M. Jérôme Bignon, Président du Conservatoire du littoral

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Puis, la mission a entendu M. Jérôme Bignon, président du Conservatoire national du littoral.

Ayant rappelé que le Conservatoire national du littoral (CNL) avait été créé en 1975 sous l'impulsion de M. Michel Poniatowski, alors ministre de l'Intérieur, dans une perspective d'aménagement du territoire plutôt que de préservation de la biodiversité, M. Jérôme Bignon a souligné que :

- le Conservatoire était, comme le National trust britannique, un établissement public foncier dédié à l'acquisition de terrains sensibles ;

- l'objectif qui lui avait été fixé initialement était de maintenir un tiers des territoires littoraux à l'état « sauvage » ;

- au 31 décembre 2009, le CNL était propriétaire de 120 000 hectares de terrains (dont 30 000 provenant d'affectations de l'Etat), tous étant inconstructibles et inaliénables ; il achetait entre 3000 et 4000 hectares chaque année sur tout le territoire français, sauf dans les anciens territoires d'outre-mer (Nouvelle-Calédonie et Polynésie française) ;

- le CNL disposait d'un budget de 50 millions d'euros (dont 12 millions consacrés au fonctionnement du Conservatoire ; pour éviter que les crédits affectés au littoral ne soient gelés par le gouvernement pour faire face aux contraintes budgétaires, M. Jacques Chirac avait décidé, lorsqu'il était président de la République, d'affecter certaines ressources au Conservatoire (à savoir la taxe de francisation des navires de plaisance) ; le CNL bénéficiait également de contributions en nature accordées par les collectivités territoriales (prise en charge du salaire de certains gardes du littoral, travaux...) et de dotations de l'Union européenne pour certaines acquisitions ciblées ;

- le Conservatoire préservait les lieux remarquables dont il était propriétaire dans une logique non seulement de protection de l'environnement, mais aussi en tenant compte de la dimension culturelle et paysagère de ces espaces ;

- le CNL assurait une mission de médiation entre les propriétaires personnes physiques et les collectivités territoriales ;

- le CNL ne gérait pas lui-même les terrains dont il était propriétaire, mais en déléguait la gestion aux collectivités territoriales, à des associations ou à des syndicats mixtes ; en 1990, l'association « Rivages de France » a d'ailleurs été créée afin de mettre les différents gestionnaires et les 650 « gardes du littoral » en contact et de leur permettre de partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques ; comme l'avait rappelé la Cour des comptes, le CNL conservait une large responsabilité dans la gestion de ces espaces.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les enseignements à tirer de la tempête Xynthia en termes de gestion du trait de côte, M. Jérôme Bignon a tout d'abord déclaré que le Conservatoire était solidaire des sinistrés. En outre, il a estimé que les outils existants (c'est-à-dire les instruments issus de la loi « Littoral » et de la législation relative à la prévention des risques) étaient suffisants, mais mal appliqués. Parallèlement, il a fait valoir que, si le CNL n'avait pas une vision d'aménageur de lieux habités et ne pouvait donc pas se prononcer sur les problématiques de protection des populations. Il a décrit les actions du Conservatoire dans la baie de Somme, où, en l'absence d'enjeux humains et de risques pour les personnes, il effectue un travail de dépolderisation et de réestuarisation des fleuves. Cependant, il a souligné que le CNL tenait compte des particularités des territoires sur lesquels il agissait, et notamment de la présence humaine ou de l'existence d'enjeux économiques ou patrimoniaux : dans ce cas, le Conservatoire collabore avec les acteurs en charge de la prévention des risques et de la protection des populations (ce qui peut l'amener à participer financièrement et techniquement à la rénovation des digues), mais ne prend pas ces problématiques en charge directement. Il a affirmé que le Conservatoire évaluait le degré de risque des espaces dont il est propriétaire et le degré d'exposition des populations à la mer afin de déterminer comment il convenait de gérer le cordon dunaire et le trait de côte.

En réponse à une remarque de M. Bruno Retailleau, président, qui citait l'exemple du village des Boucholeurs où un kilomètre de digue n'a pas pu être construit en raison d'une prise en compte excessive des problématiques environnementales au détriment de la protection, M. Jérôme Bignon a préconisé une gestion souple des espaces naturels sensibles, et a appelé à un renforcement de la coopération entre les acteurs chargés de la protection de l'environnement et ceux qui assument la protection des populations.

M. Yves Doublet a indiqué que la réserve d'Yves, en Charente-Maritime, était assurée par la Ligue de protection des oiseaux, qui avait fait obstacle au prolongement de la digue protégeant les Boucholeurs, et que ce type de conflit entre les associations environnementales et les collectivités était fréquent.

M. Jérôme Bignon a estimé que la situation à Yves était en réalité plus complexe, notamment parce que tous les acteurs -et non la seule Ligue de protection des oiseaux- avaient fait preuve d'inertie.

M. Daniel Laurent a jugé nécessaire d'alléger les procédures de construction et de renforcement des digues et a souhaité que la mission formule des propositions en ce sens.

M. Jérôme Bignon a marqué son accord avec ces propos et a jugé qu'un opérateur unique, détenant seul la responsabilité de la gestion de l'espace en cause et agissant en partenariat avec les autres intervenants, devait être mis en place pour gérer les terrains les plus sensibles. Pour illustrer cette déclaration, il a cité l'exemple des inondations ayant eu lieu dans la Somme en 1990, en précisant que le renforcement de la digue qui avait été décidé à la suite de cette catastrophe avait été financé à 50 % par l'Etat.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les réformes souhaitable en matière de gouvernance et de propriété des digues, M. Jérôme Bignon a réaffirmé l'intérêt d'avoir un opérateur unique, la forme juridique de celui-ci (syndicat mixte, établissement public d'Etat comme aux Pays-Bas...) important peu, dès lors que le système ainsi institué était simple et permettait d'associer les riverains à la gestion du milieu. En outre, soulignant qu'il était anormal qu'un agriculteur paie la même cotisation qu'un propriétaire profitant de la présence d'une digue pour faire de la spéculation immobilière, il a estimé qu'une réflexion devait être menée sur le financement et la fiscalité des digues.

M. Bruno Retailleau, président, a estimé nécessaire de mieux gérer le cordon dunaire et a craint que cette problématique soit mal prise en compte à cause d'une focalisation excessive sur les digues artificielles.

M. Jérôme Bignon a estimé que les dunes ayant un rôle de protection des populations devaient être gérées avec la même attention et la même rigueur que les digues.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité savoir s'il serait légitime de mettre en place un « plan Dunes », sur le modèle du « plan Digues » annoncé par le gouvernement.

M. Jérôme Bignon a jugé nécessaire d'évaluer la contribution des ouvrages naturels à la défense des populations contre la mer ; il a d'ailleurs fait valoir que des dunes artificielles pourraient être bâties pour assurer la protection des populations et que les dunes avaient une capacité d'absorption et jouaient un rôle d'amortisseur, de « tampon » que les digues solides ne peuvent pas assumer.

M. Paul Raoult a signalé que des phénomènes d'érosion puissants pouvaient avoir lieu et que, dans ce cas, l'intervention des pouvoirs publics était nécessaire.

Interrogé par M. Alain Anziani, rapporteur, sur les techniques de construction des digues, M. Jérôme Bignon a estimé que la France devait développer son ingénierie en la matière et que ce champ n'avait pas été suffisamment investi par les grandes entreprises de travaux publics.

M. Bruno Retailleau, président, s'est associé à ce constat et a rappelé que les collectivités territoriales, lorsqu'elles souhaitaient édifier des digues, n'avaient pas de cahier des charges ni de prescriptions techniques précises.

M. Jérôme Bignon a souligné que les compétences en matière de construction de digues étaient dispersées, et a souhaité que, dans le cadre du « plan Digues », des solutions adaptées à chaque milieu, au cas par cas, soient mises en place.

En réponse aux interrogations de M. Bruno Retailleau, président, M Jérôme Bignon a indiqué que le CNL était consulté lors de l'élaboration des PPRN, mais seulement de manière informelle, ce qui n'était pas satisfaisant. Il a souhaité que les différents acteurs impliqués dans la gestion des phénomènes naturels, qui travaillent aujourd'hui de manière isolée, mettent en oeuvre un partenariat afin de créer des synergies et qu'une « mise en réseau » soit instituée entre l'Etat, les collectivités territoriales et les grandes entreprises pour résoudre les problèmes d'ingénierie.

M. Paul Raoult a estimé que la distinction stricte entre les milieux habités et les milieux naturels n'était pas pertinente, dans la mesure où tous deux interagissaient de manière permanente.

M. Jérôme Bignon a confirmé que les espaces naturels avaient un impact sur les milieux urbanisés ; toutefois, il a précisé que le CNL ne tenait compte des espaces habités que lorsqu'il existait un lien direct et évident avec les terrains dont il était propriétaire.

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