E. L'ENJEU DÉPARTEMENTAL

Au nombre des évidences figure la question du département, en tant que collectivité territoriale. Elle a été relancée - ou entretenue - par la création du conseiller territorial (loi du 16 décembre 2010).

Certains y ont vu la première étape d'une suppression, soit pour s'en réjouir, soit pour le regretter.

Le discours de François Fillon prononcé le 20 novembre 2000 explicitait, comme nous l'avons déjà écrit, un point de vue très défavorable à cette institution créée par la loi du 22 décembre 1789.

Alain Juppé, député-maire de Bordeaux, l'avait devancé par une tribune parue le 1 er décembre 1998 dans le journal Sud-Ouest . L'ancien Premier ministre voyait dans nos niveaux d'administration (trop nombreux) « un facteur de complication croissante et de coûts considérables... N'est-il pas nécessaire de simplifier ? ».

Il avait alors posé la question du département : « Nombreux sont ceux qui estiment que les politiques de solidarité sociale seraient conduites avec plus d'efficacité et surtout plus d'humanité si elles étaient confiées à des échelons plus proches du terrain : la commune bien sûr, cellule de base de notre démocratie et l'intercommunalité ou l'agglomération ».

Les collèges ? Alain Juppé trouvait artificielle la séparation écoles primaires, collèges, lycées. Il optait pour le transfert des collèges à la région. La région est en charge du développement économique : elle pourrait parfaitement assumer la compétence du département en matière d'aménagement de l'espace rural.

Et de conclure : « Ne vaudrait-il pas mieux aller vers une redéfinition des circonscriptions cantonales plus larges et plus équilibrées, au sein desquelles seraient élus des conseillers qui siégeraient tout à la fois au conseil général et au conseil régional ? Ce serait un pas en avant dans le sens de la cohérence, de l'efficacité et de la démocratie » .

A l'appui de sa démonstration, Alain Juppé citait la population cantonale de la Gironde qui varie de 2 500 habitants à 45 000 habitants, des conseillers généraux qui ont 1 826 électeurs, d'autres 32 064. Le député-maire de Bordeaux en appelait à l'intérêt général et à la modernité !

Jacques Attali, en 2008, dans un rapport pour le Président de la République, avait également proposé de faire disparaître, en dix ans, le département et de transférer ses compétences aux communautés 246 ( * ) .

François Fillon déclara que cette suppression n'était pas à l'ordre du jour.

Le Président du Sénat, Christian Poncelet, réagit avec véhémence : selon lui la proposition de suppression du département témoignait d'une « profonde méconnaissance des réalités locales (...). Le département est tout à la fois un repère identitaire pour nos concitoyens, un espace d'expression de solidarités garantes de la préservation du pacte républicain et le lieu de conception de grands projets d'aménagement structurants dont notre pays a besoin » 247 ( * ) .

Valéry Giscard d'Estaing pensait qu'un jour il faudrait choisir entre la région et le département car, selon lui, « il ne saurait y avoir entre l'État et la commune deux collectivités intermédiaires » .

Tout en étant attaché à la région, Jean-Pierre Raffarin établit que « le département devait être le leader de proximité dont le social était pour ainsi dire l'identifiant » 248 ( * ) .

Cette déclaration faisait suite à ce passage : « La vocation du département a été confirmée en ce qui concerne l'enfance, les personnes âgées et les personnes en situation d'exclusion. Il a également la responsabilité en plus des collèges, des équipements de proximité : routes, logements, gestion de l'eau et des déchets lorsque les communes et l'intercommunalité ne peuvent s'en charger. Il est maintenant le premier aménageur local » 249 ( * ) .

En mai 2009, l'institution départementale reçoit un soutien significatif du Médiateur de la République. Dans son éditorial du « Journal du Médiateur », il voyait dans le département « la terre d'élection des représentants de la Nation », « l'acteur central de la réduction des inégalités et de la dynamique d'insertion des populations fragiles ». Notons le titre de la dernière page : « Le département : un interlocuteur incontournable pour les délégués » .

De son côté, l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) rappelle son attachement au département : « Depuis 1984, la légitimité du département a souvent été discutée. Mais le bilan positif de leur action a été pris en compte et l'acte II de la décentralisation s'est concrétisé par un transfert important de compétences à leur profit » .

Tout en recherchant une meilleure complémentarité entre solidarité nationale et locale, une meilleure coopération entre les différents acteurs locaux, l'ODAS conclut : « la suppression de l'échelon départemental évoquée par le rapport Attali (...) réduirait de fait une capacité collective de répondre aux enjeux de plus en plus complexes de notre société » 250 ( * ) .

Entre le maintien et la suppression, une troisième thèse existe : Dominique Perben, dans un rapport du 5 février 2008 251 ( * ) , soutient l'idée d'une fusion département-région dans les zones métropolitaines denses.

De son côté, Philippe Richert, ministre des Collectivités territoriales, président du conseil régional d'Alsace, prône « la réunion » , dans un Conseil d'Alsace, du conseil général du Bas-Rhin, du conseil général du Haut-Rhin et du conseil régional 252 ( * ) . Au sein de cette future collectivité, « Il apparaît possible, voire souhaitable [que] soient créés des conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin qui, composés des conseillers territoriaux élus dans leur ressort territorial du département, exerceraient des attributions définies par le conseil d'Alsace en vertu du principe de subsidiarité » .

Le Président du conseil régional d'Alsace prévoit de nouveaux transferts de l'État vers le conseil d'Alsace (la langue régionale, l'orientation professionnelle, les routes nationales, la médecine et le travail social en milieu scolaire), la mise en place de « conseils de territoire » (dont le cadre géographique pourrait être celui de l'arrondissement, du pays ou du SCOT), la garantie des rôles de Strasbourg, de Colmar, de Mulhouse (par délégation de responsabilités), la constitution d'un groupe projet (composé de conseillers territoriaux, de parlementaires, de représentants des associations des maires, des trois agglomérations de Mulhouse, Colmar et Strasbourg et des membres du conseil économique, social et environnemental d'Alsace).

Philippe Richert souhaite un temps d'expérimentation : « La fusion des assemblées, des services et des moyens n'est envisageable qu'après le renouvellement des élus » .

En matière de coopération, de mutualisation, de fusion entre collectivités, la loi du 16 décembre 2010 repose sur le volontariat, dans un souci de bonne administration et d'intéressement citoyen.

Il est nécessaire de lever toute ambiguïté départementale.

Le département conserve toute sa légitimité dès lors qu'il assure une double solidarité : sociale et territoriale. C'est toute la question de la modernisation du département.

Cette prise de position ne suffit pas à ramener la sérénité dans cette collectivité : il faut que nous apportions une réponse durable à ses difficultés financières actuelles.

1. La modernisation du département

Paradoxalement le département doit tirer partie de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et du développement de l'intercommunalité.

Avec la RGPP, nous assistons à une accélération de l'appauvrissement des services déconcentrés de l'État. Les anciennes directions départementales de l'État, telles que les DDE, DDASS, DDA, apportaient un service technique important aux communes et structures intercommunales. Depuis un certain temps les ex-DDE ont sérieusement restreint leur service d'instruction.

Aujourd'hui, bon nombre d'intercommunalités ne peuvent pas recruter pour des raisons de dimensions ou de capacités, des conseils, des experts, des techniciens dont elles ont besoin. Cela est particulièrement vrai dans les domaines de l'urbanisme, du droit (en général et en particulier : droit des sols, droit de la fonction publique, des contrats...), de l'environnement, de l'assainissement, de la gestion financière, de l'énergie... Autant de secteurs complexes, sensibles, à fort potentiel contentieux.

Il y a une fonction d'ingénierie, d'assistance à maîtrise d'ouvrage à organiser 253 ( * ) .

Elle sera particulièrement utile pour les territoires ruraux, les petites et moyennes communautés ou celles qui sont en constitution.

C'est cette thèse que nous avons défendue au sein de la Mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales 254 ( * ) .

L'organisation de cette aide-conseil - facultative bien évidemment - peut prendre des formes diverses : services du département, agence, société publique locale, délégation à l'association des maires...

Le précédent des agences d'urbanisme - dont certaines sont très anciennes - créées par des villes ou des EPCI peut être un excellent exemple. Bien souvent ces agences sont devenues des agences de développement dont les compétences et la loyauté n'ont jamais été mises en cause.

Notons d'ailleurs que, comme le groupe de travail l'a constaté lors de ses différents déplacements, certains départements pratiquent de manière remarquable ces fonctions dont nous plaidons la cause. Ces fonctions d'ailleurs peuvent se fonder sur des participations diverses de l'État, de la région, du département, des EPCI, des communes, des agences ou des syndicats. Il y a des formes de mutualisation à inventer.

L'essentiel pour le décideur politique c'est d'avoir une maîtrise d'ouvrage solide, qu'il agisse en régie ou par délégation.

Ajoutons qu'avec l'évolution du canton en zone urbaine ou périurbaine, nous voyons bien qu'un nouveau rapport va s'établir entre le département et l'intercommunalité. Le groupe de travail considère que le département moderne doit être « le Sénat des intercommunalités » 255 ( * ) . Il doit par conséquent en être l'émanation, selon des modalités qui restent à déterminer mais conduisent à s'interroger d'ores et déjà sur le type de scrutin à appliquer 256 ( * ) .


* 246 Jacques Attali, rapport de la Commission pour la libération de la croissance française : « 300 décisions pour changer la France » , La Documentation française, 22 janvier 2008, proposition 260.

* 247 Christian Poncelet in « Lettre hebdomadaire du Carrefour local » n° 369, 11 février 2008.

* 248 Jean-Pierre Raffarin « 10 + 1 questions à Jean-Pierre Raffarin sur la décentralisation », Michalon, octobre 2007, p. 34.

* 249 Op. cit. p. 39.

* 250 « Propositions de l'ODAS » 2005-2007.

* 251 Dominique Perben : « Imaginer les métropoles d'avenir », rapport au Président de la République » , La Documentation française, février 2008.

* 252 « Le Conseil d'Alsace », rapport de Philippe Richert au conseil régional d'Alsace, le 7 mai 2011. Cf. Les Echos, le 9 mai 2011 « Alsace : nouveau pas vers la fusion région-départements ».

* 253 Cette idée n'est pas neuve : nous la retrouvons à l'article 32 de la première loi Defferre du 2 mars 1982. Cf. rapport p. 5. Le rapport Mauroy consacre ses propositions 103 à 110 au renforcement des moyens juridiques des collectivités. Voici le principal : permettre aux intercommunalités d'assurer l'assistance et le conseil juridique de leurs communes membres ; donner aux inspections générales de la Mission de conseil des collectivités territoriales ; ouvrir plus largement le corps d'inspection générale aux administrateurs territoriaux ; donner la possibilité aux collectivités territoriales de disposer de l'avis du tribunal administratif pour leurs actes les plus importants.

* 254 Rapport Krattinger-Gourault. Op. cit. p. 62-63.

* 255 Cf. Pierre Mauroy : « Quant au département, il doit à court terme évoluer, devenir un "conseil départemental" et se positionner comme un interlocuteur des intercommunalités » in La Gazette des communes, n° spécial « 1982-2002, la décentralisation 20 ans après », 4 mars 2002, p. 19.

* 256 Voir les réflexions de la Mission Mauroy (propositions 15 et 15 bis).

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