N° 549

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 mai 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1), sur le fonctionnement de la justice à La Réunion et à Mayotte ,

Par M. Roland du LUART,

Sénateur.

((1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc , Serge Dassault, vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Hubert Falco, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Dans quelles conditions la justice de la République française est-elle rendue dans l'Océan indien ? C'est à cette question que votre rapporteur spécial a souhaité apporter un éclairage en effectuant un contrôle budgétaire sur pièces et sur place à La Réunion et à Mayotte.

A l'heure où l'institution judiciaire dans son ensemble (juridictions, administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse) se trouve confrontée à de redoutables enjeux (défi de la réduction des délais de jugement et d'une application efficace des décisions rendues, impact souvent mal anticipé des évolutions législatives, diffusion des nouvelles technologies...), il apparaît en effet nécessaire d'accorder une attention particulière aux situations existantes en dehors de la métropole. Ainsi nos collègues Christian Cointat et Bernard Frimat se sont-ils attachés à étudier les cas de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe dans un récent rapport d'information 1 ( * ) . Leur bilan sur l'état de la justice dans ces départements révèle d'ailleurs de nombreux motifs d'inquiétude.

L'intérêt de votre rapporteur spécial pour les deux départements français de l'Océan indien a, quant à lui, été doublement aiguisé. D'une part, le rapport d'activité pour 2009 du contrôleur général des lieux de privation de liberté , Jean-Marie Delarue, décrivait une situation très dégradée à la maison d'arrêt de Majicavo, sur l'île de Mayotte 2 ( * ) . D'autre part, la récente départementalisation de Mayotte (depuis le 31 mars 2011), en application de la loi n° 2010-1486 du 7 décembre 2010 relative au département de Mayotte, incitait autant à établir un état des lieux de l'institution judiciaire sur cette île qu'à dresser un parallèle avec le département proche de La Réunion.

D'une manière générale, le contrôle effectué dégage un « paysage budgétaire et matériel » très contrasté . Ce contraste résulte, tout d'abord, de situations administratives et institutionnelles très différentes entre les deux îles. A une départementalisation désormais solidement ancrée dans les pratiques et les esprits à La Réunion répondent à Mayotte les conséquences d'une départementalisation naissante, dont il convient désormais de prendre toute la mesure. Le contraste s'explique aussi par des écarts significatifs au sein des trois grands métiers exercés par les services du ministère de la justice et des libertés. Alors que l'administration pénitentiaire tire profit des efforts budgétaires consacrés à sa mission au cours des dernières années, la justice judiciaire peine, comme en métropole, à vivre avec une contrainte budgétaire forte. La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) cherche, quant à elle, à s'adapter aux spécificités des deux îles en optimisant des moyens comptés.

I. LA RÉUNION ET MAYOTTE : DEUX ÎLES AVEC UN MÊME STATUT DE DÉPARTEMENT MAIS PRÉSENTANT DES PROFILS TRÈS DIFFÉRENTS

Au premier abord, La Réunion et Mayotte pourraient sembler relever d'une analyse commune en présentant des caractéristiques très proches l'une de l'autre : deux « îles-départements », situées dans le même océan, à des distances comparables de la métropole. Pourtant, comme souvent, les évidences se révèlent trompeuses. La seule insularité ne permet pas d'expliquer sous une approche globale, elle recouvre même bien des différences. La Réunion et Mayotte présentent des profils très distincts et bien particuliers , en dépit de leur statut identique de département.

A. L'ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE : LE POIDS DE L'HISTOIRE

Du point de vue institutionnel, la trajectoire de La Réunion et de Mayotte est marquée par le poids de l'histoire respective de ces deux îles. D'un côté, à La Réunion, le département représente une réalité intangible, un point fixe structurant l'ensemble de la vie administrative et notamment celle de l'institution judiciaire. De l'autre côté, à Mayotte, il constitue une innovation longtemps attendue mais dont il s'agit maintenant de prendre toute la mesure.

1. La départementalisation bien ancrée à La Réunion

Située dans l'Océan indien à environ 700 kilomètres à l'est de Madagascar , l'île de La Réunion forme, avec les îles Maurice et Rodrigues, l'archipel des Mascareignes.

La Réunion dans l'archipel des Mascareignes

Source : Sénat

Jusqu'à la récente départementalisation de Mayotte (31 mars 2011), La Réunion était le seul département français de l'hémisphère sud, à 9 180 kilomètres de Paris .

L'octroi du statut de département français à La Réunion résulte d'un patient cheminement . Dès la Révolution, l'idée se fait jour d'unir plus étroitement le destin de cette colonie à la métropole. Mais les événements figent dans son statut de colonie l'île Bourbon, devenue un temps l'île Bonaparte. Pourtant la perspective de la départementalisation réapparaît régulièrement en vue de contribuer au renouveau de l'économie de ce territoire, de limiter le pouvoir des gouverneurs successifs ou encore d'étendre la législation sociale de la métropole. Ce dernier point sera notamment central sous le Front populaire en 1936. A cette date, une proposition de loi relative à la départementalisation de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de La Réunion est ainsi déposée par les députés Joseph Lagrosillière, Gratien Candace, Gaston Monnerville et Maurice Satineau.

A la suite de la Conférence de Brazzaville (du 30 janvier au 8 février 1944), les députés Léon de Lepervanche, Raymond Vergès, Gaston Monnerville, Félix Eboué et Léopold Bissol présentent, en mars 1946, une nouvelle proposition de loi devant l'Assemblée nationale constituante . C'est Aimé Césaire qui en est le rapporteur.

L'adoption de la loi n° 46-451 du 19 mars 1946
tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française

Aimé Césaire est rapporteur à l'Assemblée nationale constituante, en 1946 , des propositions de loi ayant pour objet de classer la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et la Guyane française en départements français. Il estime, dans le rapport qu'il présente alors au nom de la commission des territoires d'outre-mer, que « les Antilles et la Réunion ont besoin de l'assimilation pour sortir du chaos politique et administratif dans lequel elles se trouvaient plongées. [...] La raison en est que presqu'aucun effort n'a été fait pour assurer au travailleur antillais ou réunionnais un statut économique et social en harmonie avec le statut politique dont il jouit depuis un siècle ».

Il souligne, en effet, devant l' Assemblée constituante , le 12 mars 1946, que la loi de départementalisation, au-delà de l'assimilation, est d'abord une loi sociale, d'égalisation des droits sociaux : « Ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est, par une loi d'assimilation, mieux d'égalisation, de libérer près d'un million d'hommes de couleur d'une des formes modernes de l'assujettissement (applaudissements) [...] Quant à ceux qui s'inquiètent de l'avenir culturel des populations assimilées, peut-être pourrions-nous risquer à leur faire remarquer qu'après tout ce qu'on appelle l'assimilation est une forme normale de la médiation dans l'histoire ; et n'ont pas trop mal réussi, dans le domaine de la civilisation, ces Gaulois à qui l'Empereur romain Caracalla ouvrit jadis toutes grandes les portes de la cité (applaudissements sur divers bancs).

« Nous ajoutons d'ailleurs que l'assimilation qui vous est aujourd'hui proposée est loin d'être une assimilation rigide, une assimilation « géométrique », une assimilation contre nature, [c']est une assimilation souple, intelligente et réaliste. Quand nous disons assimilation géométrique, nous pensons à l'attitude prise à cet égard par la Révolution française. Lors de la discussion de la Constitution de l'an III , Boissy d'Anglas , rapporteur des questions coloniales, en vint à prononcer cette phrase caractéristique : « Que ces colonies soient toujours françaises, au lieu d'être seulement américaines ; qu'elles soient libres sans être indépendantes ; que leurs députés, appelés dans cette enceinte, y soient confondus avec ceux du peuple entier » . »

Aimé Césaire ajoute que « les colonies seront soumises aux mêmes formes d'administration que la France . Il ne peut y avoir qu'une bonne manière d'administrer, et si nous l'avons trouvée pour des contrées européennes, pourquoi celles d'Amérique en seraient-elles déshéritées ? [...] En la circonstance, ce n'est pas seulement l'histoire que nous avons avec nous, c'est la géographie ».

Source : Assemblée nationale

Par la suite et notamment, la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a introduit, dans la Constitution, l'article 72-3 selon lequel « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité ». Cette loi précise en particulier que La Réunion est régie par l'article 73 de la Constitution relatif à l'application des lois et règlements dans les départements et les régions d'outre-mer.

Au total, et en dépit de quelques soubresauts ponctuels et désormais révolus, la départementalisation est désormais solidement ancrée à La Réunion. Ce cadre institutionnel pérenne sous-tend ainsi efficacement l'organisation et le fonctionnement de la justice sur l'île .


* 1 Sénat, rapport d'information n° 410 (2010-2011), « Guyane, Martinique, Guadeloupe : l'évolution institutionnelle, une opportunité, pas une solution miracle ».

* 2 Rapport d'activité pour 2009 du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

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