B. UNE SITUATION CONTRASTÉE SELON LES SECTEURS ET SELON LES TERRITOIRES

1. PME, ETI et grandes entreprises

La désindustrialisation ne touche pas de manière identique toutes les entreprises. Comme l'a indiqué M. Lionel Fontagné, lors de son audition devant la mission, une part croissante des résultats des grandes entreprises est désormais réalisée à l'étranger. Les grands groupes, qui bénéficient pourtant de la politique industrielle française, ne seraient guère plus créateurs d'emplois en France. M. Dominique Jacomet a pour sa part regretté le glissement de pouvoir des dirigeants traditionnels vers les actionnaires, qui incite l'entreprise à adopter des objectifs de gestion de court terme.

Ce sont les petites et moyennes entreprises (PME) qui créent le plus d'emplois industriels. Or la France, si elle crée de nombreuses entreprises, parvient trop rarement à les faire croître jusqu'à la taille critique qui leur permet de devenir des acteurs internationaux. La part des grandes PME ou des « entreprises de taille intermédiaire » (ETI) est plus faible en France qu'en Allemagne, où elles tirent la croissance et contribuent aux exportations.

Les quatre catégories d'entreprises définies par la LME

- microentreprises : moins de 10 salariés, chiffre d'affaires ou bilan inférieur ou égal à 2 millions d'euros ;

- petites et moyennes entreprises (PME) : moins de 250 salariés, chiffre d'affaires inférieur ou égal à 50 millions d'euros ou bilan inférieur ou égal à 43 millions d'euros ;

- entreprises de taille intermédiaire (ETI) : moins de 5 000 salariés, chiffre d'affaires inférieur ou égal à 1,5 milliard d'euros ou bilan inférieur ou égal à 2 milliards d'euros ;

- grandes entreprises .

Source : décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 portant application
de la loi n° 2008-776 du  4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME)

La France est bien pourvue en grandes et en très grandes entreprises. Avec quatre compagnies dans le classement des vingt-cinq plus grandes compagnies mondiales, elle arrive en deuxième position derrière les États-Unis. Toutefois, trois de ces quatre compagnies appartiennent aux secteurs banque-assurance et grande distribution 10 ( * ) .

2. Des territoires inégalement touchés

La structure économique est très différente d'une région à une autre : l'industrie représentait ainsi 28,1 % de l'économie de la région Franche-Comté et 16,7 % de la région Midi-Pyrénées en 2002, contre moins de 12 % de l'économie des régions Île-de-France, Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d'Azur et même 6,6 % de l'économie de la Corse.

On rappellera que l'industrie, telle qu'elle est considérée ici, ne comprend pas le tourisme.

Les régions ne sont donc pas également sensibles aux conséquences de la désindustrialisation. Or la crise économique et financière a accéléré le déclassement de nombreux bassins d'emplois industriels 11 ( * ) : sur 256 100 postes de travail perdus en 2009, 164 700 étaient concentrés dans les secteurs manufacturiers.

De plus, les conséquences de la désindustrialisation diffèrent selon la nature et la taille du bassin d'emploi : lorsqu'une usine ferme en Île-de-France, les salariés ont de plus grandes possibilités de se reclasser dans une autre entreprise alors que les opportunités sont extrêmement limitées en temps de crise dans un bassin d'emploi restreint.

3. Des secteurs diversement concernés

La mission a pu constater la diversité des problèmes rencontrés par les différentes branches de l'industrie. On se limitera ici à quelques exemples mentionnés lors des auditions ou des déplacements.

a) Les menaces portant sur le secteur automobile

L'automobile est l'un des secteurs phare de l'industrie française, qui a joué un rôle pionnier dès la fin du XIXème siècle. Or une automobile française ne contribue pas nécessairement à l'emploi et au PIB français autant qu'il y paraît, car les firmes font aujourd'hui appel à de nombreux fournisseurs dont beaucoup sont implantés dans d'autres pays.

On estime ainsi que les voitures françaises ne sont produites qu'à moins de 50 % dans leur pays, contre 70 % pour les automobiles allemandes. Il a été plusieurs fois souligné lors des travaux de la mission que Renault, dont l'État est actionnaire à hauteur de 15,01 % du capital, recourt beaucoup plus que Peugeot à une production délocalisée. M. Lionel Fontagné a expliqué ce comportement par la structure différente des deux groupes, le premier menant une stratégie de développement mondial tandis que le second repose pour le moment sur sa capacité d'innovation.

L'exemple du secteur des poids lourds, autobus et autocars en France

Les poids lourds

- En 2000, Renault a vendu ses camions (Renault Véhicules industriels, devenu Renault Trucks) à Volvo AB. En contrepartie, Renault a obtenu 20,7 % du capital du constructeur suédois, devenant ainsi son premier actionnaire et s'engageant même à augmenter sa participation au cas où celui-ci ferait l'objet d'une tentative de prise de contrôle inamicale. L'accord a porté aussi sur le maintien des sites de production de Renault Trucks en France ainsi que sur la répartition de l'activité de fabrication et d'assemblage entre les sites français et suédois.

Ce partenariat entre Renault et Volvo AB a eu toutefois pour conséquence d'obliger Renault à sortir de la joint venture mise en place précédemment avec Iveco au sein d'Irisbus, fabricant d'autobus et d'autocars. La Commission européenne s'est en effet opposée à ce que Renault soit à la fois actionnaire de Volvo AB et partenaire capitalistique d'Iveco au sein d'Irisbus, les entreprises Iveco et Volvo AB fabriquant des autobus, des autocars et des poids lourds.

Or, afin de rembourser les 3 milliards d'euros prêtés par l'État pour faire face aux conséquences de la crise, Renault a vendu la majeure partie de sa participation dans Volvo et ne détient plus désormais que 6,8 % de Volvo.

On peut craindre que cette cession ne mette Volvo AB à la merci d'une offre publique d'achat hostile. La concentration qui en résulterait, dans un contexte marqué par une demande très inférieure aux capacités de production, pourrait bien constituer une menace pour les activités de fabrication et d'assemblage de Renault Trucks en France.

- Il convient en revanche de saluer l'engagement des groupes Scania et Iveco en France :

- le groupe Scania assemble depuis 1992 des camions et tracteurs gros porteurs (plus de 16 tonnes) dans son usine d'Angers qui emploie 520 personnes. Les fournisseurs sont répartis dans toute l'Europe, dont un certain nombre en France. Les véhicules produits sont destinés aux marchés de l'Europe du Sud, France notamment.

- Iveco produit à Bourbon-Lancy des moteurs de la famille Cursor qui équipent de nombreux modèles d'autocars et d'autobus (Fiat et Irisbus) et de camions (Iveco). Cette usine emploie 1100 personnes.

Les autocars et les autobus

- La Commission européenne ayant contraint Renault à céder à Iveco (filiale de Fiat) ses actions Irisbus, plus aucun industriel français n'est présent dans le secteur des autocars et des autobus. Depuis lors, Irisbus, propriété à 100 % d'Iveco-France, a été absorbé par sa maison-mère. Irisbus n'est plus qu'une marque. Il en est de même pour Heuliez-bus.

Face à l'atonie du marché, le risque est grand qu'Iveco transfère de plus en plus d'activités sur ses autres sites (République Tchèque et Italie) au détriment des sites français qui produisent des autobus (Annonay et Rorthais), tant pour le marché intérieur que pour l'export mais aussi des autocars de moyenne gamme et de haut de gamme.

Il serait donc utile que le gouvernement français obtienne d'Iveco et de Fiat, sa maison-mère, l'engagement de maintenir les activités actuelles en France ainsi que leur développement en cas de reprise économique.

- À la différence, notamment, du groupe Man (marques Man et Neoplan) qui n'a pas d'usine en France, Evobus France, filiale du groupe Daimler (marques Mercedes et Setra) dispose d'une usine à Ligny-en-Barrois. Cette implantation en France est à souligner même s'il s'avère qu'il ne s'agit pas d'un site de fabrication mais seulement d'assemblage sur des chaudrons entièrement traités et apportés d'Allemagne par camions, de pièces (moteur, boîte, pont, etc.) quasiment toutes fabriquées en Allemagne.

L'usine de Ligny-en-Barrois assure l'habillage intérieur et la peinture en fonction de la demande du client. Il est à noter que désormais seuls des autobus y sont assemblés alors qu'auparavant des autocars l'étaient également.

Il en résulte que le site de Ligny-en-Barrois emploie 400 salariés (650 pour Evobus France) contre 10 000 emplois en Allemagne (essentiellement à Mannheim) et 3 000 dans le reste de l'Europe, principalement en Espagne.

Le gouvernement, tout en saluant l'engagement du groupe Evobus en France, pourrait ouvrir une négociation avec lui afin d'obtenir qu'il confie davantage d'activités au site de Ligny-en-Barrois de manière à y faire progresser très sensiblement le nombre d'emplois. Les parts de marché obtenus par ce groupe en France (près de 20 %) paraissent de nature à justifier pleinement cette évolution.

Au total, si la France compte un nombre assez important d'usines où sont fabriqués et ou assemblés des autobus, des autocars et des poids lourds (ou encore des pièces pour ces véhicules), elle n'a cependant pas de véritable politique industrielle dans ce secteur. Il n'est pas encore trop tard pour en définir une.

Source : note remise par M. Michel Teston, sénateur de l'Ardèche, membre de la mission

b) Une position de niche dans le textile

L'ensemble de la branche « textile-habillement », fortement menacée par les pays à faible coût de main d'oeuvre, a perdu 70 % de ses effectifs au cours des dix dernières années.

Dans le textile, la France conserve seulement une position de niche : dans la mode, sur laquelle elle bénéficie d'une forte image de marque ; dans le textile sportif mais aussi le textile technique qui constitue un marché porteur pour l'industrie, le bâtiment et l'agriculture.

c) L'agroalimentaire, un secteur stratégique et une position à défendre

L'Europe et plus particulièrement la France bénéficient d'un climat tempéré et de terres agricoles abondantes et de bonne qualité, ce qui leur permet de répondre aux nouveaux besoins d'une agriculture raisonnée prenant en compte l'impératif environnemental. Il s'agit d'une opportunité et d'une responsabilité particulière, face à l'évolution prévisible de la demande mondiale pour assurer un jour l'alimentation de neuf milliards d'êtres humains.

L'agriculture, qui constitue donc l'un des points forts de l'économie française, ne peut rencontrer un tel succès sans s'appuyer sur un secteur industriel agroalimentaire solide, dont l'importance en France n'est pas toujours considérée à sa juste valeur. D'après le rapport de M. Philippe Rouault sur les industries agroalimentaires françaises 12 ( * ) , le secteur agroalimentaire est la seule branche de l'industrie française qui n'a pas perdu d'emplois depuis 1980.

Les industries agroalimentaires (IAA) ont réalisé 14,1 % de la valeur ajoutée de l'industrie manufacturière en 2009, contre seulement 10 % en 1960, pour des effectifs de 550 000 salariés. Le secteur recourt moins à l'externalisation et à la délocalisation que les autres industries et contribue positivement à la balance commerciale de la France.

Comme l'indique le rapport Rouault, le secteur des IAA est plus innovant que la moyenne (7 % du chiffre d'affaires). Votre rapporteur considère toutefois, pour sa part, qu'un accent doit être mis sur la recherche relative aux produits de nutrition animale, tandis que la recherche et développement est handicapée par les difficultés rencontrées par les programmes de recherche génétique sur les nouvelles semences. Le témoignage transmis à votre rapporteur par M. Daniel Segonds, industriel rencontré par la mission lors de son déplacement en Midi-Pyrénées, lui paraît à cet égard éloquent :

Compétitivité des semences et biotechnologies

« Il est communément admis que le progrès génétique constitue et sera de plus en plus un des leviers les plus efficaces et les plus respectueux de l'environnement pour relever le défi de l'alimentation et partiellement celui de l'énergie renouvelable auxquels se trouve de plus en plus confrontée notre planète.

Les grandes puissances économiques, États-Unis en tête et aujourd'hui Chine et Inde, l'ont bien compris en reconnaissant à ce secteur des semences de plantes agricoles un rôle stratégique dans la compétitivité future des nations.

Paradoxalement, la France, forte d'une excellente tradition semencière qui en fait aujourd'hui le premier pays exportateur de semences, avec une balance commerciale excédentaire de près de 500 millions d'euros, a déjà perdu et continue à perdre pied dans ce domaine. En effet, dans un environnement politico-médiatique soupçonneux, voire hostile à l'innovation, notre pays a pris un retard considérable dans l'introduction des biotechnologies qui constituent une rupture technologique forte pour l'amélioration des plantes.

Le refus systématique des plantes génétiquement modifiées, alors qu'elles peuvent apporter une solution certes partielle mais parfois décisive à certaines problématiques, le manque de moyens consacrés globalement aux biotechnologies font que nos sociétés semencières ne se battent pas à armes égales avec leurs concurrents étrangers et que de nombreux travaux autour de ces technologies nouvelles ont dû être délocalisés, entrainant dans le même temps une fuite de jeunes chercheurs et une lassitude, voire une certaine résignation, de ceux qui restent.

Il est grand temps qu'une véritable politique de l'innovation, par l'introduction des biotechnologies, soit mise en oeuvre si la France veut seulement maintenir son rang dans ce domaine stratégique dont l'impact est crucial sur toutes les chaînes avals de la production agricole, passant par l'agroalimentaire, l'énergie renouvelable et le consommateur final. »

Source : témoignage de M. Daniel Segonds, Président du directoire de RAGT (Rouergue Auvergne Gévaudan Tarnais)

D'une manière générale, la position des industries agro-alimentaires est menacée. Leur solde commercial a diminué, passant de 7 milliards à 4,2 milliards d'euros entre 2006 et 2009. Le secteur est pénalisé dans ses exportations par l'appréciation de l'euro et sa rentabilité se dégrade :

- composé essentiellement de petites entreprises, le secteur agroalimentaire, malgré des rémunérations relativement faibles (35 981 euros en moyenne contre 43 642 euros dans l'ensemble des branches de l'économie), connaît des coûts de production importants qui pèsent sur sa compétitivité.

L'exemple le plus souvent mis en avant est celui des abattoirs allemands, qui recourent à une main d'oeuvre issue des pays de l'Est, rémunérée aux environs de 7,5 euros de l'heure en raison de l'absence de salaire minimum 13 ( * ) . Au-delà de cet avantage qui pourrait se réduire dans les années à venir, les abattoirs allemands mettent l'accent sur la robotisation et l'automatisation. On voit ainsi se mettre en place une chaîne de production pour le moins surprenante et, dans son recours massif aux moyens de transport, peu conforme aux objectifs de limitation des émissions de gaz à effet de serre : 20 % des carcasses de coches 14 ( * ) françaises seraient envoyées en Allemagne pour y être découpées avant de revenir en France sous forme de pièces ;

- l'augmentation du coût des matières premières et de l'énergie, ainsi que des emballages, constitue une menace pour la survie des industriels du secteur agroalimentaire et tout particulièrement des nombreuses PME. Au sein de la filière, cette augmentation ne peut être supportée par les seuls agriculteurs et industriels, créateurs de valeur et d'emplois ;

- enfin, nombre d'acteurs du secteur agroalimentaire mettent en avant des difficultés dans leurs relations avec les distributeurs, la loi de modernisation de l'économie (LME) n'ayant pas suffi à assurer un meilleur partage des marges entre l'amont et l'aval de la filière. Comme l'a constaté notre collègue Élisabeth Lamure dans son rapport sur la mise en oeuvre de la LME 15 ( * ) , le déséquilibre entre les fournisseurs et les distributeurs, liés à la structure oligopolistique de ces derniers, persiste dans les faits.

Les industriels du secteur agroalimentaire ont dénoncé devant votre rapporteur le comportement des enseignes de grande distribution et appelé à une solidarité des distributeurs afin de préserver la pérennité de ses emplois et du modèle agroalimentaire français, dont dépend l'indépendance alimentaire du pays. Dans un contexte d'augmentation des prix des matières premières, de l'électricité et des emballages métalliques, les industriels agroalimentaires, dont les marges sont faibles dans certains secteurs, soulignent la nécessité pour les distributeurs d'accepter des hausses de tarifs.

d) Le retard au démarrage dans les industries vertes

• Le développement de l'industrie verte est un enjeu majeur dans la perspective du réchauffement climatique et de l'impératif de réalisation des objectifs fixés par l'accord « 3 fois 20 » : à l'horizon 2020, l'Union européenne doit consommer 20 % d'énergies d'origine renouvelable, diminuer ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport à 1990 et réaliser 20 % d'économies d'énergie.

• Or, l'industrie française ne parvient pas à tirer suffisamment parti des objectifs posés au niveau national et européen. Comme l'a observé devant la mission commune d'information M. Luc Rousseau, directeur de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, « nous ne disposons pas de grandes entreprises compétitives dans ces secteurs. Tous les grands groupes industriels français compétitifs au niveau international appartiennent à des secteurs plus traditionnels. »

À titre d'exemple, un secteur tel que la chimie verte du végétal devrait contribuer particulièrement aux objectifs climatiques. De nouveaux procédés, développés en coopération avec les pôles de compétitivité, doivent permettre de fournir des produits élaborés dans le respect de l'environnement. La chimie verte doit pouvoir s'appuyer en France sur les capacités de recherche du secteur chimique comme sur la force du secteur agroalimentaire décrit précédemment.

La mise en oeuvre et l'appui de filières éco-industrielle performantes ne sont pas à la hauteur des enjeux et des possibilités de développement attendues.

Il existe pourtant, disséminées dans les territoires, y compris les départements et collectivités d'outre-mer, des PME et TPE qui pourraient être appuyées et mises en réseau, et dont les programmes de recherche et développement et de recherche appliquée pourraient être mieux mobilisés.

Cette situation est particulièrement marquée dans deux secteurs en pleine émergence :

- s'agissant de la filière éolienne , en 2007-2008, les acteurs français n'ont représenté que 5 % des équipements installés dans l'Hexagone 16 ( * ) ;

- alors que la production d'électricité d'origine solaire , favorisée par des tarifs de rachat avantageux, se développe à grande vitesse, la France a importé 80 % de ses panneaux photovoltaïques en 2009, faute d'une filière de production de cellules solaires compétitive.

Le cas de la société Photowatt est emblématique. Seule société française qui maîtrise l'ensemble de la chaîne de production de panneaux photovoltaïques, Photowatt a annoncé au début de février 2011 un plan social concernant 331 emplois sur 670, qui pourrait être accompagné d'un transfert d'activités en Pologne. La société, qui a glissé de la 12 ème place mondiale en 2004 à la 72 ème place aujourd'hui, est victime de la concurrence, notamment chinoise, qui a pour effet une compression des prix. Or la société a largement bénéficié des efforts de recherche et développement, via l'INES et PV Alliance 17 ( * ) .

L'existence d'une obligation d'achat de l'électricité solaire par les opérateurs a eu pour effet une explosion des projets d'installations de panneaux photovoltaïques en 2009 et 2010, qui a contraint le Gouvernement a suspendre provisoirement le dispositif par un décret du 9 décembre 2010, sauf pour les petits projets résidentiels, afin de prendre le temps de définir un régime soutenable pour les finances publiques.

Dans le contexte actuel, alors que le Japon est touché par une crise nucléaire grave, il s'avère indispensable d'accélérer le développement des énergies renouvelables, et qu'à cet effet des règles puissent être définies. La situation nouvelle aujourd'hui exige une politique énergétique mixte, incitant de manière volontariste à la production d'énergie à partir de sources renouvelables, y compris le photovoltaïque.

Les membres de la mission appartenant au groupe socialiste regrettent profondément qu'un état précis des acteurs français de cette filière naissante, de l'état de la recherche et développement dans ce secteur et une définition de critères environnementaux exigeants n'aient pas précédé la mise en oeuvre d'avantages fiscaux et la création de fait d'une bulle spéculative.

Le moratoire de décembre 2010 a constitué un choc pour de nombreux entrepreneurs locaux qui, au contraire des grands acteurs du secteur, ne possèdent pas forcément une grande solidité financière. Un nouveau cadre réglementaire, publié le 5 mars 2011, a fixé de nouvelles règles comportant notamment :

- une baisse d'environ 20 % des tarifs d'achat de l'électricité ;

- la limitation du tarif d'achat aux installations d'une puissance de moins de 100 kW-crête, un système d'appels d'offre étant instauré au-delà ;

- la fixation d'une trajectoire-cible de 500 MW de puissance installée par an, à laquelle devrait s'ajouter la mise en oeuvre de certains projets déjà en cours.

Les conditions du développement des filières éolienne et photovoltaïque

Sur le plan industriel, l'éolien et le photovoltaïque ont pour points communs de constituer des filières en plein essor et fortement concurrentielles, mais différenciées : tandis que l'installation est source d'emplois non délocalisables mais pas nécessairement durables, l'assemblage et surtout la fabrication des composants font l'objet d'une concurrence vive au niveau mondial.

Plusieurs conditions apparaissent indispensables pour la création d'une filière durable et créatrice d'emplois dans ces deux domaines :

- une régulation est incontournable afin d'éviter un nouvel emballement des projets qui serait exagérément coûteux 18 ( * ) ou la multiplication de projets à la rentabilité douteuse ; cette régulation doit toutefois être claire et offrir aux industriels une visibilité indispensable au développement de leurs activités, notamment pour l'accès au financement par les banques ;

- la constitution initiale d'un marché national paraît essentielle . À cet égard, il convient d'approuver le lancement, annoncé par le président de la République le 25 janvier dernier, d'un grand appel d'offres pour la création de six parcs d'éoliennes offshore pour une capacité globale de 3 000 MW 19 ( * ) . Les entreprises françaises, si elles savent se positionner sur ces appels d'offres, pourront en tirer parti pour développer une capacité de production et atteindre la taille critique leur permettant d'exporter également sur les marchés extérieurs dans un secteur particulièrement porteur. Le marché national ne doit toutefois être considéré que comme une base pour le développement de sociétés compétitives sur le marché international.

En ce qui concerne la filière photovoltaïque, la mise en place d'une cible de 500 MW pour l'obligation d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque au tarif réglementé est perçue par de nombreux acteurs de la filière comme insuffisante pour créer ce marché national permettant l'émergence d'un acteur de dimension internationale ;

- la recherche et l'innovation sont fondamentales dans ces deux secteurs et la France peut tirer un avantage de ses instituts en pointe dans ces deux domaines, tels que le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l'Institut national de l'énergie solaire (INES). Il est toutefois délicat, notamment dans le domaine de l'énergie d'origine photovoltaïque où les coûts baissent de manière régulière, de déterminer d'ores et déjà quelles technologies (silicium cristallin, couches minces...) offriront demain le meilleur rapport coût / rendement.

Enfin, une vision stratégique est nécessaire afin que le coût à l'achat ne soit pas le seul élément pris en compte. Ainsi, dans le cas du panneau photovoltaïque, il faut prendre en compte la durée d'utilisation, la qualité esthétique (intégration au bâti) et tout particulièrement son bilan écologique complet (fabrication, transport, installation, recyclage). La prise en compte, si des appels d'offres sont mis en place, de l'ensemble de ces critères pourrait permettre de renforcer les chances de constitution d'une filière française .

Les filières éco-industrielles ne se limitent pas au seul secteur de l'éolien ou du photovoltaïque.

Il convient en effet d'engager une réflexion d'ensemble préalable, associant la totalité des acteurs potentiels des filières, sur la possibilité d'impulser la création d'une filière nationale géothermique ainsi que de filières liées à la biomasse, au bois ou à l'utilisation de l'énergie marémotrice.

Ces filières « nouvelles énergies » pourraient travailler en totale synergie avec des filières plus traditionnelles, leur ouvrant la possibilité de réaliser des économies d'énergie substantielles, mais leur offrant aussi une diversification de leurs activités.

Le développement des énergies renouvelables contribuerait également à éviter de recourir à des sources d'énergie telles que les hydrocarbures de schiste, dont les conditions d'exploitation suscitent des inquiétudes légitimes dans la population, qu'il s'agisse de l'utilisation de fortes quantités d'eau ou du possible impact sur les autres ressources naturelles ou sur les paysages. Sur cette question, la plus grande transparence est en effet de mise.

e) Le potentiel des agrocarburants, de la filière bois et de la mécanique agricole

• Les agrocarburants , alors que nous traversons une crise de l'énergie particulièrement grave, sont un débouché agricole et une activité agro-industrielle nouvelle, dont le potentiel est considérable, à condition que la recherche soit soutenue.

Pour les agrocarburants de première génération , deux filières ont été mises en place à travers le diester et l'éthanol.

Il faut les conforter afin de pérenniser les contrats avec les agriculteurs qui se sont engagés pour alimenter les usines de transformation existant à Rouen et Bazancourt dans la Marne.

Mais il est crucial de donner un coup d'accélérateur aux projets de recherche des agrocarburants de deuxième génération . Ceux issus de déchets et résidus seraient disponibles à partir du milieu des années 2010 tandis que la filière ligno-cellulosique devrait arriver sur le marché à partir de 2017, conformément à la directive sur les énergies renouvelables qui assigne des critères de durabilité aux agrocarburants.

Le plan du gouvernement français précise toutefois que « les biocarburants utilisés resteraient en très grande majorité de première génération » (biodiesel et bioéthanol).

Pour autant, utilisant déchets industriels, pailles de blé, copeaux de bois, les filières ne manquent pas. S'il existe environ 170 types d'agrocarburants de deuxième génération, seuls 30 % d'entre eux devraient déboucher sur une exploitation commerciale d'ici 2015. Ce nouveau type d'agrocarburants complètera la première génération, en attendant une nouvelle génération, dite de troisième génération, représentée par les cultures de micro-algues qui seraient de trente à cent fois plus efficaces que les oléagineux terrestres. Elles pourraient donc permettre une production de masse d'agrocarburants à condition d'améliorer leurs rendements. En effet, le procédé est encore beaucoup trop coûteux (environ 50 euros par litre de carburant) et doit donc être optimisé. La recherche encore une fois doit être soutenue dans ce domaine . De grands groupes pétroliers et des constructeurs automobiles s'associent désormais aux programmes de recherche publique.

Enfin, il convient de souligner le poids que représente la fiscalité pour les agrocarburants . Une suppression de la TIPP et une application du taux réduit de TVA permettraient de rendre leur coût moins pénalisant pour les utilisateurs. Cette mesure pourrait s'appliquer tout particulièrement lorsque les agrocarburants sont consommés à proximité du site sur lequel ils sont produits. Il convient de rappeler que les directives européennes sur les biocarburants et les énergies renouvelables 20 ( * ) ont fixé, pour la France comme pour les autres pays de l'Union européenne, à 10 % la proportion d'énergie qui devrait être produite à partir de sources renouvelables dans les transports en 2020.

• La filière bois est un véritable atout pour notre pays : nous savons produire du bois de qualité mais nous ne savons pas suffisamment l'exploiter et le transformer.

La France est la première puissance européenne en matière de volume de bois sur pied, mais elle est pratiquement la dernière en termes de consommation de bois par habitant. Le secteur « forêt-bois » en France représente plus, en termes d'emplois, que le secteur de l'automobile dans son ensemble : 550 000 emplois pour 100 000 entreprises essentiellement réparties en milieu rural.

Dans un rapport intitulé « Mise en valeur de la forêt française et développement de la filière bois » remis au Président de la République en avril 2009, l'ancien ministre Jean Puech proposait douze mesures structurelles pour redynamiser la filière, à partir d'un constat paradoxal : la forêt s'étend, c'est un potentiel dormant, et l'économie correspondante stagne avec une industrie en souffrance.

Jean Puech préconisait de créer une dynamique nouvelle pour lever des freins et notamment : un plan de modernisation des scieries, structures souvent familiales, avec une insuffisance de capacité d'autofinancement et de trésorerie, à dynamiser vers une plus grande intégration aval ; un développement du séchage et des produits finis avec rabotage ; un plan de soutien à l'émergence des entreprises d'exploitations forestières, souvent unipersonnelles, afin de les rendre plus performantes.

Qu'est il advenu de ces propositions ?

La filière bois est une des filières dites « filières vertes » qui devraient être prioritairement soutenues, notamment dans le prolongement du Grenelle de l'environnement.

La traçabilité totale de toute la chaîne logistique du bois est un des enjeux d'efficience économique et de développement de la qualité des filières bois. Elle permettrait en outre de limiter l'exportation et l'importation illégale de bois.

• Le secteur de la mécanique agricole mérite enfin une attention particulière.

Ce secteur occupe malgré lui l'actualité puisque le mercredi 9 mars dernier, l'entreprise McCormick France à Saint-Dizier, fabricant de transmissions pour tracteurs en liquidation depuis décembre 2010, a été repris par un acquéreur chinois.

D'une manière générale, les producteurs de gros matériel localisés en France sont en grande partie des filiales de grands groupes étrangers alors que des entreprises à capitaux français se distinguent à l'échelle européenne, voire mondiale, spécialisées notamment dans la pulvérisation et la viticulture. Les capacités d'innovation jouent un rôle fondamental dans l'évolution de ce secteur. Les avancées technologiques visent évidemment, pour une part, à améliorer l'efficacité de ces matériels. L'agriculture de précision représente, pour les entreprises du secteur, un potentiel de croissance. Mais la prise en compte du développement durable autant que celle d'une plus grande sécurité pour l'utilisateur sont également des objectifs importants en termes d'innovation.

Par ailleurs, la montée en puissance de l'électronique dans le machinisme agricole génère de nouveaux métiers et nécessite un important effort de formation pour l'ensemble des intervenants de la filière agroéquipements. La profession rencontre des difficultés pour recruter une main-d'oeuvre jeune et qualifiée.

f) L'aéronautique : une réussite à préserver

Toulouse a toujours été une ville pionnière dans l'aéronautique, mais, comme il a été rappelé lors du déplacement de la mission en Midi-Pyrénées, c'est l'intervention de l'État qui a permis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le développement d'une filière de construction aéronautique compétitive au niveau mondial.

La société Airbus joue aujourd'hui le rôle de chef de file incontesté de la filière et fédère autour d'elle un grand nombre d'entreprises , sous-traitants de premier ou deuxième rang. L'ensemble du territoire est ainsi irrigué par un « état d'esprit industriel » qui a permis entre autres de contrebalancer le déclin d'industries plus anciennes telles que le textile en Midi-Pyrénées et la construction navale en Pays de la Loire. Pour mémoire, Airbus représente aujourd'hui 5,3 milliards d'euros de chiffre d'affaire pour le tissu industriel français et 2,3 milliards pour les entreprises de Midi Pyrénées 21 ( * ) .

La position très forte de l'aéronautique en Midi-Pyrénées ne peut toutefois être considérée comme définitivement acquise :

- en raison de la dépendance d'Airbus par rapport aux exportations, sa compétitivité est pénalisée par le cours très élevé de l'euro par rapport au dollar face à son principal concurrent Boeing. La mission souligne que le renforcement du cours de l'euro, qui a dépassé en mars 2010 le cours de 1,40 dollar, pose une difficulté majeure à des entreprises dont les concurrents produisent en dollars . L'Europe doit réagir contre la dévaluation des autres monnaies face à l'euro ;

- Airbus, comme ses principaux partenaires, produit également hors de France. M. Fabrice Brégier, directeur général d'Airbus, a indiqué aux membres de la mission que cette stratégie permet d'améliorer la compétitivité de l'entreprise ainsi que ses parts de marché. Ce double objectif est atteint grâce à des partenariats ou coopérations industrielles comme cela a été fait en Asie. Toutefois, et bien que l'essentiel de la valeur soit produite dans les éléments fabriqués en Europe, la mission considère que, l'État étant actionnaire, il est nécessaire de mettre l'accent sur le maintien de l'activité en France pour Airbus et ses sous-traitants ;

- l'aéronautique doit enfin faire face à la difficulté de se développer sur des marchés tels que les États-Unis, qui n'hésitent pas à protéger de facto leur marché à travers les conditions imposées dans les marchés d'offres, comme on l'a vu lors du feuilleton des avions ravitailleurs de l'US Air Force ;

- le principal défi à long terme d'Airbus sera de parvenir à demeurer compétitif malgré l'arrivée de nouveaux compétiteurs provenant des pays émergents, notamment la Chine et le Brésil.

Mais c'est aussi grâce aux efforts importants effectués en recherche et technologie que la France est parvenue à construire une industrie aéronautique de premier plan. Pour la maintenir à un haut niveau face à la concurrence actuelle et à venir, il est indispensable de poursuivre le soutien à l'innovation, notamment dans le cadre du Grand Emprunt.

Il est également essentiel de poursuivre la structuration de la filière et des sous-traitants de rang 1, 2 et 3. Il faut se féliciter, d'une manière générale, de la mise en place, en 2010, d'un comité stratégique de la filière aéronautique, qui devra devenir pleinement opérationnel à moyen terme.

La structuration de la filière aéronautique en Midi-Pyrénées

S'agissant en particulier des entreprises de rang 1, il conviendra de se soucier de l'évolution des grandes aérostructures françaises et donc de suivre les dossiers Latécoère, Daher Socata, Sogerma, Aerolia (les deux dernières étant des filiales d'EADS).

Le Fonds stratégique d'investissement (FSI) pourrait ainsi intervenir pour favoriser la constitution d'un acteur majeur dans le domaine des aérostructures, alors même que la société Latécoère rencontre des difficultés qui pourraient l'amener à faire l'objet d'une prise de contrôle par des acteurs non européens.

Airbus a favorisé ces cinq dernières années le rapprochement d'acteurs de petite taille afin de leur permettre de rester de rang 1 et donc de gérer des lots de travaux plus importants. La création d'Aero Team 22 ( * ) , regroupement de quatre PME d'Aquitaine et de Midi-Pyrénées) afin de se rapprocher d'une taille critique, en est un exemple.

Le directeur général d'Airbus, M. Fabrice Brégier, que la mission a rencontré lors de son déplacement à Toulouse, a d'ailleurs pris, en janvier 2011, la présidence du Pacte PME, association créée en juin 2010 par des grands comptes et des PME avec l'objectif de faire émerger des champions de taille intermédiaire dans le tissu économique français.

Mais, comme cela a été soulevé lors des États généraux de l'industrie, ces nouvelles structures commerciales se heurtent toujours à des questions patrimoniales et à des conflits de personnes en cas de succession, ainsi qu'à l'absence d'implantation en zone dollar ou dans d'autres pays européens. Elles se refusent encore trop souvent à ouvrir leur capital et elles rencontrent quotidiennement, malgré le FSI ou le fond Aerofund mis en place par les donneurs d'ordre, des problèmes récurrents de manque de capitaux associé à la frilosité financière des banques au niveau local.

Enfin, l'étape suivante qui devait voir un processus d'échange, acquisition ou fusion entre les différentes sociétés partenaires n'a toujours pas vu le jour : on assiste même dans certains cas à un recul de ces regroupements.

Tous les outils, élaborés au niveau local, en partenariat entre les collectivités locales, les chambres consulaires, les syndicats professionnels qui concourent à la création de ces dynamiques collectives indispensables à la création d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) pérennes, doivent être fortement soutenus par l'État. Mentionnons pour l'exemple l'action SPACE, élaborée par les donneurs d'ordre 23 ( * ) .

Enfin, l'actualité, avec l'annonce du souhait du groupe allemand Daimler de se retirer du capital du groupe EADS 24 ( * ) , vient rappeler l'État français à un devoir de grande vigilance. L'évolution du capital ne devra pas remettre en cause le partage des tâches, ni influer sur des décisions qui doivent rester économiquement viables.

D'une manière générale, la mission estime légitime de demander à l'État de rendre des comptes au Parlement sur l'activité de l'ensemble des sociétés dont il est actionnaire, ainsi que de leurs sous-traitants, par exemple sous la forme d'une présentation annuelle devant chacune des deux assemblées.

Observations sur le secteur de l'aéronautique
des membres de la mission appartenant au groupe socialiste

La société European Aeronautic Defence and Space Company (EADS) - Airbus est l'un des premiers groupes de défense en Europe et dans le monde.

Derrière le tableau flatteur dressé dans cette section se profilent néanmoins de vrais problèmes, puisque la filière aéronautique française dans son entier est extrêmement dépendante de la stratégie commerciale et de développement arrêtée par EADS-Airbus. C'est dire qu'EADS définit en grande partie la politique industrielle française en matière d'aéronautique. Il s'agit d'une prérogative exorbitante qui n'est compensée que par le fait que l'État français est un actionnaire majeur du groupe, et à ce titre à même d'en faire une courroie de transmission pour servir les objectifs stratégiques qu'il aurait préalablement définis pour servir les intérêts nationaux.

Aujourd'hui cependant, à défaut d'un véritable « Monsieur ou Madame Aéronautique » au sein du Gouvernement, ces leviers à même de permettre la définition d'une véritable politique industrielle de filière sont sous-utilisés. Le représentant de l'État au sein d'EADS-Airbus devrait par exemple être un(e) industriel(le), ce qui n'est pas le cas. À défaut, on constate que le groupe européen manque de véritable interlocuteur.

La complexité de la structure managériale d'EADS est une difficulté supplémentaire qui ne peut que contrarier la concertation et la prise de décision rapides dans le cadre des directions stratégiques données par les exécutifs nationaux français, allemand et espagnol. C'est dire combien il devient difficile d'imprimer une stratégie industrielle conforme à la vision française, alors même que la nature de cette stratégie ne semble pas réellement avoir été préalablement définie. L'État français s'accommode d'une stratégie « à l'anglo-saxonne » telle que mise en oeuvre par EADS-Airbus, stratégie à laquelle on craint qu'il ne souscrive pleinement.

*

S'agissant de la stratégie d'Airbus tendant à produire également hors de France, l'écoute des partenaires sociaux entendus dans le cadre des auditions de la mission, ainsi qu'une analyse circonstanciée, permettent de soutenir une analyse tout à fait différente de celle présentée par le rapporteur. La stratégie à l'anglo-saxonne privilégiée par EADS-Airbus incite notamment à délocaliser la production des aérostructures et à éclater les bureaux d'étude dans divers pays. Airbus impose ainsi à ses sous-traitants des rapports qualité-prix de leur production qui les incitent à développer une politique de délocalisation. C'est le cas pour l'entreprise Figeac Aero. Il est flagrant que cette politique pénalise davantage les acteurs du Sud-Ouest que leurs homologues allemands. Ces derniers bénéficient en effet d'une organisation du secteur aéronautique intégrée par filière, avec un véritable investissement des différents échelons de la décision politique et administrative à l'échelle locale et nationale.

L'exemple allemand conduit donc à s'interroger sur l'existence d'une stratégie industrielle hexagonale pour la filière aéronautique : quels sont les objectifs stratégiques poursuivis en matière industrielle par notre pays ? Quelle est la hiérarchisation des priorités retenue entre d'une part les nécessairement artificielles performances boursières d'EADS, et d'autre part, la défense des intérêts industriels nationaux ?

*

Tout à la fois enjeu de sécurité pour les États qui en font partie et outil de performance économique qui évolue dans un contexte instable, le groupe EADS ne saurait être géré en fonction des objectifs et préoccupations de n'importe quel autre grand groupe économique privé.

La question de la transmission du savoir-faire est ici hautement sensible, le groupe européen offrant à ses concurrents économiques et stratégiques potentiels un raccourci rapide pour accéder à des technologies extrêmement sensibles, par le biais des délocalisations. Pour être clair, la France, pour le peu qu'elle investit, le fait en contribuant au financement de filières industrielles spécialisées dans des hautes technologies parfois sensibles, non seulement hors de son propre territoire, mais également hors de l'Union européenne. C'est problématique.

L'argument selon lequel lesdits concurrents auraient de toute manière accédé à ce savoir-faire ne vaut pas, dans la mesure où la véritable question est : dans quels délais ? On ne gagne pas à leur faciliter la tâche. Le faire revient aussi à nier les spécificités et les atouts de l'innovation, ainsi que de la recherche et développement européens. Il ne faut pas céder à la fatalité, ni à la facilité, en arguant du fait que leur retard technologique sera de toutes manières comblé par nos concurrents, mais au contraire veiller à ce que cet écart soit non seulement conservé, mais creusé.

Dans ces conditions EADS, qui table sur le fait d'avoir toujours un Airbus d'avance, fait un pari risqué. Cette position fait l'impasse sur quelque chose qui dépasse l'intérêt même d'EADS et qui doit rester une préoccupation de l'État en termes de stratégie industrielle, et qui pose la question du pilotage de la stratégie industrielle aéronautique française. Il convient d'ailleurs d'émettre ce constat en regard du statut actuel d'Airbus qui est un concepteur, un assembleur et un vendeur qui a considérablement réduit son coeur de métier en tant que constructeur, parce qu'il affichait il n'y a pas si longtemps la capacité à construire toutes les composantes d'un avion.

L'État français doit donc rendre de nouveaux arbitrages où les considérations allant du renforcement à la sécurisation de la filière, en passant par les impératifs de préservation de l'emploi et des savoir-faire locaux, le disputent à la valorisation de l'action EADS, géant qui peut avoir des pieds d'argile. Cette fragilité latente, le plan Power 8 en a trop clairement fait la démonstration. Or les problèmes qui ont conduit à son adoption ne sont pas complètement dissipés.

La prévalence d'un modèle d'économie financiarisée pourrait en partie expliquer le choix de laisser l'Allemagne prospérer industriellement dans le cadre d'une politique préservant la filière des aérostructures, alors qu'en France, cette dernière apparaît grandement mise en danger du fait des graves difficultés dans lesquelles est plongée l'entreprise Latécoère - qu'EADS ne semble toujours pas pressée de sauver. Ce modèle mesure en effet trop souvent la performance économique en ignorant les réalités de la conception, de la production, et de la création de biens.

S'agissant enfin de la nécessité du soutien à l'innovation, le Grand Emprunt n'y suffira pas, loin de là.

*

Concernant la structuration de la filière aéronautique en Midi-Pyrénées, il convient de rappeler que, en 2011, l'entreprise Latécoère accuse une dette de 363 millions d'euros.

L'équipementier toulousain, pionnier français de l'aéronautique française et témoin des grandes heures de l'Aéropostale durant l'entre-deux-guerres, « bat de l'aile » depuis plusieurs années. EADS se refuse pour l'instant à renflouer l'entreprise, et l'État quant à lui se refuse à intervenir pour peser sur la nécessaire émergence d'un acteur franco-français dédié aux aérostructures pouvant bénéficier des financements du FSI.

Cet effacement est antithétique avec la création du comité stratégique de la filière aéronautique, qui est un dispositif intéressant, mais qui trouve manifestement ses limites quand on passe aux travaux pratiques.

L'unification d'un pôle d'aérostructures serait un moyen efficace pour éviter aux entreprises d'externaliser leur production, c'est-à-dire de délocaliser dans des pays où le coût du travail est moindre. Cette mesure participerait à une politique volontariste de maintien de l'industrie dans les territoires, de conservation des bassins d'emplois, et partant de rééquilibrage de la balance extérieure. Il s'agit là d'avoir une politique industrielle et d'aménagement du territoire.

La création d'une véritable unité d'aérostructures est donc un moyen de muscler ce domaine de la construction aéronautique française. Elle accroîtrait la puissance de frappe de la filiale Aerolia face à son concurrent allemand, et mettrait à l'abri les entreprises en difficulté comme Latécoère d'un rachat par un groupe étranger.

Au cours des auditions menées par la mission commune d'information, plusieurs syndicalistes ont par ailleurs plaidé pour la création d'une banque dédiée à l'aéronautique au service des sous-traitants. Cette mesure irait dans le bon sens : c'est d'une stratégie industrielle volontariste dont la filière a besoin. Celle-ci fait défaut depuis que la gouvernance de type anglo-saxon l'a emporté depuis les années 1990 sur le modèle français de partenariat public-privé.

Les partenaires sociaux ont également souligné que pour faire face à la concurrence, les salariés des entreprises qui n'ont pas délocalisé leur production connaissent des conditions de travail de plus en plus dures pour les salariés, afin de répondre à des critères de productivité toujours plus exigeants. L'évolution de leurs salaires et l'attention portée à leurs revendications sociales devrait en toute logique être liée à leur très important niveau d'engagement.

L'enjeu fondamental est donc ici la constitution d'une véritable unité d'aérostructures en France, principalement localisée en Midi-Pyrénées, afin de réaliser des économies d'échelle par la formation d'un pôle de compétences et de compétitivité face à la concurrence étrangère. La question de la filière aérostructure participe à un débat plus large sur le rôle que doivent jouer l'État français et les États européens dans les politiques économiques. Loin de prendre acte de cet état de fait, le gouvernement français se propose uniquement à l'heure actuelle un accompagnement à la consolidation du secteur, en n'envisageant pas de contraindre les industriels à faire appel aux entreprises nationales. La crise que nous traversons nous rappelle pourtant que le dirigisme, la planification de l'économie et l'intervention étatique ne sont plus des termes dépassés.

C'est parce que sa situation est emblématique de celle de l'industrie française que la filière aéronautique doit faire l'objet d'une véritable stratégie industrielle. En tout état de cause, cette nouvelle politique aéronautique de l'État français doit se développer dans le cadre d'une politique européenne, et qui ne soit pas seulement concertée avec les partenaires allemand et espagnol.

Source : contribution écrite des membres de la mission appartenant au groupe socialiste


* 10 Au classement Fortune Global 500 de 2009, les États-Unis possèdent neuf des vingt-cinq5 premières entreprises mondiales par chiffre d'affaires ; la France, quatre (AXA, Total, BNP Paribas et Carrefour ; la Chine, trois et quatre autres pays (Allemagne, Italie, Japon, Pays-Bas) deux chacun et le Royaume-Uni, une.

* 11 Voir « La crise et nos territoires : premiers impacts », rapport préparé par Laurent Davezies pour l'Assemblée des Communautés de France (AdCF), la Caisse des Dépôts et l'Institut CDC pour la Recherche (octobre 2010).

* 12 Analyse comparée de la compétitivité des industries agroalimentaires françaises par rapport à leurs concurrentes européennes, rapport établi par Philippe Rouault, délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l'agro-industrie, octobre 2010.

* 13 Rappelons qu'il n'existe pas de salaire minimum interprofessionnel en Allemagne, chaque branche étant libre d'en fixer un ou non.

* 14 La coche est l'appellation professionnelle de la truie.

* 15 « Mise en oeuvre de la loi de modernisation de l'économie du 4 aout 2008 : un premier bilan contrasté » - Rapport d'information n° 174 (2009-2010) de Mme Élisabeth Lamure, fait au nom de la commission de l'économie, déposé le 16 décembre 2009

* 16 Assemblée nationale, rapport d'information n° 2398 déposé par la mission d'information commune sur l'énergie éolienne et présenté par M. Franck Reynier, mars 2010.

* 17 Voir le rapport de la mission relative à la régulation et au développement de la filière photovoltaïque en France, dirigée par Jean-Michel Charpin, septembre 2010.

* 18 Le tarif de rachat de l'électricité photovoltaïque, qui va jusqu'à 58 centimes par kWh (soit environ dix fois le tarif de gros de l'électricité), est répercuté dans la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et donc sur les factures d'électricité payées par les consommateurs.

* 19 3 000 MW représentent la capacité de production de trois tranches nucléaires environ. Le Grenelle de l'environnement a fixé un objectif de 6 000 MW de capacité de production pour des éoliennes offshore en 2020.

* 20 Directive 2003/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 mai 2003 visant à promouvoir l'utilisation de biocarburants ou autres carburants renouvelables dans les transports ; directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE.

* 21 Chiffres communiqués à votre rapporteur par Airbus.

* 22 Le groupement Aero Team comprend les sociétés suivantes : Asquini (mécanique industrielle, Marmande, 90 salariés), Cousso (Nogaro, 100 salariés), Sofop (Olemps, 140 personnes) et Gentilin (Launagauet, 50 salariés).

* 23 Les principaux donneurs d'ordres aéronautiques (EADS, ATR, Eurocopter, Airbus, Safran, Thalès, Zodiac Aerospace, Dassault, Liebherr Aerospace, Eaton, Hamilton, MOOG, Daher, Goodrich) ont créé en 2007 l'organisation SPACE, qui a pour objet d'apporter un soutien concret (formations, mises à disposition d'experts), aux PME aéronautiques voulant s'engager dans une démarche d'amélioration de leurs performances industrielles. Depuis cette date, SPACE a supporté plus de 35 projets d'améliorations industrielles et a formé plus de 200 personnes aux outils de maîtrise des processus industriels, avec la mise à disposition gracieuse par les donneurs d'ordre d'experts et de financements dans le cadre du plan ADER 2 (État/région Midi Pyrénées).

* 24 Pour mémoire, un contrat d'actionnaires portant sur 50,4 % du capital réunit, au 31 décembre 2010, la Sogeade (Lagardère et Sogepa, société détenue par l'État français) pour 22,46 %, Daimler (Allemagne) pour 22,46 % et la SEPI (société détenue par l'État espagnol) pour 5,47 %. Le reste du capital est flottant.

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