Audition d'Eric WOERTH,
ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique
(mercredi 2 juin 2010)

Puis la mission a entendu Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

Gérard Dériot , rapporteur, a demandé au ministre quel bilan il est possible de dresser du plan d'urgence sur les risques psychosociaux lancé par son prédécesseur, Xavier Darcos, et de quelle manière le deuxième plan « santé au travail » intègre la dimension des risques psychosociaux. Il s'est ensuite enquis des suites qui seront données au rapport « Bien-être et efficacité au travail », remis par Henri Lachmann, Christian Larose et Muriel Pénicaud, et au rapport de la « commission Copé » de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, quels sont les grands axes de la réforme de la médecine du travail actuellement en préparation et est-il opportun de renforcer l'indépendance des médecins du travail vis-à-vis des employeurs ? Enfin, sachant qu'un accord a été signé, en novembre 2009, sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique, quels sont ses premiers effets et sera-t-il décliné dans différents services publics ?

Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique , a souligné que le mal-être est présent dans tous les milieux professionnels, dans le public comme dans le privé. Cependant, le travail en soi n'est pas source de souffrance. Il est, au contraire, facteur d'épanouissement, de lien social et, au fond, de meilleure santé. Certains phénomènes peuvent néanmoins causer du mal-être et il faut y répondre. Les risques psychosociaux ne sont pas nouveaux mais la société y est devenue plus attentive, ce dont le Gouvernement a pris pleinement conscience.

Sur le bilan du plan d'urgence sur les risques psychosociaux, il faut d'abord rappeler que le rapport de Philippe Nasse et Patrick Lègeron sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux du travail a été remis à Xavier Bertrand, alors ministre du travail, dès mars 2008. La même année, un accord national interprofessionnel (ANI) a été signé par les partenaires sociaux sur la prévention du stress : il prévoit la mise en place de mesures de prévention, d'élimination ou de réduction des problèmes liés au stress au travail.

Depuis mai 2009, toutes les entreprises sont soumises à cet ANI, qui n'a cependant que rarement été décliné au niveau des branches ou des entreprises. C'est pourquoi, en octobre 2009, Xavier Darcos a demandé aux 1 500 entreprises qui emploient plus de mille salariés d'engager, avant le mois de février 2010, des négociations en vue d'aboutir à un accord ou à un plan d'action sur le stress au travail. Pour les y aider, des séminaires ont été organisés dans les régions. Un bilan de cette initiative a été rendu public sur un site internet ouvert par le ministère, qui recense également les bonnes pratiques. Pour prolonger cette politique, il serait intéressant que les entreprises de plus de mille salariés mentionnent dans leur bilan social les actions mises en place pour prévenir le stress, ce qui supposerait une modification législative.

En ce qui concerne le deuxième plan « santé au travail », qui couvre la période 2010-2014, les risques psychosociaux font partie de ses priorités, au même titre que les troubles musculo-squelettiques (TMS) et que les risques cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). Prenant en compte les recommandations du rapport Lachmann, le plan prévoit de mieux surveiller les risques psychosociaux grâce à des indicateurs statistiques nationaux, de développer les outils d'aide à la prévention auprès des branches et des entreprises et de prendre en compte la prévention des risques psychosociaux lors des restructurations d'entreprise.

Le rapport Lachmann, qui a reçu un bon accueil de la part des partenaires sociaux lors de sa présentation au conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct), va être largement diffusé auprès des entreprises, notamment grâce à l'organisation de séminaires régionaux. Il souligne que les conditions de travail ne peuvent être améliorées sans une implication de l'ensemble de la chaîne hiérarchique de l'entreprise et que la prévention du stress est un facteur de performance pour l'entreprise. Il recommande de mieux former les managers à la santé au travail, ce qui est cohérent avec l'objectif poursuivi par le réseau francophone de formation en santé au travail lancé par le ministère à la fin de l'année 2009 : à terme, toutes les écoles d'ingénieurs et de mangement intègreront dans leur cursus un module sur la santé au travail qui vient d'être élaboré sous l'égide du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

La commission de réflexion des députés UMP et Nouveau Centre sur la souffrance au travail a également publié un rapport qui rassemble ses propositions autour de quatre axes :

- rétablir le dialogue dans le monde du travail, notamment en renforçant les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) : cette proposition doit être discutée par les partenaires sociaux dans le cadre de la délibération sociale en cours sur les institutions représentatives du personnel ;

- mieux former : certaines propositions sont en cours de mise en oeuvre dans le cadre du réseau francophone de formation en santé au travail qui vient d'être évoqué ;

- promouvoir au quotidien les bonnes pratiques et les comportements vertueux, par exemple en créant une certification « santé et qualité de vie au travail » sur le modèle des certifications ISO : le Conseil économique, social et environnemental (CESE) doit rendre un avis sur cette question au mois de juin ;

- mieux organiser les services de santé au travail, objectif que partage pleinement le ministère.

Eric Woerth, ministre , a ensuite présenté les grandes orientations de la réforme de la médecine du travail en préparation :

- généraliser les équipes pluridisciplinaires, coordonnées par le médecin du travail, associant des spécialistes et des techniciens ;

- mieux couvrir tous les salariés, notamment les intérimaires ;

- tenir compte de la démographie médicale, 75 % des médecins du travail ayant plus de cinquante ans ;

- mieux prévenir la désinsertion professionnelle en cas d'inaptitude : les salariés déclarés inaptes à leur poste de travail doivent pouvoir se reconvertir, par exemple grâce à un tutorat.

La réforme sera articulée, dans son contenu et son calendrier, avec celle des retraites, en ce qui concerne la pénibilité et l'emploi des seniors.

Il est souhaitable de renforcer l'indépendance des médecins du travail, ce qui suppose une amélioration de la gouvernance des services de santé au travail et un contrôle par les représentants des salariés.

Enfin, pour ce qui concerne les actions menées en matière de santé au travail dans la fonction publique, après une longue négociation, un accord a été conclu en novembre 2009 avec l'ensemble des organisations syndicales, à l'exception de Solidaires. Les employeurs hospitaliers et locaux ont été associés à cette négociation et sont également signataires de l'accord.

L'accord devrait ouvrir la voie à plusieurs avancées :

- la généralisation des CHSCT dans la fonction publique d'Etat et la fonction publique territoriale, qui disposaient seulement, jusque-là, de comités d'hygiène et de sécurité (CHS) ;

- une meilleure prévention des risques professionnels ;

- une meilleure connaissance des risques professionnels grâce à l'extension de l'enquête Sumer à la fonction publique de l'Etat et à la fonction publique territoriale ;

- une meilleure prévention des risques psychosociaux, s'appuyant sur un plan national de lutte contre ces risques, décliné localement.

La mise en oeuvre de l'accord est en bonne voie. Certaines de ses dispositions sont déjà entrées en vigueur : les décrets instituant un suivi médical post-professionnel pour les agents de l'Etat exposés aux risques CMR sont par exemple parus au mois de décembre. D'autres figurent dans le projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique, notamment la généralisation des CHSCT dans toutes les administrations et établissements, hors Epic de l'Etat, et dans chaque collectivité d'au moins cinquante agents. Les mesures relatives aux risques professionnels seront appliquées en 2011, après la mise en place d'une instance commune aux trois fonctions publiques. Un groupe de travail sur les risques psychosociaux va se réunir, à compter du mois de juillet, à la demande des organisations syndicales. D'autres groupes de travail permettront de tirer parti des bonnes pratiques en vigueur dans différents ministères.

En conclusion, le ministre a souligné que l'absence de travail est aussi une source de mal-être et a insisté sur la nécessité de respecter l'homme au travail.

Alain Gournac a fait observer que le mal-être est présent dans tous les secteurs et qu'il est important de repérer les bonnes pratiques pour les diffuser ailleurs. Le monde du travail souffre d'un manque d'écoute, de lien social, de moments de respiration, alors que de nombreux problèmes peuvent être résolus autour de la machine à café. S'appuyant sur son expérience d'élu local, il a souligné que le fait de s'engager dans une « démarche qualité » constitue un moyen efficace de mobiliser les agents et de faire évoluer les comportements. Une polyvalence, une mobilité entre services sont nécessaires pour éviter la monotonie résultant de tâches répétitives. Enfin, c'est une grave erreur de se priver de l'expérience et de la mémoire des seniors dans les entreprises.

Annie David a demandé si les entreprises de plus de mille salariés n'ont pas déjà l'obligation de publier des indicateurs relatifs au stress au travail. Elle a ensuite souhaité connaître la réaction du Medef au rapport Lachmann, qui contient des recommandations susceptibles de déplaire aux employeurs. Concernant la réforme de la médecine du travail, les organisations syndicales auditionnées par la mission ont condamné le projet du Gouvernement : son contenu est-il de ce fait susceptible d'évoluer ? Si le travail est source d'épanouissement, le ministre devrait proposer les mesures qui s'imposent pour revenir au plein emploi, notamment l'interdiction des licenciements uniquement motivés par la recherche d'une meilleure valorisation boursière. Enfin, elle a souhaité avoir des exemples de bonnes pratiques en vigueur dans les entreprises ; une démarche de certification, pour complexe qu'elle soit, aurait alors du sens.

Sylvie Desmarescaux a souligné que la médecine du travail doit être indépendante pour bien accomplir sa mission. L'affaire de l'amiante a montré à quel point un défaut d'indépendance peut avoir des conséquences dramatiques. Par ailleurs, s'il est légitime de souhaiter augmenter le nombre de médecins du travail en activité, est-il réaliste de vouloir réorienter des médecins généralistes vers cette spécialité, compte tenu du manque criant de médecins en zone rurale ?

Jean-Pierre Godefroy , président , a demandé au ministre s'il serait favorable à une gestion paritaire des services de santé au travail, comme le réclament certains médecins du travail. Il a ensuite regretté que les observations formulées par les médecins du travail restent souvent sans suite et s'est interrogé sur la possibilité de leur attribuer plus de leurs pouvoirs ou de renforcer leurs liens avec l'inspection du travail.

Ronan Kerdraon a jugé indispensable que les médecins du travail ne soient plus perçus comme les parents pauvres de la médecine. La souffrance d'un salarié victime de stress ou de conditions de travail pénibles n'est pas facile à diagnostiquer.

Eric Woerth, ministre , a approuvé les remarques d'Alain Gournac avant de souligner que la réduction du temps de travail a eu aussi pour effet de rendre le temps de travail plus contraint. Concernant l'emploi des seniors, il a souligné que si l'actuelle majorité a mis un terme à la plupart des dispositifs de préretraite, ceux-ci ont instillé dans la société française l'idée que les salariés ne sont plus aptes au travail après un certain âge. Il faudra du temps pour faire évoluer les mentalités et changer le regard sur les quinquagénaires dans le monde du travail. S'il faut encourager le travail des seniors, il faut aussi tenir compte de leurs besoins et donc veiller à adapter, le cas échéant, leur poste de travail ou les faire bénéficier de la formation continue.

En réponse à Annie David, il a rappelé que Xavier Darcos avait choisi de cibler les entreprises de plus de mille salariés puis avait rendu publique une liste classant les entreprises en trois catégories - rouge, orange ou verte - en fonction du degré d'avancement de leur négociation sur le stress. Cette méthode a été abandonnée, d'une part, parce qu'elle a créé beaucoup de polémiques, d'autre part, parce qu'elle n'était pas exempte d'erreurs et qu'elle était donc susceptible de porter injustement atteinte à l'image de certaines entreprises. Il est cependant possible de consulter la liste des neuf cents entreprises qui ont conclu un accord ou adopté un plan d'action. La direction générale du travail étudie maintenant leur contenu.

Le Medef était favorable aux préconisations du rapport Lachmann et s'est déclaré ouvert à l'élaboration d'une éventuelle certification, qui peut être le point d'appui d'un projet d'entreprise mobilisateur, même si elle apparaît complexe à mettre en oeuvre.

Il est souhaitable que l'indépendance des médecins du travail soit confortée, afin qu'ils ne soient plus perçus, comme cela arrive parfois, comme les « médecins du patron ».  Cela n'empêche pas que les médecins soient employés dans une structure hiérarchisée : un médecin hospitalier est indépendant dans l'exercice de son art, en dépit de l'existence d'un directeur d'hôpital. La médecine du travail peine à attirer les jeunes, sans doute parce que le statut social des médecins du travail n'est pas à la hauteur de celui d'autres spécialistes. L'idée d'une gestion paritaire des services de santé au travail mérite d'être étudiée, le Gouvernement étant, d'une manière générale, favorable au développement du dialogue social.

Jean-Pierre Godefroy , président , a demandé si le fait que les médecins du travail soient uniquement chargés d'une mission de prévention ne dissuade pas les étudiants de choisir cette spécialité dans la mesure où les futurs médecins peuvent avoir également envie de soigner leurs patients.

Eric Woerth, ministre , a noté que la prévention est peut-être la meilleure des médecines puisqu'elle empêche la maladie.

Gérard Dériot , rapporteur , a souligné que la prévention est trop souvent reléguée au second plan en France, au profit du curatif.

Jacky Le Menn a estimé que le débat actuel sur le mal-être au travail révèle une crise du lien social, une incapacité à analyser les conséquences des décisions prises, qui conduit parfois à prendre des décisions aberrantes, et un manque d'attention portée au travail réel par rapport au travail prescrit aux salariés.

Annie David a jugé positif que le Cnam ait élaboré un module d'enseignement destiné à être diffusé dans les écoles de management. Cependant, comment faire pour que les contraintes économiques ne priment pas sur toute autre considération une fois que les cadres ainsi formés prennent leurs fonctions ?

Eric Woerth, ministre , a souligné que l'on passe moins de temps au travail qu'autrefois mais que le travail est, en contrepartie, plus intense. Il faut rappeler toutefois que le temps de récupération dont bénéficient les salariés est également plus long. Il a récusé l'idée selon laquelle il y aurait un intérêt économique qui primerait sur tous les autres : certes, l'entreprise doit être viable économiquement mais il y a plusieurs manières d'atteindre cet objectif ; si certaines entreprises négligent leurs salariés, d'autres sont soucieuses, au contraire, de l'impact social et environnemental de leur activité. Les grandes entreprises veillent à leur image de marque, qui est un atout pour attirer et retenir les talents. Il ne faut pas diaboliser non plus les entreprises : le mal-être est présent également dans les administrations ou dans des associations.

Jean Desessard ayant demandé au ministre s'il ressent de la souffrance au travail, celui-ci a répondu que si les ministres peuvent souffrir, ils n'ont pas le droit de le montrer.

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