B. REVOIR LA MÉCANIQUE INTERNE DE TRANSFERTS FINANCIERS POUR LA RENDRE SOUTENABLE

Tout en visant la reconduction de l'enveloppe budgétaire qui y est consacrée, il serait plus réaliste, sur le plan financier, de défendre une évolution des règles en vigueur de la politique de cohésion.

1. La politique régionale bouleversée par l'élargissement

En 2004 puis en 2007, l'Union européenne a accueilli en son sein douze nouveaux États d'Europe centrale et orientale.

Cet élargissement de l'Union bouleverse la donne pour la politique de cohésion : la superficie de l'Union a augmenté de plus de 25 %, sa population de plus de 20 %, et sa richesse d'environ 5 % seulement. Le PIB moyen par habitant de l'Union européenne a de ce fait diminué de plus de 10 % et les disparités régionales ont été multipliées par deux. Ceci emporte deux conséquences majeures : d'une part, la nécessité d'une politique régionale s'en trouve encore davantage renforcée. D'autre part, étant donné qu'environ 60 % des régions en retard de développement se situent désormais dans les douze États membres ayant adhéré depuis 2004, le centre de gravité de la politique régionale s'est déplacé vers l'Est.

La carte ci-dessous, qu'a communiquée le cabinet du commissaire Hahn à vos rapporteurs et qui représente l'intensité des aides régionales en montant annuel moyen par habitant à travers les régions de l'Union durant la période 2007-2013, permet de visualiser aisément ce déplacement vers l'Est du centre de gravité de la politique de cohésion :

Pour plus de précisions, il est utile de présenter la répartition des fonds entre les États membres pour la période 2007-2013 :

PAYS

FONDS ALLOUES
(en milliards d'euros)

Allemagne

26,3

Autriche

1,4

Belgique

2,3

Bulgarie

6,9

Chypre

0,6

Danemark

0,6

Espagne

35,2

Estonie

3,4

Finlande

1,7

France

14,3

Grèce

20,4

Hongrie

25,3

Irlande

0,9

Italie

28,8

Lettonie

4,6

Lituanie

6,9

Malte

0,8

Luxembourg

0,06

Pays-Bas

1,9

Pologne

67,3

Portugal

21,5

République tchèque

26,7

Roumanie

19,7

Royaume-Uni

10,6

Slovaquie

11,6

Slovénie

4,2

Suède

1,9

La diminution de la moyenne du PIB par habitant dans l'Union européenne, qu'a mathématiquement entraînée l'élargissement, n'est pas sans conséquence sur la politique de cohésion : ainsi, même si leur richesse ne s'est pas accrue, certaines régions éligibles en 2007 à l'objectif convergence en raison d'un PIB par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire ne le seront plus en 2013. En outre, de nombreuses régions éligibles à l'objectif convergence connaissent un taux de croissance du PIB supérieur à la moyenne européenne. Ce rattrapage économique contribue lui aussi, et c'est en soi une bonne nouvelle, à exclure du fonds de cohésion et de l'objectif convergence des États ou régions qui y sont aujourd'hui éligibles (12 ( * )) . Lors de sa rencontre avec vos rapporteurs, M. Johannes Hahn, commissaire européen en charge de la politique régionale, a précisé que, sur les 84 régions relevant actuellement de l'objectif convergence, 16 d'entre elles (13 ( * )) en sortiraient pour la prochaine période de programmation.

De ce phénomène, il devrait résulter d'importantes économies sur l'objectif convergence après 2013. Dans le rapport qu'il a remis au Premier Ministre en mai 2010, notre collègue M Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, estime l'économie ainsi potentiellement réalisée à près de 50 milliards d'euros sur l'ensemble de la prochaine programmation, soit près de 15 % du budget actuellement alloué à la politique de cohésion (14 ( * )) .

Mais il faut mettre en regard de cette économie mécanique un autre effet susceptible de résulter des règles en vigueur : le règlement (15 ( * )) des fonds structurels adopté en 2006 prévoit, en son annexe II (16 ( * )) , qu'un plafond est applicable aux transferts des fonds soutenant la cohésion. Cette règle dite du « capping », exprimée en pourcentage du PIB de l'Etat membre considéré, interdit ainsi que la part des fonds structurels versés par l'Union à un de ses États membres éligibles à l'objectif convergence dépasse 3,23 à 3,78 % de son PIB, ce taux plafond étant modulé selon le retard de l'Etat considéré (17 ( * )) . Conçue à l'origine pour contenir les transferts dans les limites de la capacité d'absorption des nouveaux États membres, cette règle aurait une incidence financière importante si elle était appliquée telle quelle en 2013, en raison du rattrapage qu'ont connu les économies des nouveaux États membres depuis leur entrée dans l'Union.

Si l'on peut évidemment se féliciter de l'augmentation du PIB dans l'Europe des 12 (nouveaux entrants), qui atteste du succès de la politique de cohésion, l'on peut aussi légitimement s'inquiéter de son effet explosif sur les plafonds de transferts au titre de la cohésion. Selon la représentation permanente de la France à Bruxelles, un pays comme la Pologne verrait ainsi le plafond des aides régionales européennes porté de 67 milliards d'euros pour la période 2007-2013 à 106 milliards d'euros pour la période 2014-2020.

Le surcoût qui en découlerait pour la politique de cohésion atteindrait environ 75 milliards d'euros , selon les informations recueillies par vos rapporteurs : l'économie évoquée plus haut du fait de la sortie mécanique de l'objectif convergence est donc largement dépassée par la dérive financière à laquelle conduiraient les règles en vigueur.

2. Revoir les principes de la politique de cohésion pour la rendre soutenable

Si rien n'était fait, l'architecture actuelle de la politique de cohésion conduirait à un transfert financier considérable de l'Europe des 15 vers celle des 12 nouveaux entrants... Les soldes nets positifs et négatifs des États au titre de la politique de cohésion atteindraient des niveaux financièrement et politiquement explosifs. Il n'est pas envisageable que des pays comme l'Allemagne ou l'Espagne, sans parler du nôtre, contribuent encore plus qu'ils ne le font déjà à la politique régionale. Les 12 nouveaux entrants le savent et, d'après Mme Danuta Hübner, président de la commission du développement régional au Parlement européen, sont prêts à revoir l'intensité des aides au profit des régions relevant des Etats contributeurs nets afin que ces derniers consentent au maintien d'une politique régionale ambitieuse.

Il est donc indispensable d'imaginer des correctifs afin de rendre soutenable la politique de cohésion.

D'une part, il apparaît nécessaire de revoir la règle du « capping » , pour contenir l'évolution des aides bénéficiant aux nouveaux États membres. L'abaissement des plafonds d'aides répond à la nécessité d'assurer la soutenabilité financière de la politique de cohésion mais également à tenir compte de la capacité d'absorption de l'aide dans ces nouveaux États. Lors de son entretien avec vos rapporteurs, le directeur général du Budget de la Commission européenne, M. Hervé Jouanjean, avait insisté sur ce point, faisant notamment observer le décalage existant en Bulgarie entre le caractère massif des aides financières que ce pays reçoit de l'Union (8,3 % du PIB) et la faiblesse du taux de leur consommation (18 ( * )) . Vos rapporteurs s'étonnent que la Commission, dans son cinquième rapport sur la cohésion, n'annonce pas une révision des plafonds d'aides applicables aux 12 nouveaux États membres. Pourtant, même la présidente de la commission du développement régional du Parlement européen, Mme Hübner, en a reconnu la nécessité et M. Johannes Hahn, commissaire européen en charge de la politique régionale, l'a également évoqué publiquement lors de sa venue à Paris le 19 janvier 2011. Selon votre commission, ce préalable à la négociation devrait être posé d'emblée par le Gouvernement français puisqu'il s'agit de la source principale d'économie pour la politique de cohésion et qu'il conditionne largement son architecture globale.

D'autre part, la Commission européenne propose de rééquilibrer la dynamique interne de la politique de cohésion au bénéfice de l'Europe des 15. Pour cela, elle envisage de renforcer l'enveloppe budgétaire consacrée à la compétitivité régionale : le cabinet du commissaire en charge de la politique régionale évoque une augmentation de 10 à 15 euros par habitant. Surtout, la Commission propose de créer une nouvelle catégorie de régions, dites « intermédiaires » car dotées d'un PIB par habitant compris entre 75 % et un plafond qui pourrait être 100 ou, plus vraisemblablement à entendre le commissaire Hahn, 90 % de la moyenne communautaire.

La création de cette nouvelle catégorie de régions bénéficierait notamment aux régions françaises, ainsi qu'aux régions britanniques, belges et allemandes. Elle aurait également le mérite de mettre fin au système complexe de sortie dégressive de l'objectif convergence (aides transitoires au titre du « phasing in » (19 ( * )) et du « phasing out » (20 ( * )) . Surtout, elle serait plus équitable puisqu'elle profiterait non seulement aux régions appelées à sortir de l'objectif convergence mais à l'ensemble des régions dont le PIB serait compris entre 75 % et la borne haute qui aura été retenue. Plus équitable, elle serait aussi de ce fait plus coûteuse, ce qui justifie que l'Allemagne semble lui préférer, à l'heure qu'il est, l'ancien système de « phasing in and out » bien que plusieurs Länder bénéficieraient de la création de cette nouvelle catégorie de régions en transition.

Il apparaît en tout cas que ces réformes sont indispensables à la survie de la politique de cohésion et votre commission des affaires européennes encourage le Gouvernement français à obtenir la finalisation de ces correctifs au nom de la soutenabilité d'une politique essentielle pour l'ensemble de l'Union européenne.

Mais, dans un contexte tendu pour les finances publiques, la France doit aussi résoudre sa propre équation budgétaire à l'égard de l'Union européenne.


* (12) Espagne, Grèce, Slovénie et Chypre sortiront en effet du fonds de cohésion dont le seuil d'éligibilité est fixé à 90% du PIB moyen communautaire.

* (13) Comptant 35 millions d'habitants.

* (14) Rapport de M. Pierre Lequiller au Premier Ministre sur la bonne utilisation, par la France, des fonds structurels européens.

* (15) Règlement (CE) N° 1083/2006 du Conseil du 11 juillet 2006 portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1260/199.

* (16) Point 7.

* (17) Ainsi, le taux maximal de 3,7893 % du PIB est-il réservé aux États membres dont le RNB moyen par habitant pour la période 2001-2003 (exprimé en standard de pouvoir d'achat -- SPA) est inférieur à 40 % de la moyenne de l'UE à 25.

* (18) D'après les informations recueillies par vos rapporteurs, 5,8 % des fonds structurels étaient consommés en Bulgarie au 1er janvier 2011, alors qu'est dépassé le milieu de la période de programmation. Ce taux de consommation est encore plus préoccupant en Roumanie où il atteint 1,9 % à la même date.

* (19) Les régions couvertes par l'objectif 1 de la politique régionale au titre de la programmation 2000-2006 et dont le niveau de développement est tel qu'elles ne répondent plus aux critères de l'objectif « convergence » bénéficient d'un soutien transitoire plus élevé dans le nouvel objectif « compétitivité régionale et emploi ».

* (20) Pour prendre en compte l'effet statistique lié à l'élargissement, un régime transitoire dégressif est accordé aux Etats qui auraient été éligibles au fonds de cohésion si le seuil était resté à 90 % du RNB moyen de l'UE-15.

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