3. Un Pacte de stabilité et de croissance décrédibilisé

La crise qui a affecté la zone euro au cours du premier semestre dernier a fait voler en éclat le schéma élaboré par les rédacteurs du Pacte de stabilité et de croissance. Il est vrai que celui-ci avait déjà été malmené au cours des années précédentes.

a) Le Pacte de stabilité et de croissance, un instrument inadapté...

Le Pacte ainsi conçu n'a pas fonctionné.

Le système de surveillance multilatérale a été un échec , également favorisé par les carences des contrôles statistiques . En effet, la coordination des politiques économiques et la surveillance multilatérale de celles-ci requièrent des données statistiques détaillées, fiables et harmonisées. Or, l'appareil statistique communautaire souffre de lacunes et les contrôles d'Eurostat, l'office statistique de l'Union européenne, étaient insuffisants.

Les critères relatifs au déficit et à la dette publics n'ont jamais été respectés par l'ensemble des États membres, à tel point que 24 sur 27 sont aujourd'hui en procédure de déficit excessif.

Du reste, la récente crise de l'euro a montré que le Pacte, quand bien même il aurait été mieux respecté, correspond à une conception économique bien précise, et sans doute datée , celle de la prééminence de la stabilité monétaire et de la rigueur dans la gestion des finances publiques, à laquelle certains États membres, à commencer par l'Allemagne, sont pourtant très attachés.

C'est pourquoi, en raison de l'hétérogénéité de la zone euro et des situations très variées des finances publiques nationales, les rédacteurs du traité de Maastricht puis du Pacte de stabilité et de croissance ont estimé qu'il convenait de proscrire toute forme de multilatéralisation des engagements financiers nationaux au sein de la zone euro. La solidarité financière entre États membres et le concours financier des institutions communautaires ont donc été exclus. Il s'agit de la clause de non-renflouement ( no bail out ).

Cette analyse s'est révélée partielle et la récente crise de l'euro a montré les limites d'une surveillance réduite aux seuls paramètres budgétaires tels que le déficit et l'endettement publics.

Au cours de son audition devant votre commission des affaires européennes, le 11 mai dernier, Alain Lamassoure, président de la commission des budgets du Parlement européen, a insisté sur cet aspect et estimé que les États membres en situation de déficit excessif pouvaient être classés en trois catégories :

- la première catégorie concerne les « cigales », dont la Grèce fait partie. La Grèce a en effet clairement vécu au-dessus de ses moyens. Entre son adhésion à la Communauté européenne, en 1981, et aujourd'hui, la dette publique de ce pays a quadruplé et les salaires dans la fonction publique ont triplé depuis son entrée dans la zone euro, alors même que la Grèce a bénéficié de 250 milliards d'euros au titre des fonds structurels. La perte de compétitivité qui s'en est suivie a provoqué une chute des exportations et donc une diminution des recettes fiscales qui a creusé le déficit public, obligeant les autorités grecques à emprunter à des conditions de plus en plus onéreuses ;

- la deuxième catégorie, celle des « escargots », regroupe les grandes puissances continentales : l'Allemagne, la France et l'Italie. Ces trois pays sont caractérisés par une croissance économique extrêmement faible, voire nulle dans le cas de la France et de l'Italie. L'Allemagne a mené une politique de modération salariale et de baisse des prestations sociales, en partie négociée, en partie imposée. Les exportations représentent 47 % du PIB allemand, essentiellement en direction des pays de l'Union, soit un doublement en dix ans, mais la demande interne est atone. La situation est exactement inverse en France ;

- la troisième catégorie regroupe le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Irlande, qui présentent la particularité d'être des anciens « bons élèves » avec une croissance élevée, un chômage en baisse et une situation budgétaire satisfaisante. Dans chacun de ces pays, la situation s'est complètement retournée en très peu de temps. La livre sterling a ainsi perdu 25 % de sa valeur en six mois. Sans doute le Royaume-Uni a-t-il pâti d'avoir laissé les services financiers, qui représentent 15 % de son PIB, se développer exagérément. Le cas de l'Espagne est encore plus grave puisque ce pays a misé de façon déraisonnable sur le développement de l'immobilier et connaît une grave crise depuis l'éclatement de la bulle immobilière.

Le choc de la crise financière puis économique a été très brutal. Le tableau ci-après illustre la très forte dégradation des finances publiques intervenue en seulement un an :

Dérives par rapport aux normes de gouvernance de la zone euro

Évolution 2008-2009

Déficit budgétaire en % PIB Limite de référence
-3 %

Endettement public en % PIB Limite de référence
60 %

2008

2009

2008

2009

Ensemble UE

-2,3

-6,9

61,5

73,2

Ensemble zone euro

-2

-6,4

69,3

78,2

Allemagne

0

-3,4

65,9

73,1

Autriche

-0,4

-4,3

62,6

69,1

Belgique

-1,2

-5,9

89,8

97,2

Chypre

0,9

-3,5

48,4

53,2

Espagne

-4,1

-11,2

39,7

54,3

Grèce

-7,7

-13,6

99,2

112,6

Finlande

4,1

-2,8

34,1

41,3

France

-3,4

-8,3

67,4

76,1

Irlande

-7,2

-12,5

44,1

65,6

Italie

-2,7

-5,3

105,8

114,6

Luxembourg

2,5

-2,2

13,5

15

Malte

-4,7

-4,5

63,8

68,5

Pays-Bas

0,7

-4,7

58,2

59,8

Portugal

-2,7

-8

66,3

77,4

Slovaquie

-1,6

-6,3

22,5

35,1

Slovénie

-2,3

-6,3

27,7

34,6

Source : Commission européenne

Entre 2008 et 2009, la zone euro est passée d'un déficit budgétaire de 2 %, qui respectait donc la norme de 3 %, à 6,4 % et l'endettement public s'est creusé de 9 points.

Ce facteur explicatif n'est cependant pas le seul. En réalité, la dérive des finances publiques est bien plus ancienne et observable dans toutes les phases du cycle économique . La situation devient logiquement intenable en cas de récession.

De nombreux États membres, qui avaient fait beaucoup d'efforts pour entrer dans la zone euro, les ont relâchés une fois admis, et ont construit leur croissance économique sur des bases plus que fragiles.

Il est donc nécessaire de dépasser la seule surveillance budgétaire et d'élaborer des modèles économiques durables qui ne sont pas contradictoires selon les États membres, comme c'est le cas aujourd'hui.

En effet, les sources d'instabilité n'étant pas exclusivement budgétaires, les procédures de surveillance mutuelle sont incomplètes et ont négligé d'autres causes de déséquilibres , comme l'accumulation de dettes privées, les bulles financières ou immobilières ou encore les écarts de compétitivité.

Depuis plusieurs années, les coûts unitaires du travail, c'est-à-dire le rapport entre les salaires et la productivité, ont évolué de façon très divergente selon les États membres. Ainsi, en Grèce, en Italie, en Espagne, au Portugal ou encore en Irlande, les coûts salariaux ont sensiblement augmenté, alors que l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande ou la Belgique pratiquaient la rigueur salariale. Ce phénomène s'est traduit par l'apparition de différentiels de compétitivité .

De même, si la surveillance mutuelle avait porté sur l'évolution de la balance des paiements courants, de l'endettement privé et de la part du crédit dans l'économie, la grande fragilité de certains États membres serait apparue (existence de « bulles », dépendance extérieure,...).

La monnaie unique a pu contribuer, un temps, à dissimuler cette évolution. L'euro a temporairement offert à ces pays une protection  - illusoire -, mais la réalité a fini par s'imposer.

À l'inefficacité du volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance, s'ajoute le caractère inopérant de son volet correctif.

b) ... qui n'a de toute façon pas été appliqué

Incomplet, le Pacte de stabilité et de croissance n'a pas non plus été appliqué.

Les procédures prévues pour remédier à un déficit excessif, telles que les avertissements, les recommandations, les demandes de rapports, les mises en demeure, revêtent un caractère très peu dissuasif . De ce point de vue, la crise de l'euro a montré que les États membres redoutaient davantage les marchés financiers que la Commission, la pénalisation par les premiers étant immédiate, alors que celle par la seconde n'est que théorique. Seuls les marchés ont jusqu'à présent réussi à obtenir des États une modification substantielle de leur politique budgétaire.

D'ailleurs, les sanctions lourdes prévues par les traités (révision de la politique de prêts de la Banque européenne d'investissement à l'égard de l'Etat membre concerné, dépôts ne portant pas intérêt ou amendes) n'ont jamais été mises en oeuvre . La procédure pour déficit excessif a été engagée à plusieurs reprises, mais jamais menée à son terme, le Conseil, utilisant son pouvoir discrétionnaire, ayant refusé, en novembre 2003, de voter les recommandations présentées par la Commission contre l'Allemagne et la France qui ne respectaient pas le critère de déficit public. Le Pacte a ainsi été privé de toute crédibilité.

Il devenait alors difficile de sanctionner les « mauvais élèves » dont le poids économique était bien moindre, la Grèce par exemple.

Qui plus est, les règles du Pacte ont été assouplies. Les deux règlements de 1997 ont ainsi été modifiés en juin 2005 afin que l'objectif à moyen terme d'une position budgétaire proche de l'équilibre ou excédentaire puisse être différencié selon les États membres de manière à tenir compte de la diversité des situations économiques et budgétaires. Concrètement, plusieurs aménagements ont été apportés : les États membres ont été autorisés à avoir un déficit public supérieur à 3 % du PIB en cas de récession, les délais de réduction du déficit en cas de déficit excessif ont été allongés, passant de un à deux ans, certains types de dépenses, les investissements, par exemple, ont pu faire l'objet d'une prise en compte spécifique pour l'évaluation du caractère excessif d'un déficit.

C'est finalement toute la gouvernance économique de l'Union européenne qui a pâti de ce laxisme budgétaire et de la liberté prise par les États membres avec les règles qu'ils avaient eux-mêmes fixées.

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