N° 157

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 décembre 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la crise financière et bancaire en Irlande ,

Par M. Jean-François HUMBERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour , vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange , secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca, M. Richard Yung.

Le souhait de la commission des affaires européennes de s'intéresser à la politique européenne de l'Irlande, était initialement mû par la volonté de sonder les autorités locales et la société civile sur leur sentiment à l'égard de la construction européenne, quelques mois après la ratification, à l'issue d'un deuxième référendum, du Traité de Lisbonne. Considéré il y a encore peu comme un excellent élément de la zone euro, souvent cité en exemple pour sa discipline budgétaire, l'Irlande se distingue aussi par son affirmation sans cesse renouvelée de sa souveraineté, notamment en matière économique et fiscale.

La faillite du système bancaire irlandais est venue bouleverser le champ de ce suivi, tant les limites du modèle irlandais sont apparues au grand jour, rendant nécessaire l'intervention financière de l'Union européenne. C'est dans ce contexte qu'un déplacement à Dublin a été organisé les 1 er et 2 décembre derniers.

Ce rapport tire les enseignements des entretiens organisés sur place. Il a pour ambition de dresser un état des lieux de la situation locale, tant au plan politique qu'économique. Il présente également les modalités de l'intervention européenne, ainsi que ses conséquences tant au plan national qu'en matière de gouvernance économique européenne.

L'Irlande en quelques chiffres

Superficie : 70 273 km²

Population : 4 400 000 (dont 280 000 d'Europe de l'est)

PIB (2009) : 164,2 milliards d'euros

PIB par habitant (2009) : 36 800 €

Taux de croissance (2009) : - 7,5 %

Taux de croissance 2010 (prévision) : - 1,4 %

Taux de chômage (2009) : 11,7 %

Taux de chômage 2010 (prévision) : 14,00 %

Taux d'inflation (2009) : - 1,5 %

Taux d'inflation (2010) (prévision) : - 0,6 %

Solde budgétaire(2009) : - 14,4 % du PIB

Balance commerciale(2009) : + 28,3 milliards d'euros (16 % du PIB)

Principaux clients : États-Unis (19 %), Royaume-Uni (18,4 %), Allemagne (6,9 %), France (5,8 %)

Principaux fournisseurs : Royaume-Uni (37,7 %), USA (11,5 %), Allemagne (8,6 %), France (3,9 %)

I. UN TIGRE AUX ABOIS : LA CRISE DU MODÈLE IRLANDAIS

A. UNE ÉCONOMIE EN MARGE DE L'UNION EUROPÉENNE

1. Les fondements de la croissance irlandaise

La croissance irlandaise de la période 1992-2006 est le fruit d'une stratégie en solitaire au sein de l'Union européenne.

Bénéficiant des fonds de celle-ci en matière de cohésion jusqu'en 2004, elle a reçu entre 1973 et 1999 une aide équivalente à cinq fois sa contribution au budget européen et pu financer ainsi en partie la modernisation de ses structures. Un tiers de ces transferts ont été affectés au développement des ressources humaines (éducation et formation professionnelle).

Parallèlement, et au moyen d'une politique fiscale à rebours de celle de ses partenaires, elle a su dynamiser son économie. Le taux de l'impôt sur les sociétés est le symbole de cette course à la croissance en solitaire. Fixé à 20 % dans les années quatre-vingt dix, puis à 16 % en 2002, il s'élève à 12,5 % depuis 2003 alors que la moyenne européenne est de 27,5 %. Son produit représente un dixième des recettes de l'État. Il s'ajoute à de nombreux crédits d'impôts en faveur des ménages et à un taux réduit d'imposition des bénéfices pour les entreprises exportatrices, fixé à 10 %.

Cette politique fiscale n'a pas été sans conséquence en matière de gouvernance économique pour l'ensemble de l'Union européenne. Refusant tout rapprochement des fiscalités, elle a constitué un obstacle à une intégration plus poussée des économies européennes.

Combinée à un code des investissements extrêmement favorable, cette fiscalité avantageuse a fait de la terre rurale que constituait l'Eire un territoire attractif, ouvert, drainant encore 110 milliards d'euros d'investissements directs étrangers l'an passé.

Les plus grandes multinationales se sont ainsi installées en Irlande, employant 240 000 personnes, dont 110 000 au sein des seules entreprises américaines, à l'instar de Google, Microsoft, Twitter, Intel ou eBay. Rappelons que la population active s'élève à 1,9 million de personnes. L'Irlande est de fait devenue la porte d'entrée en Europe de la Silicon Valley. Aux emplois directs s'ajoutent, par ailleurs, ceux indirects liés à l'implantation étrangère : 20 % des emplois dans le pays sont découlent la présence de ces entreprises sur le territoire irlandais.

De fait, il n'est pas étonnant que l'Irlande ait souhaité au cours des négociations avec ses partenaires européennes en vue du second referendum sur le traité de Lisbonne, que sa spécificité fiscale, comme ses positions quant à l'interdiction de l'avortement ou la neutralité militaire, soit formellement reconnue au Conseil européen de Bruxelles des 18 et 19 juin 2009 et plus tard inscrite au sein d'un protocole annexé au prochain traité soumis à la ratification des États membres.

L'Irlande est devenue dans le même temps une place financière spécialisée dans les hedge funds . Sa croissance a été soutenue par une main d'oeuvre qualifiée et bon marché. Les capacités productives du pays ont été, à cet égard, renforcées par l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail. Modèle de discipline budgétaire, l'Irlande est rapidement devenue un exemple pour les pays d'Europe centrale, impressionnés par cette croissance rapide qui en fait en quelques années un des pays les plus riches des Vingt-Sept.

Les banques sont au coeur de cette transformation d'une terre rurale en une nation entièrement dévolue au secteur tertiaire. Comme en Belgique, en Islande ou en Écosse, le secteur financier irlandais est organisé en oligopole. Trois grandes banques de détail (l'Anglo Irish Bank, l'Allied Irish Bank et la Bank of Ireland) et deux caisses hypothécaires se partagent l'essentiel d'un marché domestique de 4,4 millions d'habitants. Privées d'un important marché local, les grosses banques des petits pays se sentent souvent obligées de croître au-delà de leur base de départ, multipliant les prises de risques. Dans le cas irlandais, celles-ci ont particulièrement concerné le secteur immobilier.

La croissance (8 % de moyenne entre 1994 et 2004) et l'élévation du niveau de vie concomitante posait en effet la question de l'investissement des dépôts qui ne cessaient d'augmenter au sein des banques. Les fruits de la croissance ont été, avec l'appui réglementaire et fiscal de l'État, investis à partir de 2001 par les banques dans le secteur immobilier, notamment commercial et de bureau, qui faisait preuve, alors, d'une certaine atonie.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page