Etats-Unis attachent également beaucoup d'importance à la question de la formation des managers. Au cours de leurs études, ceux-ci ont la possibilité de se spécialiser en « labor relations » , et d'approfondir ainsi la problématique des relations sociales au sein des entreprises.

Un rapport du BIT 21 ( * ) publié en 2000 indique que la santé mentale reste cependant un motif de préoccupation.

Ainsi, « aux Etats-Unis, les dirigeants d'entreprises de toutes tailles commencent à admettre que les maladies dépressives représentent le gros des dépenses occasionnées par les problèmes (médicaux) de santé mentale et d'invalidité. Beaucoup d'employeurs, conscients du rapport qui existe entre santé et productivité, enrichissent leurs stratégies de gestion de programmes qui aident les travailleurs à résoudre leurs problèmes professionnels, familiaux et existentiels ».

Aux Etats-Unis, la dépression mentale est désormais l'une des maladies les plus courantes : plus d'un adulte en âge de travailler sur dix en est atteint chaque année, ce qui représente une perte annuelle d'environ deux cent millions de journées de travail.


* 17 Eurostat, Statistics in focus, 2009.

* 18 «Stress at work - facts and figures», Office for official publication of the European community, Luxembourg, 2002.

* 19 European Commission, Guidance on Work-related Stress, «Spice of life or kiss of death ?», 2002.

* 20 Audition de Philippe Askenazy, chercheur au CNRS, professeur associé à l'Ecole d'Economie de Paris, mercredi 24 mars 2010.

* 21 « Mental health in the workplace », Bureau international du travail, Genève, octobre 2000.

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