B. LES TERMES DE LA NÉGOCIATION BUDGÉTAIRE 2011

Le déroulement de la négociation budgétaire communautaire obéit traditionnellement à un schéma récurrent. Sur la base de l'avant-projet de budget de la Commission , le Conseil adopte un projet de budget généralement plus « restrictif » visant à renforcer la discipline budgétaire et à tirer les conséquences de la fréquente sous-exécution des crédits. Le Parlement européen , jugeant traditionnellement que les politiques communautaires n'ont pas les moyens de leurs objectifs, augmente sensiblement les montants votés par le Conseil et prévus par la Commission. L'issue de la négociation entre les deux branches de l'autorité budgétaire conduit au vote d' un budget souvent proche des prévisions de la Commission 19 ( * ) .

La négociation budgétaire pour 2011 n'obéit pas exactement au même schéma . Outre la nouvelle procédure introduite par le traité de Lisbonne vue précédemment, la demande de la plupart des Etats membres d'une discipline budgétaire renforcée conduit ainsi en 2011 à faire participer plus directement le budget de l'Union européenne aux efforts d'assainissement des finances publiques nationales. Il en résulte le vote en séance plénière du Parlement européen, le 20 octobre 2010, d'un projet de budget quasiment identique à la proposition initiale de la Commission. Cette approche , qui doit être remarquée et qui est soutenue par votre rapporteur spécial, devrait faciliter les négociations entre les deux branches de l'autorité budgétaire lors de la phase de conciliation prévue par le traité de Lisbonne et qui devrait normalement aboutir dans le courant de la deuxième semaine de novembre 2010.

1. Les propositions de la Commission, du Conseil et du Parlement européen
a) L'avant-projet de budget de la Commission

Il convient de distinguer les évolutions propres à chaque catégorie de crédits (engagement et paiement).

En crédits d'engagement , 142,57 milliards d'euros sont proposés par l'avant projet de budget (APB) 2011, présenté le 27 avril 2010 par la Commission, soit une augmentation de 0,84 % par rapport au budget 2010. Il s'agit pour l'essentiel de stabiliser les engagements financiers de l'Union européenne mais aussi de répartir différemment les crédits entre les rubriques. Les efforts supplémentaires pour ce qui concerne la sécurité et l'immigration sont ainsi consacrés. Cette priorité se traduit dans l'évolution de la rubrique 3a « Liberté, sécurité et justice », dont les crédits d'engagement affichent une hausse de 12,8 % (l'augmentation était déjà de 13,5 % en 2010). Il s'agit principalement de renforcer les moyens des politiques de gestion des flux migratoires ainsi que la lutte contre la criminalité et le terrorisme, en facilitant notamment la coopération policière et judiciaire.

Par ailleurs, les crédits d'engagement de la rubrique 1a « Compétitivité » augmentent de 4,4 % , hors plan de relance, par rapport au budget 2010 (contre + 8,4 % en 2010). La baisse apparente de 9,6 % de la rubrique s'explique par les fonds mobilisés à titre exceptionnel pour le financement du plan de relance européen en 2010.

Les crédits de paiement (CP) inscrits à l'APB 2011 affichent pour leur part une hausse de 5,85 % par rapport au budget 2010 et s'élèvent à 130 milliards d'euros . Ils visent à augmenter les crédits dédiés aux fonds structurels et à encourager les priorités indiquées précédemment 20 ( * ) .

Cette augmentation suit la hausse de 5,3 % constatée en 2010 et confirme la fermeture de la parenthèse de la réduction de 3 % des CP enregistrée en 2009. Cet exercice s'était en effet singularisé par des besoins moindres en CP en raison d'une position particulière dans le cycle de dépenses : les années 2007 et 2008 ont ainsi concentré les derniers paiements au titre des programmes 2000-2006 de la politique de cohésion et du développement rural, ainsi que la majeure partie des avances de paiement pour la nouvelle programmation 2007-2013. L'année 2011, comme l'année 2010, marque donc le retour à une dynamique plus habituelle , à l'image de l' augmentation substantielle de 17% des crédits dédiés aux fonds structurels . Votre rapporteur spécial observe que, pour le second exercice consécutif, les crédits de la politique de cohésion seront destinés en majorité aux pays de l'UE-12 (les douze pays ayant intégré l'UE depuis 2004).

b) Les « coupes » approuvées à la majorité qualifiée par le Conseil

Adopté par le Conseil à une courte majorité qualifiée par procédure écrite, le 12 août 2010, le projet de budget proposé par la présidence belge se veut plus « réaliste » .

Contrairement aux années précédentes, où la position du Conseil a été adoptée à l'unanimité, le projet de budget pour 2011 a en effet été marqué par une difficulté à concilier les positions divergentes au sein du Conseil . Comme le relève l'annexe « Relations financières avec l'Union européenne » au projet de loi de finances pour 2011, ces divergences se sont traduites par un fragile soutien au compromis de la présidence belge :

- sept Etats (Royaume-Uni, Autriche, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Suède, République tchèque) ont voté contre le compromis , en soutenant que le budget de l'Union devait participer aux efforts d'assainissement des finances publiques entrepris au niveau national. Ils ont donc défendu une augmentation du budget 2011 par rapport à 2010 limitée à l'inflation, voire, pour certains, une stabilisation du budget 2011 par rapport à 2010. Ils ont considéré que la hausse des CP par rapport à 2010 était encore trop éloignée de cet objectif, remettant en particulier en cause la forte hausse des crédits des fonds structurels. Ces Etats membres n'ont pu réunir une minorité de blocage qu'à trois voix près (soit 88 voix, la minorité de blocage étant de 91 voix) ;

- les pays de la cohésion ont défendu la hausse des crédits de paiement dédiés aux fonds structurels proposée par la Commission (+17 % par rapport à 2010) et ne se sont ralliés au compromis qu'après avoir accepté une réduction limitée de la hausse des crédits des fonds structurels proposée initialement par la présidence ;

- la France et l'Allemagne ont soutenu dans un premier temps les arguments des sept Etats minoritaires avant de se rallier au compromis de la présidence dans un souci de pragmatisme et afin de ne pas affaiblir la position du Conseil avant les négociations avec le Parlement. La France a toutefois indiqué que l'augmentation de 2,9 % constitue l'augmentation maximale qu'elle est prête à accepter et qu'au cours de la phase de conciliation elle se réserve la possibilité de rallier les Etats qui se sont opposés au compromis .

Au terme de ce compromis fragile , le projet de budget 2011 adopté par le Conseil procède à des coupes sensibles, réalisées en crédits d'engagement comme en CP.

La hausse des crédits d'engagement est ainsi limitée à 141,78 milliards d'euros , soit un niveau de crédits inférieur de 788 millions d'euros à l'avant-projet de budget de la Commission et une augmentation de seulement 0,2% par rapport à 2010 .

En CP, les coupes atteignent 3,6 milliard d'euros, ce qui réduit le montant du projet de budget à 126,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 2,9% par rapport à 2010 . Ces réductions se répartissent de manière assez équilibrée entre les différentes rubriques, avec un effort particulier exigé sur la rubrique 4 « l'UE en tant qu'acteur mondial ».

Au total, le projet du Conseil exprime, surtout, le choix d'une moindre budgétisation des CP , dont l'impact sur le montant des contributions nationales est direct. En pratique, le recours à des budgets rectificatifs en cours d'année vise souvent à ajuster les ouvertures de CP. Ce sont donc les crédits d'engagement , tels qu'ils sont prévus par le projet de budget adopté par le Conseil, qui apparaissent les plus significatifs , la répartition des CP étant donc toujours appelée à subir rapidement des modifications.

Répartition des crédits d'engagement en 2011
selon le projet de budget du Conseil

Source : annexe « Relations financières avec l'Union européenne » au projet de loi de finances pour 2011

c) La position du Parlement européen

Lors de son examen du projet de budget 2011, le Parlement européen a voté en séance plénière, le 20 octobre 2010, la plupart des recommandations de sa commission des budgets (COBU). Celle-ci avait, en effet, estimé insuffisant le projet du Conseil et a donc souhaité revenir à des propositions proches de l'APB de la Commission, en particulier au regard des ouvertures de CP.

Il résulte donc de ce vote que les crédits d'engagement sont portés à plus de 143 milliards d'euros , soit une hausse d'environ 1,3 milliard d'euros par rapport au projet du Conseil.

Les CP , quant à eux, s'élèvent désormais à 130,56 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation notable de 4 milliards d'euros . Le tableau suivant permet de récapituler ces évolutions.

Tableau comparatif de l'avant-projet de budget pour 2011, du projet adopté par le Conseil et du projet voté par le Parlement européen

(en millions d'euros)

Source : Parlement européen

N.B : Ce tableau ne permet pas de préjuger de l'issue finale des négociations entre le Conseil et le Parlement européen dans le cadre du comité de conciliation qui se déroule sur trois semaines à compter du 22 octobre 2010, et dont les modalités restent à définir à l'occasion de cette première application des dispositions du traité de Lisbonne.

Les hausses plutôt raisonnables demandées par le Parlement européen correspondent à une stratégie de quasi-retour à l'APB de la Commission et l'éloignent donc de sa tentative habituelle de saturation des plafonds pluriannuels .

2. Les principaux points de la négociation lors de la phase de conciliation

Le comité de conciliation, qui réunit des représentants du Conseil, du Parlement européen et de la Commission doit se réunir formellement au moins le 27 octobre et le 11 novembre 2010 . Entre ces dates, des réunions techniques doivent permettre de parvenir progressivement à un accord politique. Plusieurs questions feront l'objet d'arbitrages.

a) La prise en compte du contexte des finances publiques nationales

Comme l'ont montré les difficultés du Conseil à adopter sa position, la façon dont il sera tenu compte du contexte des finances publiques nationales pourrait être le point le plus délicat de la procédure budgétaire 2011 . L'augmentation limitée des crédits dans le projet de budget répond en effet principalement à un objectif de mise en cohérence du budget communautaire avec les efforts supportés par les budgets nationaux . Ainsi, plus le Parlement européen sera tenté de renvoyer l'effort nécessaire de discipline budgétaire sur les Etats membres, plus ces derniers pourraient en retour s'opposer à l'adoption du budget 2011.

Cependant, l'approche responsable qui ressort du vote du Parlement européen du 20 octobre 2010 paraît plutôt encourageante et exprime la prise de conscience des contraintes particulièrement fortes qui pèsent sur l'immense majorité des Etats membres. Le fait que 24 sur 27 de ces derniers soient aujourd'hui l'objet de procédures pour déficits publics excessifs y aura certainement contribué. Si ces éléments semblent de nature à rassurer sur l'issue de la phase de conciliation, il n'en reste pas moins que le compromis qui en résultera sera d'autant plus fragile qu'il repose sur une base étroite d'Etats membres.

b) Une budgétisation au plus juste

A côté d'une limitation de la croissance des crédits par rapport à 2010 eu égard aux stratégies de consolidation budgétaire mises en oeuvre par les États membres, la variation des ouvertures de crédits pour 2011, en particulier s'agissant des CP, répond à la nécessité d' assurer une budgétisation au plus juste en fonction des besoins réels de chaque politique sur l'exercice considéré . Ainsi les crédits pourraient de plus en plus être alloués en fonction de capacités réalistes d'absorption ainsi que sur la base des taux d'exécution 2009 et 2010.

De même, l'augmentation des dépenses administratives des institutions et des agences décentralisées de l'UE devra être mieux maîtrisée , conformément à l'approche retenue par les États membres à l'échelle nationale. A ce titre, votre rapporteur spécial se félicite que le Conseil demande la détermination des dotations budgétaires sur la base des besoins réels de chaque institution et agence, et qu'il ait refusé la création de nouveaux postes , à l'exception de ceux prévus pour les nouvelles agences. A cet égard, votre rapporteur spécial rappelle qu'il a conduit en 2009 une réflexion sur les agences européennes, qui a fait l'objet d'une communication le 7 octobre 2009 devant votre commission des finances ainsi que la commission des affaires européennes 21 ( * ) . Il observe également que la proposition de résolution dont il est à l'origine 22 ( * ) recommandait l'adoption de principes stricts permettant d' encadrer la création, le pilotage et le suivi des agences européennes.

c) L'engagement du Conseil d'ouvrir un débat sur les ressources propres

En contrepartie d'une hausse limitée du budget 2011 de l'UE, le Parlement européen exige du Conseil l'ouverture d'un débat institutionnel dès l'année prochaine sur la réforme des ressources propres , portant notamment sur la création de nouvelles sources de financement de l'Union.

La COBU a précisé que ce point fait « partie intégrante de l'accord global sur le budget 2011 », alors que son président Alain Lamassoure a estimé que se révèle « au grand jour la crise budgétaire de l'UE, qui couvait depuis dix ans », dans la mesure où « le budget européen est prisonnier des budgets nationaux ».

Un accord politique du Conseil sur une procédure de négociation et un calendrier pour ce débat devraient donc conditionner l'approbation par le Parlement européen du projet de budget communautaire pour 2011 .


* 19 La procédure 2010 a démontre, une fois de plus, ce jeu de rôle. Elle a conduit à proposer, pour l'examen en seconde lecture du projet de budget 2010, un niveau de crédits d'engagement et de CP proche de celui proposé par l'avant-projet de budget (APB) de la Commission le 29 avril 2009 (139 milliards d'euros en crédits d'engagement, soit une augmentation de 1,5 % par rapport au budget 2009 et 122 milliards d'euros en CP, soit une hausse de 5,3 % par rapport au budget 2009). Adopté à l'unanimité par le Conseil le 10 juillet 2009, le projet de budget s'était voulu plus « réaliste ». Il a donc procédé à d'importantes coupes : la hausse des crédits d'engagement a ainsi été limitée à 138 milliards d'euros, soit un niveau de crédits inférieur de 613 millions d'euros à l'avant-projet de budget de la Commission et, en CP, les coupes ont atteint 1,8 milliard d'euros, ce qui en a réduit le montant à 120,5 milliards d'euros. Lors de son examen en première lecture du projet de budget 2010, le Parlement européen a voté en séance plénière, le 22 octobre 2009, la plupart des recommandations de sa commission des budgets (COBU) et a porté les crédits d'engagement à près de 142 milliards d'euros, soit une hausse d'environ 4 milliards d'euros par rapport au projet du Conseil, tandis que les CP, quant à eux, se sont élevés à 127,5 milliards d'euros, ce qui représentait une augmentation notable de 7 milliards d'euros.

* 20 La hausse des CP de la rubrique 1a « Compétitivité » représente 6,8 % et celle de la rubrique 3a « Liberté, sécurité et justice » s'élève à 15,4 %, ce qui confirme la priorité donnée à la lutte contre la criminalité et le terrorisme ainsi qu'à la gestion des flux migratoires.

* 21 Cf. rapport d'information n °17, intitulé « Où vont les agences européennes ? », fait au nom de la commission des finances et de la commission des affaires européennes (2009-2010).

* 22 Proposition de résolution n° 23 (2009-2010).

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