II. UNE SITUATION RÉVÉLATRICE DES DYSFONCTIONNEMENTS DU DISPOSITIF DE SÉCURITÉ SANITAIRE

Le rapport de l'Igas, réalisé en six semaines, un temps record eu égard à la masse d'informations à traiter et au contexte difficile, a mis en lumière des anomalies majeures au niveau du fonctionnement du système de sécurité sanitaire mis en place depuis une vingtaine d'années. La mission commune d'information estime que ces observations ont été largement corroborées par les travaux qu'elle a menés 105 ( * ) au cours de ces derniers mois.

Mais elle constate malheureusement que nombre d'entre elles ont été formulées de longue date, dans de nombreux rapports et audits. Elle renvoie à cet égard aux différents rapports publiés notamment par les commissions des affaires sociales et des finances du Sénat comme de l'Assemblée nationale, au cours des dernières années.

L'affaire du Mediator présente, en effet, des similitudes avec des situations précédentes. Avant le Mediator, une série de crises sanitaires, liées à des médicaments ou des produits de santé, a en effet jalonné la décennie précédente : Vioxx, Cérivastatine, Acomplia, Avandia... L'an passé, la gestion de la grippe A (H1N1)v avait suscité la création d'une commission d'enquête du Sénat.

Tirant les enseignements de cette succession d'événements, la mission commune d'information considère comme inévitable désormais une nouvelle « révolution sanitaire » 106 ( * ) . Mais plus qu'un changement de structures, elle souhaite que s'opère un changement culturel profond pour que les objectifs de santé publique soient toujours considérés, en matière de médicament, comme la priorité absolue .

A. LE SYSTÈME NATIONAL DE SÉCURITÉ SANITAIRE ET L'ÉVOLUTION DU CADRE EUROPÉEN

L'affaire du Mediator constitue un révélateur de dysfonctionnements du système de sécurité sanitaire du médicament. Partant, la mission commune d'information considère que cette affaire « exemplaire » doit constituer un levier d'action, puissant et efficace, au service d'évolutions en profondeur.

1. L a sécurité sanitaire en France: un système en question

En matière d'évaluation et de contrôle des médicaments, la France a longtemps accusé du retard . M. Didier Tabuteau, dans son ouvrage sur La sécurité sanitaire (2006), relève que l'administration sanitaire a toujours souffert en France « d'un manque de légitimité médicale, sans doute en raison de la faiblesse de ses moyens mais également de  handicaps d'ordre sociologique » 107 ( * ) . De fait, l'administration de la santé est en France une création récente.

A partir des années 90, un dispositif de santé publique s'est construit progressivement avec l'Agence française du sang, puis à la suite du drame de la transfusion sanguine, l'Agence française du médicament et une dizaine d'autres agences sanitaires spécialisées.

a) Une construction récente

Lors de son audition, M. Bernard Kouchner a rappelé ce qu'était l'état d'abandon de la direction de la pharmacie et du médicament qui avait la charge des AMM, avant la création de l'Agence du médicament : « En prenant mes fonctions de ministre de la santé et de l'action humanitaire, j'ai constaté d'emblée l'indigence des moyens que l'Etat mettait à la disposition de la direction de la pharmacie et du médicament. Ses locaux consistaient en un corridor où s'entassaient de manière anarchique des piles de documents. Le linoléum était troué, l'équipement sommaire. C'est dans ces locaux qu'étaient délivrées les autorisations de mise sur le marché (AMM). Les dossiers attendaient en moyenne plusieurs années, souvent trois à quatre. Nous pouvions aisément concevoir que des influences extérieures pouvaient contribuer à accélérer le traitement des dossiers... J'ai réagi en demandant, et en obtenant, des moyens humains pour cette direction. Le Premier ministre de l'époque, le regretté Pierre Bérégovoy, s'est montré sensible à nos arguments ».

Ce constat est corroboré par les acteurs de l'époque 108 ( * ) : retards, absence d'expertise, dépendance financière vis-à-vis des laboratoires, laboratoires de contrôle littéralement sinistrés, inspections lacunaires... Le remplacement de la direction de la pharmacie et du médicament par l'Agence du médicament a donc effectivement constitué un tournant. On a parlé alors de véritable « révolution sanitaire » 109 ( * ) .

On notera que le Sénat a joué un rôle très important dans cette construction . Cet apport a été rappelé avec force par M. Martin Hirsch : l'Agence du médicament a été créée à l'initiative du Sénat et l'Afssaps est issue d'une proposition de loi sénatoriale, a-t-il souligné. M. Claude Huriet, rapporteur de la loi n° 88-535 du 1 er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, a aussi rappelé ce rôle essentiel, engagé dès le début des années 90. En 1997, c'est le rapport sénatorial consacré à l'organisation de la sécurité sanitaire , rédigé avec M. Charles Descours, préconisant le renforcement des structures de sécurité sanitaire, la création d'une agence de sécurité alimentaire et d'une instance de coordination 110 ( * ) qui a conduit à la loi susmentionnée de 1998.

Ceux qui ont contribué à la mise en place de ce système ont eu la grande ambition de créer un service public de sécurité sanitaire 111 ( * ) assis sur des principes d'organisation et d'action destinés à garantir la sécurité sanitaire, à savoir le principe d'évaluation, le principe de précaution, le principe d'impartialité, le principe de transparence . En matière de médicament, la France se veut alors un modèle avec trois objectifs ambitieux : excellence scientifique, efficacité administrative, rigueur déontologique 112 ( * ) .

Le « modèle français » de sécurité sanitaire se caractérise par la séparation des fonctions d'évaluation et de gestion du risque, d'une part, et le recours, pour l'exercice de la première, à des agences d'expertise, d'autre part.

La création d'organismes ayant la personnalité juridique propre exerçant pour le compte de l'Etat une autorité sanitaire déléguée est, en effet, un des éléments novateurs de notre système.

L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps )

1. Création et mission

Etablissement public de l'Etat créé par la loi du 1 er juillet 1998 113 ( * ) et placé sous la tutelle du ministre chargé de la Santé, l'Afssaps exerce trois missions principales d'évaluation des médicaments, de police sanitaire et d'information.

L'évaluation des risques sanitaires liés au médicament est une mission héritée de l'ancienne Agence du médicament, qui avait été créée par la loi du 4 janvier 1993 114 ( * ) .

Comme le précise le PLFSS 2011, l'Afssaps exerce les missions suivantes :

- évaluation avant et après la mise sur le marché, contrôle des produits en laboratoires, inspection sur les sites de production, de distribution en gros ou d'essais cliniques.

- liée à la mission d'évaluation, prise des décisions de police sanitaire par le directeur général, au nom de l'Etat ;

- élaboration et diffusion auprès des professionnels de santé et des patients des informations destinées à favoriser le bon usage des produits de santé).

Au titre de sa mission de surveillance des médicaments, l'Afssaps indique que certains médicaments font l'objet d'une surveillance spécifique renforcée :

« - soit parce qu'il s'agit d'une nouvelle substance active ou d'une nouvelle classe pharmacologique,

« - soit parce que de nouveaux signaux ont été détectés pour un médicament déjà commercialisé et nécessitent un approfondissement » .

« La surveillance spécifique peut prendre la forme d'un plan de gestion des risques (PGR) ou d'une enquête de pharmacovigilance ».

2. Organisation

L'Afssaps compte 9 directions et 75 groupes de travail 115 ( * ) .

M. Dominique Maraninchi, jusqu'alors président de l'Institut national du cancer depuis 2006, est le nouveau directeur général de l'Afssaps depuis février 2011. François Hébert a été nommé adjoint au directeur général de l'Afssaps.

Outre ses directions administratives, l'Afssaps compte cinq directions ayant pour mission le contrôle du médicament :

- la direction de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques, laquelle comporte notamment un service de l'évaluation et de la surveillance du risque et de l'information (dont un département de pharmacovigilance), un département de l'évaluation des essais cliniques et des médicaments à statut particulier, un département de l'évaluation de la qualité pharmaceutique, un département des affaires réglementaires et de la gestion des procédures d'AMM et un département de l'évaluation thérapeutique des demandes d'AMM ;

- la direction de l'évaluation des dispositifs médicaux, laquelle comporte notamment un département vigilance (dont réactovigilance et matériovigilance des équipements, d'une part, des implants et consommables, d'autre part) ;

- la direction de l'évaluation de la publicité, des produits cosmétiques et biocides (DEPPCB) ;

- la direction des laboratoires et des contrôles ;

- la direction de l'inspection et des établissements (dont un département de l'inspection des essais, de la pharmacovigilance et de la sécurité).

3. Moyens

L'Afssaps dispose de moyens propres pour l'exercice de ses missions :

- 1 000 professionnels

- Plus de 2 000 experts réguliers ou occasionnels rapportant des dossiers ou participant à des commissions et groupes de travail

- Des laboratoires à Saint-Denis, Lyon et Montpellier

- Un budget de fonctionnement de 115,5 millions d'euros en fonctionnement en 2010.

Les taxes et redevances représentent en 2011 la totalité des ressources de l'agence, les deux principales étant les droits progressifs sur les demandes d'AMM (budget 2011 : 41 millions d'euros) et la taxe annuelle sur les médicaments (budget 2011 : 23,63 millions d'euros) 116 ( * ) .

4. Rôle dans le circuit du médicament

La commission d'AMM de l'Afssaps évalue, scientifiquement et techniquement, les dossiers de demande d'AMM déposés par les entreprises. Au nom de l'Etat, le directeur général de l'Afssaps délivre et, le cas échéant, suspend et retire les AMM.

L'Afssaps joue aussi un rôle central pour la pharmacovigilance, tant au niveau national que régional.

Au niveau national, selon le site de l'Afssaps, « la Commission nationale de pharmacovigilance a pour missions d'évaluer les informations sur les effets indésirables des médicaments et produits mentionnés à l'article R. 5121-150 ; de donner un avis au directeur général de l'agence sur les mesures à prendre pour faire cesser les incidents et accidents qui se sont révélés liés à l'emploi de ces médicaments et produits ; de proposer au directeur général de l'agence les enquêtes et travaux qu'elle estime utiles à l'exercice de la pharmacovigilance » .

A l'échelon régional, les 31 centres régionaux de pharmacovigilance sont « répartis de façon à favoriser les échanges de proximité avec les professionnels de santé » . « Parmi leurs missions, ils sont notamment chargés de recueillir les déclarations d'effet indésirable que doivent leur adresser les médecins, chirurgiens-dentistes, les sages-femmes et les pharmaciens, renseigner les professionnels de santé sur leur territoire d'intervention ».

Le système se présente comme une voie intermédiaire entre le schéma « tout agence » anglo-saxon et scandinave et le « modèle danois » où la gestion du risque continue d'être assurée, à titre principal, par l'administration.

Parallèlement, un important dispositif législatif a été mis en place . Les termes de sécurité sanitaire sont introduits pour la première fois dans le code de la santé publique par les lois du 29 juillet 1994 dites « lois bioéthique » , notamment à propos de l'encadrement des activités de prélèvements d'organes, de tissus ou de cellules et d'autres produits d'origine humaine. La jurisprudence du Conseil d'Etat mentionne la sécurité sanitaire dans ses motivations dès 1997 (CE, 6 juin 1997, Req. Numéro 170 376).

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et la qualité du système de santé a consacré explicitement la sécurité sanitaire, mission fondamentale du système de santé : «Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d'assurance-maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins la meilleure sécurité sanitaire possible. » (Article L. 1110-1 du code de la santé publique).

Ainsi qu'il l'a été rappelé devant la mission, la création des agences a répondu à une volonté de donner une autonomie au système de sécurité sanitaire par rapport au politique et ainsi qu'à une logique de moyens . Une agence donne en effet davantage d'indépendance par rapport à un système hiérarchisé et permet de dégager des enveloppes financières dont il aurait été impossible de disposer autrement. Le ministère de la santé dispose désormais de lieux d'expertise qu'il n'avait pas auparavant. A une époque où la croissance de la fonction publique n'était déjà plus de mise, l'obtention de l'ordre d'un millier de postes d'emploi pour ces agences a donné au ministère de la santé une « puissance de feu en termes d'expertise » 117 ( * ) .

Le bilan initial est plutôt salué : « L'Agence du médicament notamment a plutôt bien fonctionné. » , a affirmé M. Jean-Pierre Bader. « Lorsqu'elle fonctionne dans le cadre d'un ministère, il est impossible de recruter. Jean Weber et moi avons été les premiers à réclamer la création d'une plus grande structure permettant de recruter du personnel, comme aux Etats-Unis. Cet agrandissement a peut-être évolué vers le gigantisme; nous sommes peut-être allés trop loin, puisque les structures décisionnelles ont éclaté. » 118 ( * )

M. Didier Tabuteau 119 ( * ) estime pour sa part qu' « on peut mettre à son actif d'avoir installé en quelques années un dispositif capable de prendre des mesures importantes de retrait du marché, en particulier de certains tests du Sida, mais aussi d'avoir renforcé les moyens de la pharmacovigilance et d'avoir mis en place une inspection d'essais cliniques ».

Pour Mme Anne Castot 120 ( * ) , arrivée dans le domaine de la pharmacovigilance au début des années 70, « le système a beaucoup changé en trente-cinq ans pour éliminer ses insuffisances et ses dysfonctionnements. Depuis 2005, il anticipe bien mieux » 121 ( * ) .

Il a été rappelé à la mission qu'il y a peu encore le système français de contrôle du médicament était considéré comme « un des meilleurs du monde » et comme un « modèle » pour les autres pays ont rappelé les personnels de ces agences que la mission a entendus. Au niveau européen, on nous envie notre architecture 122 ( * ) . Les agences sanitaires françaises, en général, ont en Europe une très forte réputation et servent de référence sur bien des points. Le dispositif institutionnel de sécurité sanitaire dont s'est dotée la France a ainsi préfiguré l'édification d'une Europe de la sécurité sanitaire. La création de l'agence européenne pour l'évaluation des médicaments en 1995 témoigne du rôle de modèle que la France a pu tenir en ce domaine du fait des réformes réalisées au niveau national.

Il n'est donc pas étonnant que les auditions menées par la mission aient fait apparaître, chez certains des « pionniers » de la sécurité sanitaire et de la pharmacovigilance, un sentiment d'injustice face aux critiques exprimées dans le contexte actuel.

b) Faisant l'objet de nombreuses critiques

On peut noter d'abord que l'évolution de l'architecture de la sécurité sanitaire française s'est faite sous la pression d'une succession de crises, comme l'affaire du sang contaminé, celle de la vache folle ou de l'hormone de croissance. Elle ne les a donc pas évitées.

Surtout, depuis une quinzaine d'années de nombreux rapports n'ont cessé de dénoncer des failles 123 ( * ) .

Dès 1995, les mises en garde et les inquiétudes de personnalités éminentes du système de santé se font entendre, notamment celles de M. Edouard Zarifian. A l'occasion d'une enquête sur le mésusage des psychotropes, il dévoile déjà tous les travers qui sont aujourd'hui sur la place publique : une information thérapeutique au service de la promotion, la puissance du lobbying, des médias sous influence, l'arrivée du marketing direct... Selon M. Edouard Zarifian, on ne se pose en particulier que trop rarement la question des conflits d'intérêts qui interfèrent avec l'indépendance des experts et des membres des différentes commissions de l'Agence du médicament : « en France le sujet est un problème tabou » .

Par la suite de nombreux autres rapports lui feront écho. Dans son rapport sur La gestion du risque et des problèmes de santé publique posée par l'amiante en France , en 1998 le professeur Claude Got s'inquiète de la faiblesse des moyens publics : « Le ministre ayant en charge la sécurité sanitaire doit disposer de l'outil d'évaluation qui lui permettra de connaître à tout moment la situation réelle du risque lié à l'amiante et infléchir son évolution. Il n'a pas aujourd'hui la totalité des moyens d'une telle action . »

En 2002, un rapport conjoint Igas/Inspection générale des finances, relatif à l'Afssaps, dénonce une accumulation d'anomalies et de faiblesses en particulier au niveau de l'évaluation et des produits de santé et de la pharmacovigilance. Sont pointés l'évaluation scientifique du médicament, les délais de traitement, le suivi insuffisant des décisions de suspension des médicaments, une évaluation des effets indésirables réalisées dans de mauvaises conditions etc.

En 2004, M. Lionel Benaïche 124 ( * ) , magistrat, a remis un rapport intitulé Expertise en santé publique et principe de précaution. Ce rapport met en lumière les faiblesses du système, comme l'absence de sanctions en cas de manquements aux déclarations d'intérêts. S'inspirant des modèles anglo-saxons, il suggère que le poids des industries soit contrecarré par des autorités de régulation indépendantes. En Grande-Bretagne et au Canada, les débats se déroulent en présence de juristes chargés de veiller au respect des normes. L'auteur évoque déjà « un système largement obsolète » .

Le rapport sur L'indépendance et la valorisation de l'expertise venant à l'appui des décisions de santé publique de Mme Marie-Dominique Furet (juin 2008) dénonce aussi une gestion des conflits d'intérêts qui apparaît insuffisante. Alors même que les experts doivent se soumettre, soit en raison de dispositions législatives, soit en vertu de règlements intérieurs, au principe de déclaration et de publicité des liens d'intérêts, certaines structures ont déclaré n'avoir pas recueilli 100 % des déclarations à jour.

Le rapport identifie plusieurs raisons à cette situation comme le fait que le système existant repose uniquement sur des déclarations volontaires des intéressés ou l'absence de guichet unique, ce qui conduit les experts à multiplier les déclarations de liens d'intérêts ou à oublier d'envoyer leur déclaration à telle commission ou telle agence. Il avance deux autres raisons, plus préoccupantes :

- Les experts méconnaissent l'étendue juridique de la notion de conflit d'intérêts et n'imaginent pas que le lien qu'ils entretiennent avec une des parties puisse être considéré comme présentant une incompatibilité avec le dossier qu'ils traitent. La notion d'impartialité objective est manifestement inconnue de la plupart des experts qui ne pensent le lien d'intérêts qu'à travers la notion d'impartialité subjective, qui est nettement plus restreinte ;

- L'absence de culture juridique des experts scientifiques les amène à ne pas mesurer toutes les conséquences d'un défaut de déclaration d'intérêts . Pour la plupart des experts qui participent à la procédure par leur analyse scientifique mais qui ne prennent pas directement part à la décision finale, la notion de conflit d'intérêts apparaît encore comme relevant d'un formalisme bureaucratique.

Sur la pharmacovigilance, les critiques ne sont pas moins sévères. Un groupe de travail coordonné par M. Bernard Bégaud et Mme Dominique Costagliola a remis en janvier 2006, par exemple, un rapport d'expertise sur La pharmaco-épidémiologie en France. Evaluation des Médicaments après leur mise sur le marché. Etat des lieux et propositions . Ce rapport évoque un contexte général de dispersion et de faiblesse. La complexité du système français d'évaluation des produits de santé est probablement l'une des causes du retard de notre pays en ce domaine, comme l'affirment les auteurs : « Cette complexité pose un problème de lisibilité, de dispersion de moyens, parfois d'absence de synergies, et complique l'anticipation et la gestion des crises sanitaires. » . Le rapport met l'accent sur la pharmacovigilance française qui a manqué « le virage pharmaco-épidémiologique des années 90. »

En juin 2006, dans un rapport sur Le bon usage des médicaments psychotropes , notre collègue députée Mme Maryvonne Briot, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, estime que les conséquences de la consommation massive de psychotropes sont encore sous-évaluées, soulignant à la fois des risques encore peu documentés, une appréciation insuffisante du rapport bénéfices-risques dans la prescription des psychotropes et un manque manifeste de données pharmaco-épidémiologiques. Sur ce dernier point, l'analyse est sans appel : « En matière sanitaire, il convient de distinguer la détection des risques - objet de la pharmacovigilance - de l'évaluation de la prévalence de ces risques, qui est du ressort de la pharmaco-épidémiologie. La pharmaco-épidémiologie est l'application des méthodes épidémiologiques à l'étude des médicaments et de leurs effets au sein d'une large population d'individus. »

En 2008, le rapport d'information de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur La prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments présenté par notre collègue députée Mme Catherine Lemorton, constate combien les « mécanismes intimes » de la prescription et de la consommation des médicaments sont encore mal connus.

Ces quelques exemples conduisent au même constat : la nécessité de clarifier et d'améliorer le cadre administratif du médicament d'autant qu'il est de plus en plus soumis à une réglementation européenne en constant développement.

2. Un cadre juridique européen en constant développement

La volonté de mettre en place une politique harmonisée du médicament au sein de la Communauté économique européenne s'est affirmée au cours des années 1960.

D'abord limitée, en butte aux intérêts nationaux (industriels et administratifs), elle a progressivement été renforcée et forme aujourd'hui un cadre législatif conséquent où la prise de décision de plus en plus collective est contraignante pour les Etats.

a) La construction de l'Europe du médicament ou l'intégration par le marché

Le premier texte européen visant à réguler le secteur du médicament est intervenu après l'affaire de la thalidomide, un médicament prescrit aux femmes enceintes à partir des années 1950 et qui a provoqué de graves malformations congénitales. Il s'agit de la directive 65/65/CEE 125 ( * ) dont l'apport principal est d'avoir donné une définition unifiée du médicament et posé les principes de base de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) : qualité du produit, sécurité de son utilisation et efficacité.

L'effort d'harmonisation européen a pris en compte, dès l'origine, la double nature du médicament qui est à la fois un bien de santé et un bien économique. Ainsi, dans les considérants de la directive 65/65/CEE, il est écrit : « Toute réglementation en matière de production et de distribution des spécialités pharmaceutiques doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique. » ; cependant, « ce but doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de l'industrie pharmaceutique et les échanges de produits pharmaceutiques au sein de la Communauté » ; enfin, les disparités des dispositions nationales « ont pour effet d'entraver les échanges des spécialités pharmaceutiques au sein de la Communauté et [...] ont de ce fait une incidence directe sur l'établissement et le fonctionnement du marché commun » .

Rappelons que le traité de Rome ne prévoyait pas de transfert de compétences des Etats vers la Communauté économique européenne dans le domaine de la santé publique 126 ( * ) . Le médicament, appréhendé en sa qualité de bien économique dont il convient d'assurer la libre circulation conformément aux objectifs du marché commun, a donc servi de « porte d'entrée » à la Commission européenne pour investir un secteur qui relève normalement de la souveraineté des Etats.

Dans ce contexte, la législation communautaire s'est donc d'abord attachée à rapprocher les règlementations nationales en matière d'AMM. Une étape importante est franchie en 1975 avec l'adoption de la directive 75/319/CEE qui fixe le contenu obligatoire du dossier d'AMM et met également en place la première procédure européenne d'enregistrement, par reconnaissance mutuelle, ainsi que le Comité des spécialités pharmaceutiques (CSP), première institution de l'Europe du médicament, composée de représentants des Etats membres, qui est à la fois une structure d'arbitrage et un lieu d'échanges.

L'emprise de ce dispositif européen sur le secteur du médicament reste faible : peu de procédures européennes sont alors initiées par les laboratoires, les pays ont du mal à reconnaître les évaluations de leurs partenaires, enfin les avis du CSP ne sont pas contraignants. Mais suite à la parution en 1985 du Livre blanc pour l'achèvement du marché intérieur porté par le président de la Commission européenne de l'époque, Jacques Delors, des négociations s'engagent pour la mise en place d'un système de régulation européen des médicaments plus intégré.

Le processus aboutit en 1993 à la mise en place de deux nouvelles procédures d'AMM : la procédure centralisée 127 ( * ) qui permet à un laboratoire d'obtenir pour l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne une AMM en déposant une demande unique auprès de l'Agence européenne d'évaluation des médicaments (EMEA), nouvelle institution créée à cette occasion ; la procédure de reconnaissance mutuelle 128 ( * ) (également appelée à l'époque procédure décentralisée ; ces termes désigneront plus tard deux procédures distinctes 129 ( * ) ) qui est obligatoire pour toute demande d'AMM dans plus d'un Etat membre pour une entreprise qui ne veut ou ne peut utiliser la procédure centralisée.

C'est sur ces fondements que s'appuie encore aujourd'hui le droit européen du médicament qui a été renforcé en 2001 par la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, puis en 2004, par le règlement (CE) n° 726/2004 établissant des procédures communautaires de mise sur le marché et de surveillance des médicaments et relatif à l'Agence européenne des médicaments (EMA), dont le nom a été simplifié à cette occasion. Ces textes ont en particulier contribué à mettre en place un système européen de pharmacovigilance, qui constitue aujourd'hui l'axe privilégié de développement de la politique européenne du médicament. L'adoption, le 15 décembre 2010, d'une nouvelle directive (2010/84/UE) et d'un nouveau règlement (n° 1235/2010) consacrés à cette question en sont la manifestation la plus récente.

b) Des instruments de plus en plus influents

Ces instruments sont la création d'une agence spécifique et la mise en place de procédures de mises sur le marché et de pharmacovigilance.

(1) L'Agence européenne des médicaments

L'Agence européenne des médicaments, créée officiellement en 1995 et installée à Londres, n'est pas à proprement parler une structure supranationale qui vient se substituer aux autorités sanitaires des Etats membres. Certes, elle en emprunte certains aspects dans la mesure où elle dépend de la Commission européenne 130 ( * ) et que ses avis s'imposent aux Etats européens, mais elle joue principalement un rôle de coordonnateur des ressources scientifiques des Etats membres, en vue de conduire l'évaluation et la supervision des médicaments à usage humain et vétérinaire à l'échelon européen. Pour rendre ses avis dans le cadre d'une demande d'AMM ou en matière de pharmacovigilance, elle s'appuie donc sur le travail préalable des agences nationales. En résumé, elle forme avec celles-ci un réseau dont elle constitue la tête.

L'Agence européenne ne dispose pas de pouvoir décisionnel . C'est la Commission européenne à laquelle elle adresse ses avis qui octroie les AMM et statue en cas de problème de sécurité relatif à un médicament.

Les Etats participent directement au fonctionnement de l'agence. De par leur représentation au sein des comités scientifiques ou au sein du conseil d'administration de l'EMA, ils sont donc en mesure d'exercer une influence sur les avis rendus par l'Agence ou sur sa gestion.

Les travaux de l'Agence sont conduits au sein de six comités scientifiques dont le plus important est le comité des médicaments à usage humain (CHMP , selon l'acronyme anglais ) 131 ( * ) . Il est placé depuis 2007 sous la présidence du français Éric Abadie, actuel conseiller scientifique auprès du directeur général de l'Afssaps.

L'Agence s'appuie sur un réseau de plus de 4500 « experts européens » qui participent aux travaux des comités scientifiques, des groupes de travail ou des équipes d'évaluation scientifique. Ces experts sont mis à disposition de l'EMA par les autorités nationales compétentes.

L'EMA joue également un rôle en matière d'innovation et de recherche : elle fournit à l'industrie pharmaceutique des avis scientifiques et une assistance au niveau du protocole pour la mise au point de nouveaux médicaments. Enfin, elle publie des directives sur les exigences en matière de tests de qualité, d'innocuité et d'efficacité.

Comme l'Afssaps en France, le financement de l'EMA est assuré pour une large part par les redevances versées par les laboratoires pharmaceutiques dans le cadre des demandes d'autorisation européenne de mise sur le marché (une centaine de dossiers par an) ainsi que pour les conseils scientifiques fournis par l'agence (environ 400 par an). L'autre part provient du budget de l'Union européenne. La part des laboratoires augmentera en 2011 : ils verseront 161 millions en 2011 contre 152,8 millions en 2010. Le budget de l'Union européenne abondera de 39,1 millions d'euros, contre 33,5 millions en 2010, mais sa part relative décroît constamment depuis plusieurs années. Au final, les redevances de l'industrie pharmaceutique représente aujourd'hui plus de 80 % du budget de l'EMA.

(2) Les procédures européennes de mise sur le marché des médicaments

Depuis 1995, deux types de procédures d'AMM coexistent : les procédures européennes et la procédure nationale. Cette dernière est de moins en moins utilisée puisqu'elle ne s'applique plus qu'aux médicaments dont la commercialisation est limitée au marché d'un seul Etat. Les demandes d'AMM nationales concernent essentiellement des médicaments génériques.

Les procédures européennes sont utilisées lorsque le médicament est destiné à plusieurs Etats membres. L'accès d'un médicament au marché européen peut emprunter soit la voie de la procédure centralisée , soit celle de la procédure de reconnaissance mutuelle ou de la procédure décentralisée :

- La procédure centralisée est obligatoire pour les médicaments issus de la biotechnologie, les médicaments de thérapie innovante et les médicaments orphelins. Il en est de même pour tous les nouveaux médicaments destinés au traitement du VIH, du cancer, du diabète, des maladies neurodégénératives ou des maladies rares. En dehors de ces obligations, la procédure est facultative pour les autres médicaments contenant une nouvelle substance active et ceux constituant une innovation thérapeutique, scientifique ou technique majeure ou « présentant un intérêt au niveau communautaire » .

Le CHMP désigne parmi ses membres un Etat rapporteur et un Etat corapporteur, dont les agences ou autorités compétentes vont conduire un premier travail d'expertise. Les Etats ont la possibilité de faire acte de candidature. Le rapport d'évaluation des pays rapporteurs est ensuite soumis à la délibération des autres membres. Des objections, des demandes de précision peuvent être formulées ; une période d'échanges entre le pays rapporteur qui centralise les demandes d'informations de ses partenaires et le laboratoire peut alors s'instaurer. Au final, le CHMP se prononce par un vote à la majorité simple. Ces évaluations doivent se dérouler en 210 jours (soit 7 mois) 132 ( * ) . Une fois accordée par la Commission européenne, l'AMM est valable pour l'ensemble des pays membres de l'Union européenne. Le pays rapporteur a par la suite la responsabilité du suivi du médicament (extensions d'AMM, modifications du RCP, évaluation des rapports périodiques de sécurité, etc.).

- La procédure de reconnaissance mutuelle et la procédure décentralisée sont applicables aux médicaments autres que ceux obligatoirement soumis à la procédure centralisée.

La procédure de reconnaissance mutuelle peut être utilisée lorsque l'autorité sanitaire compétente d'un Etat membre a déjà délivré une AMM sur son territoire. Elle consiste pour le laboratoire à demander à ce que, à partir de l'évaluation rendue par cet Etat (dit « Etat membre de référence »), l'autorisation soit étendue à d'autres Etats membres (dits « Etats membres concernés »). Ces derniers ont la possibilité de refuser la commercialisation en motivant leur décision.

La procédure décentralisée, en oeuvre depuis 2005, est utilisée lorsqu'aucune AMM initiale n'a été délivrée par un Etat membre. Elle consiste alors pour le laboratoire à déposer un dossier simultanément dans tous les Etats membres souhaités. Un Etat est nommé comme référent pour conduire l'évaluation, qui ensuite peut être reconnue par les autres Etats membres sollicités selon les règles de la reconnaissance mutuelle.

Dans le cadre de ces deux procédures, l'Agence européenne du médicament n'interviendra qu'en cas d'arbitrage, si un ou plusieurs Etats s'opposent à la commercialisation sur leur territoire d'un médicament autorisé par d'autres.

(3) Les règles européennes en matière de pharmacovigilance

A l'heure actuelle , l'organisation européenne de la pharmacovigilance est structurée autour de l'Agence européenne des médicaments et s'appuie sur le travail de détection et d'expertise réalisé au niveau des Etats membres. Ainsi :

- le recueil des déclarations d'effets indésirables est opéré au niveau des Etats membres puis transmis au niveau européen , pour évaluation, au groupe de travail de pharmacovigilance, placé auprès du Comité des médicaments à usage humain. Ce groupe de travail est composé des responsables des départements de pharmacovigilance de chacun des 27 Etats membres ainsi que d'un représentant de la Commission européenne et du secrétariat de l'EMA. Il fonctionne de deux manières : il émet des recommandations ou des avis au CHMP dans le cadre de procédures déclenchés au niveau européen, après saisine du CHMP ou des Etats membres ; il sert également de plateforme de discussion pour des échanges entre Etats membres sur des produits qui n'ont pas été autorisés par l'Union européenne ;

- l'Agence européenne a mis en place une base de données, baptisée EudraVigilance , qui permet aux Etats membres d'échanger des informations sur les effets indésirables graves survenus avec des médicaments en cours d'essai clinique ou autorisées sur le sol européen. Son objectif est d'améliorer la communication et faciliter la collaboration en pharmacovigilance entre les autorités nationales compétentes ;

- enfin, les Etats membres ont l'obligation de s'assurer que les notifications d'effets indésirables graves présumés sont portées aussitôt à la connaissance de l'EMA et du titulaire de l'AMM.

L'Europe pèse donc de manière croissante sur les procédures nationales tant en termes de mise sur le marché que bientôt de pharmacovigilance. Source de rationalisation, cette évolution participe également de la vigilance, comme il sera vu dans la seconde partie du présent rapport.

3. Le rapport sénatorial Restaurer la confiance de 2006 : un état des lieux lucide et des propositions toujours d'actualité

A la suite du retrait du marché par la firme Merck, le 30 septembre 2004 de son médicament vedette, le Vioxx, la commission des affaires sociales du Sénat décide à l'unanimité de créer en son sein une mission d'information sur les conditions de mise sur le marché et du suivi des médicaments .

A l'issue de quelque 34 auditions et plusieurs déplacements, elle a formulé 25 recommandations pour Restaurer la confiance , estimant que la décision brutale et unilatérale de retrait avait ouvert une grave crise de confiance (déjà !) du grand public à l'égard du médicament, recommandations complétées par 33 autres propositions du Président François Autain (et des membres du groupe communiste républicain et citoyen). L'ensemble de ces propositions avait pour objectif de jeter les bases d'une nouvelle politique du médicament.

a) Un diagnostic critique, toujours pertinent

Les observations critiques du rapport portaient sur trois aspects principaux : l'organisation trop complexe du système des agences et des lacunes évidentes en termes d'efficacité et de transparence , les interrogations sur l'indépendance de l'information et de l'expertise, les insuffisances en matière de pharmacovigilance et d'études post-AMM.

Le rapport estimait en outre que :

- comme la plupart des pays développés, la France a confié l'évaluation des produits pharmaceutiques, en vue de leur commercialisation et de leur remboursement, à des agences sanitaires indépendantes. Cette organisation n'est toutefois pas exempte de déficiences , tant en matière de transparence qu'en termes de coordination entre les différents acteurs de la politique du médicament ;

- outre les difficultés liées au dispositif institutionnel lui-même, le système de mise sur le marché et de suivi des médicaments souffre de sa trop grande dépendance à l'égard de l'industrie pharmaceutique. Cette dernière s'est, en effet, imposée comme le premier vecteur d'information des professionnels de santé, mais aussi au sein même des agences par les liens étroits qu'elle entretient avec les experts ;

- les risques inhérents à l'utilisation de médicaments, comme les lacunes du système de mise sur le marché, rendent indispensable, pour garantir la sécurité des malades, la surveillance attentive de l'usage de ces produits « en vie réelle » par un système de pharmacovigilance réactif et la mise en oeuvre d'études approfondies sur des populations plus larges que celles testées avant la commercialisation du produit.

L'objectif recherché était de promouvoir, et si nécessaire d'ajuster, les conditions de bon usage qui permettront à la fois de minimiser les risques et de maximiser les bénéfices pour les patients.

Le rapport soulignait déjà que le premier obstacle auquel se heurtaient les professionnels de la pharmacovigilance des CRPV était l'insuffisante mobilisation des professionnels de santé en matière de notification spontanée des effets indésirables. Ce phénomène touchant essentiellement la médecine de ville, le rapport reconnaissait néanmoins que l'implantation des CRPV dans les CHU facilitait la notification par les services hospitaliers qui sont à l'origine de la moitié des déclarations d'effets indésirables. Pour la médecine de ville, on estimait à un tiers la proportion de praticiens qui préfèraient signaler directement un effet indésirable au laboratoire pharmaceutique concerné par le biais des visiteurs médicaux. La raison la plus fréquemment invoquée pour contourner le système institutionnel était « la crainte d'être accusé d'une mauvaise prescription » .

Sans pour autant rendre la notification obligatoire, la mission préconisait donc de sensibiliser les médecins aux enjeux de la pharmacovigilance et aux mécanismes du dispositif public et ce, dès leur formation initiale, en notant que l'enseignement en pharmacovigilance se limitait à deux heures au cours de la quatrième année d'études de médecine, ce qui semblait largement insuffisant malgré la création d'un cours de iatrogénie médicamenteuse.

Cet effort de sensibilisation devait, selon la mission d'information, passer également par une meilleure reconnaissance du rôle des médecins dans le système de pharmacovigilance, notamment en les informant systématiquement des suites données à leurs signalements . En outre, afin de faciliter le travail de notification, souvent considéré comme une tâche administrative rebutante, elle jugeait souhaitable de promouvoir, auprès des praticiens, les déclarations par Internet sur le site de l'Afssaps et de réfléchir à une meilleure place des patients dans le système de pharmacovigilance.

A cet égard, la mission notait que l'exclusion du patient du système français de pharmacovigilance constituait également un facteur de sous-notification de ces événements : « Pourtant, les déclarations individuelles constitueraient une source d'information complémentaire à la notification par les professionnels de santé et particulièrement utile pour mieux connaître les conséquences - prouvées ou ressenties - de l'utilisation de médicaments sur la qualité de vie, au-delà des constatations strictement médicales. »

Pour prévenir un engorgement du système par un trop grand nombre de déclarations, la mission proposait que la véracité des effets indésirables éprouvés par les patients soit validée préalablement par un médecin ou un pharmacien, ou consister en une déclaration commune au patient et au professionnel de santé. De cette façon, seraient également évitées les démarches individuelles destinées à la seule réparation du préjudice.

Par ailleurs, le rapport critiquait les obstacles existant au développement des études post-AMM : « Outre les difficultés liées à l'éparpillement institutionnel, le développement des études post-AMM se heurte à des difficultés de deux ordres qui sont les modalités de financement et l'exploitation des bases de données de l'assurance maladie . »

Il estimait déjà que la question du financement est au coeur de la problématique des études post-AMM et proposait qu'une enveloppe de crédits publics soit créée au sein de l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour faciliter le développement de ces études : « Ces études doivent, en effet, faire l'objet d'un financement clarifié. Compte tenu des enjeux de santé publique sous-jacents, la question de la propriété intellectuelle de leurs résultats doit également être posée. »

Le second obstacle rencontré pour le développement des études post-AMM concernait l'accès à la gestion des bases de données gérées par l'assurance maladie . Notant que l'Afssaps affirmait sa volonté de participer au financement ou de financer des études réalisées sur les produits de santé après leur mise sur le marché, cette position ne devait pas conduire, selon la mission, à perdre de vue deux éléments de nature à peser sur la sécurité sanitaire au cours des prochaines années :

- d'abord, le développement d'une politique de gestion des risques en aval de l'AMM n'a pas vocation à pallier l'éventuelle absence de sérieux des études réalisées avant la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché, et par là-même dégager la responsabilité des acteurs en amont du circuit administratif du médicament ;

- ensuite, les études post-AMM sont aujourd'hui essentiellement organisées dans le cadre de la procédure de prise en charge collective des produits de santé commandée par la commission de la transparence, au niveau de la procédure de remboursement .

Au-delà de cette politique de gestion du risque, la mission estimait que les études post-AMM devaient servir de marchepied pour le développement à plus grande échelle d'études pharmaco-épidémiologiques sur les produits de santé : « Ces études doivent dépasser le cadre de la sécurité sanitaire pour explorer celui d'une politique de santé publique dynamique en matière de produits de santé... Des études doivent être entreprises non plus pour examiner le seul produit remboursé, mais toute une classe thérapeutique, une pathologie ou encore des pratiques médicales . »

La mission espérait que les pouvoirs publics participent davantage à la prise en charge de ces études, en constatant que leur développement se heurtait à des problèmes de financement. Ces recommandations allaient au-delà des dispositions prévues dans l'accord-cadre de 2003, et la modification de la législation relative aux soins courants, alors en cours, devait favoriser les études comparatives sur les différentes thérapeutiques disponibles et permettre de juger de l'efficacité des produits mis à la disposition des patients.

Elle formait aussi un voeu qui résonne étrangement dans le contexte actuel : « Au terme de son étude, la mission d'information de la commission des affaires sociales souhaite apporter sa contribution au vaste débat public qu'elle appelle de ses voeux sur la question de la mise sur le marché et du suivi des médicaments. Elle souhaite ainsi oeuvrer au processus de rétablissement de la confiance du grand public envers le médicament, les agences sanitaires et les pouvoirs publics . »

b) Des propositions restées hélas sans suite

Compte tenu de l'actualité de ce diagnostic, la mission commune d'information regrette que ce rapport soit resté lettre morte. Elle a la faiblesse de penser que si elles avaient été suivies, les choses auraient été sans doute différentes aujourd'hui.

Elle juge utile de les rappeler ci-après .

Rapport n° 382 (2005-2006) du 8 juin 2006
par Mmes Marie-Thérèse Hermange et Anne-Marie Payet
fait au nom de la commission des affaires sociales

Restaurer la confiance

Vingt-cinq recommandations pour améliorer la commercialisation, l'usage et le suivi des médicaments

Sur le fonctionnement du système institutionnel :

1. Etendre l'obligation de publicité à l'intégralité des travaux et à toutes les agences sanitaires.

2. Rendre obligatoire la mise à disposition d'essais comparatifs contre médicaments dans les dossiers de demande d'AMM.

3. Clarifier la répartition des compétences entre l'Afssaps et la Haute Autorité de santé en matière de recommandations de police sanitaire et de recommandations de bonnes pratiques, rationaliser les relations entre institutions et agences, renforcer le financement public de ces agences.

4. Mettre en place l'Institut des données de santé, prévu par la loi du 13 août 2004.

5. Veiller au suivi des recommandations formulées par la Haute Autorité de santé en matière de déremboursement des médicaments, pour lesquels le service médical rendu est jugé insuffisant.

Sur la formation initiale et continue des médecins :

6. Renforcer la formation médicale initiale en matière de pharmacologie et de pharmacovigilance, par un rééquilibrage des enseignements.

7. Organiser l'évaluation systématique des connaissances des étudiants en thérapeutique à la fin de leur cursus.

8. Accélérer la mise en place de la formation médicale continue telle que prévue par les lois du 4 mars 2002 et du 9 août 2004.

9. Harmoniser le système de crédits de formation continue au niveau communautaire par la création d'un label unique.

10. Faire certifier les revues et journaux pris en compte au titre de la formation médicale continue.

Sur l'information des professionnels de santé et du grand public :

11. Etendre la charte de la visite médicale à l'hôpital et l'appliquer sans exception aux DOM.

12. Développer, aux côtés des délégués médicaux, le réseau de délégués de l'Assurance maladie chargés notamment de la diffusion des recommandations émises par l'Afssaps et la Haute Autorité de santé.

13. Assurer l'indépendance des logiciels de prescription ou faire figurer clairement leurs concepteurs et leur financement.

14. Multiplier les campagnes d'information à destination du grand public sur le modèle des antibiotiques et contrôler les informations médicales grand public diffusées par les médias radiodiffusés et télédiffusés.

15. Sensibiliser le corps enseignant à l'éducation à la santé en milieu scolaire en mettant à leur disposition des outils adaptés.

Sur l'expertise :

16. Elaborer un statut de l'expert.

17. Valoriser l'expertise dans la carrière des praticiens hospitaliers et des professeurs d'université-praticiens hospitaliers.

18. Formaliser les relations entre les agences et les établissements de santé pour le recours aux praticiens hospitaliers et aux professeurs d'université-praticiens hospitaliers.

19. Assurer le développement de la recherche publique en matière de sécurité sanitaire dans le cadre de l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).

Sur les instruments de sécurité sanitaire :

20. Etendre l'obligation de pharmacovigilance à tous les professionnels de santé par des moyens simplifiés.

21. Informer systématiquement les professions de santé de la suite donnée à leurs signalements.

22. Associer les associations agréées de patients au système de pharmacovigilance.

23. Obliger les laboratoires à rendre publique la liste des associations de patients qu'ils subventionnent.

24. Distinguer dans les risques gérés par l'Oniam ceux qui concernent les accidents médicamenteux.

25. Renforcer les financements publics pour les études post-AMM.

M. Didier Houssin 133 ( * ) , ancien directeur général de la santé (DGS), a bien tenté d'indiquer le sort qui a été réservé à ces propositions et il n'est pas inintéressant d'indiquer ici les raisons invoquées qui tiennent principalement à :

- des considérations communautaires : ainsi, l'extension de l'obligation de publicité à l'intégralité des travaux et à toutes les agences sanitaires n'entrerait pas dans le champ de la directive 2004/27/CE 134 ( * ) car celles-ci ne sont pas compétentes sur l'autorisation ou le contrôle des médicaments à usage humain qui ne seraient pas visés par la directive qui a rendu accessible ces informations publiques ; de même la mise à disposition des études comparatives entre médicaments dans les dossiers de demande d'AMM nécessiterait une modification de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire pour les médicaments ;

- des délais d'élaboration des textes d'application : les modalités de signalement des effets indésirables effectués par les patients, ou les associations agréées de patients, prévus par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) relevant d'un décret en conseil d'Etat, publié seulement le 10 juin 2011 135 ( * ) .

- la nécessité de conclure des conventions spécifiques : ainsi la clarification de la répartition des compétences entre l'Afssaps et la HAS concernant le champ de l'information sur le médicament, qui a fait l'objet d'une convention le 20 mars 2009, était, en février 2011, en attente d'un bilan demandé par la DGS ;

- l'existence de « réflexion en cours » (notamment sur l'ouverture au public des réunions de la commission d'AMM et de la commission de la transparence ou encore sur la mise en place de la formation médicale continue telle que prévu par les lois du 4 mars 2002 et du 9 août 2004) ou à entreprendre, en s'interrogeant sur le type d'expertise nécessaire pour éclairer les décisions publiques, et en clarifiant la place de l'expertise dans le processus décisionnel ;

- des réserves sur l'opportunité de certaines propositions comme la motivation de la suppression du renouvellement quinquennal de l'AMM, « notamment parce que les AMM nationales qui sont les principales concernées par ces renouvellements, concernent majoritairement des génériques, médicaments ne posant le plus souvent pas de problème particulier » 136 ( * ) .

Quelles qu'en soient les raisons, la mission ne peut que constater qu'il a fallu attendre une nouvelle crise grave mettant en jeu des vies humaines pour qu'une réforme en profondeur soit enfin envisagée.


* 105 Soucieuse d'impartialité, la mission n'a pas ignoré la critique émise par les représentants du laboratoire concernant le non respect du principe du contradictoire figurant dans le guide des bonnes pratiques de l'Igas. En effet, les représentants du laboratoire Servier ont vivement déploré n'avoir pas été auditionnés par les inspecteurs de l'Igas. Ils ont aussi mis en cause l'existence selon eux d'un conflit d'intérêts - négatif - de l'un des inspecteurs de l'Igas sur ce dossier.

Votre mission d'information a pris acte de la réponse présentée par l'Igas qui a indiqué que, suivant l'usage, les enquêtes des corps d'inspection des ministères portent sur le fonctionnement des administrations (y compris les établissements publics) et que ce sont ces dernières - en l'occurrence l'Afssaps - qui répondent, en application du principe du contradictoire. Par ailleurs, M. Pierre Boissier, chef de l'Igas, a rappelé les contrôles exercés par l'Igas pour s'assurer que ses membres n'ont pas de conflits d'intérêts, ce qui a été selon lui le cas pour cette mission.

* 106 Bernard Kouchner, titre de la préface à La sécurité sanitaire de Didier Tabuteau (2006).

* 107 Didier Tabuteau. La sécurité sanitaire. Ed. Berger-Levrault (2006).

* 108 Ibid.

* 109 Bernard Kouchner, préface à l'ouvrage précité.

* 110 Renforcer la sécurité sanitaire en France, rapport numéro 196, Sénat, 30 janvier 1997.

* 111 Audition du 15 février 2011.

* 112 Audition de M. Didier Tabuteau du 15 février 2011.

* 113 Loi n° 98-535 du 1 er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.

* 114 Loi n° 93-5 du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament.

* 115 L'évaluation du nombre de groupes de travail est celle du rapport des professeurs Bernard Debré et Philippe Even.

* 116 Source : annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2011.

* 117 Audition de M. Jean-François Girard du 1 er février 2011.

* 118 Audition du 22 mars 2011.

* 119 Audition du 15 février 2011.

* 120 Audition du 1 er février 2011.

* 121 Audition du 1 er février 2011.

* 122 Audition de M. Jean François Mattei du 8 février 2011.

* 123 Edouard Zarifian, Le prix du bien-être - psychotropes et société, 1996, Odile Jacob; rapport d'audit de l'Afssaps commun à l'IGF et l'Igas, 2002; rapports de la Cour de comptes de 2004 et 2006 ; rapport de l'Igas relatif à L'information des médecins généralistes sur le médicament, 2007 ; rapport de l'Igas relatif à La formation médicale continue et l'évaluation des pratiques professionnelles des médecins, 2008 ; rapport relatif à La prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments de Catherine Lemorton (Mecss - Assemblée nationale), 2008...

* 124 M. Lionel Benaïche, Expertise en santé publique et principe de précaution, rapport au ministre de la justice, garde des sceaux et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, août 2004.

* 125 Directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques.

* 126 Ceci n'a pas été modifié par les traités suivants. Aujourd'hui, l'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne n'octroie qu'une compétence d'appui à l'Union européenne dans le domaine de la santé publique. Toutefois, l'exception relative aux médicaments a fini par être introduite en 1992 dans le traité de Maastricht.

* 127 Règlement (CEE) n° 2309/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l'évaluation des médicaments.

* 128 Directive 93/39/CEE du Conseil du 14 juin 1993 modifiant les directives 65/65/CEE, 75/318/CEE et 75/319/CEE concernant les médicaments.

* 129 Voir b) (2).

* 130 L'Agence européenne des médicaments dépendait depuis sa création de la DG Entreprise de la Commission européenne. En 2007, elle fut rattachée à la DG Santé et consommateurs afin de répondre aux critiques qui voyaient dans le choix de cette organisation administrative la marque d'une trop grande proximité avec l'industrie.

* 131 Les cinq autres comités sont le comité des médicaments à usage vétérinaire, le comité des médicaments orphelins (maladies rares), le comité des médicaments à base de plantes, le comité pédiatrique et le comité de thérapies innovantes.

* 132 Les délais réels sont de l'ordre de 12 voire 18 mois, étant donné que le temps nécessaire aux laboratoires pour répondre aux demandes du CHMP n'est pas décompté.

* 133 Audition du 15 février 2011.

* 134 Directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.

* 135 Décret n° 2011-655 du 10 juin 2011 relatif aux modalités de signalement par les patients ou les associations agréées de patients d'effets indésirables susceptibles d'être liés aux médicaments et produits mentionnés à l'article L. 5121-1 du code de la santé publique.

* 136 Exposé des considérants de la directive 2004/27/CE précitée.

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