2. Le rapport Mauroy

Emanant de la Commission pour l'avenir de la décentralisation, ce rapport est remis au Premier ministre, Lionel Jospin, le 17 octobre 2000. Il comprend 154 propositions, dont bon nombre demeurent toujours d'actualité et sont souvent reprises dans les rapports les plus récents.

L'introduction rappelle le consensus dont bénéficie une décentralisation active, bien gérée et qui ne remet pas en cause le statut de notre État unitaire.

Mais, constatant sa complexité, le décalage entre découpages administratifs et bassins de vie, les insuffisances de l'administration d'État, la tentative recentralisatrice de celui-ci, le « brouillage » des compétences, la commission estime nécessaire de mettre en oeuvre une « nouvelle étape ».

S'inscrivant dans une perspective de long terme (dix à quinze ans), n'omettant pas les services publics locaux, elle entend porter un intérêt appuyé aux acteurs de la décentralisation (agents, élus et citoyens).

Elle fait le choix d'une « refondation démocratique » à partir d'un existant : « Nos institutions locales s'enracinent dans l'histoire du pays. La commune et le département ont une existence séculaire. La région, dans son découpage, aussi insatisfaisant soit-il, est désormais connue et appréciée de l'ensemble de nos concitoyens. Cette organisation a certes l'inconvénient d'une superposition de niveaux. Mais elle a aussi pour contrepartie des légitimités et un enracinement démocratique qu'il serait vain de bousculer au nom de l'efficacité ».

La logique du rapport repose sur une évolution maîtrisée au service d'un profond renouvellement du pouvoir local, marquée par « un pouvoir régional fort, apte à engager la compétition économique avec ses partenaires européens » , « une coopération intercommunale dont la réussite est déjà inscrite dans les faits et qu'il convient de doter par l'élection au suffrage universel direct d'une légitimité démocratique », « un conseil départemental, dont le mode d'élection est fortement modernisé, [et qui] exerce des compétences mieux redéfinies et recentrées ».

Il est également fait appel au principe de subsidiarité et à l'autonomie fiscale. Au titre de la pertinence et de la dynamique territoriale, le rapport Mauroy appelle au dépassement de « l'exception française » par la coopération intercommunale et imagine une France en 2010-2015 composée de 3 500 communautés de communes, de 130 communautés d'agglomération et de 20 communautés urbaines 78 ( * ) .

La commission ne remet pas en cause nos trois niveaux d'administration locale, trilogie qui se retrouve dans la plupart des pays européens.

La région, institution récente, dynamique, doit favoriser le dialogue et la concertation entre les différentes institutions publiques. Il est suggéré la tenue « au moins une fois par an » d'une conférence régionale des exécutifs (État, régions, départements, intercommunalités), le développement de la coopération interrégionale, la constitution de métropoles puissantes et de réseaux de villes permettant la mise en place de stratégies communes de projets.

Les propositions 12 à 15 bis « renouvellent » l'échelon départemental. La commission reconnaît que « l'avenir des départements est aujourd'hui un point de cristallisation du débat politique institutionnel » plus interne au monde politique qu'au grand public. Echelon déconcentré, « prépondérant et essentiel » de l'État, son maintien conditionne le renforcement de la déconcentration qui s'imbrique avec la décentralisation 79 ( * ) .

Mais la légitimité du département en tant que collectivité repose sur ses compétences (qui « nécessitent à la fois proximité et maîtrise de la complexité, impliquant une échelle plus large que la commune ou l'intercommunalité » ) et sur la nécessité d'une péréquation.

Reste sa modernisation :

- démocratique, d'abord : si le conseiller général est bien identifié en milieu rural, il est « le plus souvent méconnu » en milieu urbain, d'autant que son mode d'élection conduit à une sous-représentation urbaine ; le renouvellement par moitié des conseils généraux est mal compris de l'opinion publique ; le département est la seule collectivité territoriale de cette importance à laquelle ne s'applique pas la loi sur la parité.

Pour assurer cette modernisation démocratique, la Mission Mauroy recommande que le conseil général, qui prendrait le nom de conseil départemental, soit composé de conseillers départementaux renouvelés dans leur totalité tous les six ans.

Quant au mode de scrutin, deux hypothèses sont retenues : élection à la proportionnelle avec une prime majoritaire sur la circonscription départementale ; création de nouvelles circonscriptions « sur la base de territoires rénovés tenant compte des intercommunalités » . La circonscription pourrait réunir plusieurs intercommunalités dans l'hypothèse de petites intercommunalités.

Au législateur de choisir la proportionnelle et/ou le scrutin uninominal suivant l'importance de la circonscription ;

- fonctionnelle ensuite : comme le prévoit la loi du 2 mars 1982, le département doit pouvoir créer avec les communes et les EPCI un service d'assistance technique, juridique ou financier (propositions 102 et suivantes).

Après avoir plaidé la coopération transfrontalière et la coopération internationale décentralisée, la Mission Mauroy se réfère aux principes de répartition par blocs de compétences pour retrouver une clarification des attributions de chaque collectivité (propositions 22 à 57).

Elle reconnaît les avantages d'une répartition souple, évolutive des compétences et voit dans la contractualisation « un élément de souplesse supplémentaire » , le contrat devenant de fait « une autre source de répartition des compétences, qu'il s'agisse des contrats de plan par lesquels l'État délègue une partie de ses compétences, ou des contrats sectoriels ».

Le contrat a une vertu fondamentale : « il permet le dialogue, le rapprochement des administrations et des acteurs locaux, et la convergence des interventions » . Positif dans ses implications institutionnelles, il doit en être fait un bon usage c'est-à-dire non systématique 80 ( * ) .

Après avoir traité de l'engagement des citoyens et de la disponibilité des élus, le rapport Mauroy consacre plusieurs de ses pages à la qualité et à la sécurité juridique des actes des collectivités territoriales. Dix ans après, elles trouvent une particulière actualité avec la révision générale des politiques publiques. L'exercice du pouvoir décentralisé doit se faire dans la sécurité juridique et la sérénité, conditions d'un travail novateur et durable.

La Mission Mauroy souligne que les collectivités doivent pouvoir disposer d'une expertise certaine intéressant un environnement de plus en plus complexe techniquement : la mise en commun de moyens d'assistance s'impose, que ce soit au niveau départemental, intercommunal ou de l'État (avec la création d'une inspection générale des collectivités territoriales, propositions 104 et 105).

En référence à la fonction consultative du Conseil d'État au bénéfice du Gouvernement, le rapport plaide pour une fonction consultative des tribunaux administratifs au bénéfice des collectivités territoriales « pour leurs actes les plus importants » (proposition 106).

Après avoir réservé les propositions 118 à 134 à la fonction publique territoriale, la Mission Mauroy traite in fine de la refonte des finances locales.

Elle pose un principe : celui de l'autonomie fiscale (« une part prépondérante des recettes des collectivités locales dépend des décisions prises par l'élu et dont il assume politiquement la responsabilité, est une dimension essentielle de la démocratie et du principe français de libre administration des collectivités territoriales 81 ( * ) »).

La modernisation de la taxe d'habitation passerait par une assiette reposant pour partie d'une revalorisation des valeurs locatives et pour partie sur le revenu du foyer.

La simplification fiscale doit conduire à l'affectation d'un impôt principal à chaque collectivité, mais il ne saurait y avoir exclusivité : toute spécialisation exclusive fragilise la collectivité bénéficiaire.

Un schéma d'affectation est proposé : la taxe d'habitation aux communes, la taxe professionnelle à taux unique aux EPCI.

Pour les départements, deux options sont envisagées : un impôt additionnel à la CSG ou la taxe foncière sur les propriétés bâties (solution préférée).

La région pourrait recevoir une partie de la taxe professionnelle.

Traditionnel sujet : la péréquation. Ce doit être la fonction des dotations de l'État avec une limitation du nombre de critères. Sans surprise, il est proposé de compenser intégralement les transferts de compétences.

Quelques semaines avant la remise du rapport, 9 élus de droite sur les 22 de la Commission démissionnent pour protester contre « la recentralisation financière » . Avec le président Poncelet, ils présentent, le 18 octobre 2000, une proposition de loi garantissant l'autonomie financière des collectivités locales 82 ( * ) .


* 78 Propositions principales : généralisation de l'intercommunalité à fiscalité propre (n° 1) ; élection au suffrage universel direct des conseillers intercommunautaires à fiscalité propre (n° 7).

* 79 Les propositions 58 à 65 concernent la déconcentration.

* 80 La Mission dénonce la multiplication des normes (propositions 20 et 21).

* 81 La Mission n'ignore pas la faiblesse de l'autonomie fiscale de certains pays européens à forte tradition décentralisée (Allemagne, Italie, Espagne), mais la France a son histoire et ses traditions.

* 82 Lors du débat d'orientation générale sur la nouvelle étape de la décentralisation (Assemblée nationale, 17 janvier 2001), le Premier ministre, citant le rapport Mauroy, souligna « la grande qualité de ce document, synthétisant des débats approfondis, constructifs et même consensuels - sauf peut-être dans les dernières semaines et pour des motifs éloignés du sujet ». Dans l'esprit du Premier ministre, ce débat doit être pour les opposants l'occasion de « présenter un programme d'ensemble sur ce qui devrait, selon eux, une décentralisation rénovant profondément le paysage institutionnel local. Le Gouvernement y sera bien entendu très attentif ».

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