II. UNE DISPONIBILITÉ RÉELLE NON VÉRIFIÉE

La majorité des réservistes militaires et civils ont une autre activité professionnelle et parfois d'autres engagements volontaires. Bien qu'ils s'engagent à donner une part de leur temps à la réserve, il est vraisemblable que, dans un contexte de crise, ces autres activités puissent les empêcher d'honorer le contrat de réservistes qu'ils ont signé.

Comme l'a souligné le Livre blanc : « La multiplication des filières (armées, gendarmerie, police, santé, sécurité civile) fait craindre que les mêmes personnes soient recensées plusieurs fois, ce qui crée des risques lorsque la ressources est rare (spécialistes, personnel médical...) ».

La mission a observé que c'était particulièrement le cas dans trois types de situation : lorsque les réservistes appartiennent à plusieurs réserves en même temps, lorsqu'ils exercent une activité professionnelle de sécurité ou de secours ou encore lorsqu'ils font partie d'un plan de continuité d'activité au sein d'organismes d'importance vitale. Dans ces cas, la disponibilité des réservistes en question est alors théorique.

Autrement dit, sans même évoquer la part des réservistes qui, lors d'une catastrophe, souhaiteront d'abord protéger leur famille et leurs proches, il existe une proportion significative de réservistes qui ne seront pas disponibles du fait de leur profession ou d'un autre engagement volontaire.

A. LA PRÉSENCE DE PROFESSIONNELS DE LA SÉCURITÉ OU DU SECOURS DANS LES RÉSERVES POSE LE PROBLÈME DE LEUR DISPONIBILITÉ EN CAS DE CRISE

Le réserviste opérationnel est destiné, le jour où les nécessités du pays le justifieront, à abandonner durablement son occupation permanente pour contribuer à la gestion de la crise.

Cette conséquence de l'engagement à servir dans la réserve ne paraît pas compatible avec certaines professions spécifiques. On n'imagine pas que, le jour où se produit dans une zone donnée une série d'attentats meurtriers ou une catastrophe naturelle majeure, les policiers appartenant à la réserve de la gendarmerie quittent leur poste au sein de la police nationale, un médecin urgentiste abandonne son service ou qu'un membre des cellules de crise d'EDF ou de France Télécom rejoigne son unité d'affectation en tant que réserviste.

Le fait que certains volontaires appartiennent à des professions directement mobilisées en cas d'urgence les conduirait à être sommés de se mobiliser par leur employeur et par le gestionnaire de la réserve à laquelle ils appartiennent. C'est donc une double injonction incompatible, à laquelle ils ne pourront répondre.

Le problème lié aux réservistes qui exercent par ailleurs des fonctions soit dans plusieurs réserves, soit dans des services concourant à la sécurité, soit des opérateurs d'importance vitale comme EDF, France Télécom, la SNCF, etc. est aujourd'hui clairement identifié.

Comme le souligne le dernier rapport de la Cour des comptes sur les réserves, un policier ou un employé du réseau électrique, réserviste opérationnel, ne serait-il pas voué à répondre à une urgence portant sur des opérations de police ou d'approvisionnement électrique plutôt qu'à une demande concurrente des armées d'assurer du soutien de troupes déployées ? Ce serait contraire à son engagement de réserviste, mais peut-être optimal pour le pays.

Certains acteurs de la réserve militaire admettent que des réservistes opérationnels sont identifiés comme exerçant la profession de policier ou de pompier, dans le civil. Mais aucune recherche systématique prenant en compte la totalité du domaine de la sécurité nationale n'a été menée. Interrogée sur le point de savoir s'il y avait des réservistes parmi les sapeurs volontaires, la direction de la sécurité civile du ministère de l'intérieur a indiqué qu'elle ne disposait pas de cette information.

Lors des auditions de la mission, il est apparu qu'un certain nombre de policiers étaient aussi réservistes dans la gendarmerie. Normalement, le code de la défense ne permet pas, à l'inverse, à un gendarme d'intégrer la réserve de la police nationale.

Cette double appartenance est jugée, en cas de crise, problématique, mais est, en revanche, appréciée en situation normale, ces policiers constituant des réservistes « de qualité » dans la mesure où leur formation les prédispose à l'exercice de la fonction de gendarme.

Dans le cadre d'un groupe de travail du SGDSN, il avait été demandé aux armées de recenser au cours de l'année 2010 les réservistes qui appartiendraient à d'autres réserves ou à des professions liées à la gestion de crise. Aucune statistique globale n'a pu être établie. Seule la gendarmerie a pu établir un décompte précis de ces réservistes, les autres armes n'ont vraisemblablement pas une connaissance suffisante du profil de leurs réservistes pour établir une telle statistique.

Si aucune statistique globale n'existe pour l'instant, les quelques sondages effectués donnent des résultats très variables. Ainsi, dans la réserve de l'armée de l'air, un sondage sur 100 réservistes laisse apparaître une proportion de 8 % de l'effectif appartenant à des métiers de la sécurité ou du secours.

Le préfet Aubert, dans son rapport sur la question des réserves civiles et militaires, note quant à lui que « le groupement de la gendarmerie départementale de Seine-et-Marne affiche 26 % de réservistes professionnels de la sécurité exerçant à titre principal des fonctions de police, de sapeurs-pompiers, à la régie autonome des transports parisiens ou au sein de services de sécurité privée. ». Les statistiques établies par la gendarmerie en 2010 font état de 1 000 réservistes sur un effectif global de 26 000, ce qui ne représente que 3 % des effectifs.

Nombre de réservistes de la gendarmerie ayant des emplois liés à la gestion de crise

Emplois

Agents de sécurité municipaux

34

Garde forestier ou champêtre

40

Médecins urgentistes

8

Personnel de la défense

1

Personnel des services pénitentiaires

54

Personnel des services sanitaires

20

Policiers municipaux

572

Policiers nationaux

178

Pompiers professionnels (exclusivement)

154

1 061

Source : Gendarmerie

L'appartenance des réservistes aux forces de police nationale, à la gendarmerie, aux armées, aux forces de police municipale, aux sapeurs pompiers volontaires, à des services de sécurité privés et accessoirement aux associations agréées de sécurité civile, doit être identifiée et quantifiée.

Ce problème n'a pour l'instant pas été traité par les administrations concernées. Il n'a pas été identifié en 2006 lors de la révision de la loi de 1999 sur les réserves, si bien que rien n'oblige ni ne permet de collecter des informations qui permettraient de déceler des incompatibilités ou d'instaurer des restrictions d'emploi, voire d'engagement dans la réserve militaire. En outre, l'insuffisance des outils d'enregistrement du profil des réservistes opérationnels au sein des armées ne permet pas un suivi fin de ceux-ci.

Du fait de l'indépendance de gestion de chaque réserve opérationnelle, chaque autorité d'emploi dispose d'un système d'information qui ne communique pas avec les autres. Non seulement les dispositifs entre ministères ne communiquent pas entre eux, mais même au sein des armées, les dispositifs ne sont pas interconnectés. Ainsi la gendarmerie a son système d'information de gestion des ressources humaines Agorh @, l'armée de terre, du nom de Concerto , la marine du nom de Rh @ psodie , le service de santé des armées intitulé Arhmonie . De plus, certaines armées centralisent la connaissance de leurs réservistes au niveau zonal, d'autres au niveau national. Une interconnexion des systèmes d'information de gestion des ressources humaines envisagée pour 2016 est de ce point de vue hautement souhaitable.

Certes, cette situation a vocation à évoluer avec le développement de systèmes d'information, mais le contenu de ces systèmes n'est lui-même pas forcément à jour, et de ce fait, les gestionnaires ne leur accordent qu'une confiance limitée. Calqués sur les systèmes de gestion de masse de l'armée d'active, ils ne correspondent pas toujours au besoin d'un suivi de personnels temporaires de profils et de compétences plus diversifiés.

La plupart des réservistes opérationnels anciens appelés du contingent restent enregistrés dans le système à partir de leur grade et de leur « spécialité » acquise durant leur service national, qui remonte à de nombreuses années. L'exploitation de ces informations est presque impossible. Un système interarmées géré par le conseil supérieur de la réserve militaire entre 2006 et 2008 n'a pas été plus performant et son fonctionnement a été suspendu.

Les systèmes d'information des réserves ne permettent pour l'heure aucune étude sérieuse de l'ampleur du problème. Il conviendrait qu'une profonde amélioration soit apportée pour une connaissance statistique précise des professions et des obligations professionnelles civiles.

Sur cette base, une réflexion sur d'éventuelles incompatibilités, par exemple entre les professionnels de sécurité publique et de sécurité civile, et la réserve opérationnelle, devrait s'engager.

Cette réflexion appelle plusieurs niveaux de réponse.

On peut estimer qu'il est souhaitable, pour plus de clarté, de ne plus autoriser ce type de cumul d'activités de sécurité. On pourrait objecter à un régime strict d'incompatibilité qu'il porterait atteinte au principe de l'égalité d'accès aux réserves. Cette objection semble pouvoir être aisément écartée en soutenant que, paradoxalement, ces professionnels de la sécurité ne présentent pas les qualités requises pour remplir leurs fonctions au sein de la réserve. Ils sont en effet susceptibles d'être mobilisés deux fois lors d'une même crise au moment précis où l'on a le plus besoin d'eux. Au terme de son emploi dans une activité professionnelle de sécurité, le candidat redeviendrait éligible à l'accès à la réserve et pourrait apporter à celle-ci le bénéfice de son expérience acquise ailleurs.

A l'inverse, on peut juger qu'il ne faut pas se priver de ces volontaires par une mesure d'ordre général car les cas pratiques d'incompatibilité seront limités dans l'espace et dans le temps.

Sur un périmètre donné, une zone de défense par exemple, il y a, en cas de crise locale, une incompatibilité entre l'exercice dans la zone d'une profession de sécurité publique et de sécurité civile et l'appartenance à la réserve militaire opérationnelle de ladite zone. En revanche rien n'empêche un policier, un pompier, un médecin d'une autre zone, qui ne connaîtrait aucune difficulté, de venir dans le cadre de la réserve prêter main forte à des services de l'Etat en difficulté.

Il faut, en outre, concevoir le fonctionnement du dispositif dans le temps. Le scénario d'une crise nationale majeure associe des secours nationaux, a priori immédiats, à une intervention militaire extérieure qui serait organisée avec un délai de plusieurs mois résultant des questions de mobilisation, de logistique et des nécessités d'une coalition avec d'autres alliés militaires. C'est d'une certaine façon ce qui s'est passé aux Etats-Unis après le 11 septembre 2001.

Dans ce scénario, un professionnel de santé pourrait donc conjuguer, dans un premier temps, des secours d'urgence apportés à la population civile, et, dans un deuxième temps, un déploiement au sein de la réserve en appui des actions militaires. Ainsi, un engagement dans la réserve sanitaire -ou équivalent- peut être compatible avec la réserve opérationnelle du service de santé des armées, pourvu que ces deux engagements aient des effets dissociés dans le temps. Autrement dit, on peut envisager d'assortir l'engagement d'un réserviste dans plusieurs dispositifs de restrictions d'emploi de façon à déterminer clairement quelles doivent être ses priorités en cas de crise majeure, grâce à une connaissance maîtrisée des incompatibilités. Il faudrait cependant, pour cela, disposer d'une connaissance maîtrisée des engagements de chacun et des incompatibilités.

En édictant des règles strictes d'incompatibilité, on risque de priver les réserves de personnes effectivement disponibles.

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