III. POUR UN « ESPACE ÉCONOMIQUE, HUMAIN ET DE SECURITÉ COMMUN » DE BREST À VLADIVOSTOK

Quatre domaines prioritaires permettraient de donner un nouvel élan aux relations entre l'Union européenne et la Russie.

A. UN PRÉALABLE À LA CRÉATION D'UN ESPACE ECONOMIQUE COMMUN : L'ADHESION DE LA RUSSIE À L'OMC

Seul grand pays non membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), la Russie est officiellement candidate à l'adhésion à l'OMC depuis 1993.

Plus de dix-sept ans après la présentation de sa candidature, la Russie se trouve toujours à la porte de cette organisation. Entre-temps d'autres pays, qui ont pourtant présenté plus tard leur candidature, ont accédé et sont devenus membres de l'OMC depuis déjà plusieurs années, à l'image de la Géorgie ou de la Moldavie.

Quelles sont les raisons qui expliquent cette lenteur des négociations, qui n'est toutefois pas propre à la Russie, puisque la Chine a négocié son entrée à l'OMC pendant quinze années ?

Les raisons de ce retard ne tiennent pas tant à la taille de l'économie russe, qui reste une économie relativement modeste à l'échelle mondiale. Ce retard semble s'expliquer surtout par des considérations politiques et par l'importance des enjeux pour les milieux d'affaires russes.

Jusqu'en 1999, les négociations sur l'adhésion de la Russie au GATT puis à l'OMC n'avaient guère progressé en raison de la situation chaotique de l'économie russe. Ce n'est qu'à partir de l'élection de Vladimir Poutine à la présidence de la Fédération de Russie en mars 2000 que les négociations ont pu réellement s'engager. En effet, dès le début de son mandat, Vladimir Poutine a fait de l'adhésion de la Russie à l'OMC l'une des priorités de sa présidence en matière économique.

La Russie a procédé à d'importantes réformes qui ont porté notamment sur la réduction des droits de douane et la simplification des dispositions relatives au commerce extérieur, mais aussi sur les conditions de concurrence, les investissements étrangers et la restructuration du système bancaire.

En 2002, le statut d'économie de marché lui a été reconnu par l'Union européenne, puis par les Etats-Unis, et son intégration de plein exercice au G8 a été officialisée.

L'accord bilatéral conclu avec l'Union européenne en mai 2004 a représenté une étape importante en vue de l'adhésion de la Russie à l'OMC. En effet, l'Union européenne représente le premier partenaire commercial pour la Russie avec lequel elle réalise plus de 55 % de ses échanges. À titre de comparaison, les échanges commerciaux avec les États-Unis sont très modestes (5 % du commerce extérieur russe).

Les principales difficultés ont porté sur le prix de l'énergie, la propriété intellectuelle, l'agriculture, les réglementations sanitaires et phytosanitaires et les industries politiquement sensibles et les droits de survol de la Sibérie.

En juin 2010, lors d'une rencontre entre Barack Obama et Dimitri Medvedev, les Etats-Unis et la Russie sont parvenus à un accord sur les termes de cette adhésion et les Etats-Unis ont annoncé leur soutien à la candidature de la Russie à l'OMC.

Enfin, en décembre 2010, l'Union européenne et la Russie ont signé un memorandum d'entente sur l'adhésion de la Russie à l'OMC.

Où en sommes-nous aujourd'hui dans les négociations sur l'adhésion de la Russie à l'OMC ?

Ces négociations ont connu une forte accélération depuis l'été 2010 et la rencontre entre Barack Obama et Dimitri Medvedev.

Auparavant, la déclaration de Vladimir Poutine en juin 2009 selon laquelle la Russie voulait adhérer à l'OMC de manière groupée, dans le cadre de l'union douanière avec la Biélorussie et le Kazakhstan, avait jetée un froid, étant donné qu'une telle adhésion groupée aurait eu pour effet de retarder encore l'adhésion de la Russie, compte tenu de la situation de la Biélorussie, qui reste encore une économie largement soviétisée.

Depuis l'accord russo-américain de juin 2010, et l'accord avec l'Union européenne de décembre 2010, on constate une forte accélération des négociations qui démontre une réelle volonté d'aboutir du côté russe.

Ainsi, les négociations sur les services sont aujourd'hui quasiment bouclées et concernant les biens, les accords bilatéraux ont été signés et sont en voie de consolidation. Le rapport du groupe de travail, qui contient les engagements du pays accédant, et qui conditionne largement l'adhésion, a beaucoup avancé au cours de ces derniers mois.

Actuellement, quatre points restent encore en suspens.

La première difficulté est de nature technique. Elle est apparue lors du travail de consolidation des accords bilatéraux sur les biens, car il est apparu que les taux des différents droits de douane ou taxes étaient calculés de manière très variable selon les différents accords bilatéraux (avec parfois des taux ad valorem, parfois des taux spécifiques ou des taux mixtes). Or, il est très complexe de consolider ces taux dans un texte général. Cette difficulté s'explique largement par la longueur des négociations sur l'adhésion de la Russie, étant donné que la nomenclature de l'OMC a beaucoup évolué entre la date du début des négociations et aujourd'hui. Un important travail de consolidation et d'harmonisation reste donc à faire concernant l'harmonisation des taux. Toutefois, il s'agit là principalement d'un problème de nature technique.

Le deuxième sujet conflictuel porte sur l'agriculture .

Tout candidat à l'accession doit formuler des propositions concernant les tarifs douaniers prélevés sur les importations de produits agricoles, mais aussi quant aux subventions accordées au secteur (élevage, production agricole, aide à l'investissement, prêts bonifiés, aide au transport de produits agricoles, etc.). En conformité avec l'accord de l'OMC sur l'agriculture, la Russie doit fixer un plafond à ses interventions en prenant pour référence une période de trois années précédant son accession et s'engager à réduire ses aides de 20 % durant les six années qui suivent.

En comparaison des grandes puissances agricoles, telles que l'Union européenne ou les Etats-Unis, la Russie n'apporte qu'un soutien très faible à son agriculture. Elle souhaite se donner la possibilité d'accroître à terme le niveau de ce soutien, mais les règles de l'OMC imposent de fixer le niveau des aides futures sur la base des aides passées, ce qui limite considérablement la marge possible. Le secteur agricole, bien qu'en progrès, souffre de maux structurels : usure et obsolescence de l'appareil de production, faiblesse des investissements, difficultés logistiques et fort endettement. La discussion porte donc sur la période de référence à retenir pour évaluer le montant des aides. Certains membres de l'OMC prennent pour base la période de transition, durant laquelle elles ont été proches de zéro. Les autorités russes souhaitent au contraire se fonder sur les années ayant précédé la transition, durant lesquelles les aides ont été bien supérieures, l'agriculture étant alors largement collectivisée.

Les propositions initiales de la Russie étaient fondées sur les chiffres de la période 1989-1992, faisant apparaître des propositions de soutien interne au secteur de 84 milliards de dollars et des subventions à l'exportation à hauteur de 1,6 milliard. Face au rejet de ces propositions, la partie russe a dû réviser plusieurs fois sa position. Ses dernières propositions ramènent le niveau de soutien interne maximal à 9,5 milliards de dollars et celui des subventions aux exportations à 0,7 milliard. La principale opposition provient des pays du groupe de Cairns 25 ( * ) , qui souhaitent prendre comme période de base les années 1997 à 1999, durant lesquelles la crise budgétaire avait fortement réduit les subventions à l'agriculture : le montant du soutien était compris entre 2 et 3 milliards de dollars, soit moins que le niveau minimal autorisé par les accords sur l'agriculture, correspondant à 5 % des coûts du secteur.

Le cas de l'agriculture illustre le caractère asymétrique des négociations d'accession. La Russie n'est pas en mesure de dicter ses conditions et le rapport est favorable aux pays membres de l'organisation, qui peuvent infléchir de manière substantielle les conditions dans lesquelles la Russie pourra accéder à l'OMC.

La troisième difficulté concerne les mesures d'investissement liées au commerce, et en particulier le secteur automobile

Malgré un tarif douanier sur les importations de 25 %, la part de marché des principaux constructeurs automobiles nationaux, en baisse depuis quinze ans, est désormais tombée en dessous de 50 %.

Afin de protéger son industrie automobile, fleuron de l'époque soviétique et soumise à une forte concurrence étrangère, européenne mais aussi et surtout asiatique, la Russie a mis en place un régime qui propose, en contrepartie d'un tarif élevé sur les véhicules et composants importés, des tarifs proches de zéro pour les composants destinés à l'assemblage sur des sites propriétaires sur le territoire russe, moyennant l'engagement de ces derniers à faire progressivement appel à des fournisseurs russes.

Ce régime avait été réclamé par les représentants de l'industrie automobile russe qui avaient su se faire entendre du pouvoir politique.

Comme l'a reconnu le directeur chargé des négociations commerciales internationales au ministère de l'économie, M. Vladimir Tkachenko, lors de notre entretien, ce régime, qui peut s'assimiler à une subvention indirecte à l'exportation, est clairement contraire aux règles de l'OMC et les négociations portent actuellement sur l'instauration d'une période transitoire qui pourrait courir jusqu'en 2018, date à laquelle la Russie s'engagerait à mettre un terme à ce régime.

Le négociateur russe n'a toutefois pas caché qu'il se heurtait à un fort lobbying de la part des constructeurs automobiles, et de représentants d'autres secteurs industriels, inquiets de la concurrence étrangère sur le marché domestique. De telles demandes dérogatoires risquent d'après lui de se multiplier à l'approche des élections présidentielles russes de 2012, ce qui devrait inciter à conclure au plus vite les négociations sur l'adhésion de la Russie à l'OMC.

Enfin, le quatrième et dernier point sensible porte sur l'union douanière entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan.

En effet, même si les autorités russes ont renoncé à l'idée d'une adhésion groupée des trois pays, des interrogations demeurent sur le fonctionnement de cette union douanière et sa compatibilité avec les règles de l'OMC.

Les autres points difficiles semblent désormais réglés ou en voie de l'être.

Il en va ainsi des normes sanitaires et phytosanitaires , qui ont constitué pendant longtemps une pierre d'achoppement des négociations.

La Russie a, en effet, été accusée de ne pas respecter les règles de l'OMC en matière de barrières non tarifaires, en édictant des normes sanitaires et phytosanitaires non justifiées. Ainsi, les Etats-Unis ont exprimé des doutes sur la régularité des mesures prises en Russie à l'encontre des importations de poulet américain, suspecté de véhiculer le virus de la grippe aviaire. En novembre 2005, la Russie avait également gelé ses importations d'animaux vivants, de produits carnés et de végétaux en provenance de Pologne, en reprochant à ce pays une absence de contrôles suffisants et des falsifications répétées de certificats vétérinaires.

Plus récemment, début juin 2011, l'embargo décrété par la Russie sur les importations de légumes frais en provenance de l'Union européenne, à la suite de l'apparition de cas d'intoxication alimentaire en Allemagne, a également été contestée comme contraire aux règles de l'OMC par les pays européens.

Une récente « pomme de discorde » : la « crise du concombre » entre l'Union européenne et la Russie

A la suite de l'apparition de cas mortels d'intoxication alimentaire en Allemagne, au début du mois de juin 2011, dus à une souche rare de la bactérie E.coli, la Russie a décrété un embargo sur les légumes frais en provenance de l'Union européenne.

La Commission européenne a estimé que la décision de la Russie de maintenir l'embargo après l'identification de la source de contamination par les autorités allemandes était « totalement injustifiée ».

Cette question a occupé une place importante lors du dernier Sommet Union européenne-Russie, qui s'est tenu les 9 et 10 juin 2011 à Nijni-Novgorod. Lors de ce Sommet, l'Union européenne et la Russie ont accepté le principe d'une levée de cet embargo et d'une reprise des importations de légumes frais « sans délai », dès lors qu'un système spécial de certification aura été mis en place.

Malgré les assurances de l'Union européenne, la Russie n'a toujours pas levé à ce jour son embargo, ce qui suscite une forte protestation du côté européen.

Un autre sujet conflictuel a concerné la protection des droits de propriété intellectuelle . Bien que la Russie ait mis en place un arsenal législatif destiné à encadrer la protection des droits de propriété intellectuelle et qu'elle ait ratifié les principales conventions internationales et conclu plusieurs accords bilatéraux sur cette question, les Etats-Unis et l'Union européenne ont fait part à plusieurs reprises de leur préoccupation au sujet de l'application sur le terrain et de l'inaction des autorités face à l'ampleur du phénomène de contrefaçon sur le territoire de la Russie. Ainsi, fin 2005, le Congrès américain a suspendu le maintien de la clause de la nation la plus favorisée à la Russie en conditionnant son rétablissement à l'amélioration de la lutte contre les violations des droits de propriété intellectuelle, les pertes liées à la reproduction non autorisée de produits audiovisuels américains étant estimées à plus de 750 millions de dollars. La partie russe souligne de son côté les efforts entrepris pour réduire l'ampleur du phénomène et fait observer que d'autres membres de l'OMC, comme la Chine, font face aux mêmes difficultés.

Au-delà de ces difficultés techniques, l'adhésion de la Russie à l'OMC se heurte à deux difficultés de nature politique .

La première difficulté est liée à l'attitude des Etats-Unis et résulte de l'amendement Jackson-Vanik.

L'amendement Jackson-Vanik

L'amendement Jackson-Vanik est un héritage de la guerre froide. Cet amendement à la Loi sur la réforme du commerce (Trade Reform Act) a été adopté, à l'initiative des sénateurs Jackson et Vanik, en 1974 en réponse aux restrictions qui frappaient les Juifs d'URSS et des autres pays du bloc soviétique, empêchés d'émigrer librement. Il veut que les Etats-Unis procèdent à un examen annuel des relations commerciales avec l'URSS et les pays du bloc soviétique pour s'assurer que ces pays permettent l'émigration des Juifs. Plus précisément, il interdit au gouvernement américain d'étendre le très convoité statut de la nation la plus favorisée avec ses privilèges commerciaux aux pays qui ne sont pas des « économies de marché » et qui ont un mauvais dossier en matière de droits de l'homme, principalement ceux qui ne reconnaissent pas le droit d'émigrer librement.

Malgré la disparition du bloc soviétique et de l'URSS et le fait que le droit à l'émigration des Juifs ne pose plus de difficultés, cet amendement n'a pas été levé. Depuis 1989, un moratoire annuel s'applique à l'égard de la Russie et des autres pays issus du bloc soviétique.

Depuis déjà plusieurs années, l'administration présidentielle et les milieux d'affaires américains font pression sur le Congrès pour lever cet amendement, sans succès jusqu'à présent. Le Président Barack Obama souhaite obtenir la levée de cet amendement et cette question figure à l'ordre du jour du Congrès.

Toutefois, le Congrès demeure réticent à supprimer cet amendement, essentiellement pour des raisons de politique intérieure, car plusieurs parlementaires du Congrès contestent la politique de rapprochement de Moscou du Président Barack Obama, accusé de se montrer trop complaisant vis-à-vis de la Russie. La difficile ratification du traité New Start a illustré les difficultés rencontrées par l'administration présidentielle dans ses relations avec le Congrès en ce qui concerne sa politique de rapprochement avec la Russie. Ainsi, certains parlementaires américains ont proposé de remplacer cet amendement par un nouvel « amendement Magnitsky », du nom du juriste de la société britannique Hermitage mort en détention en Russie en novembre 2009, et qui instaurerait un régime de sanctions à l'égard de la Russie.

Il semblerait également que des considérations tenant à la protection de certains secteurs économiques ne soient pas étrangères à l'attitude du Congrès américain. Ainsi, la Russie est le plus important producteur d'engrais azoté au monde. Or, les producteurs américains se plaignent du fait que leurs concurrents russes bénéficient d'un avantage en payant un prix beaucoup moins élevé de gaz naturel, qui est l'un des principaux composants de cet engrais.

Avant de se prononcer sur l'abrogation de l'amendement Jackson-Vanik, le Congrès attendra certainement de connaître en détail le contenu précis des conditions de l'accession de la Russie à l'OMC. La levée de cet amendement devrait toutefois faire l'objet d'une forte pression de la part du Président Barack Obama sur le Congrès.

La levée de l'amendement Jackson-Vanik n'est toutefois pas une condition impérative pour l'adhésion de la Russie à l'OMC.

Avant l'adhésion du Vietnam à l'OMC, les Etats-Unis avaient invoqué l'article XIII de l'accord instituant l'OMC, qui permet à un Etat membre de l'organisation de ne pas appliquer l'accord avec un Etat devenant membre de l'OMC, dans l'attente de l'accord du Congrès sur la levée de l'amendement Jackson-Vanik. En définitive, le Congrès avait accepté de lever cet amendement avant l'adhésion du Vietnam dans l'OMC, qui est intervenue en janvier 2007, et l'article XIII n'avait pas eu à s'appliquer. Il n'est toutefois pas certain que la Russie accepte un tel traitement de la part des Etats-Unis.

Article XIII de l'Accord instituant l'OMC

Non-application des Accords commerciaux multilatéraux entre des Membres

1. Le présent accord et les Accords multilatéraux figurant aux Annexes 1 et 2 ne s'appliqueront pas entre un Membre et tout autre Membre si l'un des deux, au moment où il devient Membre, ne consent pas à cette application.

2. Le paragraphe 1 ne pourra être invoqué entre des Membres originels de l'OMC qui étaient parties contractantes au GATT de 1947 que dans les cas où l'article XXXV dudit accord avait été invoqué précédemment et était en vigueur entre ces parties contractantes au moment de l'entrée en vigueur pour elles du présent accord.

3. Le paragraphe 1 ne s'appliquera entre un Membre et un autre Membre qui a accédé au titre de l'article XII que si le Membre ne consentant pas à l'application l'a notifié à la Conférence ministérielle avant que celle-ci n'ait approuvé l'accord concernant les modalités d'accession.

4. A la demande d'un Membre, la Conférence ministérielle pourra examiner le fonctionnement du présent article dans des cas particuliers et faire des recommandations appropriées.

5. La non-application d'un Accord commercial plurilatéral entre parties audit accord sera régie par les dispositions dudit accord.

En réalité, l'amendement Jackson-Vanik représente davantage une difficulté pour les Etats-Unis que pour la Russie. En effet, ce sont surtout les milieux d'affaires américains qui risquent d'être pénalisés dans le cas où l'amendement serait maintenu.

La deuxième difficulté est plus délicate. Elle porte sur un éventuel veto de la Géorgie à l'entrée de la Russie dans l'OMC en raison de la reconnaissance par Moscou de l'indépendance des deux provinces séparatistes, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, à l'issue du conflit russo-géorgien de l'été 2008.

En théorie, l'accès d'un Etat à l'OMC requiert l'approbation d'une majorité des deux tiers des pays membres de l'organisation. Toutefois, en pratique, il n'est pas procédé à un vote et c'est la règle du consensus qui s'applique.

La Géorgie entendra-t-elle bloquer l'accession de la Russie à l'OMC pour des raisons politiques ?

La Géorgie souhaiterait obtenir de la Russie la possibilité de contrôler le franchissement des frontières entre le territoire de la Fédération de Russie et celui des deux provinces séparatistes, ce qui ne paraît pas acceptable pour la Russie, qui a reconnu l'indépendance des deux entités. Il semblerait que cette question ait été abordée dans le cadre des discussions entre la Géorgie et la Russie qui se déroulent actuellement à Genève, sous médiation suisse, à propos de la mise en oeuvre des termes de l'accord ayant mis un terme au conflit russo-géorgien de l'été 2008.

Afin de surmonter un éventuel blocage de la Géorgie, la Russie pourrait peut-être invoquer l'article XIII de l'accord instituant l'OMC, qui permet à un Etat membre ou à un Etat candidat de ne pas appliquer les règles de l'OMC à l'égard d'un autre Etat.

Jusqu'à présent l'article XIII a été invoqué à treize reprises et a été appliqué neuf fois, chaque fois à la demande d'un Etat membre de l'organisation. Même si le cas ne s'est pas encore présenté, il semble possible juridiquement que cet article soit invoqué par un pays candidat. Juridiquement, une telle solution paraît possible, mais politiquement elle semble toutefois difficile à mettre en oeuvre.

Article XII de l'Accord instituant l'OMC

Accession

1. Tout Etat ou territoire douanier distinct jouissant d'une entière autonomie dans la conduite de ses relations commerciales extérieures et pour les autres questions traitées dans le présent accord et dans les Accords commerciaux multilatéraux pourra accéder au présent accord à des conditions à convenir entre lui et l'OMC. Cette accession vaudra pour le présent accord et pour les Accords commerciaux multilatéraux qui y sont annexés.

2. Les décisions relatives à l'accession seront prises par la Conférence ministérielle. La Conférence ministérielle approuvera l'accord concernant les modalités d'accession à une majorité des deux tiers des Membres de l'OMC.

3. L'accession à un Accord commercial plurilatéral sera régie par les dispositions dudit accord.

Les Etats-Unis et l'Union européenne pourraient également faire pression sur la Géorgie pour que ce pays accepte l'entrée de la Russie dans l'OMC. Une forte incertitude demeure donc sur l'attitude de la Géorgie à l'égard de la candidature de la Russie à l'adhésion à l'OMC.

Les personnalités rencontrées ou interrogées, tant à Bruxelles qu'à Genève et à Moscou, se sont déclarées confiantes sur l'accession de la Russie à l'OMC qui pourrait, selon elles, intervenir dès la fin de cette année ou l'an prochain. L'issue des négociations devrait être favorisée par la forte volonté politique exprimée par le Président Dimitri Medvedev d'obtenir l'adhésion de la Russie avant la fin de son mandat.

Toutefois, l'approche des élections présidentielles russes, qui devraient intervenir en 2012, devrait compliquer la tâche des négociateurs russes pour accepter de nouvelles concessions qui risquent de contrarier les milieux d'affaires, à l'image du secteur automobile.

L'adhésion à l'OMC présenterait de nombreux avantages pour la Russie :

- en termes de prestige et d'influence, cette accession permettrait de renforcer la place de la Russie dans les enceintes internationales et de faire valoir ses positions dans les futurs cycles de négociation et mieux défendre ses intérêts ;

- la Russie pourrait bénéficier des institutions de l'OMC et des accords multilatéraux qui y sont attachés (clause de la nation la plus favorisée, lutte contre le dumping, réduction des barrières tarifaires et suppression des barrières non tarifaires) ;

- l'adhésion à l'OMC permettrait à la Russie de développer ses relations commerciales : l'ouverture accrue des marchés étrangers devrait offrir davantage d'opportunités aux exportateurs nationaux ; dans le même temps, l'intensification de la concurrence est susceptible de favoriser la baisse des prix, l'amélioration de la qualité des produits et des services et plus généralement l'allocation des ressources ;

- l'accession à l'OMC ouvrirait l'accès de la Russie à l'Organe de règlement des différends (ORD) qui donne la possibilité d'un traitement indépendant des contentieux commerciaux ;

- en intégrant l'OMC, la Russie espère obtenir l'abrogation des procédures anti-dumping unilatérales lancées par plusieurs partenaires commerciaux (dont les Etats-Unis et l'Union européenne) à son encontre, qui coûtent à son économie entre 2 et 4 milliards de dollars par an, selon le ministère russe du commerce ;

- l'accès à l'OMC permettrait à la Russie de stabiliser et d'améliorer le système légal qui encadre les activités économiques et de garantir son application effective sur l'ensemble du territoire national, ce qui permettrait de développer fortement les investissements étrangers. On estime qu'en moyenne, sur les vingt dernières années, l'adhésion à l'OMC s'est traduite par une accélération des flux d'investissements directs étrangers de 4 milliards de dollars par an pour les pays concernés ;

- l'adhésion à l'OMC devrait contribuer à orienter la Russie vers une économie fondée sur la connaissance : par la protection des droits de propriété intellectuelle, la participation à l'OMC devrait permettre à la Russie d'offrir un cadre légal favorisant l'épanouissement des secteurs intensifs en recherche et développement, et de maintenir la main d'oeuvre qualifiée et le potentiel scientifique sur le territoire national ;

- en devenant membre de l'OMC, la Russie pourrait accéder à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et devenir partie aux conventions conclues au sein de cette organisation, en particulier en matière de lutte contre la corruption et de lutte contre le blanchiment de capitaux ;

- enfin, l'adhésion à l'OMC constitue un préalable au renforcement des relations économiques entre la Russie et l'Union européenne.

De nombreuses estimations quantitatives des gains à attendre d'une accession de la Russie à l'OMC ont été réalisées. Ces études ont mis en évidence les effets de l'amélioration de l'accès aux marchés étrangers, de l'allocation plus efficace des ressources, des effets de l'importation de capitaux et de technologies étrangères sur la productivité de l'industrie et des services ou de l'augmentation du rendement des investissements. Les résultats de ces travaux sont difficiles à évaluer puisque les gains estimés varient entre 0,4 et 4 points de croissance annuelle supplémentaires à moyen terme. A long terme, les effets positifs sur la consommation atteindraient 7% par an, du fait de la réduction des tarifs douaniers et surtout de l'amélioration de l'accès des investisseurs étrangers au secteur des services.

L'intégration dans l'OMC n'est toutefois pas sans risques pour la Russie.

De nombreux secteurs protégés (comme l'industrie automobile et l'industrie aéronautique ou encore l'agriculture) risquent de souffrir d'une plus grande ouverture à la concurrence étrangère. Le lobbying, sinon la proximité, des représentants de ces industries auprès des autorités de l'Etat, ne semblent d'ailleurs pas étrangers à la longueur, voire aux réticences, rencontrées lors des négociations sur l'adhésion de la Russie à l'OMC.

Depuis près de vingt ans, l'accession de la Russie à l'OMC est soumise à des vicissitudes, avec tantôt des périodes de forte accélération, mais aussi des périodes de stagnation, voire de reculs.

Or, le temps joue contre la Russie puisque, au fil des ans, les conditions deviennent de plus en plus restrictives et, dans le même temps, l'intégration de nouveaux membres complique mécaniquement la tâche des négociateurs russes.

Depuis 2010 et la rencontre entre Barack Obama et Dimitri Medvedev, il semblerait que les plus hautes autorités de la Russie aient clairement fait le choix d'une adhésion de la Russie à l'OMC. Témoignage de cette forte volonté politique, les négociations ont connu une forte accélération ces derniers mois. Les dirigeants russes évoquent désormais la fin de l'année 2011 pour une adhésion de leur pays à l'OMC, même s'il reste encore plusieurs difficultés à résoudre et qu'une incertitude demeure sur l'attitude de la Géorgie à l'égard de la candidature russe.

Or, la « fenêtre de tir » de la Russie est relativement courte car, de l'aveu même du négociateur russe, plus la date des prochaines élections présidentielles de 2012 se rapproche, plus des concessions seront difficiles à accepter pour la Russie, compte tenu des intérêts de certains secteurs industriels.

L'Union européenne devrait donc encourager et soutenir fortement la Russie concernant sa candidature à l'OMC.

L'adhésion de la Russie à l'OMC devrait, en effet, avoir pour effet de renforcer les échanges économiques entre l'Union européenne et la Russie, d'encourager les investissements réciproques et constituerait une forte incitation pour la Russie à engager les réformes nécessaires pour moderniser son économie.

Cette adhésion ouvrirait la voie à l'établissement d'une zone de libre échange entre l'Union européenne et la Russie. La Russie aurait un plus grand accès au marché européen, tandis que les entreprises européennes pourraient profiter des potentialités du marché russe, vaste de plus d'une centaine de millions d'habitants et doté d'importantes ressources naturelles.


* 25 Le groupe de Cairns, constitué au sein de l'OMC, comprend dix-huit membres (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Indonésie, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Paraguay, Pérou, Philippines, Thaïlande, Uruguay) hostiles à la pratique des subventions agricoles.

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