2. L'éclatement de la bulle immobilière et la crise bancaire

Cumulant parfois les fonctions de gestionnaires de fonds et de promoteurs, les établissements bancaires ont été les moteurs de la bulle immobilière qui s'est alors créée, faisant grimper artificiellement les prix. 17 % des revenus de l'État vont alors provenir de l'immobilier, limitant de facto toute tentative de régulation de la part des autorités. L'immobilier devient le second moteur de la croissance. L'État entretient parallèlement cette bulle en multipliant les avantages fiscaux en faveur du secteur. Aucune taxe foncière n'est ainsi perçue depuis près de trente ans.

Cette frénésie immobilière s'explique par de nombreuses raisons. Membre de la zone euro, l'Irlande bénéficie alors de la faiblesse des taux d'intérêts, inférieure au taux d'inflation. L'argent n'est pas cher. L'accession à la propriété représente par ailleurs un idéal pour une population venant de rompre avec des décennies de pauvreté. L'Irlande a voulu rattraper ses voisins occidentaux au risque de vouloir grandir trop vite.

Cette stratégie n'a pas suscité non plus de réserves marquées de la part des institutions internationales, comme en témoignent les rapports annuels de l'OCDE et du FMI. Leurs conclusion, ont en effet, régulièrement écarté tout risque de chute brutale des prix de l'immobilier et ont souligné la capacité des banques à amortir les chocs. Les « stress tests » bancaires européens, ces tests de résistance des établissements bancaires, encadrés par la Commission, avaient, quant à eux, souligné en juillet dernier la capacité des banques irlandaises à demeurer solvables. Ces tests imposaient notamment que le ratio de solvabilité soit supérieur à 6 % d'ici 2011. Or les scenarii les plus pessimistes mettaient en avant un ratio de 6,5 % pour l'Allied Irish Bank et de 7,6 % pour la Bank of Ireland.

La crise financière mondiale est cependant venue montrer la fragilité de ce tropisme immobilier. L'augmentation des taux a rendu difficile l'issue pour les banques de se refinancer. La baisse des prix de l'immobilier, commercial comme d'habitation, a par ailleurs directement frappé leurs actifs. Les prix sont en effet revenus au niveau de 2002. Les banques irlandaises sont confrontées, par ailleurs, à l'augmentation du nombre de défauts de remboursements. Liée au ralentissement de l'activité dans le secteur du bâtiment (3 593 mises en chantier en septembre 2010, contre 21 622 en décembre 2007), l'augmentation du chômage renforce ce phénomène tout en creusant les déficits publics. Le surendettement de nombreux foyers, facilité par l'octroi de près de 790 000 crédits hypothécaires - la durée de remboursement des prêts peut aller jusqu'à cinquante ans - est également un élément déterminant dans cette crise bancaire. L'endettement des ménages est ainsi évalué à 160 milliards d'euros, soit pratiquement 100 % du PIB, dont 144 milliards au titre des crédits hypothécaires.

Les crédits hypothécaires en Irlande

En Irlande, les crédits hypothécaires sont consentis avec un recours contre la personne du débiteur. En conséquence, il ne suffit pas de vendre le bien immobilier ou de le rendre à la banque pour s'alléger de sa dette. En effet, en cas de vente, si la valeur vénale du logement se révèle inférieure au capital restant dû, le débiteur doit quand même régler le solde. On estime à 200 000 le nombre d'emprunteurs qui se trouvent dans cette situation dite de « negative equity ».Sur 790 000 débiteurs hypothécaires, près de 70 000 se trouvent en situation de retard de paiement. Les arriérés sont estimés à environ 1,2 milliard d'euros. Les arriérés supérieurs à 180 jours sont évalués à 562 millions d'euros et concernent plus de 28 000 emprunteurs.

Les crédits hypothécaires visent à la fois le logement principal et les crédits accordés aux particuliers pour l'immobilier locatif. Avec 31,3 milliards d'euros sur 144. Ces derniers représentent plus de 21 % de l'encours total de crédit,

Il convient de souligner que l'effondrement bancaire irlandais n'est pas le simple résultat du naufrage de la banque Lehman Brothers en septembre 2008, argument maintes fois mis en avant par le gouvernement irlandais depuis le début de la crise. Ce désastre économique est avant tout une crise « home made », faite maison, selon les termes du gouverneur de la Banque centrale irlandaise. Elle est le fruit d'attitudes nationales, de l'imprudence des banques à celle du gouvernement. Rappelons qu'au début de la crise, à l'automne 2008, celui-ci a pris soin de garantir l'ensemble des dépôts et des prêts octroyés par les établissements bancaires, soit un engagement de 480 milliards d'euros, trois fois le produit intérieur brut local.

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