N° 600

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 juin 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1), sur les territoires et la santé ,

Par Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE,

Sénateur.

La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation est composée de : M. Claude Belot, président ; MM. Dominique Braye, Philippe Dallier, Yves Krattinger, Hervé Maurey, Jacques Mézard, Jean-Claude Peyronnet, Bruno Sido, Jean-François Voguet, v ice-présidents ; MM. François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, secrétaires ; M. Jean-Michel Baylet, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Bérit-Débat, Pierre Bernard-Reymond, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Gérard Collomb, Jean-Patrick Courtois, Yves Daudigny, Yves Détraigne, Éric Doligé, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Didier Guillaume, Pierre Hérisson, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Claude Jeannerot, Antoine Lefèvre, Roland du Luart, Jean-Jacques Mirassou, Rémy Pointereau, François Rebsamen, Bruno Retailleau, René Vestri, Mme Dominique Voynet .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La santé fait partie de ces notions marquées du sceau de la perfection. A l'instar de la paix, de la solidarité ou de l'amitié, elle s'inscrit parfaitement dans le très court catalogue des valeurs exemptes de toute connotation négative.

Pour chaque être humain, la santé est un trésor des plus précieux (à défaut d'être toujours des mieux surveillés...) ; elle est un idéal.

Pour les pouvoirs publics, sa protection est un devoir.

Pour l'assumer, notre pays peut légitimement s'honorer d'avoir mis en place l'un des systèmes les plus perfectionnés du monde, solidement assis sur trois piliers :

- Une panoplie juridique à la hauteur de l'enjeu. L'inscription, dès 1946, de la protection de la santé parmi les « principes particulièrement nécessaires à notre temps » lui confère aujourd'hui une valeur constitutionnelle. De l'interdiction de toute discrimination à la couverture médicale universelle, notre République a été délivrée en droit des barrières invisibles (liées aux ressources, à l'orientation sexuelle, à la race...) susceptibles de se dresser devant nos idéaux d'égalité et de fraternité, qu'elles concernent directement l'accès aux soins ou les autres dimensions de la protection de la santé (droit à un habitat salubre, par exemple) ;

- Un système de protection sociale considéré comme un modèle sur tous les continents ;

- Une formation scientifique qui confère à nos praticiens et à nos chercheurs une réputation mondiale. La douzaine de prix Nobel de médecine décernés à des Français en est sans doute la traduction la plus évidente ; elle ne saurait néanmoins occulter le fait que c'est l'ensemble de notre secteur médical et paramédical qui peut s'enorgueillir de disposer de professionnels parmi les plus performants du monde.

Et pourtant... les citoyens, les praticiens, les élus lancent, depuis déjà plusieurs années, des cris d'alarme qui résonnent comme autant de symptômes : notre système de santé est grippé.

Urbanisation, travail des femmes, aspiration aux loisirs... les évolutions de la société dessinent peu à peu un monde différent de celui pour lequel il a été conçu. Sur ce terrain mouvant, fort de ses solides fondations, il résiste, mais se fissure.

Excédentaire ici, déficitaire ailleurs, l'offre de soins, dans nombre de nos territoires, n'est plus au diapason de la demande. Les génies du marché ont rendu les armes, si tant est qu'ils aient jamais régulé un secteur aussi particulier que celui de la santé.

Face à l'impuissance de la main invisible, la nécessité de l'action des pouvoirs publics, garants de l'intérêt général, s'est imposée comme une évidence : des bourses d'études aux aides à l'installation, en passant par les maisons pluridisciplinaires de santé, ils ont abattu les atouts.

Mais la partie leur échappe toujours : notre système de santé reste malade ; la crise de foi des professionnels, des citoyens et des élus à son égard grandit.

Alors que faire ?

Bien des voix, éminemment autorisées, se sont fait entendre ces dernières années pour proposer de nouvelles solutions.

En s'emparant, à son tour, de cette question, votre Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a simplement souhaité l'aborder sous un regard différent : non pas celui des experts, non pas celui des professionnels, mais celui des élus locaux. Partant du constat que ceux-ci étaient désormais, eux aussi, parties prenantes à la poursuite de l'intérêt général, elle a estimé qu'une politique de protection de la santé ne pouvait aujourd'hui se concevoir sans une réflexion sur leur rôle et leurs attentes en la matière.

Le présent rapport apporte sa pierre à cette indispensable réflexion.

I. SANTÉ ET COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : DES LIENS INDISCUTABLES MAIS DE NATURE DIFFÉRENTE SELON LES APPROCHES CONCEPTUELLES

La dialectique santé/collectivités territoriales se pose dans des termes différents selon l'approche retenue du concept de « santé ». Celui-ci peut en effet se concevoir à trois niveaux :

- sur le plan juridique, c'est-à-dire en tant que compétence. La santé relève alors d'abord, mais non exclusivement, de l'État ;

- en tant qu'objectif d'intérêt général. L'État et les collectivités territoriales ont alors une responsabilité partagée en matière de santé, à la protection de laquelle leurs compétences respectives leur confèrent le devoir de participer ;

- en tant que préoccupation d'ordre privé, propre à chaque individu, les collectivités territoriales se doivent d'agir en matière de santé à la fois pour essayer de répondre aux attentes de leurs citoyens et au nom de l'attractivité de leur territoire.

A. LA SANTÉ EN TANT QUE COMPÉTENCE

1. L'exercice de la compétence santé : un rôle résiduel pour les collectivités territoriales...

La santé, en tant que compétence, ne relève pas des collectivités territoriales :

- l'organisation du système de santé reste centralisée. C'est l'État (ou des organismes qui en dépendent) qui en assure le financement et perçoit à cette fin les cotisations nécessaires ; c'est lui qui procède aux remboursements, dans des conditions qu'il définit... Cette situation fait l'objet d'un consensus et une décentralisation du système de santé n'est donc pas à l'ordre du jour ;

- la conduite de la politique de santé est également, dans une très large mesure, centralisée... ou recentralisée, puisque l'Acte I de la décentralisation avait prévu un partage de compétence (attribuant par exemple aux départements la lutte contre les fléaux sociaux) sur lequel est largement revenu l'Acte II, dans un souci de clarification. La santé est d'ailleurs, à ce jour, le seul domaine ayant formellement fait l'objet d'une recentralisation.

Le département a cependant conservé la responsabilité de la protection sanitaire de la famille et de l'enfance (article L. 1423-1 du Code de la santé publique).

Pour le reste, le législateur a expressément prévu d'associer les collectivités territoriales, par la voie de conventions conclues avec l'État, à certains domaines relevant de la santé. C'est ainsi que le département peut participer à la mise en oeuvre des programmes de santé, notamment pour le dépistage des cancers (article L. 1423-2 du Code de la santé publique) ; de même, les collectivités territoriales peuvent exercer des activités en matière de vaccination ou de lutte contre la tuberculose, la lèpre, le SIDA ou les infections sexuellement transmissibles.

En définitive, le rôle des collectivités territoriales en matière de santé, envisagée en tant que compétence, peut être qualifié de résiduel. Cela ne signifie pas qu'il soit négligeable, bien au contraire : comme l'a démontré la dernière campagne de vaccination contre la grippe H1NI, pour laquelle l'État les a formellement mises à contribution, une véritable action de proximité ne peut être menée sans la collaboration des collectivités territoriales.

2. ...mais une association effective des collectivités territoriales à la gouvernance du système de santé

Bien que la santé soit une compétence de l'État, les collectivités territoriales ne sont pas exclues de la gouvernance de cette politique publique. Le dispositif actuel, issu de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (dite loi HPST) du 21 juillet 2009, leur réserve en effet une place à un double titre : au sein des agences régionales de santé (ARS) nouvellement créées et dans le cadre de partenariats avec celles-ci.

a) Les collectivités territoriales dans l'architecture institutionnelle des ARS

Au moment de la discussion de la loi HPST, les collectivités territoriales disposaient déjà d'une place dans les instances de gouvernance constituées par les agences régionales d'hospitalisation (au sein desquelles étaient représentées les régions) et les groupements régionaux de santé publique (GIP aux actions desquels pouvaient participer les régions, départements et communes qui le souhaitaient). La question de la place des collectivités territoriales au sein des futures agences régionales de santé s'est donc posée, avec d'autant plus de légitimité que, nonobstant la compétence de l'État, leur présence se justifiait à plus d'un titre :

- le rôle des ARS est de territorialiser l'action publique en matière sanitaire. Dans cette perspective, il aurait été curieux de se priver de l'expertise des élus locaux et de leur connaissance de la gestion de proximité ;

- de nombreuses collectivités territoriales ont développé des initiatives sanitaires en direction de leurs citoyens. Une vision complète des politiques conduites en matière de santé sur un territoire, condition nécessaire à l'efficacité des ARS, imposait donc la prise en compte des actions des collectivités et, par voie de conséquence, l'association de leurs représentants ;

- le souci du législateur de renforcer l'articulation entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social rendait incontournable la présence des conseils généraux au sein des instances des ARS.

Au final, les collectivités territoriales disposent au sein des ARS d'une représentation qui, sans être essentielle, n'en est pas pour autant négligeable.

Le conseil de surveillance de l'ARS

Le conseil de surveillance de l'ARS approuve le budget de l'agence, émet un avis sur le plan stratégique régional de santé ainsi que sur les résultats de l'action de l'agence. Chaque conseil de surveillance est composé de 25 membres disposant d'une voix délibérative, dont 4 représentants des collectivités territoriales, soit autant que les représentants de l'État, à savoir :

- 1 conseiller régional désigné par le président du conseil régional ;

- 2 conseillers généraux désignés par l'ADF ;

- le maire d'une commune ou le président d'un groupement de communes désigné par l'AMF.

Les commissions de coordination des politiques publiques

Deux commissions de coordination des politiques publiques de santé sont constituées auprès de chaque ARS. Elles associent les services de l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements et les organismes de sécurité sociale. Elles sont consultées lors de l'élaboration du schéma régional de prévention et du schéma régional d'organisation médico-sociale. Les collectivités territoriales y sont représentées comme suit :

- 2 conseillers régionaux élus par l'assemblée délibérante ;

- le président du conseil général, ou son représentant, de chacun des départements situés dans le ressort territorial de la conférence régionale de la santé et de l'autonomie ;

- 4 représentants, au plus, des communes et des groupements de communes, désignés par l'association des maires de France.

Les conférences de territoires

La composition des conférences de territoire doit permettre une très large association des différentes collectivités territoriales intéressées aux politiques de santé mises en place au niveau des territoires.

Les collectivités territoriales et leurs groupements y compteront au plus 7 représentants (sur 50 membres, dont 20 représentants des établissements de santé) :

- 1 conseiller régional ;

- au plus 2 représentants des EPCI à fiscalité propre regroupant des communes situées dans le ressort du territoire de santé, désignés par l'assemblée des communautés de France ;

- au plus 2 représentants des communes désignés par l'AMF ;

- au plus 2 représentants des conseils généraux.

La conférence régionale de la santé et de l'autonomie

Elle est composée de 100 membres au plus, répartis en 8 collèges. Le collège des collectivités territoriales comprend :

- 3 conseillers généraux désignés par le président du conseil régional ;

- le président du conseil général ou son représentant ;

- 3 représentants des groupements de communes désignés par l'AdCF ;

- 3 représentants des communes désignés par l'AMF.

b) Les ARS ont été conçues pour être des partenaires des collectivités territoriales

Dans la nouvelle organisation définie par la loi HPST, les agences régionales de santé seront les partenaires des collectivités territoriales.

Ces partenariats pourront s'organiser sur une base territoriale plus proche de l'organisation administrative des collectivités territoriales. En effet, chaque ARS est chargée de définir des territoires de santé, c'est-à-dire d'élaborer un maillage plus fin pour la territorialisation de son action.

Alors que les agences régionales d'hospitalisation avaient retenu des territoires de santé qui correspondaient peu ou prou aux bassins de vie qui entouraient les établissements de santé, les ARS ont fait des choix différents, n'hésitant pas à définir comme territoires de santé les départements qui composent la région.

La définition des territoires de santé par les ARS

Le nombre de territoires de santé est passé de 159 (SROS III élaborés par les ARH) à 108, soit une diminution d'environ 32 %. La population moyenne des territoires passe de 374 000 à 605 000 habitants.

Pour le découpage des territoires de santé, 3 cas de figure peuvent être distingués :

- 11 ARS (dont celle de Guyane) ont défini des territoires de santé identiques au périmètre des départements qui composent la région ;

- 9 ARS ont choisi un maillage plus fin qui ne tient pas toujours compte des frontières départementales (par exemple, la région Nord-Pas-de-Calais qui est composée de 2 départements a été divisée en 4 territoires de santé) ;

- 5 ARS ont effectué un découpage supradépartemental, dont 3 qui ont choisi de faire de la région un seul territoire de santé (Corse, Franche-Comté, Limousin).

Au sein de ces territoires de santé, les ARS définiront des bassins de santé de proximité. A titre d'exemple, la région Auvergne compte 4 territoires de santé et 132 bassins de santé de proximité.

Ces partenariats auront pour objet la mise en oeuvre des différentes facettes du plan régional de santé élaboré par chaque ARS. Par exemple, le projet de plan stratégique régional soumis à la concertation dans la région Languedoc-Roussillon prévoit des partenariats dans des domaines variés. Sont notamment évoqués des partenariats dans les domaines du dépistage organisé des cancers, de la couverture vaccinale ou de la prévention de l'obésité infantile. Ces exemples font ressortir diverses facettes des partenariats envisageables. Dans le cas du dépistage du cancer, les collectivités territoriales sont susceptibles de jouer un rôle d'opérateur, dans le cadre de conventions avec l'État (cf. supra ). L'exemple de l'obésité est, quant à lui, significatif du rôle que les collectivités territoriales peuvent jouer sans disposer de compétences sanitaires. Dans le dernier cas évoqué, c'est à travers la gestion de la restauration scolaire que les collectivités territoriales peuvent contribuer à promouvoir des comportements favorables à la santé.

Le partenariat avec les collectivités territoriales est également envisagé pour réduire les risques pour la santé liés à des facteurs environnementaux comme, par exemple, la lutte contre l'habitat indigne.

Les modalités de ces partenariats restent à définir. La loi HPST évoque la conclusion d'un contrat local de santé sans en définir précisément le contenu. Cette absence de définition précise est volontaire ; les partenaires conventionnels sont ainsi laissés libres de définir les modalités et la portée de ces contrats. Si l'objet de ces contrats pourra être différent d'une collectivité territoriale à l'autre, il est fort probable que l'État souhaitera que leur exécution bénéficie de financements croisés et donc, a minima , d'un apport financier de la collectivité signataire.

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