N° 346

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 mars 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les défis européens de la Lettonie et de la Lituanie ,

Par M. Yann GAILLARD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour , vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange , secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Mme Roselle Cros, M. Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca, M. Richard Yung.

INTRODUCTION

Sept ans après leur double adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN, les États baltes traversent une crise économique sans précédent et tentent dans le même temps de répondre aux défis qu'impose leur enclavement énergétique.

Les années de croissance effrénée qu'ont connues la Lettonie et la Lituanie semblent révolues, ces deux États étant en quête d'un second souffle économique. Consolidation budgétaire et restauration de la compétitivité et de l'attractivité des territoires sont désormais au coeur des politiques de rigueur mises en place à Vilnius et Riga, les gouvernements locaux oeuvrant, par ailleurs, en faveur d'une intégration de leurs pays dans la zone euro.

Dépendantes de la Russie tant en matière gazière qu'électrique, la Lituanie et la Lettonie souhaitent s'affranchir de cette contrainte et participent à l'élaboration d'une stratégie d'autonomie régionale, s'inscrivant dans le contexte plus vaste de la politique européenne de l'énergie.

La question de la dépendance énergétique ne constitue qu'une des facettes de la relation que la Lituanie et la Lettonie entretiennent avec la Russie, depuis leur accession à l'indépendance en 1991. Oscillant entre pragmatisme économique et prudence politique avec Moscou, Vilnius et Riga militent en faveur du renforcement du rôle de l'Union européenne et de l'OTAN dans la région. Le projet européen est, à cet égard, appréhendé sous un angle régional.

C'est dans ce contexte qu'un déplacement a été organisé en Lituanie et en Lettonie du 23 au 25 février derniers. Ce rapport tire les enseignements des entretiens organisés sur place. Il a pour ambition de dresser un état des lieux de la situation locale, tant au plan politique qu'économique, à l'heure où se précisent la sortie de crise et les perspectives d'adhésion à la zone euro. Il vise également à cerner la perception du projet européen dans ces deux pays, dont l'action au sein de l'Union européenne est pour partie déterminée par les rapports entretenus avec la Russie.

La Lettonie et la Lituanie en quelques chiffres 1 ( * )

Lettonie

Lituanie

Superficie

64 600 km 2

65 300 km 2

Population

2 250 000

3 244 500

PIB (2009)

18,5 milliards d'euros

27,2 milliards d'euros

PIB / habitant (2010)

10 450 € en 2010

8 278 €

Salaire brut moyen mensuel

636 €

550 €

Taux de croissance (2010)

- 0,2 %

1,3 %

Taux de chômage (2010)

14,5 %

17,4 %

Taux d'inflation (2010)

3,7 % (janvier 2011)

1,2 %

Solde budgétaire (2010)

8,2 %

8 %

Principaux clients

Lituanie, Estonie, Russie, Allemagne, Suède, Danemark

Russie, Allemagne, Pologne, Lettonie, Pays-Bas

Principaux fournisseurs

Lituanie, Allemagne, Russie, Pologne, Estonie, Pays-Bas

Russie, Lettonie, Allemagne, Pologne, Estonie

I. DEUX PAYS EN QUÊTE D'UN SECOND SOUFFLE ÉCONOMIQUE

L es économies lituanienne et lettone ont connu en 2008 une crise sans précédent, marquée par un effondrement de la croissance et une augmentation exponentielle du chômage. Jusque-là considérés comme les bons élèves de l'Union européenne, alliant dynamisme et discipline budgétaire, les deux « tigres » baltes ont montré, en pleine tourmente financière mondiale, la faiblesse de leur modèle économique.

A. UNE CRISE ÉCONOMIQUE D'UNE AMPLEUR INÉGALÉE

La volonté de prouver une adaptation aux valeurs occidentales explique pour partie la libéralisation effrénée des économies lettone et lituanienne au cours des années quatre-vingt-dix. Celles-ci sont d'ailleurs marquées par une croissance continue, une inflation modérée et une maîtrise certaine des dépenses publiques. A la veille de l'adhésion à l'Union européenne, Vilnius et Riga enregistrent ainsi les meilleurs taux de croissance parmi les pays d'Europe centrale et orientale (PECO). L'intégration européenne va, dans un premier temps, confirmer cette tendance non sans créer toutefois les conditions d'une surchauffe économique.

1. Deux économies confrontées à un phénomène de surchauffe

La croissance continue des économies lettone et lituanienne jusqu'en 2008 est le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs reliant compétitivité de la main d'oeuvre locale, attractivité du territoire, absorption des fonds européens, dérégulation bancaire et fiscalité avantageuse.

Croissance du produit intérieur brut 2004-2008

2004

2005

2006

2007

2008

Lettonie

+ 8,7 %

+ 10,6 %

+ 12,2 %

+ 10 %

- 4,2 %

Lituanie

+ 7,4 %

+ 7,8 %

+ 7,8 %

+ 9,8 %

+ 2,9 %

Cette croissance sans précédent n'a pas été sans conséquence sur la demande interne, stimulée par une hausse des revenus et l'octroi plus aisé de crédits bancaires.

L'augmentation rapide des salaires durant cette période est une des caractéristiques communes aux deux États. Elle concernait l'ensemble des secteurs économiques, au risque de conduire à un véritable décrochage entre les rémunérations et la productivité, affectant directement la compétitivité et l'attractivité des deux pays.

Cette croissance des revenus était liée, pour partie, à la volonté des gouvernements de tempérer l'inclinaison des populations à l'émigration. La revalorisation du salaire minimum visait ainsi à réduire l'écart avec celui versé en Irlande, un des principaux pays d'accueil des travailleurs baltes. Dans le même temps, l'État a octroyé d'importantes hausses dans le secteur public, constituant ainsi une sorte de référence pour l'évolution des rémunérations dans le secteur privé. L'éventualité d'une raréfaction de la main d'oeuvre a également conduit les entreprises à abandonner progressivement la négociation collective et privilégier le dialogue individualisé, propice à une augmentation des salaires.

Croissance du coût nominal du travail 2004-2008

2004

2005

2006

2007

2008

Lettonie

- Secteur privé

- Secteur public

+ 10,6 %

+ 11 %

+ 15,1 %

+ 15,2 %

+ 23,3 %

+ 23,7 %

+ 30,3 %

+ 35,4 %

+ 23,4 %

+ 20,5 %

Lituanie

- Secteur privé

- Secteur public

+ 4,5 %

+ 8,4 %

+ 11,4 %

+ 12,1 %

+ 18,5 %

+ 17,3 %

+ 20,9 %

+ 13,7 %

+ 17,2 %

+ 21,1 %

L'augmentation de la consommation n'a pas été sans incidence sur la balance commerciale des deux pays, confrontés à un creusement régulier de leur déficit. La production domestique comme les exportations ne parvenaient pas à juguler celui-ci, la Lettonie et la Lituanie dépensant plus qu'elles ne peuvent produire.

Par ailleurs, combinée à une hausse des tarifs énergétiques, l'augmentation concomitante de la consommation et des salaires se traduisait par une forte inflation, particulièrement observable dans le secteur immobilier : la Lettonie voit ainsi apparaître une bulle immobilière - les prix augmentent de 60 % entre 2006 et 2007 -, lourde de menaces pour le secteur bancaire local.

Taux d'inflation 2004-2008

2004

2005

2006

2007

2008

Lettonie

+ 6,2 %

+ 6,9 %

+ 6,6 %

+ 10,1 %

+ 15,3 %

Lituanie

+ 1,2 %

+ 2,7 %

+ 3,8 %

+ 5,8 %

+ 11,1 %

Le modèle économique des deux pays est, par ailleurs, largement centré sur le secteur tertiaire en raison, notamment, de leur situation géographique et de leur capacité à se muer en véritables zones de transit entre l'Union européenne et l'Est du continent. Il est de fait tributaire du dynamisme des marchés voisins, les deux pays baltes ne pouvant compenser, par leurs productions industrielles, cette dépendance extérieure.

L'arrimage des monnaies lettone et lituanienne à l'euro n'est, à cet égard, pas non plus sans incidence sur la perte de compétitivité des deux économies, en raison notamment de la dépréciation des monnaies de leurs principaux partenaires commerciaux.

L'ouverture accélérée des économies locales en vue de rattraper le niveau de développement moyen des pays européens a, de fait, clairement montré ses limites. La crise mondiale est venue amplifier ces phénomènes de surchauffe observés ici et là. L'arrimage des monnaies locales à l'euro a cependant interdit aux gouvernements locaux le recours à une dévaluation compétitive, ne laissant d'autre choix que des politiques d'ajustement sévères pour les populations.


* 1 Les chiffres contenus dans ce rapport ont été transmis par les autorités lettones et lituaniennes et les ambassades de France à Riga et Vilnius.

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