II. « L'EUROPE SE FERA DANS LES CRISES... »

« L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », écrit Jean Monnet dans ses Mémoires .

Le constat que l'Union européenne n'avance que dans l'adversité est aujourd'hui bien établi et a trouvé une nouvelle illustration avec la crise qu'a traversée la zone euro au cours des premiers mois de 2010.

Les récentes décisions prises en Europe, tant la mise en place d'un mécanisme de stabilisation financière que l'acceptation par la Banque centrale européenne (BCE) d'acheter directement des emprunts d'Etat, constituent une rupture importante par rapport aux grands principes posés par les traités de Maastricht et d'Amsterdam.

Au-delà de ces mesures d'urgence, la crise de la zone euro a créé un contexte favorable à l'approfondissement de la gouvernance économique en Europe . Sans cette crise, il est probable que cette question en serait restée au niveau des débats académiques, sans connaître d'avancées substantielles.

A. LA PRESSION DES ÉVÉNEMENTS : SURMONTER LES CRISES

La crise qui a touché la Grèce au cours des premiers mois de l'année aurait pu rester ponctuelle, ne concernant qu'un Etat de taille réduite dont le poids dans l'économie européenne, soit environ 3 %, pouvait paraître négligeable. Tel n'a pas été le cas, bien au contraire.

Alors que les traités posent le principe de la non co-responsabilité en matière de dette publique entre États membres, la crise a conduit l'Europe à renoncer à l'idée selon laquelle il était possible de laisser un État membre faire faillite plutôt que de se porter à son secours et a contraint la zone euro à faire prévaloir la solidarité sur le droit .

Du reste, les solutions retenues ont, le plus souvent, été mises en oeuvre, non pas en contradiction avec les traités, mais en dehors des traités , devant la nécessité de combler un vide juridique . La crise de l'euro, et ses conséquences sur la gouvernance économique, démontrent, une fois encore, le pragmatisme de la construction européenne .

1. La crise grecque

La crise grecque, au premier semestre 2010, a :

- constitué le signal avant-coureur d'une crise de soutenabilité des finances publiques nationales en Europe. La crise de l'euro a d'abord été une crise de l'endettement excessif ;

- été le déclencheur d'une crise d'une extrême gravité qui a suscité des craintes quant à l'avenir de la monnaie unique elle-même ;

- et mis en évidence l'absence de dispositifs européens pour soutenir les États membres fragiles.

Elle est intervenue dans un contexte de crise internationale qui, depuis trois ans, a des répercussions bancaires, financières, économiques et sociales. Afin d'éviter un effondrement général de l'économie, comme lors de la Grande Dépression des années 1930, les pouvoirs publics ont été amenés à mettre en oeuvre des politiques économiques de relance, sollicitant à la fois la politique monétaire et la politique budgétaire. La recapitalisation du secteur bancaire, la baisse sensible des recettes fiscales et les dépenses publiques mécaniques entraînées par le jeu des stabilisateurs automatiques ont provoqué une forte dégradation de la situation des finances publiques . De ce point de vue, la crise grecque apparaît comme une conséquence de la crise financière et économique mondiale qui a commencé en 2007/2008.

Mais elle a aussi des causes spécifiquement nationales tenant au poids de l'économie souterraine, aux faiblesses de l'administration fiscale et à la récurrence des problèmes budgétaires, l'écart entre ses prévisions budgétaires et le solde réalisé ayant toujours été important.

À ces facteurs structurels, il convient d'ajouter la manipulation des statistiques officielles et la sous-estimation de l'ampleur des problèmes, qui ne sont d'ailleurs pas nouvelles. Rappelons en effet que, dès son entrée dans la zone euro, en 2001, la Grèce a bénéficié de l'indulgence de ses partenaires européens qui ont choisi de ne pas accorder trop d'attention à la fiabilité discutable de ses statistiques ni au respect aléatoire des critères de convergence.

Pour autant, la Grèce a été la première à souffrir de la réaction inquiète des marchés, parce qu'elle constituait le « maillon faible » de l'Union économique et monétaire , mais elle n'était pas la seule cause des turpitudes qu'a connues la zone euro. Loin de là.

L'application laxiste des dispositions du Pacte de stabilité et de croissance et les fortes divergences des politiques économiques nationales se sont traduites par une hétérogénéité accrue entre États membres . La monnaie unique, qui interdit désormais d'utiliser le taux de change comme méthode d'ajustement, a brutalement durci les conditions d'emprunt sur les marchés financiers. Les charges d'emprunt deviennent alors difficilement supportables, en particulier pour les États membres déjà lourdement endettés.

C'était le cas de la Grèce. L'explosion du déficit et de la dette publics grecs due à la crise internationale a provoqué un emballement des marchés financiers, déjà inquiets quant à la solvabilité de l'État grec en cas de crise économique grave et quant à la soutenabilité de la politique budgétaire de ce pays, puis une baisse sensible et régulière du cours de la monnaie unique européenne, tandis que les agences de notation dégradaient la dette souveraine grecque. La hausse continue des taux d'intérêt imposés à la Grèce a obligé le gouvernement grec à adopter un plan de réduction drastique des dépenses publiques et a finalement empêché ce pays d'emprunter sur les marchés .

Il était devenu évident qu' une aide extérieure était indispensable pour la Grèce . La mise en place d'une telle aide a pourtant pris du temps et donné lieu à d' âpres négociations qui ont démontré de façon flagrante la faible cohésion de la zone euro .

Les débats ont aussi porté sur l'opportunité d'une intervention du Fonds monétaire international (FMI). L'expertise et les moyens considérables du FMI plaidaient en faveur de son intervention, mais celle-ci était politiquement délicate. Le Fonds était certes déjà intervenu en faveur d'États membres de l'Union européenne, la Lettonie, la Hongrie ou la Roumanie, pour soutenir leur balance des paiements, mais ces États n'appartiennent pas à la zone euro. Le recours au FMI apparaissait donc comme un aveu d'impuissance. D'un autre côté, l'intervention de la seule zone euro semblait contraire aux traités, qui prévoient explicitement la non-garantie par l'Union européenne des engagements des autorités publiques des États membres.

La mise en place du plan d'aide à la Grèce a été longue et laborieuse et s'est faite en plusieurs étapes, traduisant les hésitations de certains États membres, l'Allemagne en particulier, qui ont opposé une très forte résistance à l'idée même de solidarité avec la Grèce.

La principale étape a été, le 25 mars 2010 , l'adoption d'une déclaration des chefs d'État et de gouvernement de la zone euro qui pose le principe d'une aide de la zone à la Grèce et arrête les modalités de cette aide :

- elle intervient en dernier recours, en particulier si le financement de marché est insuffisant ;

- elle s'inscrit dans le cadre d'un accord comprenant une implication financière substantielle du FMI et une majorité de financement européen ;

- celui-ci prend la forme de prêts bilatéraux coordonnés des États membres de la zone euro, au prorata de la part de ces derniers au capital de la BCE, qui seraient décidés par les États membres de la zone euro à l'unanimité.

Dans une déclaration du 11 avril, les chefs d'État ou de gouvernement de la zone euro ont précisé les modalités techniques de l'éventuel soutien à la Grèce. Dans le cadre d'un programme commun avec le FMI, qui s'étale sur une période de trois ans, les États membres de la zone euro fournissent la première année des prêts bilatéraux jusqu'à 30 milliards d'euros, à un taux de l'ordre de 5 %. Les montants disponibles ultérieurement sont déterminés en fonction des besoins éventuels de la Grèce. Le montant de l'aide mise à disposition par le FMI se situe entre 10 et 15 milliards d'euros. Les trois principaux contributeurs sont l'Allemagne, avec 8,4 milliards d'euros, la France, pour 6,3 milliards, et l'Italie, avec 5,5 milliards.

Les États membres de la zone euro sont convenus de décider à l'unanimité, au vu des évaluations de la Commission et de la BCE, de l'activation du plan de soutien. Un État membre peut néanmoins choisir de ne pas participer au versement d'une tranche du programme sans que cela empêche le soutien par les autres États membres.

Enfin, à la suite de la demande de la Grèce d'activer le plan de soutien, le 23 avril, les ministres des finances de la zone euro se sont accordés, le 2 mai, sur un plan d'aide à la Grèce sur trois ans prévoyant 110 milliards d'euros de prêts , dont 80 provenant des États membres de la zone euro (2 ( * )) , comprenant les 30 milliards débloqués la première année, et 30 milliards du FMI. La contribution totale de la France atteindra 16,8 milliards d'euros.

Ce plan d'aide s'est accompagné de contreparties de la part de la Grèce, qui a dû accepter de présenter un programme d'assainissement budgétaire particulièrement drastique.


* (2) Le 11 août 2010, le Parlement slovaque a refusé d'autoriser la participation financière du pays au plan d'aide à la Grèce.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page