B. RECOURS JURIDIQUE EN CAS DE VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME DANS LA RÉGION DU CAUCASE DU NORD

La République tchétchène, l'Ingouchie et le Daghestan constituent aux yeux de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de l'Assemblée des zones de non-droit en matière de protection des droits de l'Homme et d'affirmation de l'Etat de droit. La République tchétchène, membre de la Fédération de Russie, est ainsi marquée par les disparitions récurrentes de défenseurs des droits de l'Homme, de membres d'ONG et des partis d'opposition. Ces disparitions viennent s'ajouter aux menaces à l'endroit des médias et de la société civile instillant un climat de peur généralisée au sein de la population.

L'Ingouchie est, quant à elle, le théâtre d'une recrudescence des violences depuis 2009, disparitions non élucidées d'opposants et de journalistes se multipliant en dépit du dialogue avec la société civile que tente de mettre en place M. Iounous-Bel Evkourov, Président de cette petite république membre de la Fédération de Russie. M. Evkourov, invité à intervenir devant l'Assemblée, a tenu à indiquer les progrès enregistrés par sa République en matière démocratique, soulignant le bon déroulement des élections locales en octobre dernier. Il a tenu à mettre en avant les échanges nourris entre son gouvernement et les organisations de défense des droits de l'Homme, les représentants des confessions religieuses et les membres des clans locaux. La situation économique et sociale fait également l'objet d'un plan spécifique en vue de créer près de 18 000 emplois. Concernant les forces de l'ordre, le chef de l'Etat ingouche a souhaité rappeler que des membres de la police avaient été condamnés pour des crimes et des délits. Prônant une approche humaniste en matière politique, M. Evkourov a conclu son intervention en saluant la coopération de son administration avec le commissariat aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe.

Le Daghestan, également membre de la Fédération de Russie, est, quant à lui, victime de nombreux actes de terrorisme. La réponse des forces de l'ordre n'est pas sans incidence sur la radicalisation de la scène politique au risque de mettre à mal la coexistence pacifique entre les communautés musulmane, chrétienne et juive du pays.

Ces violations avérées des valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe se sont traduites par plus de cent cinquante arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme. Ces arrêts établissent la responsabilité des autorités russes dans les violences aux personnes et constatent l'absence d'enquête efficace et effective. La Cour prévoit parallèlement l'indemnisation des familles des victimes. Si, aux yeux de la commission, la Russie accède à cette demande, en revanche, elle ne montre pas un réel entrain à faire avancer les investigations.

M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC) a souligné le double constat d'échec que représente cette situation tant pour la Russie que pour le Conseil de l'Europe :

«Monsieur le Président de l'Ingouchie, nous vous remercions de votre présence parmi nous aujourd'hui. Je salue par ailleurs l'excellence du rapport de M. Marty, qui exprime les deux qualités qui font les grands défenseurs des droits de l'Homme : le courage et l'honnêteté intellectuelle. Sans manichéisme ni langue de bois, il présente de manière équilibrée la grave situation des droits de l'Homme dans le Caucase du Nord. Ce rapport me semble d'autant plus fort qu'il se garde bien de donner la moindre leçon à quiconque mais cherche, avec une volonté inlassable, à ouvrir des voies de dialogue et de vrais progrès.

Sa lecture « effrayante », pour reprendre un terme du rapporteur, illustre un échec collectif : soit nous aurions eu tort d'admettre parmi nous un Etat qui accepte de telles exactions sur son territoire - ce serait alors un échec de la crédibilité de nos valeurs -, soit son adhésion est restée trop longtemps sans effet sur la situation sur le terrain - et ce serait un échec de nos méthodes.

Le projet de résolution que, j'espère, nous allons largement adopter, le reconnaît : nos craintes d'un embrasement généralisé dans le Caucase du Nord étaient fondées. Nous avions mis en garde, mais rien de plus. Terrible aveu d'échec !

Echec pour nos démocraties qui renient leurs valeurs, lorsqu'elles choisissent l'attentisme, le manque de courage... ou l'intérêt. Notre rapporteur nous interroge d'ailleurs : le gaz aurait-il plus de valeur que les droits de l'Homme ? L'Histoire nous apprend pourtant que de telles inversions de valeurs peuvent produire le pire.

Echec aussi pour la Russie. Notre rapporteur nous a rappelé que le Président Medvedev l'admet aujourd'hui. Certes, le problème est complexe. Mais les deux guerres de Tchétchénie ont exacerbé la violence et radicalisé les positions en présence. Le terrorisme doit être combattu avec détermination ; les dramatiques attentats perpétrés dans le métro de Moscou en mars dernier rappellent que la menace terroriste est bien réelle. Pour autant, le terrorisme ne peut en aucun cas justifier des réponses contraires aux droits de l'Homme.

Le diagnostic de notre rapporteur est clair. La situation au Caucase du Nord, en Tchétchénie, mais aussi au Daghestan ou en Ingouchie, est aussi le résultat de l'incapacité des autorités à construire un véritable Etat de droit. Une annexe au rapport dresse la liste, probablement non-exhaustive, des 28 affaires transmises aux autorités russes. Compte tenu de l'ampleur et de la gravité de ces faits, notre Assemblée n'aurait-elle pas dû demander qu'un ministre russe vienne exposer, en séance, l'état d'avancement des enquêtes engagées sur les affaires les plus graves ?

La corruption, les insuffisances de la justice, les violences policières, une impunité trop large entretiennent un climat de peur qui mine le Caucase du Nord. Le rapport de Dick Marty ne dissimule rien des responsabilités des plus hautes autorités des républiques caucasiennes qu'il a visitées. Dès lors, une question se pose : les autorités russes sont-elles vraiment déterminées à remédier aux violations massives des droits de l'Homme au Caucase du Nord, violations dont elles n'ignorent rien, ne serait-ce qu'en raison du très grand nombre de condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l'Homme ?

Mes chers collègues, lorsque les droits de l'Homme sont bafoués, nous ne pouvons rester passifs. Je remercie Anne Brasseur d'avoir rappelé cela avec une grande émotion à l'instant, en citant les courageux témoignages de victimes que nous avons pu écouter hier. Elles ont tenu à faire le déplacement pour nous mettre en face de la réalité. »

La résolution adoptée par l'Assemblée poursuit plusieurs objectifs. En premier lieu, elle réaffirme la légitimité de toute lutte contre le terrorisme, à condition qu'elle respecte les principes essentiels de la Cour européenne des droits de l'Homme. Elle insiste parallèlement sur la situation particulière observée en Tchétchénie, marquée notamment par une certaine détérioration de la condition féminine et l'intensification des pressions sur les exilés tchétchènes à l'étranger. Elle invite en conséquence les autorités russes à intensifier sa coopération avec le Conseil de l'Europe pour la mise en oeuvre effective des arrêts de la Cour, à poursuivre et à juger toute violation de la Convention et collaborer avec les ONG locales.

De façon générale, la Russie est appelée à développer l'économie dans la région du Caucase du Nord, en vue de réduire un taux de chômage trop haut, facteur indéniable de montée de tensions.

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