B. L'INTÉGRATION DU CONCEPT DE SERVICE PUBLIC PAR LE DROIT COMMUNAUTAIRE

Dès les années quatre-vingt-dix, parallèlement à l'ouverture des activités de réseau à la concurrence (transports aériens, postes et télécommunications, énergie), le droit communautaire s'est peu à peu rapproché de la notion française de service public.

1. La reconnaissance des services d'intérêt économique général (Sieg)

La Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a précisé la notion de « service d'intérêt économique général » (Sieg) 3 ( * ) , terme habituellement utilisé en droit communautaire pour désigner le service public. La Cour a d'abord admis que les obligations de service public peuvent justifier, en faveur de l'organisme public ou privé qui en est chargé, des compensations financières publiques visant à compenser le surcoût qu'elles engendrent ; elle a ensuite précisément défini les conditions dans lesquelles une aide financière publique ne saurait être assimilée à une aide d'Etat 4 ( * ) . En 2008, le tribunal de première instance a en outre indiqué que « les Etats membres ont un large pouvoir d'appréciation quant à la définition de ce qu'ils considèrent comme des Sieg et [...] la définition de ces services par un Etat membre ne peut être remise en question par la Commission qu'en cas d'erreur manifeste 5 ( * ) ».

La Commission a élaboré une nouvelle notion de droit communautaire, celle de « service universel », qu'elle a défini comme « un ensemble minimal de services d'une qualité donnée auquel tous les utilisateurs et les consommateurs ont accès compte tenu des circonstances nationales spécifiques, à un prix abordable ». Apparaissant comme un noyau incompressible de service public, le service universel est évoqué aussi bien par la loi du 26 juillet 1996 6 ( * ) , qui fait mention d'un « service universel téléphonique » que par la loi du 20 mai 2005 7 ( * ) , qui confie à La Poste une mission de « service universel postal ».

2. L'évolution des traités

Plus récemment, on a constaté trois évolutions majeures des traités communautaires allant dans le sens d'une reconnaissance de la notion de service public par le biais de la notion de Sieg.

L'article 14 du traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1 er décembre 2009, prévoit qu' « eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de l'Union ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, l'Union et ses Etats membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application des traités, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d'accomplir leurs missions. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, établissent ces principes et fixent ces conditions, sans préjudice de la compétence qu'ont les Etats membres, dans le respect des traités, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services . » Il existe donc désormais une base légale pour l'élaboration et l'adoption d'un règlement ou d'une directive promouvant les Sieg en Europe.

L'article 1 er du protocole n° 26 sur les services d'intérêt général 8 ( * ) indique que « les valeurs communes de l'Union concernant les Sieg au sens de l'article 14 [...] comprennent notamment :

« - le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les Sieg d'une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs ;

« - la diversité des Sieg et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes ;

« - un niveau élevé de qualité, de sécurité et quant au critère abordable, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs. »

L'article 36 de la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000, consacré à « l'accès aux Sieg » , précise que « l'Union reconnaît et respecte l'accès aux Sieg tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union. »

PISTE DE RÉFLEXION

L'élaboration et l'adoption d'une directive-cadre 9 ( * ) visant à promouvoir les Sieg dans l'Union européenne serait souhaitable pour la clarification du droit actuel relatif aux aides d'Etat.


* 3 CJCE, 19 mai 1993, Paul Corbeau aff. C-320/91 ; CJCE, 27 avril 1994, Commune d'Almelo, aff. C-393/92.

* 4 CJCE, 24 juillet 2003, Altmark, C-280/00.

* 5 Tribunal de première instance de la CJCE, affaire T-289/03, dite Bupa, considérant 166, 12 février 2008.

* 6 Loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications.

* 7 Loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales.

* 8 Protocole n° 26 adossé au traité de Lisbonne entré en vigueur le 1 er décembre 2009. Ce protocole a été introduit à la demande des Pays-Bas, qui réagissaient en particulier à une enquête ouverte par la Commission européenne sur les aides d'Etat aux coopératives de logement social dans ce pays. Cette demande était soutenue, notamment, par l'Allemagne et la France.

* 9 Cadre pour une politique globale communautaire dans le domaine des Sieg.

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