TROISIÈME PARTIE : LES FORCES D'ACTIVE DOIVENT CEPENDANT POUVOIR COMPTER SUR LE RENFORT DES RÉSERVES MILITAIRES ET CIVILES

Malgré l'importance des moyens permanents dont dispose la France pour faire face à des crises majeures, de facto les dispositifs de gestion de crise intègrent le recours à des réserves qui viennent ainsi localement démultiplier les moyens humains de l'Etat.

Pour prolonger et amplifier la capacité de l'Etat à faire face à des crises majeures, les pouvoirs publics doivent donc pouvoir compter sur un dispositif de réserve militaire et civile, aujourd'hui en cours de mutation, dans le cas où les capacités des forces d'active viendraient à être ponctuellement ou durablement saturées.

Ces réserves doivent notamment permettre aux forces d'active de tenir dans la durée. La mission estime que c'est là que leur contribution peut être la plus importante.

Alors que les armées avec la fin de la conscription ont dû profondément remanier le format et les modalités de gestion des réserves, émergent depuis quelques années de nouveaux dispositifs de réserve civile.

Avant d'étudier les missions de ces réserves lors du déroulement de ces crises, la mission a souhaité faire un bilan de l'état de développement de ces différentes réserves.

I. UNE RÉSERVE MILITAIRE PROFONDÉMENT REMANIÉE

L'évolution du contexte géostratégique des missions confiées aux forces armées françaises a entraîné une refonte majeure de l'appareil de défense, caractérisée en particulier par la professionnalisation des forces et la suspension du service national obligatoire.

Auparavant, le système des réserves reposait sur l'appartenance de tous les anciens appelés âgés de moins de trente-cinq ans à la réserve, il s'agissait d'une réserve de masse (environ trois millions de réservistes pour l'ensemble des armées en 1993).

C'est dans ce cadre que se situe la profonde rénovation de la réserve militaire, concrétisée par la loi n° 99-894 du 22 octobre 1999 modifiée par la loi n° 2006-449 du 18 avril 2006 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense et disposant de la mutation en profondeur de la réserve militaire.

D'une réserve de masse, corollaire de la conscription, destinée à la défense du territoire national, la France est passée à une réserve d'emploi, plus disponible, plus réactive, mieux formée et totalement intégrée aux forces d'active. La réserve d'emploi créée en 1999 est aujourd'hui un complément nécessaire à des unités d'active aux effectifs resserrés.

En effet, les réserves renforcent dans la vie quotidienne des armées les effectifs de l'active lors de périodes pendant lesquelles l'activité devient plus intense, qu'il s'agisse de manoeuvres ou d'opérations réelles, en France comme à l'étranger.

A. DE LA RÉSERVE DE MASSE À LA RÉSERVE D'EMPLOI INTÉGRÉE AUX FORCES D'ACTIVES

Avec la refonte du dispositif de réserve suite à la professionnalisation des armées, on a assisté à un changement majeur du périmètre, du contenu et des fonctions de la réserve militaire. On ne saurait toutefois bien comprendre le fonctionnement actuel des réserves et le chemin parcouru si on ignore le passé des réserves militaires profondément ancrées dans la tradition républicaine.

1. Une mutation profonde

La réserve militaire reste aujourd'hui marquée par une tradition républicaine qui identifie la réserve à la mobilisation générale de la nation en arme, une tradition qui remonte à avant la révolution, lorsque les armées royales pouvaient rappeler le ban et l'arrière-ban. Encore aujourd'hui dans la majorité des esprits la réserve reste l'arrière-ban sur lequel les armées doivent pouvoir compter en cas de conflit terrestre imposant des effectifs nombreux à l'image de la guerre de 1914.

L'acte de naissance d'un dispositif moderne de réserve militaire tel que la France l'a connu jusque récemment date de 1872, soit deux ans après la défaite de la guerre de 1870, guerre pendant laquelle l'absence d'une réserve correctement instruite et équipée s'est faite cruellement sentir.

a) La réserve de masse : un dispositif ancré dans la tradition républicaine

Historiquement le premier corps de réservistes voit le jour sous le consulat, puis une garde nationale composée de centaines de milliers de volontaires a été utilisée à de nombreuses reprises par Napoléon Ier.

Après la fin du premier Empire, l'absence de conflit majeur explique l'insuffisance des engagements volontaires. Les réserves tombent alors en désuétude et l'appel par tirage au sort, institué par les lois Gouvion-Saint Cyr du 18 mars 1818 et Soult du 21 mars 1832, permet de satisfaire les besoins des armées.

C'est donc après la chute du Second Empire que sont institués, par la loi du 27 juillet 1872, les principes fondamentaux des réserves sous la forme qui a perduré jusqu'en 1999.

A l'issue du service national dans l'armée d'active, qui dure alors cinq ans, chaque citoyen doit servir quatre ans dans la réserve de l'armée d'active, puis cinq ans dans l'armée territoriale et enfin six ans dans la réserve de l'armée territoriale. Chaque armée gère ses réserves de manière distincte et indépendante.

Les réserves ont pour objectif principal la défense du territoire national contre les invasions étrangères. L'armée mobilise alors toutes les ressources physiques du pays pour assurer la garde aux frontières ou former des unités de seconde ligne. La prééminence démographique de la France en Europe occidentale disparaît en raison d'une baisse de la natalité plus importante que dans les pays voisins et, surtout, du fait de l'unité allemande scellée en 1871. Le contexte exige en conséquence d'augmenter la masse des effectifs.

Depuis lors, différentes lois ont modifié le texte fondateur du 27 juillet 1872, mais ses principes n'ont jamais été remis en cause. La loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l'armée a porté à vingt-cinq ans la durée des obligations militaires ; celle du 21 mars 1905 a exclu toute dispense dans un souci d'égalité et a ramené la durée du service militaire à deux ans dans l'armée d'active. A la veille de la première guerre mondiale, la loi du 7 août 1913 a porté la totalité des obligations militaires à vingt-huit années.

La loi du 1 er avril 1923 a réduit le service militaire actif à dix-huit mois et a légèrement modifié le système des réserves. Cette loi a également remplacé l'appellation de « réserve de l'armée d'active » par celle de « disponibilité », et a supprimé l'« armée territoriale » en la remplaçant par une première réserve pour les réservistes âgés de moins de quarante ans et une deuxième réserve pour les autres.

La stabilité du cadre symbolique et juridique de l'emploi des réserves depuis la dernière guerre mondiale explique la présence dans la mémoire collective de cet héritage qui a forgé des concepts, et la pratique d'avant 1999 qui était une armée prête à la mobilisation générale avec des unités de réserve dérivées des unités d'active jusqu'au niveau de la division. L'armée d'active était ainsi doublée d'une armée de réserve avec des équipements propres. Cette armée de réserve qu'on a pu appeler « l'armée fantôme » comportait avant la réforme de 1999 trois millions de soldats.

Alors que la nature des risques, le rôle des armées, les modalités des conflits ont été profondément bouleversés, cet héritage a une forte prégnance sur la vie du réserviste d'aujourd'hui et sur son image dans l'opinion publique.

b) La réserve d'emploi : une conséquence de la professionnalisation des armées

La suspension du titre II (articles L. 1 à L. 159) du code du service national par la loi n° 97-1019 portant réforme du service national aurait eu pour effet, sans autre intervention du législateur, de mettre fin à toute obligation relative à la réserve puisque le système alors en vigueur reposait sur l'obligation faite aux hommes âgés de moins de trente-cinq ans d'appartenir à la réserve à l'issue de leur service national.

La professionnalisation des armées met fin à deux siècles de réserve de masse fondée sur l'obligation de servir la nation.

Conscient de ce problème depuis la décision prise en 1996 par le Président de la République de supprimer le service national, le Parlement a adopté, cette même année 1996, une loi de programmation militaire 16 ( * ) fixant les grandes orientations en matière de réserves.

La loi de programmation militaire de 1996 dispose que « les effectifs des réserves sont fixés à 100 000 hommes à l'échéance de 2002 » (article 3). Restait à définir la nouvelle organisation des réserves militaires.

La loi du 22 octobre 1999 puis la loi du 18 avril 2006 ont créé une réserve dite « opérationnelle » composée de deux niveaux.

Une réserve de premier niveau regroupant des volontaires civils ou d'anciens militaires, ayant signé un engagement et qui reçoivent chacun une affectation en fonction des besoins des armées.

Une réserve de second niveau plaçant sous un régime de disponibilité, pendant cinq ans, les anciens militaires non volontaires pour la réserve. Ces militaires « disponibles », dont l'aptitude est supposée être vérifiée régulièrement, peuvent être appelés en renfort par voie de décret si le nombre des réservistes volontaires s'avère insuffisant et si les circonstances l'exigent, disposition qui n'a, pour l'instant, jamais été appliquée.

A côté de cette réserve opérationnelle, a été créée une réserve « citoyenne » , dont les effectifs ne font pas l'objet d'objectifs chiffrés et dans laquelle sont admis les réservistes non affectés dans la réserve opérationnelle.

Cette réserve avait initialement été conçue pour jouer un rôle de vivier pour la réserve opérationnelle, et pour entretenir l'esprit de défense, ainsi que renforcer le lien entre la Nation et son armée. Cette réserve est cependant, par essence, différente de la réserve de premier niveau puisqu'elle n'a strictement aucun caractère opérationnel, même au titre de la défense civile ou passive, et a, avant tout, un rôle de relais et de réseau au sein de la société civile.


* 16 Loi n° 96-589 du 2 juillet 1996 relative à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002.

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