N° 8

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 octobre 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la réorganisation administrative des services centraux du ministère de l' outre-mer ,

Par M. Marc MASSION,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera.

Mesdames, Messieurs,

Le présent rapport trouve son origine dans le constat alarmant dressé par votre commission des finances en matière d'évaluation des effets des dispositifs de défiscalisation applicables en outre-mer. Ce constat a été confirmé, de manière plus générale, par les conclusions de la mission commune d'information du Sénat sur la situation des départements d'outre-mer, en matière d'évaluation de l'ensemble des politiques publiques menées en outre-mer. La préoccupation exprimée à cette occasion a légitimement suscité des interrogations sur l'adaptation à ses missions de l'administration centrale de l'outre-mer.

Cette administration centrale a été très largement réformée entre les années 2007 et 2009. Outre la mise en oeuvre, pour la première fois de son histoire, de son rattachement à l'administration centrale du ministère de l'Intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, son organisation interne a été intégralement refondue dans le cadre de la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Le présent rapport a pour objectif de confronter les objectifs affichés par la RGPP, concernant la réorganisation de l'administration centrale de l'outre-mer, avec ses résultats effectifs. Il vise également à faire le point sur la capacité de l'Etat à satisfaire les besoins exprimés tant par les parlementaires que par les élus locaux et les populations locales en matière de gestion des politiques publiques en outre-mer.

I. LA RÉFORME DE L'ADMINISTRATION CENTRALE OUTRE-MER : UNE IDÉE ANCIENNE, RELANCÉE PAR LA RGPP

Les difficultés rencontrées par l'administration centrale de l'outre-mer pour exercer ses missions de manière satisfaisante ont été pointées par plusieurs institutions. Il a toutefois fallu attendre la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) pour parvenir à une réorganisation de cette administration.

A. LA NÉCESSITÉ DE RÉFORMER L'ADMINISTRATION CENTRALE OUTRE-MER PRÉEXISTAIT À LA RGPP

1. Les inconvénients d'une structure composée de deux directions
a) Une organisation théoriquement fonctionnelle

Antérieurement à sa récente réforme, l'administration centrale de l'outre-mer était composée de deux directions : la direction des affaires politiques, administratives et financières (Dapaf) et la direction des affaires économiques, sociales et culturelles (Daesc) .

En théorie, la Dapaf et la Daesc jouissaient de compétences bien distinctes. La Dapaf avait en charge les pouvoirs régaliens et l'administration générale (affaires juridiques, état civil, affaires politiques, libertés publiques, collectivités territoriales, relations internationales, ressources humaines, logistique et affaires financières). Les compétences de la Daesc s'étendaient quant à elles au développement économique et à l'amélioration des conditions de vie des populations en outre-mer (affaires économiques, financements publics et programmation, affaires européennes, agriculture, pêche, infrastructures, transports, environnement, énergie, tourisme, emploi, formation, insertion, habitat et politique de la ville, éducation, recherche et actions culturelles et sportives 1 ( * ) ).

b) Une pratique administrative défaillante

Toutefois, en pratique, le fonctionnement de ces deux directions posait des problèmes majeurs .

Ainsi, la Cour des comptes, dans son rapport public annuel au Président de la République de l'année 2005, soulignait le « problème de la cohabitation de deux directions dont les compétences paraissent concurrentes dans un ministère aux dimensions administratives modestes. Il en résulte l'impression que les mêmes problèmes sont envisagés en fonction de deux conceptions contradictoires, voire antagonistes, l'une plus politique, l'autre plus technique. La Cour a relevé, du fait de la concurrence entre les deux directions, l'éparpillement dans la gestion des crédits, l'éclatement dans le traitement des dossiers, la confusion dans l'exercice des responsabilités, conséquences inévitables d'une situation de double commande ».

Ainsi, en effet, les deux directions ne semblaient pas en mesure de coordonner leurs travaux et exerçaient leurs compétences de façon concurrente, plutôt qu'en coopération. Elles étaient souvent amenées, en pratique, à traiter des mêmes dossiers et disposaient pour cela de services qui auraient pu être mutualisés. A titre d'exemple, les deux directions avaient chacune un pôle juridique.

Anne Bolliet, inspectrice générale des finances, a constaté, lors des travaux de la RGPP, que la Daesc avait tendance à davantage prendre en charge les dispositifs à destination des départements d'outre-mer (DOM) tandis que la Dapaf, axée sur les sujets institutionnels, s'occupait prioritairement des collectivités d'outre-mer (COM) régies par l'article 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie. Cette répartition des collectivités par direction n'était à l'évidence par satisfaisante. Elle conduisait à une absence de suivi économique et financier sur des territoires tels que la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie ainsi qu'à une forme de « supériorité » de la Dapaf sur la Daesc. Ce constat est partagé par Philippe Leyssène, ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans la zone de l'Océan indien, qui a jugé très pertinente, lors de son audition par votre rapporteur spécial, l'évolution de l'administration centrale de l'outre-mer vers une structure transversale unique.

Le rapport précité de la Cour des comptes concluait que « l'administration centrale de l'outre-mer n'a pas su se doter d'une organisation fonctionnelle [...] adaptée à l'exercice de ses missions ».

2. Une organisation administrative exagérément complexe

Outre cette concurrence entre les deux directions centrales, l'organisation de l'administration centrale outre-mer paraissait excessivement complexe, ce qui constituait une des causes des enchevêtrements de compétences entre les deux directions .

La Cour relevait ainsi, dans son rapport précité de 2005, que « l'organigramme du ministère [...] fait apparaître un ensemble d'unités fonctionnelles aux attributions enchevêtrées et aux appellations diverses : secrétariat, bureau, mission, département, service, division, etc. Elles sont une quarantaine, à laquelle viennent s'ajouter des postes spécifiques à l'outre-mer, notamment les ambassadeurs délégués à la coopération régionale, dotés de délégations et d'un secrétariat permanent ».

En effet, l'arrêté précité du 8 mars 2004 mentionnait, outre les bureaux et départements des sous-directions de chacune des deux directions centrales, un certain nombre de postes ou de cellules administratives non clairement identifiées, rattachées directement auprès du directeur : « division des affaires générales », « mission de documentation et de communication interne », « mission pour Mayotte », « mission des synthèses » ou « mission des travaux législatifs ».

La réorganisation de l'administration centrale de l'outre-mer répondait donc également à une nécessaire clarification de ses structures et de ses compétences.

3. Un défaut persistant d'évaluation des politiques publiques
a) Des lacunes en matière d'évaluation...

Votre commission des finances a régulièrement déploré les difficultés rencontrées par le ministère chargé de l'outre-mer pour évaluer les conséquences des politiques publiques en outre-mer .

Ses rapporteurs spéciaux, qui étaient rapporteurs, au nom de votre commission des finances, de la loi pour le développement économique des outre-mer 2 ( * ) (Lodeom), ont notamment pu, à cette occasion, constater le manque d'évaluation de l'efficacité des dépenses fiscales.

Ces difficultés en matière d'évaluation ont également été constatées par la mission commune d'information du Sénat sur la situation des départements d'outre-mer, menée en 2009, dont le rapport souligne « les graves lacunes affectant les moyens d'évaluation de la situation des DOM, tous domaines confondus et en particulier en matière de mécanismes de formation des prix, de données démographiques ou encore de finances locales, estimant que cela était révélateur du faible intérêt accordé à l'outre-mer par les services de l'État, au niveau central comme à l'échelon déconcentré. Un constat aussi sévère a été dressé concernant l'insuffisante prise en considération des spécificités locales » 3 ( * ) .

Dans les réponses fournies au questionnaire transmis par les rapporteurs spéciaux dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi de règlement pour l'année 2009, le ministère chargé de l'outre-mer reconnaît cette défaillance et indique que, « actuellement, il n'existe pas d'éléments objectifs permettant de définir des critères d'efficacité de la dépense fiscale », ce qui a amené les rapporteurs spéciaux à considérer que « la défense de dispositifs dont le coût s'élève à plus de 3 milliards d'euros nécessite, a minima , de fournir des éléments précis de justification » 4 ( * ) .

Les constats effectués par le Sénat recoupent ceux figurant dans le rapport public annuel précité de la Cour des comptes, qui relevait « un défaut persistant d'évaluation qui prive cette administration de la possibilité d'assurer le pilotage de son action ». Ce défaut conduisait la Cour des comptes à « émettre des doutes sur la capacité du ministère à exercer une fonction efficace de contrôle et d'évaluation. La décision originelle d'engager la dépense lui échappe ; la décision ultérieure de veiller au suivi de la politique arrêtée ne lui appartient pas davantage ; la décision ultime d'en apprécier la validité lui est en définitive déniée puisqu'il ne dispose d'aucun service adapté pour y procéder ».

Or, comment légiférer ou adopter des réglementations appropriées aux spécificités locales sans capacité d'évaluer tant la situation réelle des collectivités territoriales d'outre-mer, dans leur grande diversité, que l'effet des politiques publiques qui y sont déjà menées ? Remédier à cette lacune est apparu comme une nécessité.

b) ... qui résultent de difficultés à centraliser les remontées d'information

Cette insuffisante capacité d'évaluation des politiques publiques résulte notamment des difficultés rencontrées par l'administration centrale pour assurer les remontées d'information en provenance des différentes collectivités territoriales d'outre-mer. Vos rapporteurs spéciaux ont constaté à plusieurs reprises l'incapacité du ministère à fournir des informations dont les représentants de l'Etat sur place sont pourtant en mesure de disposer.

La Cour des comptes constatait également, dans son rapport précité, « l'insuffisance, voire l'absence, de remontée d'informations au niveau central portant sur les conditions dans lesquelles sont menées les actions sur le terrain. La déconcentration et la contractualisation des crédits qui représentent plus des trois quarts du budget de l'outre-mer ne sauraient constituer une justification. Il convient donc de pallier la méconnaissance au niveau central des informations chiffrées en matière d'action publique en mettant en place les moyens techniques et informatiques appropriés ».

4. Les difficultés de l'administration centrale à exercer sa mission de coordination interministérielle
a) Une administration à vocation interministérielle

Du fait de sa fonction même, le ministère chargé de l'outre-mer doit mener, plus que d'autres structures gouvernementales, une action de coordination interministérielle . Le ministère est en effet en charge non de politiques sectorielles mais de territoires entiers, sur lesquels, par principe, aucune politique ne saurait échapper à sa compétence. La justification même de l'existence d'un ministère chargé de l'outre-mer est d'assurer l'adaptation des politiques menées en outre-mer aux spécificités des territoires concernés et la coordination entre ces politiques.

Le rapport précité de la mission sénatoriale commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer estimait ainsi qu'une structure administrative dédiée à l'outre-mer était indispensable « en premier lieu pour la définition des politiques publiques qui, dans des territoires éloignés de la métropole situés dans des zones géographiques et politiques obéissant à des logiques distinctes de celles de l'hexagone, doivent être à la fois définies - tant dans leurs objectifs que dans leurs moyens - et appliquées dans des conditions particulières. [...] Cette définition des politiques de l'État ne peut intervenir que dans le cadre d'une analyse et d'une évaluation « transversales » de la situation des territoires situés outre-mer. Leur situation géographique et leur histoire conduisent en effet à mettre en place, dans la plupart des domaines de l'action de l'État, des dispositifs ou des actions présentant des particularités plus ou moins marquées par rapport au droit commun. De cette approche nécessairement transversale découle le besoin d'une entité permettant d'assurer la coordination des politiques conduites, dans les DOM, par les ministères techniques ».

b) Des difficultés persistantes à remplir son rôle

Or, avant sa réorganisation, l'administration centrale de l'outre-mer éprouvait des difficultés pour exercer cette mission de coordination interministérielle.

Ainsi, par exemple, jusqu'au projet de loi de finances pour l'année 2010, le ministère chargé de l'outre-mer n'était pas en mesure de regrouper, en provenance de l'ensemble des ministères techniques, les informations nécessaires à la constitution d'un document de politique transversale « Outre-mer » récapitulant l'effort financier de l'Etat en direction de ces territoires.

Le rapport précité de la Cour des comptes jugeait notamment que « ce ministère reste pour une bonne part confiné dans des tâches d'assistanat envers les populations dont il a la charge, tout en assurant la promotion des initiatives les plus spectaculaires prises en leur faveur » et que « l'image de l'administration centrale de l'outre-mer n'était pas toujours perçue comme positive par les ministères sectoriels, la pertinence même de l'existence de services spécialement consacrés à l'outre-mer était discutée ainsi que leur valeur ajoutée par rapport à l'expertise des ministères sectoriels ».


* 1 Voir l'arrêté du 8 mars 2004 relatif à l'organisation de l'administration centrale du ministère de l'outre-mer, NOR : DOMA0400008A.

* 2 Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer et rapport n° 232 (2008-2009), de MM. Marc Massion et Eric Doligé, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 février 2009.

* 3 Rapport d'information n° 519 (2008-2009), de M. Eric Doligé, fait au nom de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer, déposé le 7 juillet 2009.

* 4 Rapport n° 587 (2009-2010) de MM. Marc Massion et Eric Doligé, rapporteurs spéciaux, sur le projet de loi de règlement des comptes de l'année 2009, fait au nom de la commission des finances, déposé le 29 juin 2010.

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