B. DES EFFECTIFS MILITAIRES LARGEMENT THÉORIQUES

Si on s'en tient aux seules réserves militaires, sans évoquer l'appartenance de certains réservistes militaires à d'autres réserves civiles ou à des services de sécurité ou de secours susceptibles d'être mobilisés, les chiffres annoncés sont en réalité assez trompeurs.

Les rapports au Parlement du Conseil Supérieur de la réserve militaire, comme de nombreux autres rapports, font l'erreur de présenter la réserve opérationnelle comme étant la somme soit des réservistes du niveau 1 et 2, soit des réservistes sous ESR et des disponibles.

Ainsi le dernier rapport d'évaluation de l'Etat de la réserve militaire en 2009 indique que « Au 31 décembre 2009, le nombre de réservistes sous Engagement à Servir dans la Réserve (ESR) était de 58 307 volontaires dont la moyenne d'âge se situait autour de 38 ans. Si les besoins opérationnels l'exigeaient, ces volontaires peuvent être renforcés par 95 166 anciens militaires d'active assujettis aux obligations de disponibilité 100 ( * ) »

Or cette présentation occulte le fait qu'une partie importante des ESR sont des disponibles. Parmi les 34 % de réservistes sous ESR qui sont d'anciens militaires d'active 101 ( * ) , une partie de ces réservistes sont encore soumis à une obligation de disponibilité. D'après les informations collectées, seule la marine, la gendarmerie et l'armée de l'air semblent pouvoir déterminer les ESR signés par des disponibles. Dans l'armée de l'air, la proportion des ESR qui sont également des disponibles serait de 20 %. Il est en tout état de cause contestable de présenter ces chiffres comme pouvant s'additionner puisque cela conduit à compter deux fois les mêmes personnes.

Au-delà du problème statistique, la réserve de niveau 2 rassemblant les disponibles n'est pas opérationnelle en cas de crise. En effet, les pouvoirs publics ne disposent pas, en cas de rappel, sauf peut être dans la marine et la gendarmerie, de fichiers à jour de leurs coordonnées.

Les disponibles sont, selon une expression utilisée devant la mission, « les oubliés de la réserve ». Cet oubli est d'ailleurs d'une certaine façon intégré dans la planification militaire puisque aucun plan d'emploi des réservistes disponibles n'a été élaboré.

Partis de l'institution militaire sans avoir choisi de demeurer dans une réserve opérationnelle ou une réserve citoyenne, la majorité de ses membres en sont professionnellement et affectivement détachés. Ainsi, ces anciens militaires n'apparaissent pas spontanément sensibles à leur obligation de disponibilité, ni même à leur obligation de notifier leurs changements d'adresse.

Malgré des efforts déployés dans la marine, l'armée de l'air 102 ( * ) et la gendarmerie, les administrations des armées n'ont, dans l'ensemble, pas entrepris de mesures permettant de localiser les disponibles. C'est pourquoi le fichier des identités et des adresses de résidence, dont l'importance est cruciale pour mettre en oeuvre un éventuel rappel des disponibles, est sans valeur, faute de tenue à jour . 103 ( * )

De même, si ces anciens militaires soumis à l'obligation de disponibilité peuvent théoriquement être convoqués, afin de contrôler leur aptitude, pour une durée qui ne peut excéder un total de cinq jours sur une durée de cinq ans, dans la réalité, ces rappels ne semblent pas être pratiqués faute de moyens et de volonté.

Dans ces conditions, la mission souscrit à l'appréciation maintes fois répétée par les personnes auditionnées selon laquelle les disponibles sont une composante de la réserve opérationnelle « peu fiable a priori ». Comme le souligne le préfet Aubert  « les réservistes, soumis à l'obligation de disponibilité qui caractérise cette réserve nombreuse et dont l'expérience militaire des membres est encore fraîche, ne peuvent de fait être mobilisés » 104 ( * ) :

La mission souligne que les armées se privent ainsi d'une ressource de qualité. Les disponibles sont des anciens militaires qui ont exercé à temps plein pendant plusieurs années, voire plusieurs dizaines d'années. Ils ont acquis pendant ces années une qualification qui est souvent sans commune mesure avec celle des réservistes issus de la société civile qui n'ont parfois comme bagages que quelques jours de formation.

Ils présentent l'avantage d'avoir une palette de compétences militaires plus large que les réservistes issus directement de la société civile qui reçoivent le plus souvent une formation pour un type de métier spécifique.

Chaque année, le stock des disponibles est renouvelé par l'arrivée de nouveaux retraités des armées et le départ des agents ayant quitté les armées depuis plus de 5 ans. Les effectifs annuels de départs des armées est de l'ordre de 32 000 en 2009. Ces disponibles sont relativement jeunes puisque 57 % des militaires qui quittent l'armée ont moins de 50 ans, l'âge moyen des officiers lui est de 44 ans, celui des sous-officiers de 41 ans et celui des militaires du rang de seulement 25 ans 105 ( * ) . Il s'agit donc d'un vivier non seulement qualifié mais relativement jeune.

Aussi, en l'état actuel des choses, les armées peuvent avant tout compter sur les 58 307 réservistes sous ESR dont 32 484 sous la responsabilité du ministère de la défense et 25 823 réservistes de la gendarmerie. C'est là le coeur de la réserve militaire.

Aussi bien quantitativement que qualitativement, l'abandon d'une politique d'emploi de la réserve de deuxième niveau fragilise le potentiel des réserves en cas de crise majeure .

Tout au long des auditions, la mission à eu le sentiment que la hiérarchie militaire ne savait que faire des disponibles. Les armées n'abandonnent pas ce dispositif : l'obligation est toujours en vigueur. Elles ne se donnent pas ou n'ont pas les moyens de pouvoir l'utiliser, ne serait-ce qu'en recoupant les adresses de ces personnes, au moins avec celles des pensionnés qui ne représentent certes pas l'ensemble des disponibles mais néanmoins une part significative.

La mission a bien conscience que, d'une part, la gestion de ce vivier exige des moyens financiers et humains importants dans un contexte budgétaire difficile, et d'autre part, qu'il s'agit d'anciens militaires engagés dans une seconde carrière ou en cours de reconversion et donc, contrairement à leur dénomination, sans doute peu « disponibles ». Elle comprend que le recours aux disponibles peut aller à l'encontre de la politique de reconversion des anciens militaires à laquelle les armées consacrent, dans cette période de déflation des effectifs, des moyens considérables.

Dés lors, il convient de bien peser les avantages et les inconvénients de l'abandon ou du suivi des disponibles et d'en mesurer le bilan coût/avantage.

La mission a constaté que pour certaines personnes interrogées le maintien à jour des adresses et vérification de l'aptitude médicale est en soi une charge totalement démesurée et hors de portée par rapport aux services qu'elle est susceptible de rendre.

Les dispositions du code de la défense relatives aux disponibles

Art. L. 4231-1. Sont soumis à l'obligation de disponibilité :

1°. Les volontaires pendant la durée de validité de leur engagement dans la réserve opérationnelle ;

2°. Les anciens militaires de carrière ou sous contrat et les personnes qui ont accompli un volontariat dans les armées, dans la limite de cinq ans à compter de la fin de leur lien au service.

Art. L. 4231-2. Les anciens militaires mentionnés à l'article L. 4231-1 peuvent être convoqués, afin de contrôler leur aptitude, pour une durée qui ne peut excéder un total de cinq jours sur une durée de cinq ans.

Art. L. 4231-3. Les personnes soumises à l'obligation de disponibilité sont tenues de répondre, dans les circonstances prévues aux articles L. 4231-4 et L. 4231-5, aux ordres d'appel individuels ou collectifs et de rejoindre leur affectation pour servir au lieu et dans les conditions qui leur sont assignées.

Art. L. 4231-4. En cas d'application de l'article L. 1111-2, l'appel ou le maintien en activité de tout ou partie des réservistes soumis à l'obligation de disponibilité peut être décidé par décret en conseil des ministres.

Art. L. 4231-5. En cas de troubles graves ou de menaces de troubles graves à l'ordre public, le ministre de la défense peut être autorisé par décret à faire appel, pour une durée déterminée, à tout ou partie des réservistes de la gendarmerie nationale soumis à l'obligation de disponibilité.

La mission ne s'est pas sentie en mesure de trancher au regard des éléments en sa possession.

Elle s'interroge sur le fait de savoir si les armées ont besoin de ce dispositif, si elles peuvent se donner les moyens de le gérer, ou à l'inverse de s'en priver. Elle constate qu'en abandonnant de fait ce dispositif, les armées suggèrent qu'elles pourraient s'en passer.

La mission préconise de sortir de l'ambiguïté actuelle en répondant avant toute chose à la question du besoin : les armées ont-elles besoin des disponibles ?

Le jour où le Parlement se saisira à nouveau de la loi sur les réserves de 1999, il serait souhaitable de disposer d'éléments de réflexion qui permettent de répondre à cette question.


* 100 Rapport au Parlement d'évaluation de l'état de la réserve militaire en 2009, page 4, chiffre comprenant la gendarmerie.

* 101 Rapport au Parlement d'évaluation de l'état de la réserve militaire en 2009, page 6, chiffre comprenant la gendarmerie.

* 102 Dans l'armée de l'air, l'instruction n° 487/DEF/EMAA/GMG/DRAA/CDT du 12 avril 2005, relative à la préparation du rappel du personnel soumis à l'obligation de disponibilité prévoit que « chaque base aérienne doit être en mesure de recenser le personnel soumis à disponibilité qui lui est affecté, pour :- le rappeler partiellement ou en totalité dans le cadre de la mise en application des articles 2 et 6 de l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959, - établir un répertoire de compétences auquel elle peut faire appel pour compléter ses effectif, soit de la réserve opérationnelle de premier niveau, soit de la réserve citoyenne. ».

* 103 Dans la pratique, les anciens militaires touchant une pension seraient localisables du fait du versement de la pension. Ce n'est pas le cas du personnel ayant servi moins de 15 ans.

* 104 Les réserves de sécurité nationale - Rapport sur la question des réserves civiles et militaires présenté par M. Gabriel Aubert, préfet. Avril 2009, page 44.

* 105 Haut comité d'évaluation de la condition militaire, 15 janvier 2010, annexe 1  Comportement de départ

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