Jeudi 8 avril 2010 M. Paul Royet, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, expert senior du Cemagref

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président -

La mission a d'abord entendu M. Paul Royer, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, expert senior du Cemagref.

Ayant brièvement fait état des principales missions du Cemagref, qui est chargé à la fois de conduire des recherches et de fournir un appui technique à la mise en place des politiques publiques dans le domaine de l'eau et de l'aménagement du territoire, M. Paul Royer a décrit les actions entreprises pour consolider et mieux gérer les digues sur les deux dernières décennies. Il a ainsi indiqué que les crues intervenues en Camargue et dans l'Ouest et le Nord-est du pays entre 1993 et 1995 avaient donné lieu à l'adoption de diverses circulaires relatives aux digues (circulaires interministérielles sur la gestion des zones inondables et la connaissance des gestionnaires de digues en 1994 ; circulaire « Environnement » du 28 mai 1999 relative au recensement des digues fluviales et maritimes...) et que, dans cette période, le Cemagref avait mené ses premiers travaux pour développer des méthodes de diagnostic, d'entretien et de surveillance spécifiques aux digues fluviales. Il a relevé que, après l'intervention d'un décret exclusivement consacré aux digues fluviales en 2002, un décret du 16 juillet 2006 avait été adopté afin de fixer des prescriptions concernant l'intégralité des ouvrages de protection contre les submersions, dont les digues maritimes.

En réponse à une remarque de M. Bruno Retailleau, président, qui observait que les dispositifs de protection contre les inondations fluviales précédaient systématiquement les dispositifs s'appliquant au littoral, dont les particularités n'étaient que tardivement identifiées, M. Paul Royer a estimé que ce décalage pouvait être dû, au moins en partie, à l'existence de deux ministères séparés (à savoir le ministère de l'écologie et du développement durable, chargé des fleuves et des rivières, et le ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer) jusqu'en 2007.

Il a ensuite précisé qu'un premier dispositif de contrôle des digues, inspiré de l'organisation du contrôle des barrages, avait été mis en place par une circulaire du 6 août 2003 et qu'il confiait aux services départementaux du ministère en charge de l'environnement (assistés, à partir de 2004, par un pôle d'appui technique pour les ouvrages hydrauliques, dit « PATOUH », composé de structures de niveau national dont le Cemagref) la charge de ce contrôle et que, dans le même temps, l'Etat avait mené une action incitative à la constitution de structures de gestion décentralisées disposant de moyens de grande ampleur, comme le SYMADREM sur le Rhône aval ou l'AD Isère-Drac-Romanche pour la gestion de Grenoble. Il a en outre noté que la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de décembre 2006 avait conduit à l'adoption du décret du 11 décembre 2007 et de divers arrêtés, qui instituaient une réglementation unique pour toutes les catégories de barrages et de digues ; plus particulièrement, il a indiqué que ces textes mettaient en place, pour les digues, une classification en quatre catégories, en fonction du niveau de risque (c'est-à-dire du nombre de personnes protégées), chacun de ces niveaux de risque imposant des obligations spécifiques aux propriétaires de digues. Il a ajouté que les études de dangers (EDD) instituées par le décret de 2007 constituaient un progrès en matière de sécurité, dans la mesure où elles permettaient d'identifier les zones potentiellement inondées en cas de rupture de digue.

M. Bruno Retailleau, président, lui a objecté que les morts provoquées par la tempête Xynthia ne l'avaient pas été par des ruptures d'ouvrages hydrauliques, mais au contraire par des épisodes de sur-verse au cours desquels les digues, justement parce qu'elles avaient résisté à la submersion marine, avaient empêché le reflux de l'eau et piégé les populations.

Par ailleurs, M. Paul Royer a exposé que toutes les missions déconcentrées qui concernent la sécurité des ouvrages hydrauliques seraient désormais regroupées au niveau régional au sein des DREAL (directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement), qui seront définitivement mises en place au cours de l'année 2010, et que les équipes nationales d'appui technique (Cemagref, CETEs, BETCGB) seraient mises en réseau. Il a estimé que ce cadre juridique, organisationnel et technique était de nature, à l'avenir, à garantir la sécurité des digues.

Puis, M. Paul Royer a expliqué que les travaux de recherche effectués par le Cemagref, qui concernent essentiellement les digues fluviales et de voies navigables, s'articulaient autour de deux axes :

- les méthodes de diagnostic et de surveillance des ouvrages hydrauliques ;

- l'érosion interne et externe de ces ouvrages, celle-ci étant la première cause de rupture des digues.

Enfin, M. Paul Royer a fait état des conclusions des travaux du Cemagref sur les protections contre les submersions marines. Dans ce cadre, il a indiqué que ces protections, qui pouvaient prendre des formes très diverses (ouvrages naturels, comme les plages et les cordons dunaires ; ouvrages construits par l'homme, comme les digues ou les épis ; structures mixtes...), remplissaient plusieurs fonctions : d'une part, elles sont un instrument de gestion du trait de côte qui protège le littoral contre l'érosion, et d'autre part, elles ont un rôle de protection des populations et des territoires contre les submersions.

Il a ainsi jugé que l'expérience du Cemagref sur les digues fluviales ne pouvait pas être directement appliquée aux digues maritimes. Toutefois, il a déclaré que deux problématiques communes à tous les types de digues pouvaient être dégagées :

- les questions relatives aux structures de gestion des ouvrages hydrauliques, qui sont aujourd'hui insuffisantes. À cet égard, il a estimé que trois axes de réforme devaient être privilégiés : premièrement, il convient de favoriser l'émergence de structures dont les moyens humains et financiers soient à la hauteur des enjeux protégés et du patrimoine géré, et agissant sur un périmètre géographique cohérent et assez large pour générer des effets d'échelle ; deuxièmement, un lien institutionnel entre la gestion des territoires (c'est-à-dire, notamment, l'élaboration des documents d'urbanisme et la délivrance des permis de construire) et la gestion des ouvrages devrait être introduit ; enfin, il est nécessaire de mieux tenir compte des coûts de gestion des digues ;

- les questions relatives au risque résiduel. En effet, dans le cas des digues maritimes comme des digues fluviales, il est souhaitable que les populations protégées aient conscience que tout ouvrage de protection a ses limites et pourra être dépassé lors d'événements extrêmes : il convient donc d'afficher le risque résiduel, de s'y préparer et de prévoir des plans de gestion des situations de crise.

En conclusion, M. Paul Royer a souligné que le corpus technique concernant les protections contre les submersions marines demeurait peu développé, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale, et que, en tout état de cause, les exemples étrangers n'étaient pas forcément transposables au cas français. De plus, il a indiqué que la modélisation des modes de sollicitation des digues situées en front de mer (marée, houle, déferlement...), que leur nature cyclique rend complexes à appréhender, demandait encore des efforts de recherche.

M. Alain Anziani, rapporteur, a ensuite interrogé M. Paul Royer sur les solutions retenues à l'étranger en matière de régime de propriété et d'entretien des digues. Il a également souhaité savoir si, pour répondre au risque de submersion marine, il était préférable d'interdire toute construction dans les zones à risque ou, à l'inverse, de privilégier de nouveaux modes de construction -par exemple, en construisant des habitations sur pilotis dans les zones de front de mer.

En réponse à ces questions, M. Paul Royer a distingué entre le système britannique, dans lequel l'ensemble des digues sont gérées par une agence rattachée au Ministère de l'environnement et qui semble en voie de régionalisation, et le système hollandais, qui a privilégié une gestion des digues à l'échelle de la zone protégée (c'est-à-dire du polder) par des structures démocratiquement élues et habilitées à percevoir des taxes. À ce titre, il a jugé que l'exemple néerlandais n'était pas transposable au cas français, dans la mesure où les Pays-Bas concentraient deux tiers de leur activité économique dans des zones situées sous le niveau de la mer, si bien que le problème de la gestion des digues y prenait une importance qu'il ne saurait avoir en France. En outre, il a estimé que, s'il était possible d'imposer aux populations habitant dans des zones à risque de résider dans des bâtiments adaptés, cette solution poserait un problème de coût, puisque les maisons sur pilotis sont plus chères que les maisons classiques.

Mme Gisèle Gautier a rappelé que certaines populations aux revenus modestes résidaient dans des maisons sur pilotis ; elle a donc jugé que la construction de telles habitations ne poserait pas nécessairement de problème de coût.

En complément, M. Michel Doublet a estimé que des maisons classiques pouvaient être construites dans les zones à risque, dès lors qu'elles étaient aménagées de manière spécifique -par exemple avec un rez-de-chaussée occupé par un garage, les pièces habitées étant toutes situées dans les étages supérieurs. Par ailleurs, concernant le régime de propriété des digues, il a souligné que, en Charente-Maritime, environ 90 % des digues étaient situées sur le territoire maritime appartenant à l'État, le reste étant géré par des communes ou, pour les digues en terre protégeant les marais, par des associations syndicales de propriétaires. Il a affirmé que, dans ce dernier cas, les travaux que les gestionnaires projetaient d'effectuer pour consolider les digues étaient retardés par la lourdeur et la lenteur des procédures, la DREAL (ou, anciennement, la DIREN) et la commission départementale des sites mettant parfois deux à trois ans pour autoriser de tels travaux. Il a donc estimé nécessaire de modifier la législation relative à la gestion des digues dans le sens de la simplification et du pragmatisme.

A cet égard, M. Bruno Retailleau, président, a estimé que l'appréciation « critique » des services de l'État sur les travaux de renforcement des digues était partiellement due à un parti pris des agents des DREAL, ces derniers ayant tendance à appréhender les digues comme des ouvrages « contre la mer », c'est-à-dire contre la nature.

Marquant son accord avec ces propos, M. Michel Doublet a ajouté que, sur l'Île-de-Ré, les services de l'État avaient imposé à certains propriétaires de construire des digues en calcaire blanc, pour des raisons esthétiques et environnementales, plutôt que dans un matériau plus résistant, la durite ; il a observé que ces digues en calcaire n'avaient pas été efficaces pour protéger les populations et qu'elles avaient été détruites lors de la tempête Xynthia.

Interrogé sur ce point par M. Bruno Retailleau, président, M. Paul Royer a rappelé que la législation imposait aux propriétaires de tenir compte des aspects environnementaux pour la conception et la construction des ouvrages de génie civil, mais que, selon son expérience personnelle, ces considérations étaient toujours supplantées par la nécessité d'assurer la sécurité des personnes. Il a estimé que la mise en place d'arbitrages harmonieux entre ces deux objectifs (préservation de l'environnement et protection des vies humaines) était facilitée par la création des DREAL.

Ayant considéré que les propos de M. Paul Royer démontraient qu'il était impossible de bien étudier le problème des digues si l'on ne tenait pas compte, au cas par cas, de la nature des terrains qu'elles protégeaient, M. Bruno Retailleau, président, a voulu savoir quelles étaient les implications de ce constat.

M. Paul Royer a indiqué que, pour tirer les conséquences de ce constat, il était nécessaire de :

- mener une analyse des risques à l'échelle du « bassin de risques » dans chaque zone inondable ;

- repérer les modalités d'occupation des terrains (habitations, agriculture...) et les caractéristiques des ouvrages de protection, afin de vérifier l'adéquation entre les deux ;

- ne pas accroître la vulnérabilité des zones à risque, c'est-à-dire éviter d'urbaniser les zones encore vierges.

Répondant à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur le rehaussement des digues, M. Paul Royer a également exposé qu'un tel rehaussement ne devrait être effectué que dans les zones fortement peuplées, mais qu'il ne suffirait pas à effacer le risque résiduel et ne saurait, en aucun cas, protéger les populations contre des évènements climatiques exceptionnels.

M. Bruno Retailleau, président, s'est ensuite interrogé sur la nécessité d'intégrer des ouvrages hydrauliques d'évacuation d'eau à toutes les digues, afin d'éviter que ces dernières ne piègent l'eau en cas de surverse.

M. Alain Anziani, rapporteur, a envisagé que le législateur intervienne afin de rendre ces mécanismes d'évacuation d'eau obligatoires sur toutes les digues.

En réponse à ces remarques, M. Paul Royer a estimé qu'il n'était pas nécessaire qu'une réglementation impose l'intégration de tels mécanismes à toutes les digues, dans la mesure où la législation obligeait d'ores et déjà les propriétaires à réaliser des études de dangers qui permettaient de déterminer, au cas par cas, s'il était opportun de doter les digues d'ouvrages d'évacuation de l'eau.

Réagissant à une observation de M. Bruno Retailleau, président, sur l'entretien et la gestion des cordons dunaires, M. Paul Royer a ajouté que les structures de gestion des zones à risque devaient tenir compte de ces cordons et donc intégrer, dans leurs objectifs, la stabilisation du trait de côte.

Enfin, ayant fait référence au dispositif « Vague submersion » dont la création a été annoncée par le Président de la République le 16 mars 2010, M. Bruno Retailleau, président, a interrogé M. Paul Royer sur les outils permettant de modéliser l'impact des évènements climatiques sur le trait de côte. Celui-ci a estimé que cette question recouvrait deux problématiques caractérisées par des échelles de temps différentes :

- d'une part, l'évolution du trait de côte est appréhendée selon une perspective pluriannuelle et peut être gérée avec les outils existants, notamment par le biais d'outils satellitaires ;

- d'autre part, les phénomènes hydrauliques comparables à ceux qui ont eu lieu lors de la tempête Xynthia répondent à une temporalité rapide, et les caractéristiques des vagues qu'ils produisent dépendent de facteurs nombreux et variables (vitesse et direction du vent, topographie du fond de mer, etc.) ; en conséquence, il a jugé que la modélisation de l'impact des vagues produites par l'événement sur la terre serait particulièrement complexe.

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