(2) Des « zones noires » aux « zones de solidarité » : une expression publique confuse et contradictoire

Sur la forme, votre mission a été frappée par la confusion de l'expression publique sur les « zones d'extrême danger ». Au sein du Gouvernement, les messages de fermeté ont alterné avec des marques d'ouverture plaidant pour un examen contradictoire du tracé des « zones noires » et pour un renforcement de la coopération entre l'État et les élus locaux sur ce dossier. Les termes employés par les membres du Gouvernement se sont fait l'écho de ce va-et-vient continu : au cours de leurs auditions par votre mission, certains ont privilégié l'expression « zones de solidarité », pour mettre l'accent sur les modalités d'indemnisation exceptionnellement favorables qui sont mises en oeuvre au sein des zones à risque, tandis que d'autres souhaitaient conserver les termes « zones noires », pour marquer l'existence d'un danger mortel avéré, grave et sérieux pour les populations.

Cette communication hésitante a contribué à entretenir l'angoisse chez les sinistrés , ce qui explique en partie les réactions vigoureuses de certains d'entre eux. Entendue par votre mission, Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto, déléguée à la solidarité pour la Vendée, a ainsi affirmé avoir été marquée par le « déficit d'explication » sur les zones noires et que, dans ce contexte troublé et incertain, les sinistrés s'étaient « réapproprié les critères en retenant ce qu'il y avait de plus palpable pour eux, par exemple le niveau d'eau à l'intérieur des maisons », ce qui avait provoqué de nombreux malentendus.

De la même manière, l'ensemble des associations de sinistrés ont mis en avant l'état de souffrance psychologique intense dans lequel se trouvaient les propriétaires de maisons situées en « zone noire » ou en « zone orange » qui, tous, ont mal vécu la communication chaotique et parfois contradictoire.

En tout état de cause, le manque de transparence du processus de délimitation des zones à risque n'est pas à la hauteur de l'enjeu de solidarité nationale qui doit caractériser les réponses à une catastrophe naturelle de grande ampleur.

(3) Une tentative de rationalisation

Prenant en compte l'ensemble de ces éléments, votre mission avait considéré que les notions de « zone noire » et de « zone de solidarité » étaient inappropriées, faute de sens ou de fondement juridique. Elle avait privilégié la notion de « zones d'acquisition amiable » , qui lui avait paru susceptible de refléter la nature réelle de ces zones : celles-ci sont en effet caractérisées par le fait que l'État y ouvre un droit à une indemnisation rapide, dans des conditions favorables, pour les propriétaires qui souhaitent quitter un secteur dont ils connaissent les dangers.

Au 5 juillet 2010, les agents de France Domaine avaient visité 1 156 maisons . 456 offres d'acquisition amiable avaient été acceptées.

Votre mission avait souligné que le zonage n'était pas un simple document préparatoire dénué de toute portée juridique. La cartographie des « zones noires » est un acte administratif décisoire dont l'incidence sur la vie des sinistrés n'est plus à démontrer. Dès lors, elle avait appelé l'État à mieux tenir compte des craintes et des attentes des sinistrés.

A l'heure de ce rapport final, votre mission ne peut que constater que cet appel n'a pas été pleinement entendu .

Des efforts ont été faits par le Gouvernement pour clarifier et unifier sa communication. Jean-Louis Borloo, ministre d'État en charge de l'écologie, du développement durable et de la mer, a précisé que les maisons situées en « zone noire » n'avaient pas vocation à être détruites du seul fait de cette classification, et qu'il ne s'agissait pas de « zones de destruction massive »- et qu'une enquête publique impartiale et contradictoire devra intervenir préalablement à toute expropriation. Les membres du Gouvernement ont également insisté sur le fait que la déclaration d'utilité publique fondant l'expropriation pourrait être contestée devant le juge administratif et que le montant de l'indemnisation pourrait être révisé par le juge civil. De même, à l'occasion du débat organisé au Sénat le 16 juin dernier, Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'Écologie, a rappelé que « les procédures d'expropriation sont extrêmement encadrées, des périmètres seront définis pour la déclaration d'utilité publique, sur la base d'une enquête publique et d'une expertise précise parcelle par parcelle, et l'expropriation ne pourra être accordée que s'il n'y a pas de protection possible. Elle ne se fera que sous le contrôle du juge ».

Il s'agit là d'évidences juridiques qui s'imposent au gouvernement comme à toutes les parties. Elles auraient du être indiquées dès le début de la procédure.

Parallèlement, votre mission constate que toutes les incertitudes n'ont pas été levées . A titre d'exemple, la loi « Barnier » de 1995 prévoit, en cas d'expropriation pour risque naturel majeur, qu'un « bilan » financier devra être réalisé afin de démontrer, préalablement au lancement d'une procédure d'expropriation, que cette solution est moins coûteuse que la mise en place de protections adaptées. En complément, le Conseil d'État précise que l'autorité publique peut être dispensée d'effectuer un tel « bilan » dès lors qu'aucune mesure ne peut efficacement protéger les populations 33 ( * ) . Pourtant, aucune information claire n'a été donnée, lors de leurs auditions, par les membres du Gouvernement sur la portée exacte qu'ils donnaient à ce critère de « bilan financier » : une incertitude demeure donc sur la gestion à venir de la procédure d'expropriation et sur les critères sur lesquels elle sera engagée.

Proposition n° 1 de la mission :

Clarifier la portée du critère de « bilan financier » dans la procédure d'expropriation.


* 33 CE, 7 avril 1999, Association « Vivre et rester au pays » (voir infra pour une description plus détaillée de cette jurisprudence).

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