N° 48

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 octobre 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' enquête de la Cour des comptes relative au Centre des monuments nationaux (CMN),

Par M. Yann GAILLARD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, Philippe Dominati, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera.

Mesdames, Messieurs,

En 2010 et en application de l'article 58-2° de la LOLF, votre commission des finances a sollicité de la Cour des comptes la réalisation d'une enquête sur le Centre des monuments nationaux (CMN).

Motivée par les profonds bouleversements ayant affecté notre politique du patrimoine depuis 2003, cette commande avait pour triple objet de procéder à un examen global de la gestion et des moyens du CMN, d'établir un bilan des conditions dans lesquelles s'était opéré le transfert de la maîtrise d'ouvrage à cet opérateur, ainsi que d'évaluer les conséquences pour l'établissement d'une éventuelle nouvelle « vague » de dévolution de monuments historiques aux collectivités territoriales.

Selon l'usage, les travaux de la Cour des comptes ont donné lieu, le 19 octobre 2010, à une audition pour suite à donner mettant en présence les magistrats chargés de l'enquête, ainsi que les représentants du CMN et de ses autorités de tutelle.

Y étaient par ailleurs conviés nos collègues membres de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et en particulier les membres du groupe de travail que cette commission avait constitué, quelques mois plus tôt, sur le Centre des monuments nationaux.

Le présent rapport d'information retrace l'analyse et les recommandations que votre rapporteur spécial entend formuler sur le fondement de ses propres travaux, des observations de la Cour des comptes et des échanges tenus au cours de l'audition du 19 octobre 2010.

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Elaborer et signer le contrat de performances du CMN avant le dépôt de la loi de finances pour 2012.

2. Actualiser les textes qui fondent l'intervention du CMN et établir une définition claire des monuments dont il a la charge.

3. Associer le CMN aux réflexions en cours sur la reconfiguration de la politique patrimoniale, et notamment sur la création de la Maison de l'Histoire de France et l'avenir des châteaux-musées.

4. Clarifier le positionnement du CMN dans le cadre de la nouvelle politique immobilière de l'Etat , tirer les conséquences de la suppression du régime de remise en dotation et adapter les contours de cette politique aux spécificités des missions d'un opérateur intégré.

5. Stabiliser les contours du parc monumental dévolu au CMN et consacrer juridiquement sa vocation péréquatrice entre monuments rentables et déficitaires.

6. Maintenir la possibilité d'une dévolution de certains monuments aux collectivités territoriales , assortie des garanties nécessaires à la sauvegarde du patrimoine, à la stabilité des objectifs assignés au CMN et à la préservation de son équilibre financier.

7. Sortir le plus rapidement possible du dispositif des « conventions de mandat » et hâter la mobilisation des DRAC pour que le CMN dispose de l'ensemble des éléments lui permettant d'exercer pleinement ses fonctions de maître d'ouvrage et d'opérer avec fiabilité le traitement comptable des opérations.

8. Sous réserve qu'il s'engage à mieux mobiliser les leviers managériaux dont il dispose et de lui assigner des objectifs précis en la matière, déléguer au CMN les actes de gestion à l'égard des personnels titulaires qui lui sont affectés et lui transférer la masse salariale correspondante.

9. Assigner au CMN un objectif de ressources propres et dynamiser ces ressources en augmentant la fréquentation des sites, en accroissant les ressources domaniales et en mobilisant davantage le mécénat.

10. Maîtriser les coûts de fonctionnement grâce à la mise en oeuvre d'instruments de pilotage et d'analyse de l'efficience des manifestations et actions culturelles entreprises.

11. Formaliser dans le contrat de performances une programmation des travaux et un calendrier de consommation des ressources d'investissement.

I. UN OPÉRATEUR AU PASSÉ « TOURMENTÉ »

La situation actuelle du CMN est celle d'un opérateur composite, dénué de contrats de performances et demeurant trop souvent en marge de réformes susceptibles d'avoir un impact important sur son action . Cet état des lieux ne saurait toutefois être analysé qu'au regard du passé récent de l'opérateur, marqué par les « embardées » de la politique du patrimoine.

A. LE CMN, VICTIME DES ERREMENTS DE LA POLITIQUE DU PATRIMOINE

1. Le transfert de la maîtrise d'ouvrage : un archétype de réforme mal conduite

Il faut, depuis le début des années 2000, rendre justice au CMN d'avoir eu à accomplir ses missions dans un contexte particulièrement « tourmenté » , marqué par la crise du financement de la politique du patrimoine et le transfert, dans des conditions éminemment critiquables, de la maîtrise d'ouvrage sur les monuments dont il avait la charge.

Aux termes du plan national pour le patrimoine de septembre 2003, le CMN devait prendre en charge la maîtrise d'ouvrage sur les monuments qui lui étaient dévolus . L'objectif de cette intégration était double : elle permettait au CMN de mieux maîtriser ses crédits d'investissement 1 ( * ) et de mieux concilier les exigences de présentation des monuments au public et de conservation des sites. Selon le président de la Troisième chambre de la Cour des comptes, cette réforme, qui « aurait pu faire figure de modèle du genre » 2 ( * ) , a néanmoins connu une « embardée » en 2006, sur fond de crise du financement de la politique du patrimoine .

Cette crise, qui résultait de l'assèchement des crédits du patrimoine monumental et de la multiplication des désordres constatés sur les édifices protégés, a conduit le Gouvernement à arbitrer en faveur de l'affectation pérenne d'une ressource fiscale au patrimoine monumental. 70 millions d'euros de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ont alors été affectés au CMN par la loi de finances pour 2007 3 ( * ) , l'opérateur recevant en contrepartie la maîtrise d'ouvrage, non seulement sur ses propres monuments, mais aussi sur l'ensemble des monuments historiques de l'Etat .

Cet arbitrage, au cours duquel le ministère de la culture et de la communication n'a manifestement pas réussi à imposer ses vues face au cabinet du Premier ministre et au ministère chargé du budget 4 ( * ) , constitue l'archétype d'une mauvaise réforme pour au moins deux raisons :

1) il a consisté à calibrer les missions du CMN sur ses modalités de financement, et non l'inverse. En cela, le CMN a joué son rôle historique de simple « caisse » par laquelle transitait le financement de la politique du patrimoine ( cf. infra ) ;

2) ces compétences ont été confiées au CMN alors même qu'il était dans l'incapacité matérielle de les exercer à court terme , cette incapacité donnant lieu à des montages juridiques et financiers complexes et inefficaces et aboutissant à compliquer encore le paysage « encombré » de la maîtrise d'ouvrage culturelle.

Ces conséquences fâcheuses avaient, au demeurant, été soulignées par votre commission des finances lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007 : « Cette réforme va donc créer un maître d'ouvrage supplémentaire. Il apparaît que le CMN et le SNT 5 ( * ) vont exercer des missions relativement proches, tout comme les DRAC. Le nombre d'acteurs ayant les mêmes fonctions va croître sans qu'une réforme globale du système de maîtrise d'ouvrage ne soit mise en oeuvre. (...) Votre rapporteur général estime que le présent article va renforcer les superpositions de structures administratives quasiment identiques, et pourrait de ce fait accroître les risques de concurrence entre elles et de dysfonctionnements » 6 ( * ) .

L'année 2008 connaît un nouveau revirement : l'affectation de taxe est supprimée au profit d'une subvention budgétaire, et la mission de maîtrise d'ouvrage du CMN est finalement limitée aux seuls monuments nationaux . Bien que ce choix puisse apparaître comme un retour au schéma initial, les circonstances avaient, entretemps, considérablement changé : la réforme du CMN était désormais conditionnée par celle des DRAC et par la restructuration de l'Établissement de maîtrise d'ouvrage culturelle (EMOC) et du Service national des travaux (SNT) dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Ainsi, selon le président de la Troisième chambre, « le transfert au CMN de la maîtrise d'ouvrage ne sera finalement effectif qu'en 2010, après une période transitoire aussi longue que complexe et au prix de 23 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires » .

2. Des montages financiers critiquables, une efficacité douteuse

Le transfert - même provisoire - au CMN de la maîtrise d'ouvrage sur l'ensemble des monuments historiques de l'Etat a eu des conséquences regrettables dont les effets se font encore sentir aujourd'hui.

Le CMN n'étant pas en mesure de s'acquitter de ses nouvelles missions, il a immédiatement rétrocédé la maîtrise d'ouvrage aux DRAC , via quatre « conventions de mandat » et seize avenants, dont certains ont vocation à s'appliquer jusqu'en 2012. La Cour des comptes observe que, par ces conventions, le CMN « déléguait sans réserve » ses attributions de mandant et « ne disposait pas des moyens de déterminer lui-même » la programmation et le budget des opérations, éléments qui apparaissent peu compatibles avec les dispositions de la loi sur la maîtrise d'ouvrage publique 7 ( * ) .

Avec ses compétences, le centre a également restitué à l'Etat les ressources fiscales nécessaires à leur exercice , par la voie d'un fonds de concours 8 ( * ) . Cette « tuyauterie » complexe a rendu la mise en oeuvre des crédits « parfaitement opaque » selon la Cour des comptes, et a surtout conduit à leur importante sous-consommation et à l'abondement de la trésorerie du CMN de 28,7 millions d'euros 9 ( * ) .

Le CMN pâtit encore, en 2011, des conséquences d'un tel montage puisqu'il semble éprouver les plus grandes difficultés à récupérer les dossiers documentaires et les études préalables détenus par les DRAC, autant d'éléments pourtant indispensables à l'exercice de sa fonction de maître d'ouvrage et au traitement comptable des opérations. Dans la mesure où il s'agit de solder une gestion passablement brouillonne, votre rapporteur spécial estime que le ministère de la culture pourrait hâter, en la matière, la mobilisation de ses services déconcentrés...

3. Un « reversement furtif »

Au total, sur les 140 millions d'euros de recettes fiscales affectées au CMN, seuls 15 millions d'euros auront été effectivement utilisés par l'opérateur pour le financement de ses nouvelles compétences , le reliquat (125 millions d'euros) ayant été mobilisé pour financer des opérations déjà engagées par l'Etat sur ses propres monuments.

Selon le président de la Troisième chambre de la Cour des comptes, ce reversement « furtif » suscite « les plus expresses réserves de la Cour. L'écart entre la destination de la taxe votée par le législateur et sa destination réelle, le rôle transparent joué par le CMN dans l'opération de reversement par voie de fonds de concours et l'ambigüité entretenue sur ce montage dans les documents budgétaires procèdent d'une interprétation extensive de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui paraît peu conforme à l'esprit du texte ».

En effet, selon l'analyse de la Cour des comptes, le montage prévu par la LFI pour 2007 entrait en contradiction :

1) avec l'article 2 de la LOLF, qui prévoit que « les impositions de toute nature ne peuvent être directement affectées à un tiers qu'à raison des missions de service public confiées à lui » . Or 125 des 140 millions d'euros n'ont pas réellement servi à financer les missions propres du CMN, ce dernier n'ayant servi que de caisse ou d'opérateur totalement transparent. En témoignent le transit très bref des fonds dans les comptes de l'établissement et le traitement comptable de cette opération en compte de tiers ;

2) avec l'article 17 de la LOLF, qui dispose que les fonds de concours ont un caractère « non fiscal » . De fait, compte tenu de la transparence du rôle joué par le CMN dans l'opération, les 125 millions d'euros immédiatement reversés par fonds de concours n'ont par réellement perdu leur caractère fiscal 10 ( * ) .


* 1 Alors que, dans un contexte de pénurie de crédits, les DRAC privilégiaient le patrimoine des collectivités territoriales sur celui de l'Etat.

* 2 Toutes les citations sont tirées du procès-verbal de l'audition pour suite à donner du 19 octobre 2010, reproduit en annexe.

* 3 Mais avec effet rétroactif en 2006. Ce sont donc au total 140 millions d'euros qui sont affectés en 2007.

* 4 Selon M. Vincent Berjot, adjoint au directeur du budget, le ministère de la culture se serait vu « forcer la main » .

* 5 Service national des travaux.

* 6 Rapport général n° 78 (2006-2007) de M. Philippe MARINI sur le projet de loi de finances pour 2007, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2006 - Tome II.

* 7 Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée.

* 8 Et ce avant que les modalités de financement du centre ne changent à nouveau en 2008 (crédits budgétaires) et en 2009 (versement en provenance du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », complété par des crédits budgétaires).

* 9 79,3 millions d'euros de crédits ont été versés au CMN entre 2007 et 2009 et 50,6 millions d'euros reversés par le CMN à l'Etat, le reste ayant été conservé par l'établissement à mesure qu'il était doté de capacités de maîtrise d'ouvrage propres.

* 10 Au cours de l'audition du 19 octobre 2010, M. Vincent Berjot, adjoint au directeur du budget, a contesté l'irrégularité d'un tel montage, faisant valoir que le PLF 2007 confiait bel et bien de nouvelles missions de service public au CMN en contrepartie de l'affectation d'une taxe et que les crédits avaient « bien été utilisés pour l'entretien du patrimoine » . La direction du budget a également fait valoir que le Parlement avait alors statué en connaissance de cause. Notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, avait néanmoins déploré en séance les « systèmes de dérivation compliqués » imaginés par le Gouvernement en substitution d'un abondement pur et simple des crédits du programme « Patrimoines ».

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