IV. COMMENT REMÉDIER AUX TENSIONS POTENTIELLES ENGENDRÉES PAR LA CROISSANCE DE LA DEMANDE DE MÉTAUX ?

Les crises auxquelles la France, comme la plupart de ses partenaires européens, est exposée, du fait de cette dépendance en matière d'approvisionnement en métaux, sont donc de plusieurs ordres :

- géopolitique : certains pays peuvent être tentés d'utiliser les matières premières minérales comme un élément clé dont le contrôle conditionne le développement de leurs industries, surtout dans les domaines innovants de haute technologie. La part croissante de la Chine dans la production et la consommation des matières premières minérales, dont les terres rares, doit être relevée ;

- technologique : le développement de nouvelles technologies, notamment dans le domaine de l'environnement (voitures électriques, éoliennes, énergie photovoltaïque, meilleure efficacité énergétique dans l'automobile et l'aéronautique ...) peut entraîner des hausses rapides de la demande pour des substances précédemment relativement peu utilisées. Or, l'industrie minière est une industrie lourde, aux temps de réponse lents (10 à 20 ans) ;

- la grande volatilité des cours des matières premières liée à la financiarisation de l'économie globale se traduit par de fortes fluctuations des prix ;

- la mauvaise image de l'industrie minérale, qui est pourtant une industrie vitale pour l'économie, a conduit à une relative désindustrialisation des pays développés, accompagnée d'une perte des technologies de première transformation ;

- la faiblesse récente des capacités françaises : la France a abandonné le développement de la connaissance des ressources de son sous-sol. L'inventaire minier, effectué de 1975 à 1992, était largement orienté vers les métaux de base (cuivre, plomb, zinc) et l'or. Le potentiel en métaux rares, qui était sans intérêt économique à l'époque, n'a pas été pris en compte. Ce programme, dont le BRGM était l'opérateur, a correspondu à une période de cours historiquement bas des matières premières minérales, alors qu'aujourd'hui l'époque des ressources minérales bon marché est révolue .

A. SÉCURISER L'APPROVISIONNEMENT DE LA FRANCE ET DE L'EUROPE EN RESSOURCES METALLIQUES

Le territoire français ne produit plus de ressources métalliques, hormis l'or de Guyane, le nickel de Nouvelle-Calédonie, et les nodules polymétalliques situés dans les fonds marins de certaines zones économiques exclusives (ZEE) sous souveraineté française.

Composition chimique des nodules polymétalliques

Manganèse (30 %)

Fer (6 %)

Nickel (1,4 %)

Cuivre (1,25 %)

Cobalt (0,25 %)

Titane (0,60 %)

Aluminium (3 %)

Et sodium, magnésium, silice, zinc, oxygène et hydrogène (32 %).

Cette situation expose notre économie et nos industries de défense à une forte vulnérabilité aux aléas des marchés, tant pour les prix que pour les quantités.

S'agissant des métaux de base, la forte demande des pays émergents, conjuguée à des éléments financiers mal maîtrisés ou spéculatifs, conduit à une croissance continue de leurs coûts, alors que la crise de 2008 avait exercé un effet modérateur. Ainsi le prix du cuivre a franchi le seuil des 10 000 dollars (7 315 euros) la tonne, en février 2011, soit le triple de son prix au début de l'année 2009.

L'essentiel de sa production, de 16 millions de tonnes en 2010, était assuré par quatre principaux pays : le Chili (34 %), le Pérou (8 %), la Chine (7 %) et les Etats-Unis (7 %).

Quant aux métaux rares, une liste de leurs principaux usages a été établie par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) 4 ( * ) , sachant que cette liste est évolutive en fonction d'utilisations potentielles qui se révèleront avec l'avancée des technologies. A sa lecture, on constate la multiplicité de leurs usages dans les technologies de pointe. Les industries de défense utilisent, de façon croissante, ces métaux du fait de leurs qualités spécifiques, comme la résistance à la corrosion et aux fortes variations de températures.

Contrairement à ce que laisse croire leur dénomination, les « terres rares » ne le sont pas . Si la Chine produit aujourd'hui près de 95 % des quantités consommées dans le monde, ceci découle du désintérêt manifesté, jusqu'à ces derniers temps, par les pays développés à l'égard des problématiques minières. C'est pourquoi ces minerais, dont l'intérêt s'est considérablement et récemment accentué du fait de leur utilisation croissante dans les technologies de pointe, sont importés de Chine, pays qui a saisi tout le prix, politique et financier, qui pouvait être tiré de ce quasi-monopole. D'importants gisements existent hors de Chine, notamment aux Etats-Unis, en Inde et en Australie. Mais la transformation de ces minerais, après extraction, passe aujourd'hui par des opérations très polluantes, beaucoup plus facilement tolérées en Chine que dans les pays développés, qui ont, de ce fait, tacitement consenti à ce que ce pays concentre la quasi-totalité de la production.

L'exploitation des gisements présents hors de Chine réclamera du temps et des investissements importants. Dans cette attente, ce quasi monopole pose un réel problème de sécurité d'approvisionnement pour l'ensemble des utilisateurs.

La préservation de la compétitivité de notre industrie dans ces domaines à haute valeur ajoutée requiert donc la pérennité de leur obtention, par l'utilisation de plusieurs leviers.

Il convient, tout d'abord, de nouer des coopérations bilatérales avec les pays européens ayant une tradition minière, comme l'Allemagne, et les pays scandinaves .

Ce terme de « terre » est issu du vocabulaire français du XVIIIe siècle, qui désignait ainsi ce que nous appelons aujourd'hui les métaux ou leurs composés.

La Suède est toujours un grand producteur de fer. L'offensive alliée de mai 1940 sur le port norvégien de Narvik, par lequel transitait le fer provenant des mines suédoises de Kiruna, constitue une illustration de l'importance de ce métal. Ce pays a été un berceau de découverte des terres rares, et pourrait en redevenir productrice.

Des coopérations, fondées sur une communauté d'intérêts et de compétences dans le domaine minier, permettront d'affermir les actions à mener pour restaurer ce secteur.

Une deuxième piste prometteuse, mais dont les difficultés pratiques sont multiples, réside dans le développement de la collecte et du recyclage des nombreux équipements de notre vie courante qui contiennent, même en quantité réduite, des substances rares , comme les téléphones portables, les ordinateurs, les lampes à basse consommation, ou les pots catalytiques des véhicules, ensemble que les spécialistes regroupent sous le terme de « mines urbaines ». A l'heure actuelle, ces opérations de récupération se heurtent, souvent encore, à une faible rentabilité économique, du fait des coûts élevés de collecte et de transformation.

Il n'existe donc aujourd'hui en France, comme en Europe, qu'un petit nombre d'usines de recyclage. Une amélioration des opérations de collecte permettrait d'éviter la « fuite », de ces produits qui sont actuellement recyclés, pour l'essentiel, dans des pays émergents. Ceux-ci recourent à des procédés industriels peu performants, pouvant être optimisés grâce à des technologies plus avancées.

1. Quels sont les freins au recyclage ?

Le recyclage des métaux rares, tout comme de nombreux métaux moins rares, nécessite une chaîne intégrée et bien organisée. Il est primordial quant on évalue le recyclage de considérer la chaîne complète au travers d'une approche systématique.

Le succès du recyclage dépend de chaque étape et des interfaces entre ces différentes étapes de la chaîne. Toute étape peu productive ou transfert mal géré provoque une réduction drastique de l'efficacité du recyclage et donc de la quantité de métaux récupérés en fin de chaîne.

Parmi les métaux rares, le recyclage des métaux précieux offre la valeur économique et la contribution environnementale les plus élevées.

Les freins au recyclage sont caractérisés par tout manque et/ou entrave au bon fonctionnement de chaque étape et de leurs interfaces.

Le premier frein est un taux de collecte faible et/ou une exportation illégale des matériaux et produits collectés. L'utilisation de la plupart des métaux rares est caractérisée par un très faible contenu par unité de produit mais qui agrégé représente une partie significative de la demande totale pour ces métaux rares.

Métaux rares contenus dans les téléphones mobiles et les ordinateurs

Le potentiel de recyclage des 800 millions de téléphones mobiles en circulation aujourd'hui correspond à 80,000 tonnes par an de téléphones et batteries rechargeables. En réalité, moins de 20 millions de téléphones ou 2,000 tonnes ont été effectivement recyclés en 2008. Les métaux rares, présents dans les 78,000 tonnes non recyclées, ont été définitivement perdus.

Le second frein est un démontage et/ou prétraitement inadéquat ne respectant pas la hiérarchie des contributions environnementales et économiques. Un démontage insuffisant, tel que le broyage d'ordinateurs et d'automobiles, sans retrait préalable des composants électroniques conduit inexorablement à leur perte définitive.

Un démontage ou prétraitement excessif conduisant à la dispersion des métaux rares dans des fractions composées d'aluminium, de fer ou de plastique ne permettra pas leur récupération, ces industries n'ayant pas la capacité de les recycler.

(Source : Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM))

2. Quelle est la taille critique pour s'intéresser aux métaux rares ?

Le recyclage des matériaux et produits contenant des métaux rares doit être considéré dans son ensemble. En fonction des matériaux et produits à recycler, certaines étapes peuvent s'avérer inutiles ou contre-productives. Si la collecte et le raffinage sont inévitables, le démontage et le prétraitement ne font parfois l'objet que d'opérations très limitées.

La taille critique de chaque étape est différente mais doit s'inscrire dans un tout cohérent.

La collecte est une opération de proximité qui doit être soutenue par un réseau logistique professionnel.

Le démontage requiert, pour être économiquement rentable, que soit obtenu un équilibre entre coûts de transport des produits en fin de vie et couverture des coûts fixes de l'organisation de démontage.

Le prétraitement est une opération plus complexe, qui requiert une installation répondant à des normes strictes environnementales, de santé et de sécurité. La définition des opérations de prétraitement diffère en fonction des matériaux et produits recyclés. La taille critique minimum pour une telle opération peut correspondre à la taille d'un pays ou de plusieurs d'entre eux, en fonction de sa nature.

Le raffinage de matériaux et produits complexes se situe en bout de chaîne et sa complexité nécessite des installations coûteuses. Pour cette raison, l'utilisation de technologies de pointe et la réalisation d'économies d'échelle priment sur la proximité, contrairement à la phase de collecte et de prétraitement. Cette opération ne peut s'improviser au risque de provoquer des dommages irrémédiables et la perte d'une grande partie des métaux contenus. Il faut donc réduire les opérations artisanales de raffinage des matières secondaires européennes réalisées dans les pays émergents, qui conduisent à des désastres écologiques et à la perte de plus de 80 % des métaux contenus récupérables. La taille critique du raffinage se situe à l'échelle de l'Europe.

Des opérateurs français comme l'entreprise Rhodia, disposent des compétences requises pour les réaliser.

Pour appuyer l'industrie du recyclage dans le cadre d'une augmentation de la collecte des produits en fin de vie et d'une diminution des exportations illégales et/ou non équitables, il faut multiplier les points de collecte et les centres de tri et de démontage. Ces augmentations de capacité et ces nouvelles unités de recyclage requièrent des investissements importants mais fournissent des opportunités d'emploi stable à long terme.

Il existe une industrie du recyclage des métaux rares performante en Europe, bénéficiant des meilleures technologies, prête à jouer son rôle et à renforcer l'utilisation efficace des ressources, dans un souci de développement durable.


* 4 Voir annexe n° 1

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