B. L'ENJEU DES COÛTS DE PRODUCTION

Si, comme on l'a vu, la qualité, l'innovation, la formation jouent un rôle essentiel dans la compétitivité, la maîtrise des coûts de production et si possible leur réduction constituent un atout pour affronter la concurrence internationale. Outre la maîtrise de l'évolution du coût du travail et notamment des charges sociales, la mission a constaté que celle du coût de l'énergie peut s'avérer essentielle pour des industries qui en sont fortes consommatrices, telles que la chimie, l'automobile ou la sidérurgie.

1. Un coût du travail qui pèse surtout sur certains secteurs et demeure élevé

Le coût du travail, qui a fait l'objet de nombreuses interventions des personnes reçues en audition ou rencontrées sur le terrain par la mission, dépend principalement de trois facteurs : le niveau des salaires, le coût des charges sociales et la productivité du travail. À partir de ces trois éléments, il est possible de calculer le coût unitaire du travail, souvent pris comme base de comparaison pour évaluer la compétitivité-coût de la France par rapport aux autres pays.

La France se caractérise de ce point de vue par des niveaux de salaires et de protection sociale relativement élevés, compensés en grande partie, au cours des dix dernières années, par des gains de productivité plus importants que dans les autres pays, qui résulteraient pour une bonne part de la réduction du temps de travail.

Cela permet ainsi à la France de se situer de ce point de vue dans une situation médiane par rapport à ses principaux partenaires européens que sont l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie, mais qui reste très défavorable par rapport à celle des pays émergents tels que l'Inde ou la Chine.

a) Le positionnement de la France sur des secteurs où le coût du travail est élevé

Comme l'a indiqué lors de son audition M. Luc Rousseau, directeur de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, « en 2009, un salarié de l'industrie sur deux travaille dans une branche où le coût du travail reste un facteur important de compétitivité (métallurgie, textile, bois) ».

Il apparaît en effet que la France demeure spécialisée dans des activités manufacturières traditionnelles, fortement exposées à l'intensification de la concurrence. Cette spécialisation sectorielle historique, a estimé M. Rousseau, pèse sur l'évolution de l'emploi.

Dans les secteurs demandant une part importante de conception ou se prêtant à l'automatisation, en revanche, le coût du travail ne remet pas en cause la compétitivité française, comme l'a précisé M. Hervé Guyot, directeur général du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA) au Fonds stratégique d'investissement :

« La France est compétitive dès lors qu'il s'agit de pièces ou de fonctions « complexes », c'est-à-dire qui nécessitent de la conception ou de l'automatisation. Le coût du travail ne représentant plus que 10 à 15 % du prix de la production, les délocalisations, avec les coûts de transport et les problèmes de qualité qu'elles posent, ne sont plus avantageuses. Si bien que, par exemple, le FMEA investit dans la société Adduxi, basée à Oyonnax, société française qui fournit des équipementiers allemands en composants plastiques et métalliques. C'est ainsi, également, que les dirigeants d'une société d'emboutissage basée dans la Sarthe nous disent n'avoir aucune raison de délocaliser. »

b) Des salaires et un niveau de protection sociale relativement élevés en France

• La France se caractérise par un niveau élevé des salaires et de la protection sociale, celle-ci étant financée pour l'essentiel par des contributions des entreprises et des salariés (voir graphique ci-après). Le Conseil économique et social observait en 2007 que « le financement de la protection sociale est constitué de ressources encore très largement assises sur les salaires, ce qui ne paraît plus totalement justifié, du fait de l'universalité accrue des prestations maladie et famille notamment, et du « coin social » que ces cotisations constituent par rapport aux plus proches voisins européens » 195 ( * ) .

Évolution de la part des principaux financeurs du régime général

Source : ACOSS, annexe 1 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011

Plus que dans d'autres pays européens, le coût de la protection sociale en France pèse sur les entreprises : les cotisations sociales à charge des employeurs représentaient 43,8 % des recettes de protection sociale en 2008 contre seulement 34,9 % en Allemagne et 32,5 % au Royaume-Uni 196 ( * ) .

Nombre d'entrepreneurs ou d'économistes auditionnés ou rencontrés par la mission ont évoqué la question des charges sociales.

À titre d'exemple, M. Hervé Pichon (PSA) a estimé que l'écart de charges entre la France et l'Allemagne équivaut à un surcoût de fabrication de l'ordre de 400 euros par véhicule, cet écart ayant tendance à s'accroître. M. Daniel Segond (RAGT, industrie agroalimentaire), rencontré à Toulouse, a considéré pour sa part que la différence de charges sociales entre la France et les pays voisins coûtait deux points de rentabilité.

Certains industriels, comme M. Franck Riboud (Danone) ou M. Reinold Geiger (L'Occitane en Provence), ont en revanche relativisé le poids des charges dans leur activité.

En 2010, le coût du travail moyen en France était de trois à cinq fois plus élevé qu'en Chine ou en Inde. Il existe également des différences importantes au sein de l'Union européenne : à la fin de 2009, le coût de la main d'oeuvre roumaine ou bulgare était dix fois moins élevé qu'en France, celui de la Pologne et de la Slovaquie cinq fois moins élevé et celui du Portugal ou de la Grèce respectivement trois et deux fois moins élevé que celui de la France.

Le coût horaire moyen de la main d'oeuvre dans l'industrie manufacturière de la zone euro est moindre que celui de la France et de l'Allemagne sur l'ensemble de la période.

• Toutefois, l'évolution du coût horaire moyen de la main-d'oeuvre en France est semblable à celui des autres pays de la zone euro. Seul le Royaume-Uni connaît une augmentation plus rapide que les autres pays et, dans une moindre mesure, les Pays-Bas et le Danemark. L'Italie bénéficie d'une légère inflexion à partir de 2006 et se démarque de l'évolution française.

S'agissant de l'Allemagne, on a vu précédemment (voir supra , « Un contre-exemple allemand qui se fonde sur des structures économiques différentes ») que, au-delà des chiffres en valeur absolue, ce pays a suivi une politique de modération salariale qui a réduit considérablement l'écart du coût horaire du travail avec la France. Le graphique ci-dessous montre que l'Allemagne se démarque très nettement, non seulement de la France, mais de l'ensemble de la zone euro, avec une pente d'évolution très inférieure à celle des autres pays.

Évolution du coût horaire moyen de la main-d'oeuvre en Europe 2000-2008 197 ( * )
(base 100 en 2000)

c) Des gains de productivité élevés dans l'industrie qui permettent de préserver un coût unitaire du travail relativement modeste

Pour apprécier la compétitivité-prix et connaître le coût unitaire du travail, il faut également prendre en compte la productivité horaire de la main-d'oeuvre et la mettre en rapport avec le coût du travail horaire (salaires et charges sociales).

Or si la comparaison des coûts horaires de travail n'est pas à l'avantage de la France, celle des coûts unitaires de travail en revanche, qui intègre la productivité, met en évidence l'amélioration de la compétitivité de la France depuis 1999 par rapport au Royaume-Uni et à l'Italie et sa détérioration depuis 2004 face à l'Allemagne.

Évolution du coût du travail unitaire de la France et ses partenaires

Source : OCDE, Economic Outlook, n° 85

Entre 1996 et 2006, la productivité du travail dans l'industrie française a crû à un rythme annuel moyen de 3,6 % contre seulement 1,2 % dans l'ensemble des secteurs 198 ( * ) . Les gains de productivité, particulièrement élevés dans l'industrie, expliquent d'ailleurs pour une très large part les destructions d'emplois dans ce secteur.

Encore ces gains sont-ils d'une ampleur très variable selon les secteurs : ils atteignent 53 % dans le secteur « Bureautique et les matériels informatiques » et 17 % dans le secteur « Radio, TV et communications », qui sont des secteurs de haute technologie, et près de 6 % dans le secteur « Chimie ». En revanche, ils sont contenus à moins de 4 % dans les secteurs de moyenne et haute technologies, tels que l'automobile, et à moins de 1 % dans l'agroalimentaire (+ 0,6 %) et les métaux de base (- 1,2 %). Ainsi plus le contenu technologique est important, plus les gains de productivité sont élevés.

d) Des allègements et exonérations de charges principalement centrés sur les bas salaires qui profitent davantage aux services qu'à l'industrie

• Outre le bon niveau de la productivité du travail, les entreprises françaises bénéficient également de divers allègements et exonérations de charges sociales, qui contribuent à minorer de façon significative le coût du travail et dont l'objectif est d'améliorer la situation de l'emploi ou de favoriser le développement des entreprises.

Les principaux dispositifs dérogatoires applicables aux entreprises dans ce domaine sont :

- les allègements généraux de charges sur les bas salaires , dits « allègement Fillon », qui consistent en une réduction dégressive du taux de charges sociales appliquée aux salaires inférieurs à 1,6 Smic et dont le montant estimé pour 2010 représente 22,1 milliards d'euros ;

- les allègements de charges sur les heures supplémentaires mis en place pour compenser les effets de la réduction du temps de travail et qui représentent 2,9 milliards d'euros ;

- les exonérations de cotisations sociales ciblées sur des publics particuliers ou des formes d'emplois (contrat d'apprentissage, contrats de professionnalisation, stagiaires en entreprises, contrat d'accompagnement vers l'emploi, emplois dans des structures ou associations d'insertion), qui représentent 1,4 milliard d'euros ;

- les exonérations de cotisations sociales ciblées sur certains secteurs (entreprises de services à domicile pour 0,96 milliard, travailleurs occasionnels dans le secteur agricole pour 0,52 milliard), soit environ 1,5 milliard d'euros ;

- les exonérations de cotisations sociales ciblées sur certains territoires (zones de redynamisation urbaine (ZRU), zones de revitalisation rurale (ZRR), zones franches urbaines (ZFU), bassins d'emploi à redynamiser (BER), zones de restructuration de la défense (ZRD) et aides spécifiques aux entrepreneurs et salariés d'outre-mer), qui permettent d'offrir un soutien aux entreprises de certaines zones dans une logique d'aménagement du territoire estimé à 1,5 milliard d'euros ;

- exonération totale des cotisations sociales (sauf AT-MP) sur les salaires des personnels des jeunes entreprises innovantes (JEI), en charge de leurs activités de recherche (chercheurs, techniciens, gestionnaires de projets de R&D, juristes chargés de la protection industrielle et des accords de technologie, personnel chargé des tests pré-concurrentiels...), dont le montant en 2010 a été estimé à 145 millions d'euros.

Au total, pour 2010, ces allègements et exonérations auraient représenté une économie pour les entreprises de l'ordre de 29,5 milliards d'euros 199 ( * ) . Du fait de l'extension du champ des dispositifs dérogatoires et de leur optimisation par les entreprises, le montant des réductions de charges s'est accru d'environ 10 % au cours des dix dernières années, permettant ainsi de diminuer significativement le coût du travail.

• Mais les effets bénéfiques pour les entreprises varient fortement en fonction du niveau de qualification et de salaire, de la taille des entreprises et des secteurs.

En effet, les allègements généraux (plus d'un tiers des exonérations) portent essentiellement sur les bas salaires , les salaires supérieurs à 1,6 Smic ne bénéficiant quasiment d'aucune exonération ou allègement, si ce n'est dans le cadre de dispositifs dérogatoires très spécifiques et marginaux, tels que celui des jeunes entreprises innovantes. En 2011, pour des salaires supérieurs à 1,6 Smic, le taux des cotisations sociales patronales s'élève à 30,38 % contre seulement 4,38 % pour un salaire équivalent au Smic, soit 26 points d'écart 200 ( * ) .

Coût horaire réel du travail pour un salarié passé aux 35 heures au 1 er juillet 2000 travaillant dans une entreprise de plus de 20 salariés

En outre, sur le graphique qui précède, on observe que pour un salarié au Smic d'une entreprise de 20 salariés et plus bénéficiant depuis le 1 er juillet 2000 des 35 heures, le coût horaire du travail a peu augmenté entre 1982 et 2010 (0,8 % en moyenne annuelle), tandis que pour un salaire correspondant à une ou deux fois le plafond de la sécurité sociale 201 ( * ) , la progression a été beaucoup plus rapide (respectivement 1,6 % et 2 % en moyenne annuelle).

Il résulte de ces évolutions des écarts substantiels en termes de coût du travail selon le niveau de salaire. Ainsi, au 1 er juillet 2010, le coût horaire réel du travail était de 10,69 euros au niveau du Smic et respectivement de 27,93 et 55,83 euros pour des revenus se situant au niveau d'une fois et deux fois le plafond de la sécurité sociale. Ces écarts sont principalement imputables aux évolutions des taux de charges patronales et à l'ampleur des exonérations accordées, très différentes selon le niveau des rémunérations.

• Par ailleurs, on observe que les allègements de charge profitent davantage aux micro-entreprises (moins de 10 salariés) et aux PME qu'aux ETI et aux grandes entreprises. En réalité, depuis le 1 er juillet 2007, les entreprises de moins de 20 salariés bénéficient d'une réduction majorée du taux de cotisation sur les salaires au niveau du Smic, de 28,1 points contre 26 points seulement pour les établissements de 20 salariés et plus. Ainsi, en tenant compte des exonérations variables selon la taille de l'entreprise, le taux de prélèvement effectif global 202 ( * ) au niveau du Smic varie de 14,01 % pour les entreprises de moins de 10 salariés à 20,61 % pour celle de 20 salariés et plus (17,11 % pour celles dont les effectifs sont compris entre 10 et 20 salariés) ;

• Enfin, ainsi que le montrent les graphiques ci-dessous, les allègements de charges profitent davantage aux services (entreprises et particuliers) qu'aux secteurs industriels. Les allègements étant ciblés sur les bas salaires, les secteurs de l'économie en perçoivent d'autant plus les effets bénéfiques qu'ils recourent abondamment à une main d'oeuvre peu qualifiée. Il faut bien sûr distinguer selon les secteurs et selon les cas, les industries agroalimentaires par exemple en bénéficiant relativement plus que les autres branches de l'industrie. De la même façon, une unité de recherche regroupant des chercheurs de haut niveau n'en percevra pratiquement pas les effets, tandis qu'une unité de production en profitera davantage.

Allégements de charges en points de prélèvements obligatoires
par taille et par secteur

Part dans les allégements de charges par taille et par secteur

e) Les préconisations de la mission pour réduire l'impact du coût du travail sur le développement de l'industrie
(1) La nécessité de maintenir un niveau élevé de salaire dans l'industrie pour accroître l'attractivité des métiers du secteur

Au préalable, la mission recommande d'améliorer le niveau des salaires dans l'industrie, afin d'améliorer l'attractivité de ce secteur pour les jeunes et les nouveaux entrants sur le marché du travail . Plusieurs personnes rencontrées par la mission ont déploré le niveau relativement faible des salaires offerts par l'industrie par rapport à d'autres secteurs, tels que celui de la banque ou de l'assurance 203 ( * ) . Cela conduit les jeunes ingénieurs à privilégier les métiers de la finance, où les rémunérations sont beaucoup plus élevées que dans l'industrie.

En tout état de cause, la nécessité de réduire le coût du travail pour améliorer la compétitivité de l'industrie française ne doit pas se traduire, comme en Allemagne, par une modération du niveau des salaires, ceux-ci étant déjà peu attractifs par rapport aux autres secteurs. De nombreux économistes ont d'ailleurs souligné les limites de cette politique d'austérité salariale qui a pour conséquence, en réduisant le pouvoir d'achat des salariés, de se priver ainsi des effets positifs d'une relance par la demande. Cette politique serait d'autant plus préjudiciable à la France que, contrairement à l'Allemagne, la croissance française ne peut s'appuyer sur le dynamisme de la demande extérieure.

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles la mission souhaiterait revenir sur la logique d'exonération des bas salaires qui a prévalu au cours des vingt dernières années et qui a pu encourager les entreprises à différer les revalorisations salariales, induisant un phénomène dit de « trappe à bas salaires ».

Afin d'en limiter les effets, les Gouvernements successifs ont d'ailleurs été conduits à relever progressivement le plafond d'application des exonérations de 1,3 à 1,6 Smic, ce qui s'est révélé particulièrement coûteux pour les finances sociales et le budget de l'État, qui les compense en grande partie.

(2) Le redéploiement souhaitable des allègements et exonérations de charges en direction des salariés de l'industrie

En ce qui concerne les réductions de charges, la mission considère qu'elles devraient à l'avenir bénéficier davantage à l'industrie. Elle propose donc d' envisager à très court terme les modalités d'un redéploiement des allégements « Fillon » au profit de l'industrie, à coût constant pour les comptes sociaux , en veillant à ce que les secteurs industriels qui emploieraient dans de plus fortes proportions des personnes peu qualifiées ne soient pas pénalisés outre mesure.

Plusieurs mesures pourraient y contribuer :

- le remplacement des exonérations et allégements de charges sur les bas salaires par une réduction uniforme du taux de cotisations sociales patronales, quel que soit le niveau de salaire. Cette option présenterait l'avantage d'une meilleure lisibilité des coûts réels du travail en France, susceptible de rendre plus attractive le « site France » pour les investisseurs étrangers. Si l'on redéploye l'intégralité des allégements généraux (soit environ 22 milliards d'euros), la baisse uniforme du taux des charges patronales pourrait avoisiner 5 points et bénéficier à tous les secteurs 204 ( * ) ;

- le rétablissement du dispositif initial d'exonération des charges sociales dont bénéficiaient jusqu'alors les jeunes entreprises innovantes (JEI) , des dispositions visant à l'encadrer et à en réduire la portée dès 2011 ayant été adoptées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 (voir encadré ci-après) . Le succès de ce dispositif et son objectif ciblé sur le développement des PME innovantes auraient pourtant dû conduire le Gouvernement à le préserver du coût de rabot généralisé sur les niches fiscales et sociales, d'autant que le soutien des JEI est l'un des axes forts retenus par les États généraux de l'industrie (EGI).

Les exonérations de charges sociales sur les rémunérations des chercheurs présentent le triple avantage d'encourager la création d'emplois hautement qualifiés, d'améliorer la compétitivité des entreprises innovantes et de favoriser leur développement pendant leurs premières années d'existence, en limitant leur appréhension au risque, puisque le bénéfice des allègements est acquis quels que soient les résultats en fin d'exercice. À l'inverse, les exonérations fiscales sont basées sur le niveau du chiffre d'affaires et l'ampleur des réductions accordées dépendent de celui-ci.

De plus, appliquées jusqu'à présent sans plafond, quel que soit le niveau des rémunérations, les exonérations sociales permettaient d'offrir aux chercheurs des salaires plus attractifs. C'est un enjeu fondamental alors que l'on constate le départ à l'étranger des jeunes chercheurs de haut niveau et que les métiers de l'industrie pâtissent d'une image très négative et d'une faible attractivité financière, relativement au secteur bancaire par exemple, ainsi que l'a souligné un professeur de l'École des Mines à Sophia Antipolis 205 ( * ) .

Réforme du dispositif d'exonération de cotisations sociales
accordées aux jeunes entreprises innovantes

La loi de finances pour 2004 a créé un statut de « jeune entreprise innovante » (JEI), accordé aux petites ou moyennes entreprises de moins de huit ans, qui engagent des dépenses de recherche-développement représentant au moins 15 % de leurs charges et qui leur permet de bénéficier d'un certain nombre d'exonérations fiscales et sociales.

1. Les critères d'éligibilité pour relever du statut de JEI

Pour bénéficier du statut de JEI, l'entreprise doit se déclarer spontanément à la direction des services fiscaux et remplir cinq critères :

1) être une PME au sens communautaire ;

2) être âgée de moins de huit ans ;

3) avoir réalisé, à la clôture de chaque exercice au titre duquel elle veut bénéficier du statut de JEI, des dépenses de recherche représentant au moins 15 % des charges totales engagées au titre de ce même exercice. Les dépenses de recherche retenues sont définies par l'article 244 quater B du code général des impôts et excluent les dépenses de veille technologique ;

4) être indépendante, c'est-à-dire contrôler au moins la moitié de son capital ;

5) être réellement « nouvelle », c'est-à-dire ne pas avoir été créée dans le cadre d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension ou d'une reprise d'activité.

2. Le régime d'exonérations initial

a) Le volet fiscal

Le statut de JEI ouvre droit à plusieurs types d'allègements :

- une exonération totale d'impôt sur les bénéfices pour les trois premiers exercices bénéficiaires et une exonération à hauteur de 50 % au titre des deux exercices suivants ;

- une exonération d'imposition forfaitaire annuelle ;

- une exonération de la cotisation économique territoriale (CET) sur délibération des collectivités locales.

Ces aides ne peuvent toutefois excéder le plafond « de minimis » fixé par la Commission européenne.

Les allègements fiscaux représentent un montant globalement modeste dans la mesure où les JEI ne font pas beaucoup de bénéfices dans les premières années de leur création.

Mais elles bénéficient par ailleurs du remboursement anticipé du crédit d'impôt recherche , ce qui représente un avantage de trésorerie appréciable, qui a été étendu en 2009 et 2010 à l'ensemble des entreprises et prolongé en 2011 pour les seules PME.

b) Le volet social

Les JEI sont également exonérées du paiement des cotisations patronales de sécurité sociale pour les chercheurs, techniciens, gestionnaires de projet en R&D, personnels chargés de tests pré-concurrentiels et juristes chargés de la protection industrielle et des accords de technologie liés au projet.

L'exonération est totale et non plafonnée : elle porte sur les cotisations maladie, maternité, invalidité, décès, vieillesse, allocations familiales, accident du travail et maladies professionnelles (AT-MP).

En revanche, l'exonération ne porte pas sur les cotisations supplémentaires mises à la charge de l'employeur, compte tenu des risques exceptionnels d'AT-MP. Elle ne peut non plus se cumuler avec une autre mesure d'exonération de cotisations patronales ou avec une aide de l'État à l'emploi.

Le coût du volet social du dispositif « jeunes entreprises innovantes »

2004

2005

2006

2007

2008

2009

Nombre d'entreprises

1 353

1 718

1 847

2 061

2 143

2 373

Nombre d'établissements

1 427

1 808

1 952

2 183

2 283

2 508

Montants cotisations exonérées (en M€)

62,3

79,2

92,7

111,1

109,4

121,7

Effectifs exonérés (fin d'année)

5 909

8 218

9 640

11 029

11 573

nd

Effectifs salariés (fin d'année)

10 396

15 196

16 535

19 418

23 280

19 074

Source : annexe au projet de loi de finances pour 2011,
« Effort financier en faveur des petites et moyennes entreprises »

Pour 2010, le montant des exonérations de cotisations accordées aux JEI est évalué à 145 millions d'euros.

3. La réforme adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2011

La loi de finances pour 2011 a introduit plusieurs dispositions visant à encadrer et réduire la portée des exonérations de cotisations sociales accordées aux JEI . Celle-ci prévoit :

- de plafonner le bénéfice des exonérations à un montant équivalent à 4,5 fois le Smic (soit 6 047 euros) ;

- de plafonner le montant annuel des exonérations par établissement à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale (soit 103 860 euros pour 2010) ;

- de diminuer progressivement le taux des allègements à partir de la troisième année (100 % les trois premières années, 75 % la quatrième, 50 % la cinquième, 30 % la sixième et 10 % la dernière année) avant son extinction.

Le manque à gagner pour les JEI est évalué à 57 millions d'euros dès 2011, dont environ 1,7 million au titre du plafonnement de rémunération, 31 millions au titre du plafonnement annuel des exonérations par établissement et 24 millions du fait de la mise en place d'un mécanisme de sortie progressive.

(3) La mission n'est pas parvenue à un consensus sur la création d'une TVA « anti-délocalisations »

Ayant examiné en particulier le cas de l'Allemagne mais aussi les dispositions prises par certains pays européens (Espagne, Danemark) pour améliorer leur compétitivité, la mission s'est interrogée sur l'opportunité de la création d'une TVA anti-délocalisations permettant de minorer les charges patronales qui pèsent sur le coût du travail et de taxer les produits importés.

Cette mesure n'ayant pas fait l'objet d'un consensus, la mission a fait le choix de ne pas la retenir comme une proposition mais comme une piste , en exposant ses avantages mais aussi ses risques et ses limites.

Plusieurs membres de la mission ont fait valoir les avantages d'une telle mesure en soulignant les éléments suivants :

- d'abord, notre protection sociale pèse trop lourdement sur le coût du travail (les charges patronales y contribuent à hauteur d'environ 45 %). La création d'une TVA anti-délocalisations, tout en permettant de maintenir un niveau de protection sociale élevé, doit permettre de réduire les charges sociales patronales comme l'ont fait d'autres pays de l'Union européenne (l'Allemagne, le Danemark et plus récemment l'Espagne). Ce mouvement va d'ailleurs dans le sens de la fiscalisation déjà bien engagée du financement de notre système de protection sociale, avec la CSG et la compensation des exonérations de charges par des recettes fiscales prélevées sur le budget de l'État ;

- ensuite, la France dispose d'une marge d'augmentation de son taux de TVA (jusqu'à 2 ou 3 points) , le taux moyen qui prévaut dans l'hexagone étant en réalité inférieur à la moyenne européenne, du fait de l'application de taux réduits (5,5 % au lieu de 7 % en Allemagne) sur une assiette assez large regroupant certaines activités ou produits ;

- enfin, le financement de la réduction des charges sociales patronales par la TVA présente le double avantage de réduire les coûts de production en France et d'augmenter simultanément le prix des produits importés. Cette mesure, qualifiée par l'OFCE de « dévaluation fiscale », a en réalité un effet similaire à celui d'une dévaluation compétitive avec des inconvénients moindres : les effets inflationnistes peuvent être mieux contrôlés et la dégradation du solde de la balance commerciale n'est que temporaire.

Les effets positifs d'une telle mesure pour l'industrie supposent toutefois que plusieurs conditions soient réunies :

- une rentabilité de la hausse du taux de TVA : les simulations réalisées évaluent à environ 6 milliards la valeur d'un point de TVA à taux normal et à 4,5 milliards celle d'un point de cotisations sociales pour les salariés du secteur privé (hors salariés agricoles) 206 ( * ) . Si l'on retient une hausse de 3 points de la TVA (soit 18 milliards), il serait donc possible de diminuer le taux de cotisations sociales d'environ 4 points ;

- une diminution uniforme des taux de cotisations et non ciblée sur les seuls bas salaires ;

- la répercussion immédiate et aussi large que possible par les entreprises des réductions de charges sur les prix des produits fabriqués en France et non sur les marges, pour éviter les effets inflationnistes et une perte de pouvoir d'achat des salariés, ce qui suppose d'engager un dialogue apaisé avec les partenaires sociaux.

D'autres membres de la mission, opposés à cette mesure, en ont souligné les limites et les risques, en insistant sur les éléments suivants :

- premièrement, le coût du travail ne constitue pas l'unique facteur de compétitivité de notre industrie. Il n'est donc pas forcément opportun de faire peser sur le seul travail la responsabilité des moindres performances à l'export de notre industrie. Les gains de part de marché sont surtout le fait des innovations et du positionnement sur des marchés de niche ou sur des produits haut de gamme ;

- deuxièmement, la France dispose d'une marge d'augmentation très réduite du taux de TVA , le taux allemand (19 %) étant déjà inférieur au taux français (19,6 %) ;

- troisièmement, l'augmentation du taux de TVA risque d'entraîner une dégradation du pouvoir d'acha t, sauf à ce que celle-ci soit intégralement compensée par une baisse des prix ou une augmentation des salaires. Or, on l'a dit plus haut, il n'y a aucun moyen de garantir que la baisse des charges patronales se répercutera sur les prix des produits ou se traduira en augmentation de salaires.

Ainsi, la mission s'est montrée réservée sur la création d'une TVA anti-délocalisations. Si cette mesure est séduisante parce qu'elle pourrait permettre d'améliorer la compétitivité-prix de notre industrie en diminuant les charges sociales patronales et en taxant les produits importés, elle n'est toutefois pas dénuée de risques et d'effets pervers, au premier chef desquels une augmentation des prix et une diminution du pouvoir d'achat ainsi qu'une focalisation excessive sur le coût du travail alors que les défis auxquels doit faire face notre industrie se situent davantage sur le terrain de l'innovation et des marchés de niche et du haut de gamme.

2. Préserver l'atout français sur le coût de l'électricité
a) Le coût de l'électricité : un enjeu décisif pour l'ensemble de l'industrie

Pour certaines entreprises fortes consommatrices d'énergie, l'évolution du coût de l'électricité constitue une donnée fondamentale pour leur développement, voire pour leur survie. C'est le cas :

- pour les industries électro-intensives qui se caractérisent par une structure de coûts de production, marquée par l'importance du coût de l'électricité ;

- mais aussi pour d'autres industries, notamment chimiques et automobiles, qui ont fait valoir auprès de la mission l'atout que représente le coût de l'électricité relativement modéré dont bénéficie la France.

Part moyenne du coût électrique dans le prix de vente
selon le type de produits (moyenne 2000-2007)

Source : Fédération nationale des industries électro-métallurgiques, électrochimiques et connexes

C'est la raison pour laquelle ces industries ont organisé leur système de production de telle sorte que le coût de l'électricité soit à la fois minime et prévisible sur le moyen et long terme . Tel était le cas jusqu'à présent, ces entreprises bénéficiant de conditions tarifaires très avantageuses accordées par l'opérateur national, Électricité de France (EDF), en contrepartie de certaines contraintes et engagements.

Les industries électro-intensives

Les industries électro-intensives regroupent plusieurs branches de la métallurgie et de la chimie utilisant l'électricité comme apport énergétique dans les procédés d'élaboration ou de transformation des minerais, métaux et alliages, tels que l'aluminium (Rio Tinto Alcan), le silicium (Ferropem), le sodium, les ferroalliages ou encore certains éléments carbone et graphites tels que les électrodes.

Les produits issus de ces activités sont utilisés par les secteurs traditionnels de l'industrie tels que la sidérurgie, la fonderie ou la chimie, mais aussi dans les filières industrielles d'avenir telles que le photovoltaïque.

Cette industrie contribue directement à l'indépendance économique et stratégique sur le plan national et européen. Son maintien et son développement concourent à l'aménagement du territoire et au développement équilibré des régions. Elle représente 5 000 emplois directs, 25 000 emplois indirects et 4 milliards d'euros de chiffres d'affaires et contribue positivement à la balance commerciale française pour 3 milliards d'euros par an.

Ces entreprises évoluent dans un contexte international très concurrentiel avec une capacité limitée de répercussion des surcoûts en aval sans perte de parts de marché.

Au début du siècle dernier, ces usines ont fait le choix de s'implanter dans les vallées montagneuses, à proximité des centrales hydro-électriques naissantes, bien qu'elles soient éloignées de leurs fournisseurs de matières premières et de leurs débouchés commerciaux. Le coût des acheminements, qui constituait alors un handicap logistique majeur, était en réalité largement compensé par l'avantage retiré de l'accès direct à l'énergie hydro-électrique locale.

Ce compromis est toujours valable aujourd'hui, puisque des entreprises comme Ferropem ou Rio Tinto Alcan bénéficient encore de conditions très compétitives d'approvisionnement auprès d'EDF, qui résultent des dispositions de la loi du 8 avril 1946 de nationalisation et, historiquement, de leur implication financière dans le développement de l'énergie hydraulique. En effet, en 1946, la nationalisation des moyens de production électrique a été compensée pour ces industries par le maintien de l'usufruit de la production des centrales hydrauliques. Plus tard, la filière ayant également soutenu l'essor du secteur nucléaire, ces conditions spécifiques ont fait l'objet d'accords successifs avec EDF en fonction des évolutions de la législation. À titre d'exemple, grâce à la conclusion d'un contrat d'achat signé avec l'opérateur national au début des années 80, l'un des grands groupes électro-intensifs implantés en France a obtenu, en contrepartie d'investissements dans le développement du parc nucléaire, la garantie d'un coût moyen équivalent à environ 30 euros par mégawatt-heure (MWh), valable jusqu'au 31 décembre 2013.

b) Les conséquences de l'ouverture du marché de l'électricité pour la compétitivité des industries

Avec le processus d'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité engagé en 1996 par l'Union européenne 207 ( * ) et la transposition progressive des dispositions correspondantes en droit interne 208 ( * ) , les industries électro-intensives ont été contraintes de s'organiser pour sécuriser leurs approvisionnements et leurs tarifs.

• En effet, contrairement à ce que l'on aurait pu en attendre, la libéralisation du marché de l'électricité s'est traduite en France par une augmentation des tarifs. C'est pourquoi, après la hausse des prix consécutive à l'ouverture du marché aux clients professionnels au 1 er juillet 2004, il a été prévu que ces derniers puissent bénéficier jusqu'au 31 décembre 2010 d'un tarif réglementé transitoire d'ajustement au marché (TaRTAM) 209 ( * ) .

Pour une consommation constante « en ruban », le TaRTAM s'élevait, en 2010, à 42 euros par Mwh, soit un niveau nettement inférieur au prix moyen du marché (56 euros), mais supérieur d'environ 20 % à celui de l'électricité française d'origine nucléaire (31 euros par Mwh).

En réalité, du fait de l'importance de la part d'électricité d'origine hydraulique et nucléaire, les coûts de production en France se trouvent être particulièrement compétitifs par rapport à ceux des autres États membres, encore fortement dépendants de centrales au charbon ou au gaz, beaucoup moins efficientes : ainsi, le prix de l'électricité en France est inférieur de 27 % à la moyenne européenne pour les ménages et de 33 % pour les autres consommateurs.

En 2006 et 2007, le TaRTAM a fait l'objet de deux procédures contentieuses de la part de la Commission européenne, au motif qu'il aurait pu constituer une forme de subvention déguisée aux entreprises éligibles et un obstacle à l'ouverture du marché électrique.

• Afin d'échapper à toute condamnation mais aussi de permettre aux consommateurs français de continuer à bénéficier de la modicité du coût de l'électricité nucléaire, le Gouvernement s'est engagé à régulariser la situation de la France au regard des directives européennes en faisant adopter par le Parlement la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite loi NOME 210 ( * ) .

Ce texte prévoit la mise en place jusqu'en 2025 d'un système temporaire d'accès régulé à l'électricité de base rebaptisé « accès régulé à l'électricité nucléaire historique » (ARENH), qui consiste à permettre à tout fournisseur alimentant des consommateur sur le territoire national d'obtenir, dans la limite d'un plafond global de 130 TWh (soit un quart de la production d'électricité d'origine nucléaire d'EDF), une certaine quantité d'électricité à un prix régulé reflétant la totalité des coûts de production du parc nucléaire (exploitation, maintenance, prolongement de la durée de vie, démantèlement des centrales, gestion des déchets radioactifs, etc.).

Quel que soit le prix fixé pour l'ARENH, les prix de l'électricité seront inéluctablement amenés à augmenter dès 2016. Dans cette perspective, les industries électro-intensives ne pourront pas trouver de solutions adaptées à leurs contraintes en termes de compétitivité et de visibilité tarifaire dans le cadre de la tarification ARENH, les quantités allouées aux fournisseurs et les tarifs correspondants étant fixés annuellement.

Les solutions alternatives résident donc dans la conclusion de contrats de fourniture de moyen ou long terme avec les producteurs d'électricité permettant aux industriels d'obtenir des droits de tirage sur la production d'électricité en contrepartie d'investissements en faveur du développement du parc nucléaire ou hydraulique, ce que permet la nouvelle loi NOME.

c) Les pistes envisageables pour limiter la hausse des prix de l'électricité pour les industries électro-intensives
(1) La tarification contractuelle obtenue par le consortium Exeltium ne suffit pas à lever toutes les hypothèques qui pèsent sur le secteur

Dès 2006, plusieurs grands groupes industriels se sont organisés en consortium pour obtenir une tarification préférentielle de l'électricité sur longue période en contrepartie d'investissements lourds en faveur du développement de la capacité du parc de production nucléaire.

Depuis le 1 er mai 2010, les vingt-six groupes membres d'Exeltium bénéficient d'un approvisionnement d'électricité au tarif négocié de 42 euros par kWh, valable pour les vingt-quatre prochaines années (voir encadré ci-après) .

Bien que relativement élevé par rapport au prix actuel dont bénéficient certaines industries électro-intensives au titre de l'accord qu'elles ont conclu avec EDF et qui court jusqu'à la fin de 2013, ce prix est inférieur à celui du marché et présente l'avantage d'être garanti sur une longue période. Au vu de l'ampleur des investissements nécessaires pour assurer le développement de ces filières, cette visibilité et cette garantie constituent un atout concurrentiel et stratégique déterminant.

Le projet Exeltium

Fondé par six grands industriels très gros consommateurs d'électricité (Air Liquide, Arcelor Mittal, Arkema, Rio Tinto Alcan, Rhodia et Solvay), le consortium Exeltium a été constitué en mai 2006 pour négocier des prix d'électricité plus bas avec les producteurs d'énergie.

Le contrat initial prévoyait la fourniture de 13 térawattheures (Twh) par an pendant vingt-quatre ans, en contrepartie du financement direct de tranches nucléaires, grâce à un prêt bancaire de l'ordre de 2 à 3 milliards d'euros. L'apport financier versé à EDF doit permettre au consortium d'acquérir des droits sur une partie de la production électronucléaire de l'opérateur historique avec l'engagement d'acheter une quantité déterminée d'électricité dans les 24 prochaines années.

Au final, le contrat de partenariat signé avec EDF a permis aux vingt-six groupes électro-intensifs membres du consortium d'obtenir un volume total de 312 Twh pour un tarif de 42 euros le MWh, sur 24 ans, dont la livraison a débuté au 1 er mai 2010. Ce tarif est supérieur d'environ 5 euros au tarif vert qui leur est accordé actuellement par EDF et qui prévaut jusqu'au 31 décembre 2015.

Malheureusement, la solution offerte par Exeltium ne résout pas toutes les difficultés du secteur :

- d'abord, les volumes concernés sont loin de couvrir l'intégralité des besoins des adhérents du consortium ;

- ensuite, le tarif négocié avec EDF n'est pas suffisamment compétitif au regard de ceux qui prévalent dans d'autres pays ou régions du monde ;

- enfin, le niveau des participations financières exigées est très élevé, ce qui entraîne une sélection à l'entrée du dispositif relativement discriminante, en particulier pour les plus petits groupes.

(2) La nécessité d'autoriser les industriels à négocier des tarifs contractuels aménagés compatibles avec les exigences européennes

Au vu des enjeux que représente l'évolution du coût de l'électricité pour ces filières, plusieurs pistes sont à l'étude afin d'atténuer les effets de la mise en oeuvre de la loi NOME. L'objectif est d'identifier des leviers permettant de prévoir un aménagement des tarifs de l'électricité qui soit compatible avec les exigences européennes liées à l'ouverture du marché .

Il s'agit en réalité de valoriser le rôle spécifique que pourraient jouer les consommateurs électro-intensifs ou les grands groupes industriels pour réguler la distribution d'électricité sur un réseau dont la capacité est limitée et tend à arriver à saturation.

Les industries électro-intensives se caractérisent, en effet, par un profil de consommation atypique, qui allie :

- une consommation de base en ruban avec un facteur de charge très élevé de l'ordre de 1 100 Mw (soit l'équivalent de trois à cinq centrales thermiques, proche d'une tranche nucléaire) ;

- une capacité à « saisonnaliser » la consommation sur de longues périodes programmables ;

- une capacité d'effacement total en période de pointe sous préavis très court ;

- la possibilité d'interrompre totalement sans délai leur consommation en cas de crise, ce que l'on appelle l'interruptibilité ;

- une localisation proche des bases de production électrique, ce qui réduit potentiellement les coûts de transport et les pertes en ligne sur des gros débits (avantages de la « ligne directe ») ;

- enfin, de faibles exigences sur la qualité de la fourniture énergétique.

Si elles étaient valorisées et se traduisaient par des avantages tarifaires, ces caractéristiques pourraient permettre d'optimiser la distribution d'électricité grâce à une charge stable sur le réseau.

La loi NOME prévoit la prise en compte de l'effacement et de l'interruptibilité . Mais à l'heure actuelle, la contrepartie tarifaire qui pourrait en résulter n'est pas chiffrée. Cette souplesse de fonctionnement doit bénéficier d'une valorisation maximale pour atténuer les effets de l'augmentation des tarifs sur la facture énergétique des industriels.

À l'inverse, aucune disposition n'a prévu la prise en compte de la situation des sites industriels, le plus souvent implantés à proximité des centrales de production, ce qui réduit les coûts d'utilisation des réseaux et les pertes en ligne (évaluées en moyenne entre 6 % et 8 %). L'application d'une tarification de « ligne directe » , comme l'a prévu l'Allemagne 211 ( * ) , permettrait de résoudre cette anomalie tarifaire et de placer notre industrie sur un pied d'égalité avec ses concurrentes allemande, italienne, chinoise, canadienne, norvégienne ou américaine.

La mission suggère de favoriser la prise en compte de l'effacement, de l'interruptibilité et de la proximité de l'approvisionnement en électricité qu'offrent les industries électro-intensives et de prévoir en conséquence des aménagements tarifaires compatibles avec les exigences européennes , qui minorent le prix de l'électricité qui leur est distribué et contribuent ainsi à préserver l'avantage compétitif acquis par la France dans ce domaine grâce au développement de son parc nucléaire.


* 195 Conseil économique et social, Le financement de la protection sociale , avis présenté par Mme Anne Duthilleul, 2007.

* 196 Source ; Eurostat, Recettes de protection sociale par type, Cotisations sociales à charge des employeurs, 2008.

* 197 Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale, La Documentation française, juin 2010, p. 93.

* 198 OFCE, « L'industrie manufacturière française », Collection Repères, Editions La Découverte, 2010), p. 20 et suivantes.

* 199 Estimations extraites du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, « Entreprises et niches fiscales et sociales : des dispositifs dérogatoires nombreux », La Documentation française, octobre 2010 - p. 184 et p. 233.

* 200 Voir les tableaux statistiques établis par l'Acoss, Annexe 5 des documents de présentation du PLFSS pour 2011.

* 201 En 2010, le plafond de la sécurité sociale s'élevait à 2 885 euros bruts par mois.

* 202 Ce taux comprend, outre les charges patronales de sécurité sociale, les autres cotisations patronales (épargne salariale, forfait social, formation, etc.).

* 203 Voir le compte rendu de l'entretien avec un professeur de l'École des Mines lors du déplacement de la mission à Sophia Antipolis, les 14 et 15 octobre 2010.

* 204 Les simulations de la DGTPE estiment que 2 points de cotisations représentent environ 9 milliards d'euros de recettes pour la sécurité sociale.

* 205 Voir compte rendu du déplacement de la mission à Sophia Antipolis.

* 206 Rapport sur les comptes de la sécurité sociale, juillet 2007.

* 207 Directive 1996/92/CE concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité ; directive 2003/54/CE du 26 juin 2003 ; directives 2009/72/CE et 2009/73/CE.

* 208 Loi du 10 février 2000 relative au service public de l'électricité ; loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et aux industries électriques et gazières ; loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie.

* 209 Loi du 7 décembre 2006 précitée.

* 210 Loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité.

* 211 Loi du 7 juillet 2005 et ordonnance fédérale BGB1.I.S.2225 du 25 juillet 2005 relative aux tarifs d'acheminement sur les réseaux.

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