Audition de Stéphane SEILLER, directeur des risques professionnels
de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés
(mercredi 24 février 2010)

La mission d'information a entendu Stéphane Seiller, directeur des risques professionnels de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam).

Stéphane Seiller a rappelé que la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) du régime général couvre dix-neuf millions de salariés, hors agriculture, employés dans un peu plus de deux millions d'entreprises. La première mission de la branche est la prévention, qui est assurée par les ingénieurs et techniciens conseils des caisses régionales d'assurance maladie (Cram) ; la seconde est le service des prestations dues en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, qui sont versées par les caisses primaires d'assurance maladie (Cpam).

La mission de prévention a montré son efficacité car, en cinquante ans, le nombre d'accidents du travail a baissé de moitié pour s'établir, en moyenne aujourd'hui, à environ quarante pour mille. Il existe néanmoins des variations importantes selon les secteurs : dans le bâtiment et travaux publics, le taux de sinistralité est par exemple de quatre-vingt-dix pour mille.

Le réseau des « préventeurs » de la branche doit s'adapter à l'émergence de nouveaux risques, ce qui suppose un effort permanent de formation. Les risques psychosociaux représentent un nouveau défi même s'ils ne sont pas totalement inconnus : dès la fin des années quatre-vingt-dix, certains experts, au sein des Cram, avaient signalé l'importance de ces risques et la branche a alors entamé un travail sur ce thème, en partenariat avec l'institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). Au total, la branche va former près de mille personnes à la prévention des risques psychosociaux. Comme elle ne peut matériellement être présente dans toutes les entreprises, elle entend également développer une capacité de conseil pour orienter les entreprises vers des compétences extérieures.

Les partenaires sociaux, gestionnaires de la branche, sont plus investis sur la question du stress au travail depuis la signature de l'accord interprofessionnel de 2008 sur ce sujet. Le stress est désormais un des quatre risques prioritaires que les Cram ont pour mission de prévenir. L'objectif de la branche est que tous ses experts soient compétents sur la question des risques psychosociaux et qu'au sein de chaque Cram une personne puisse accompagner les entreprises dans la durée. La branche visite 3 % à 5 % des entreprises chaque année et les partenaires sociaux ont fixé une priorité à la prévention au sein des petites et moyennes entreprises (PME).

Jean-Pierre Godefroy , président , a souhaité savoir si la branche dispose de statistiques sur l'ampleur du mal-être au travail.

Stéphane Seiller a répondu que l'outil statistique de la branche n'est pas adapté pour répondre à cette question car il est orienté vers la reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles. Or, les conséquences des risques psychosociaux ne sont pas significativement prises en charge par la branche : elles ne peuvent guère être assimilées à des accidents du travail, compte tenu de la définition légale et jurisprudentielle de cette notion ; elles sont rarement reconnues comme maladie professionnelle, dans la mesure où il n'existe pas de tableau spécifique permettant de reconnaître les maladies professionnelles liées au mal-être au travail.

Depuis 2007, la branche dénombre néanmoins les suicides déclarés comme accidents du travail. Entre le 1er janvier 2008 et le 30 juin 2009, soixante-douze suicides ont ainsi été signalés. Seuls les salariés couverts par la branche sont concernés, ce qui exclut donc les agriculteurs et les fonctionnaires pour lesquels le nombre de suicides liés au travail est mal connu. Les fonctionnaires employés par France Telecom qui ont attenté à leurs jours ne sont pas pris en compte par cette statistique.

Ces suicides ne sont pas tous survenus sur le lieu de travail, même si un suicide au travail bénéficie d'une présomption d'imputabilité. Ainsi, quarante et un des soixante-douze suicides ont été déclarés par les familles.

Muguette Dini a souhaité savoir si la branche dispose d'éléments sur les tentatives de suicides.

Stéphane Seiller a indiqué que la classification des accidents du travail, qui est ancienne, ne permet pas de prendre en compte les tentatives de suicide en tant que telles. Il n'y a donc pas de statistiques disponibles avant une éventuelle refonte de cette classification.

La branche AT-MP finance, au sein des hôpitaux, des centres de consultation des pathologies professionnelles dont la mission est d'établir le lien entre la pathologie dont souffre une personne et son travail. Les consultations liées aux risques psychosociaux, prises en charge par la branche depuis 2007, sont aujourd'hui les plus importantes en nombre, ce qui témoigne de la visibilité accrue de ces problèmes.

La suractivité et le stress favorisent les accidents du travail et les maladies professionnelles, mais sans que l'on puisse savoir précisément dans quelle proportion. Le stress est notamment un facteur avéré de troubles musculo-squelettiques (TMS), dont on dénombre trente-cinq mille nouveaux cas chaque année.

Jean-Pierre Godefroy , président , a souhaité savoir dans quelle mesure on peut corréler le stress aux accidents de trajet.

Stéphane Seiller a précisé qu'un accident de trajet est un accident survenu entre le domicile et le travail. Il se distingue de l'accident de mission qui survient lorsqu'un salarié, un commercial par exemple, se déplace dans le cadre de son travail. Chaque année, plus de quatre cents décès dus à un accident de la route sont reconnus comme accidents du travail : les trois quarts sont des accidents de trajet et le quart restant des accidents de mission. Le stress joue certainement un rôle, sans que l'on puisse savoir précisément dans quelle mesure.

Il a ensuite fait état des travaux du comité de prévention du risque routier qui réunit tous les régimes de sécurité sociale. Ce comité, qu'il préside, souligne que l'inattention est la première cause d'accident et il préconise l'absence totale d'usage du téléphone portable, même sous la forme de « kit mains-libres ». On voit bien l'enjeu que représente, pour les entreprises, le fait de rester en contact, à tout moment, avec leurs salariés mais des modalités techniques doivent être mises en place qui garantissent leur sécurité.

Jacqueline Chevé a souhaité savoir si la branche compte agréer certains experts pour aider les entreprises à se repérer au milieu d'une offre qui devient foisonnante.

Stéphane Seiller a indiqué que la branche élabore, avec l'INRS et l'agence nationale d'amélioration des conditions de travail (Anact), un cahier des charges permettant de cerner les compétences qu'un expert doit posséder pour intervenir utilement en entreprise dans le domaine de la lutte contre le stress au travail. La branche n'entend cependant pas aller jusqu'à la mise en place d'une procédure d'agrément, qui poserait des difficultés juridiques.

En ce qui concerne la réparation, il a estimé qu'il n'est pas réaliste d'envisager d'établir un tableau des maladies professionnelles liées aux risques psychosociaux, en raison du caractère complexe et multifactoriel de ces pathologies.

Il existe cependant un système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles qui permet, à la suite d'une procédure d'instruction, de reconnaître comme maladie professionnelle des pathologies qui ne sont pas répertoriées dans les tableaux ou qui ne répondent pas à toutes les conditions qu'ils fixent. L'instruction est alors assurée par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) composé d'un médecin conseil de la sécurité sociale, d'un médecin inspecteur du travail et d'un praticien hospitalier.

Chaque année, environ 9 000 demandes sont examinées dans le cadre de la procédure complémentaire et la moitié d'entre elles, environ, aboutissent à une reconnaissance au titre des maladies professionnelles. Actuellement, le système de reconnaissance complémentaire est engorgé par des demandes de reconnaissance de TMS ; le tableau n° 57 qui mentionne ces pathologies, est en effet mal écrit et pose de multiples problèmes d'interprétation, ce qui explique qu'un grand nombre de malades soient contraints de se tourner vers la procédure complémentaire pour tenter d'obtenir une prise en charge. Sollicité il y a déjà deux ans sur ce sujet, le ministère du travail s'est engagé à publier, d'ici la fin du printemps 2010, un décret réformant ce tableau.

Les maladies psychologiques, les dépressions notamment, ne sont pas prises en compte par les tableaux. Seule la procédure complémentaire est donc ouverte aux malades. Chaque année, environ cinq cents demandes sont déposées, mais elles aboutissent à une reconnaissance au titre des maladies professionnelles dans une trentaine de cas seulement.

Ce très faible taux de succès s'explique par les conditions restrictives qui doivent être remplies pour qu'une pathologie soit reconnue comme maladie professionnelle dans le cadre de la procédure complémentaire : d'abord, il appartient au malade d'établir le lien de causalité entre la pathologie et son travail ; ensuite, son état doit être stabilisé ; enfin, le malade doit être atteint d'un taux d'incapacité d'au moins 25 %, ce qui est un pourcentage élevé.

Ainsi, sur les cinq cents dossiers déposés chaque année, seuls 17,5 % sont réellement examinés par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) ; les autres sont écartés d'emblée parce qu'ils ne remplissent pas l'une ou l'autre de ces conditions.

On peut déjà se demander pourquoi un si petit nombre de malades déposent un dossier : est-ce par méconnaissance de la procédure ou parce qu'ils savent que leurs chance de succès sont minces ? On peut ensuite réfléchir à un éventuel assouplissement des critères applicables dans le cadre de la procédure complémentaire, mais il s'agit là d'une question complexe.

Marc Laménie a demandé comment se déterminent les modalités pratiques d'intervention du réseau de prévention de la branche.

Stéphane Seiller a indiqué que ces interventions reposent sur un travail avec les différentes branches professionnelles, qui permet la définition de thématiques précises sur lesquelles la prévention doit être développée. Il a insisté sur le fait que, malgré l'importance des risques psychosociaux, la branche AT-MP ne peut négliger les autres risques pour lesquels elle est seule à posséder une véritable expertise.

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