II. UNE APPROCHE RÉGIONALE DE L'UNION EUROPÉENNE

Mue par le souvenir douloureux de l'occupation soviétique, l'intégration simultanée à l'Union européenne et à l'OTAN marquait, de la part des États baltes, un souhait manifeste de s'affranchir durablement de l'influence du voisin russe et rompre ainsi avec la tutelle qu'il tente encore d'exercer sur les anciennes Républiques soviétiques. Le conflit entre la Géorgie et la Russie en août 2008 est venu, aux yeux des gouvernements locaux, donner raison à cette stratégie. Ces événements se sont traduits, notamment, par un renforcement des exigences des États baltes en matière de sécurité collective, tant par le biais de l'OTAN que par celui de l'Union européenne.

Cette logique, se heurte néanmoins à une double réalité : le partenariat économique que la Lituanie comme la Lettonie ont noué avec Moscou et la dépendance énergétique de ces pays à l'égard de la Russie. Le rapprochement progressif de Moscou avec les structures européennes et atlantiques tempèrent dans le même temps toute opposition frontale.

L'enclavement énergétique est néanmoins une des clés pour saisir l'implication des pays baltes dans le projet européen et leur vision, pour l'essentiel, régionale de l'action de l'Union européenne.

A. LES RELATIONS AVEC LA RUSSIE : ENTRE PRUDENCE ET DÉTENTE

1. Un apaisement relatif
a) Un conflit mémoriel latent

La relation avec la Russie est tributaire, dans l'ensemble des États baltes, des exactions commises lors de l'occupation soviétique de ces pays. Là où Moscou continue à estimer que l'intégration des trois États baltes au sein de l'Union soviétique relevait d'un choix des populations locales, la Lettonie et la Lituanie estiment que cette adhésion était le fruit de l'invasion de l'Armée rouge à l'occasion de la deuxième guerre mondiale. L'assassinat ou la déportation des élites locales vers la Sibérie dans l'immédiat après-guerre viennent corroborer cette appréciation.

Vingt ans après l'accession à l'indépendance, cette crispation autour du passé semble néanmoins s'estomper avec les années, le personnel politique revenu d'exil au moment des accessions à l'indépendance tendant désormais à laisser le pouvoir à une nouvelle génération, sans doute plus encline au dialogue. La célébration du soixantième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale en mai 2005, comme la guerre entre la Russie et la Géorgie trois ans plus tard ont, cependant, été l'occasion de voir réapparaître au sein de l'opinion publique et des gouvernements des réflexes de prudence à l'égard du voisin russe. Le poids des formations populistes et nationalistes sur les deux échiquiers politiques traduit cette tentation au repli identitaire, pour partie légitime.

En dépit d'une appréciation commune de l'occupation soviétique et de la volonté de puissance russe, les deux États ne réagissent pas de façon totalement unanime. Alors que la Lituanie avait boycotté la cérémonie du 9 mai 2005 au motif que cette date coïncidait tant avec la fin de la guerre avec l'Allemagne nazie qu'avec la fin de l'indépendance des pays baltes, l'ancienne présidente lettone, Mme Vaira Vike-Freiberga, avait, quant à elle, fait le déplacement, souhaitant avant tout montrer la présence de la Lettonie à ces cérémonies en tant que membre de l'Union européenne sans renier néanmoins son appréciation ambivalente de l'événement.

Les relations avec la Pologne : l'autre crispation lituanienne

Le statut de la minorité polonaise (250 000 individus, soit 6,74 % de la population) est source, depuis quelques mois, de tensions entre les gouvernements polonais et lituanien. La Pologne estime ainsi que les droits de la minorité sont bafoués au regard de la politique scolaire des autorités lituaniennes en matière scolaire. Le projet de réforme de la loi scolaire augmentant le nombre d'heures d'enseignement en lituanien est ainsi très critiqué à Varsovie. L'ouverture d'écoles primaires lituaniennes dans des zones en majorité de peuplement polonais pose également problème.

La Pologne estime par ailleurs que la Lituanie n'applique pas la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales, adoptée en 1995 et dont la Lituanie est partie. Aux termes de l'article 11 de ce texte, l'affichage public devrait être systématiquement réalisé dans les deux langues dans les régions bilingues. Celles-ci sont considérées comme telles dès lors qu'au moins 20 % de leur population est issue d'une minorité. Varsovie relève également que l'administration lituanienne manque aussi à ses obligations concernant l'orthographe des noms polonais dans les papiers d'identité, et notamment les passeports. La lettre W est, en effet, inexistante en lituanien et n'apparait pas, en conséquence, dans les documents officiels.

Enfin, les restitutions des propriétés polonaises, confisquées durant l'ère soviétique ne sont toujours pas effectives. La loi de privatisation, adoptée en 1997, s'avère, à cet égard, délicate à mettre en oeuvre pour les Polonais de Lituanie.

Les problèmes de bilinguisme comme celui des restitutions ne sont pas sans lien avec l'histoire des deux pays et, notamment, avec la domination qu'a exercée pendant des siècles la Pologne sur son voisin balte. En modérant son effort de reconnaissance de la minorité polonaise, la Lituanie pense préserver son identité recouvrée depuis 1991, mais fragilisée par le défi moderne que représente l'émigration massive (un million de personnes en dix ans) de ses ressortissants à l'étranger. On relèvera par ailleurs que la minorité lituanienne en Pologne souffre également de réels problèmes d'intégration.

Au-delà de la question de la minorité polonaise, deux dossiers contribuent à une crispation des relations entre les deux pays. La raffinerie de Mazeikiai située sur le territoire lituanien mais qui appartient à une entreprise polonaise pose ainsi problème. La société Orlen qui possède plus de 89 % du capital du complexe pétrolier souhaite, en effet, revendre celle-ci au grand dam de Vilnius qui craint que la société russe Gazprom ne se porte acquéreur.

Varsovie se montre, par ailleurs, réticent au sujet de la participation de la Lituanie au futur groupement tactique de Weimar. Ces unités de combat multinationales, composées d'environ 1 500 hommes, devraient être capables, d'ici 2013, d'être déployées rapidement et loin, si nécessaire, pour assumer des missions de gestion de crise.

Le rapprochement entre la Pologne et la Russie ne plaide pas, à cet égard, en faveur d'une amélioration des relations entre les deux pays. Il y a d'ailleurs lieu de s'interroger sur l'influence russe dans le raidissement de Varsovie quant à la position de la minorité polonaise chez son voisin balte. L'utilisation des querelles identitaires est une antienne de la politique extérieure russe, comme en témoignent les exemples moldave, ukrainien ou géorgien.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page